Sans David,
mais avec des Goliath

L'European Open, version backstage

Seule épreuve internationale de tennis à se disputer au cœur de notre petit royaume, l'European Open a vu un plateau de haute-volée se déployer du côté d'Anvers.

Avec la présence de Kyle Edmund, qui s'y est offert le premier titre de sa carrière, du sautillant et sympathique Diego Schwartzman, d’un serial serveur nommé Milos Raonic, tombé trop tôt, ou encore d’une fameuse brigade française emmenée par Jo-Wilfried Tsonga, Gaël Monfils ou Richard Gasquet, le tournoi est parvenu à rebondir suite au forfait de notre étoile nationale brillant dans le ciel de l'ATP. David Goffin, qui a mis fin à sa saison au début du mois d'octobre – la faute à un coude endolori-, a profondément manqué. Car à lui seul, il incarnait la principale attraction noire-jaune-rouge de cette troisième édition. Aucune victoire belge n’était à pointer lors de cette semaine, c’est dire si lorsque le n°12 au monde s’absente, les repreneurs de flambeau ne sont pas légion.

Qui plus est, il faut reconnaître que les temps sont durs pour monter un tel événement. Entre des investisseurs et sponsors parfois timorés, l'explosion des prize money et un public qui pourrait être tenté de privilégier les retransmissions télévisées à l'onéreuse expérience du bord terrain, la mission des organisateurs se révélait pour le moins ardue. On pouvait même craindre le pire pour l’entreprise anversoise. Malgré ces ingrédients contraignants, ce cru 2018 a affiché "une augmentation du nombre de spectateurs par rapport à 2017", souriait Ilse Van Parys, responsable de l'événement. Et sur le plan sportif, on eut droit à de remarquables joutes, à l’instar de cette finale de qualité entre Monfils et Edmund. Lorsque l’on évalue le dernier carré anversois par rapport à ceux de Moscou et Stockholm (deux autres ATP 250) se déroulant simultanément, il n'y avait d’ailleurs pas de quoi de rougir. Loin de là.

Alors certes, les plus grandes stars du circuit ne foulent plus le sol belge comme à l'époque de l’ECC, du Belgian Indoor Championship ou des Proximus Diamond Games où l'on pouvait apercevoir Venus Williams, Pete Sampras, John McEnroe, Boris Becker ou encore Kim & Juju. L'effervescence d'une finale de Coupe Davis (comme c'était le cas à Gand en 2015) n'a, elle, absolument rien de comparable à l’ambiance plus feutrée d’un ATP 250. Néanmoins, force est de constater que la petite balle jaune préserve son aura au plat pays.

Mais derrière ce bilan encourageant, quelle atmosphère régnait-il ? De l’intérieur, à quoi ressemble cette kermesse tennistique ? Entre la visite discrète de Goffin à la Lotto Arena, les aventures de Monfils et quelques anecdotes de vestiaires, on vous emmène dans les coulisses de l'European Open.

Un peu de silence s’il vous plaît, les joueurs sont prêts.

Jeudi en prime(s)

A n'en pas douter, ce fut le coup de massue pour Dick Norman lorsqu'il apprit l'absence de David Goffin à la Lotto Arena au début du mois d’octobre. Mais pas question de crier à la catastrophe. Le directeur du tournoi a rapidement rappelé que l’événement garantirait "malgré tout, un très haut niveau. L' European Open, seul tournoi ATP en Belgique, demeure un événement tennistique exceptionnel. Ensemble, Gaël Monfils, Richard Gasquet, Diego Schwarzman, Jo-Wilfried Tsonga, Feliciano Lopez, Robin Haase et Kyle Edmund totalisent pas moins de 48 titres ATP".

Même s'il bombe le torse, le grand Dick boit la tasse. Pour preuve, la campagne promotionnelle s'était quasi exclusivement appuyée sur notre David national. Des panneaux défraîchis garnissaient encore de nombreuses allées durant la semaine. L'organisation avait même lancé un jeu pour les fans et le public intitulé le "Goffin Challenge". Le but ? Parvenir à envoyer une balle dans un filet, placé au bout de la raquette d'un David Goffin ''en carton".

Initialement, le Liégeois aurait dû lancer son tournoi le jeudi en night session. Pour pallier la déception légitime de nombreux fans qui s'étaient jeté sur des places de manière un peu trop anticipée (avant l’annonce de son désistement), David Goffin est passé saluer ses admirateurs et faire un "coucou" sur le Central. Mais dans ses habits de civil, parce qu’il se doit, bien entendu, de rester au repos forcé. Et également pour mieux se fondre dans cet anonymat qu’il semble tant affectionner. Sans doute aussi, parce qu'il est lié contractuellement au tournoi anversois pour ces trois premières éditions, un geste était donc attendu de la part des sponsors.

