Witsel-Chadli: meilleurs amis depuis les terrains en béton

Les rencontres de Ligue des Champions entre deux Diables Rouges sont devenues monnaie courante depuis que notre football a atteint les sommets mondiaux. Mais ce duel entre Axel Witsel et Nacer Chadli le 3 octobre 2018 avait une saveur toute particulière tant les deux hommes se connaissent depuis de très longues années, au point d'avoir tissé des liens d'amitié qui sont, d'après la légende publique, très rares dans le monde du football.

La nette victoire de Dortmund sur Monaco (3-0) aura sans doute empêché Chadli d'apprécier ce duel face à son ami. Mais un premier affrontement chez les professionnels entre deux vrais potes, cela ne s'oublie pas.

Dans ce grand format, nous vous proposons un retour sur l'enfance des deux Liégeois. Du béton à la Ligue des Champions...

Une amitié longue de 20 ans!

L'image n'est pas forcée car les deux Liégeois ont appris à se connaître à neuf ans, alors qu'ils découvraient à peine le football de haut niveau. Nacer Chadli était déjà affilié au Standard mais, à l'époque, Axel Witsel défendait encore les couleurs de Visé. "Il m'avait épaté pendant un match contre mon équipe de jeunes du Standard. Nous l'avons fait venir en test et après seulement deux entraînements, nous l'avons aligné lors d'un match contre Anderlecht. Axel a directement brillé", se souvient Guy Dechamps, l'entraîneur des U10 principautaires.


C'est à cet instant que les deux Diables apprennent à se connaître. Et très vite, leurs caractères les rapprochent. "Il y avait le coin des bruyants avec, notamment, Mehdi Carcela et de l'autre côté, celui des calmes avec Axel et Nacer", sourit Tony Rosset, fidèle délégué du Standard. "Respect, humilité et encadrement familial : ces deux jeunes joueurs partageaient les mêmes valeurs et c'est sans doute cela qui les a rapprochés. Quand je les vois à la télévision, j'ai le sentiment que ce sont encore les deux mêmes enfants que j'ai connus tant ils n'ont pas changé. Pour moi, ce sont des jumeaux."


Très proches dans le vestiaire, Axel Witsel et Nacer Chadli commencent aussi à se fréquenter en dehors du centre de formation du Standard. Il faut dire que les deux domiciles familiaux ne sont éloignés que de quelques kilomètres. "Nacer venait à pied chez nous, avec son ballon sous le bras", sourit Sylvie, la maman du médian de Dortmund. "Ils avaient déjà joué en club le samedi mais ils n'en avaient jamais assez. Et donc le dimanche, ils allaient encore taper le ballon ensemble. Chaque fois, nous devions aller les rechercher pour les obliger à manger ou aller au lit. Je ne saurais pas vous dire comment cette amitié est née. C'est quelque chose de naturel mais ils partagent les mêmes valeurs et ce n'est pas pour rien s'ils sont encore proches aujourd'hui."

"On devait aller les chercher pour enfin pouvoir manger"
La maman de Witsel

Mais, à l'époque, ils n'imaginaient certainement pas se retrouver sur un terrain de Ligue des Champions. Même les pelouses ne les intéressaient pas spécialement car ils préféraient tout le temps taper le ballon sur un terrain en béton.

"Il y avait une belle pelouse, qui est aujourd'hui devenue l'agora Witsel, mais eux préféraient ce béton. Ils se blessaient tout le temps au genou mais ça ne les gênait pas. Ils tapaient aussi la balle en face de la maison de Nacer, il y avait deux buts et un treillis, c'était suffisant pour eux", continue Sylvie.

Sur ces terrains, les deux potes enchaînent les matches et font aussi la connaissance de Jonathan Robaye. Lui évolue à Tongres mais la passion du football les réunit. "Aujourd'hui, ce sont devenus mes meilleurs amis. C'est difficile d'expliquer pourquoi cela a bien collé entre nous. On aimait les mêmes sports, on rigolait bien ensemble et très rapidement, on est devenu inséparables pendant tous ces matches de foot", dit-il. "Nous faisions souvent des tournois de sixte et honnêtement, on gagnait tout le temps. Mais ce n'est pas pour autant qu'ils essayaient d'humilier leurs adversaires. Ce sont deux personnes très calmes, qui sont restées très simples et qui ont toujours cherché à développer leur jeu sans vouloir en faire trop."

En voiture ensemble

Rapidement, les liens étroits entre les deux enfants déteignent sur les familles. Les parents Witsel et Chadli se rencontrent et commencent aussi à se trouver beaucoup de points communs.

"Nous habitions à Vottem et les Chadli au Thier-à-Liège, c'était l'idéal pour le covoiturage" , explique Sylvie. "Ce n'étaient pas deux gamins qui allaient mettre le bordel dans le vestiaire et quand il y a des perturbateurs, on savait immédiatement qu'ils n'avaient rien à voir là-dedans. Je pense que l'éducation qu'a reçue Nacer n'y est pas étrangère car c'était une famille d'une très grande gentillesse, avec un très grand coeur. Si nous n'étions pas disponibles pour un match, ses parents venaient chercher Axel et vice-versa."

