La dernière d'Alonso en Formule 1

Retour sur une carrière
sous le signe du chat noir

Ce week-end à Abou Dhabi, Fernando Alonso tournera le chapitre Formule 1 d'une carrière longue de 17 ans. Considéré comme l'un des pilotes les plus talentueux de l'ère moderne, l'Espagnol va pourtant quitter le plateau au terme d'une grosse décennie marquée du sceau de la malchance.

A l'extinction des feux ce dimanche dans les Emirats arabes unis, le double champion du monde prendra son 312e et dernier départ en Formule 1. Si, depuis l'annonce de sa fin de carrière dans la catégorie reine, Fernando Alonso a dit tout et son contraire concernant un potentiel retour à l'horizon 2020, le revoir monter dans un baquet de F1 après l'arrivée du Grand Prix d'Abou Dhabi paraît hautement improbable, tant il a semblé être poursuivi par un chat noir tout en passant sous une échelle depuis près de dix ans.

Retour sur une carrière durant laquelle l'Asturien s'est rarement trouvé au bon endroit au bon moment.

Le succès précoce avec Renault

Deuxième pilote le plus "capé" de l'histoire, derrière les 323 départs du Brésilien Rubens Barrichello, le Taureau des Asturies a dépassé à ce classement Michael Schumacher. L'Allemand avait vu débarquer en 2003 un jeune aux dents longues, qui avait dans les jambes une première saison convaincante chez Minardi en 2001 et une pige comme essayeur chez Renault en 2002.

C'est précisément le constructeur français qui lance l'Espagnol dans le grand bain l'année suivante, poussé par l'influent Flavio Briatore. Il ne faut pas longtemps au jeune Nando pour rendre la confiance placée en lui puisqu'il inscrit ses premiers points dès sa première course avec l'écurie au losange, en Australie. En Malaisie, il récidive avec une première pole position et un premier podium en terminant troisième. Des résultats probants synonymes, à l'époque, d'autant de records de précocité.

Ce sera aussi le cas pour sa première victoire en Hongrie en 2003 et le premier de ses deux titres de champion du monde en 2005. Conquis au Brésil, il mettait du même coup fin à une hégémonie longue de cinq ans de Michael Schumacher et de Ferrari, avec comme symbole cette résistance douze tours durant du jeune Espagnol face au vétéran allemand lors du Grand Prix de Saint-Marin.

En devenant le plus jeune champion du monde de l'histoire, de surcroît en battant le Kaiser, Fernando Alonso s'attire la sympathie de nombreuses personnes, désireuses de voir de la fraîcheur et du renouveau en haut de l'affiche. De la nouveauté, c'est précisément ce qu'il ira chercher chez McLaren, où il tombera finalement sur un os.

Une première union houleuse avec McLaren

Pour la saison 2007, le double champion du monde en titre rejoint McLaren-Mercedes, qui décide de mettre à ses côtés Lewis Hamilton, jeune du cru de Woking. Pour l'Espagnol, l'aubaine est idéale car l'écurie anglaise truste toujours les sommets à cette époque et un jeune rookie ne devrait pas lui mettre de bâtons dans les roues pour le rôle de premier pilote. Dans la pratique, les choses ne se passeront pas du tout comme il s'y attendait. Dès le début de saison, Hamilton impressionne et fait jeu égal avec son illustre équipier. Bousculé, Alonso fera tout pour maintenir son leadership dans l'équipe, quitte à bloquer son partenaire dans les stands en Hongrie.

Dès cet instant, le divorce est consommé entre l'Espagnol et une écurie anglaise qui protégera le talent de Sa Majesté. La guéguerre entre Alonso et Hamilton coûtera d'ailleurs le titre pilotes à McLaren, coiffé sur le poteau par Kimi Räikkönen, parti chez Ferrari cette année-là pour faire place à... Alonso et Hamilton.

Après des débuts réussis dans la catégorie reine, la saison 2007 d'Alonso est un tournant puisque c'est à partir de là que la malchance prendra le dessus sur la suerte dans la carrière de l'Asturien.