Le volte-face du clan Goffin

En marge de cette visite destinée au public, le Liégeois avait programmé une conférence de presse d’une vingtaine de minutes jeudi après-midi. Histoire d’aborder l’évolution de ce fâcheux œdème osseux développé au coude (Ndlr : une échographie est prévue début novembre), de recueillir ses confessions sur cette année maudite, entre une blessure à l’œil (Rotterdam) et ce bras qui dévisse au plus mauvais moment, et aussi de partager ses objectifs et projets pour 2019. Mais la veille de sa venue, le clan Goffin faisait volte-face et prenait de court le contingent médiatique. "Pas de point presse, Goffin se rendra exclusivement disponible pour les fans".

Van Cleemput en mode porte-parole

Début octobre, son coach Thierry Van Cleemput avait joué le rôle de porte-parole de son poulain et souligné le désenchantement de cette saison au goût amer, émaillée d’aucun titre, ni d’aucune finale. "Vous le connaissez. Il est stoïque, calme et réaliste", racontait-il. "Il aurait préféré défendre ses points en cette fin de saison. J’ai observé une grande détermination et ne l’ai pas senti abattu. Il veut être le patron de son projet, et avec tous les membres du staff, nous avons un plan."

En vue de Doha et de l’Open d’Australie que le Belge a en ligne mire début 2019, cette rencontre aurait été l’occasion d’en savoir davantage sur "la grosse préparation physique" et le dispositif prévu pour se remettre en selle. Et puis, mentalement, quels impacts ont généré ces coups du sort ? D’autant que d’ici la fin du Masters de Londres, la star du royaume pourrait dégringoler entre la 18e et 25e place au classement.

Les dessous d’une visite très discrète

Il était 17h30 lorsque Goffin débarqua dans le hall d’entrée de la Lotto Arena. Parmi l’assistance, on remarquait de nombreux regards ébahis et pour la plupart surpris de l’apercevoir en tenue de ville. Si via les réseaux sociaux, le tournoi a annoncé son passage, l’info n’avait, semble-t-il, pas gagné une bonne partie du public. Dans un premier temps, ils n'étaient qu'une dizaine d’afficionados à entourer le chef de file du tennis belge. Accolades, quelques mots sympas et des selfies en veux-tu en voilà.

"Cela devient aussi aseptisé qu’au football"

Organisée au cœur du stand d’un sponsor, une séance de dédicaces était programmée dans la foulée de ce joyeux accueil quelque peu improvisé. Une file copieuse et ordonnée se dessinait où enfants et moins jeunes trépignaient. Paradoxalement, on sentait poindre une certaine tension, un curieux malaise. La poignée de journalistes était gentiment tenue à bonne distance par un garde de la sécurité, nourrissant la frustration et l’incompréhension de l’effectif médiatique. Karine Molinari, l’agent de David Goffin, se montrait d’ailleurs ferme quant à la possibilité d’arracher le moindre mot à son protégé, si bien que des membres de l’organisation du tournoi paraissaient désemparés voire offusqués de la tournure de ce happening. "Cela devient aussi aseptisé qu’au football", sifflait un photographe de presse renommé. On apprendra par la suite que c’était à la VRT (détenteur des droits du tournoi) que le joueur avait discrètement réservé une interview en face-à-face.

Convié sur le Central par Dick Norman entre deux rencontres, Goffin conclut son passage en confiant qu’"avec mon bras, je ne peux pas faire beaucoup d’exercices, donc je profite de mes amis et je prends du bon temps. J’ai décidé d’avancer mes vacances (Ndlr : notamment à Venise avec sa compagne)", toujours avec cet éternel sourire timide.

Monfils, sa bataille

Il sera décidément passé par tous les états. Revenu des enfers, Gaël Monfils avait retrouvé la force de se relancer contre Jo-Wilfried Tsonga et de se frayer un chemin jusqu’à cette finale haletante contre Edmund où il n’a finalement cédé que dans le tie-break du dernier set. Il n’a donc pas prolongé la vague bleue qui déferlait jusqu’ici à Anvers (Gasquet titré en 2017, Tsonga en 2018) au profit de ce jeune rouquin aux faux airs de Kevin De Bruyne et Jim Courier, né en Afrique du Sud.

Cette semaine anversoise s’est assimilée à une véritable montagne russe émotionnelle pour "la Monf’". A l’agonie face à son pote Tsonga au deuxième tour, le Francilien n’en menait pas large à l’issue d’une victoire arrachée en trois sets. Malgré l’avis médical, qui lui avait déconseillé de continuer après la perte du deuxième set, le 38e mondial avait "vomi tout ce qu’il avait", avant de se relancer et s’imposer 6-4, 3-6, 6-4 en près de 2h !

Encore diminué par cette inflammation intestinale vendredi, il disposait de Pospisil en compensant avec son expérience et sa gestion du money time. Face à Schwartzman en demie, Monfils retrouvait son explosivité en coup droit et asphyxiait le format de poche argentin avec une première balle de service tonitruante pour faire sauter le verrou sud-américain en deux sets secs (6-3, 6-4).

Débonnaire mais disponible

Mais en finale, le solide Britannique faisait plier son adversaire, "particulièrement fatigué" à l’issue d’une drôle de semaine et "d’une saison très difficile". Par la même occasion, Monfils échouait pour la 21e fois en finale, sur… 28 disputées !

Si l’attitude parfois débonnaire voire désinvolte du 33e mondial agace certains suiveurs du circuit, il s’est toujours montré particulièrement disponible en dehors du court lors de son passage à Anvers. Avant de savoir si ce retour au premier plan convaincra Noah de le sélectionner pour la finale de Coupe Davis contre la Croatie (du 23 au 25 novembre, à Lille), le trentenaire de l’Hexagone a pris la route de Vienne avant de tenter de briller au Masters 1000 de Paris.

Une chose est sûre, à Anvers, Monfils a, comme à son habitude, gratifié le public de quelques points exceptionnels, dont un tweener complètement zinzin.

Déclin belge, succès d’affluence et fumée blanche

Zéro pointé. Il faut reconnaître que les Belges ont bu le calice jusqu’à la lie à domicile. Aussi bien en simple qu’en double, ils n’ont pas remporté le moindre match cette année. En qualifs, notre espoir Zizou Bergs s’est fait éteindre par la pépite canadienne Felix Auger-Aliassime (5-7, 6-3, 7-6 (2)) alors que Yannick Mertens pliait face à Marcel Granollers (6-4, 6-4). Dans le tableau final, Ruben Bemelmans prenait lui une leçon d’un Gaël Monfils injouable (6-0, 6-3).

Du côté des doubles, les ambassadeurs "noir-jaune-rouge" n’ont pas connu plus de réussite. Mardi, Sander Gillé et Joran Vliegen s’inclinaient aux dépens de la paire espagnole Feliciano Lopez et Jaume Munar (7-6 (6), 7-6 (3)). Enfin, toujours en double, Ruben Bemelmans et Joris De Loore ne sauvaient pas l’honneur belge cédant à leur tour contre Marcelo Demoliner (Bré) et Santiago Gonzalez (Mex). Bref, un bilan sombre qui rappelle que, pour le moment, il n’y a pas grand monde derrière David Goffin, seul représentant masculin à être capable de mettre le feu sur de grands événements.

En route pour 2019

Malgré cette faillite collective signée par nos compatriotes, 24.000 personnes au total on fait le déplacement jusqu’à la Lotto Arena. Soit une affluence à la hausse par rapport à l’an dernier, et dont se félicitait Kristoff Puelinckx, CEO de Tennium et propriétaire du tournoi. "On a pu bénéficier de l’enthousiasme du public belge pour le tennis. Nous enregistrons une augmentation de 20% par rapport à 2017. Le tournoi a été suivi à la télévision et en ligne dans plus de cinquante pays à travers le monde, de l’Amérique du Nord à l’Amérique Latine en passant par l’Asie !"

On retiendra aussi ces moments légers qui ont orné l’épisode 2018 de l’EO. Entre cette jeune bénévole qui a pu claquer quelques échanges avec le futur vainqueur final de l’épreuve Kyle Edmund, à l’issue de sa demi-finale. Ou la remarquable performance du Biélorusse Ivashka, passé par les qualifications qui a, hélas, dû abdiquer avant même de monter sur le court, en quarts, à cause d’une blessure à la cuisse. Sans oublier le parcours du Canadien Pospisil, tombeur surprise de son compatriote et tête d’affiche Milos Raonic au deuxième tour. Et que l’on a notamment aperçu aux côtés de son coach sur le parking à élaborer les derniers détails tactiques avant son quart contre Monfils. Le tout envahi par la fumée de la clope de son mentor, l’Allemand Dirk Hordorff.

Sans victoire belge mais avec un public au rendez-vous, l’European Open aura donc prouvé que le tennis est encore capable de faire vibrer en Belgique. En 2019, les organisateurs entendent bien remettre le couvert avec un David Goffin regonflé à bloc. Anvers et contre tout.