Un retour galère chez Renault et le crashgate

Après l'échec McLaren, retour à la case Renault pour Alonso qui cherche à retrouver un cocon qui lui sied. Sauf qu'en à peine une saison, le constructeur français a changé et n'est plus au niveau qui avait permis à l'Espagnol de coiffer deux couronnes mondiales.

Le Losange ira jusqu'à fomenter le crash volontaire de Nelsinho Piquet, l'équipier de l'Espagnol, pour permettre à ce dernier de goûter de nouveau à la victoire. Pour le premier Grand Prix nocturne de l'histoire, à Singapour en 2008, Renault demandera au Brésilien d'encastrer sa monture dans une barrière après un arrêt au stand d'Alonso afin que celui-ci profite de l'intervention de la voiture de sécurité pour remonter au classement, et finalement s'imposer en profitant des malheurs des uns et des autres.

Malgré un deuxième succès de rang au Japon, ce n'est que l'arbre qui cache la forêt. Les performances de l'écurie française ne sont pas au rendez-vous et la piètre saison 2009 de Renault poussera finalement l'Ibère à rejoindre la Scuderia Ferrari dès 2010. 

"Je suis très heureux et très fier", s'était-il enthousiasmé à l'époque. "Conduire une Ferrari, c'est le rêve de tous ceux qui font ce métier. Et, aujourd'hui, j'ai la chance de pouvoir le réaliser." Une fois encore, il prend la place de Kimi Räikkönen, parti tenter l'aventure en WRC. les débuts, comme chez McLaren, se passent à la perfection pour Nando.

Cinq ans dans l'adversité avec Ferrari

Comme chez McLaren, les débuts se passent à la perfection pour un Nando tout de rouge vêtu. Dès son premier Grand Prix pour le cheval cabré, Fernando Alonso s'impose à Bahreïn et profite des problèmes rencontrés par la Red Bull de Sebastian Vettel. "Il n’existe pas de meilleur moyen d’entamer une relation. Je suis dans la meilleure équipe du monde", se réjouissait-il au sortir de la course.

Si le début de l'idylle est idéal, celle-ci va pourtant s'effilocher au fil des mois et des saisons, à mesure que la Rossa ne fournira jamais une voiture à la hauteur du talent de son pilote de pointe, et qui n'hésitera pas à recourir à des consignes d'équipe pour favoriser son premier pilote au détriment de Felipe Massa.

Alonso s'était d'ailleurs fait un plaisir de reléguer le vice-champion 2008 à un rôle de second dès sa quatrième course pour Ferrari en doublant le Brésilien à l'entrée des stands afin d'hériter d'une meilleure stratégie.

Au fil du temps, la romance va avoir du plomb dans l'aile car l'Espagnol réalise que, même au meilleur de sa forme, il ne pourra jamais remporter un titre avec une voiture capricieuse, alors qu'il a pourtant lutté jusqu'au dernier tour des saisons 2010 et 2012.

Au terme d'une lutte à quatre il y a huit ans, il termine vice-champion à quatre points de Vettel. Rarement au bon endroit au bon moment dans sa carrière, la symbolique de cette habitude dans la carrière de l'Espagnol trouve une caisse de résonance dans la mauvaise stratégie de son équipe lors du final à Abou Dhabi, qui le contraint à ressortir derrière la Renault de Vitaly Petrov, qu'il ne parviendra jamais à doubler et qui offrira du même coup le premier titre à Baby Schumi.

Deux ans plus tard, c'est pour trois points qu'il échoue à décrocher un troisième sacre. De nouveau face à Vettel et de nouveau au volant d'une monoplace peu compétitive, l'Espagnol réalise des prouesses mais les cieux ne sont pas avec lui. Si la chance lui sourit en Malaisie quand, mis sous pression par la surprenante Sauber de Sergio Pérez dans la course à la victoire, il voit le Mexicain partir à la faute, il frôle en revanche le pire à Spa-Francorchamps lorsque la Lotus de Romain Grosjean lui passe à quelques centimètres de la tête au départ. S'il évite une blessure sérieuse, ou la mort, il ne le sait pas encore mais cet abandon lui coûtera le titre.

Sebastian Vettel est, au contraire, béni des dieux. Lors de la course décisive au Brésil, il est harponné par la Williams de Bruno Senna. Endommagée, la Red Bull de l'Allemand rejoindra malgré tout l'arrivée pour priver Alonso d'un troisième titre qui lui tendait les bras après avoir de nouveau puisé au-delà de ce que la voiture lui offrait.

La suite sera encore plus compliquée avec seulement deux victoires en deux ans, dont la dernière chez lui en Espagne en 2013. Alors qu'il s'attendait à un conte de fées avec la Rossa, l'Espagnol, frustré, claquera la porte et s'en ira tenter une nouvelle aventure en profitant d'ambitieuses retrouvailles entre McLaren et Honda à partir de la saison 2015.

La débâcle finale chez McLaren

Sur papier, l'association entre l'écurie britannique et le motoriste japonais, 23 ans après le divorce de 1992, avait fière allure. La promotion marketing est à la hauteur du retour de Fernando Alonso à Woking et de l'espoir de renouer avec les succès d'Aryton Senna et d'Alain Prost au croisement des années 1980-1990.

Sur circuit en revanche, le partenariat coule autant que les blocs propulseurs nippons ne dégagent de fumée en rendant l'âme. Les premiers essais hivernaux en 2015 donnent le ton : les moteurs Honda sont aussi peu performants que peu fiables. Alonso termine la saison à une anonyme 17e place au championnat des pilotes, ayant abandonné autant de fois qu'en cinq saisons chez Ferrari.

L'exercice 2016, notamment marqué par une embardée à Melbourne dont il sort miraculeusement indemne, apparaît comme une éclaircie dans le brouillard dégagé par les moteurs estampillés Honda et tend à donner du relief au slogan du motoriste "The Power of Dreams", avant que 2017 ne finisse de tuer les rêves de réussite entre Woking et Tochigi. 

Pour convaincre l'Espagnol de rester dans la barque McLaren, on lui octroie des libertés dont cette participation aux 500 Miles d'Indianapolis la saison dernière. Et Alonso de prouver qu'il n'a rien perdu de son talent malgré des années de galère puisqu'il se montre le plus rapide des débutants lors des essais avant de se qualifier cinquième sur la grille. Sa prestation d'ensemble dans la prestigieuse épreuve, ponctuée par la place de leader pendant 27 tours avant d'abandonner à 21 boucles du but sur une casse de son moteur... Honda, lui vaudra le titre de meilleur rookie.

Rarement depuis son retour chez McLaren, on avait vu l'Espagnol aussi souriant et profitant d'un week-end de course. C'est pourquoi une fois le deal avec Honda terminé, laissant place au bloc Renault sous le châssis orange, McLaren, dont il s'est finalement rendu compte que le problème ne venait pas que de Honda mais était bien plus profond à Woking, lui offre une nouvelle liberté en lui permettant de participer au championnat du monde d'endurance (WEC). 

Là, il prend son pied en remportant notamment les 24 Heures du Mans cette année avec Toyota. Au fait de nouvelles sensations et de retour au plus haut niveau dans d'autres catégories, Alonso décide alors d'annoncer cet été la fin de son aventure en Formule 1, cinq ans après son 32e et dernier succès et quatre après son 97e et dernier podium.

Épanoui dans son nouvel environnement, Nando promet à sa future ancienne écurie une "saison 2019 compétitive" alors que lui s'amusera de nouveau en WEC et à Indianapolis, où il briguera son nouvel objectif qu'est la Triple Couronne (victoires à Monaco, au Mans et à Indy) pour rejoindre Graham Hill, seul pilote à avoir accompli cette performance.