Les amis déjà au-dessus du lot

Tous les jeunes qui écumaient les agoras de la région liégeoise ont certainement croisé l'un des Diables Rouges à un moment ou l'autre. Mais tous ne sont pas parvenus à prendre le ballon à Axel Witsel ou à bloquer un petit pont de Nacer Chadli.

Les deux joueurs étaient déjà au-dessus du lot, même si, à la base, ils n'avaient pas la technique d'un Mehdi Carcela qui crevait l'écran dès le premier coup d’œil. "Axel n'était pas le plus spectaculaire mais son intelligence lui permettait de faire avancer le jeu", reprend Guy Dechamps, qui a immédiatement été sous le charme des deux joueurs. "Nacer était déjà un ailier mais chez les jeunes, il ne jouait que sur le côté droit. Un jour, j'ai décidé de le punir car il n'utilisait jamais son pied gauche et donc ne progressait plus. Alors, je l'ai mis sur le flanc gauche. A la fin de la saison, nous avions un entretien avec chaque joueur et je me souviens encore des mots de Nacer : 'coach, vous m'avez fait ch… en mettant à gauche mais aujourd'hui, je vous remercie car j'ai découvert que j'avais deux pieds'. Aujourd'hui encore, tout le monde est convaincu qu'il est meilleur sur l'aile gauche."

"Ils ne voulaient pas humilier leurs adversaires"

Anderlecht avait même été séduit par Axel Witsel lors de son premier match avec le Standard. Mais les formateurs liégeois avaient faire croire à leurs homologues bruxellois que ce jeune milieu de terrain était déjà à Sclessin depuis de longues années… alors qu'il y était simplement en test. "Axel, c'était un dix sur dix. Il avait déjà une belle vision du jeu et alimentait parfaitement notre attaquant de pointe. Nacer était plus discret mais cela restait très fort quand même. Un neuf sur dix, ce qui n'était déjà pas mal", sourit Tony Rosset. "Mais ce qui me marquait chez eux, c'est leur humilité sur un terrain. Malgré leurs incroyables qualités, je ne les ai jamais vus forcer un dribble pour faire mal à un adversaire. L'humiliation, ce n'était pas leur tasse de thé."

Malgré des qualités supérieures à la moyenne, les deux Liégeois ont surtout énormément travaillé. Ce qui leur a permis de sauter les étapes à une vitesse assez épatante. "A l'époque, nous travaillions de façon analytique, c'est-à-dire que nous passions beaucoup de temps à apprendre la façon de poser le pied ou le geste technique parfait. Eux s'appliquaient à faire tous ces exercices de manière consciencieuse. Ils voulaient progresser dans leurs défauts", souligne Guy Dechamps. "Axel, notamment, était très bien encadré par son papa, Thierry, qui l'incitait à travailler très sérieusement. Le papa de Nacer était également très présent aux entraînements et aux matches mais il était moins braqué sur la progression footballistique de son fils."

Toujours là pour s'aider

Aujourd'hui, les deux amis ne peuvent plus se voir autant qu'ils le souhaitent, obligations professionnelles obligent. Mais ils essayent quand même de rester un maximum en contact, histoire d'entretenir des liens qui n'ont jamais craqué malgré les années. "Ils ont des vies différentes car Axel a une famille alors que Nacer est encore célibataire", explique Sylvie. "Mais ils restent très proches. Ce n'est pas pour rien que Nacer était l'un des témoins de mariage d'Axel ou s'ils partagent la même voiture pour aller à un rassemblement de l'équipe nationale. Et s'il faut partager une chambre à l'hôtel des Diables, ils seront tout le temps ensemble."

Et lors de leurs retours à Liège, les messages sur les téléphones fusent pour essayer de trouver run créneau pour manger un bout au restaurant. "C'est vrai qu'on se téléphone souvent pour essayer de partager un bon moment tous ensemble, même si c'est quand même très compliqué qu'on soit là tous les trois en même temps au même endroit", continue Jonathan Robaye. "Je nous considère comme un vrai trio de frères. Nous avons tout vécu ensemble et si l'un d'entre nous a un problème, les deux autres seront présents pour essayer de trouver une solution. Axel et Nacer ont vraiment le cœur sur la main."


Lorsque le papa de Nacer Chadli est décédé des suites d'une longue maladie, les amis se sont retrouvés. Lorsque Nacer Chadli a quitté le Standard, Axel Witsel n'a pas hésité à le conseiller. "Ils se sont tout le temps encouragés. C'est vrai que Nacer était très déçu au moment de quitter Sclessin mais Axel lui a dit de ne surtout pas baisser les bras. Il a tout fait pour lui remonter le moral et je pense encore qu'ils échangent leurs points de vue au moment d'un transfert ou d'une décision importante", conclut Sylvie.

Le match de deux amis

Ce 3 octobre 2018, ils se retrouvaient donc dans l'un des plus beaux stades du continent pour un tout premier duel dans la plus belle des compétitions. "Je suppose qu'ils ont déjà souvent parlé de ce match et moi, cela me fera chaud au coeur de les voir tous les deux sur la pelouse", nous confiait Jonathan Robaye avant ce match historique. "S'ils sont tous les deux sur la pelouse, ils seront en duel direct. Ils ne se mettront pas de coups mais ils vont quand même y aller à fond." Le duel aura été court, puisque Chadli a dû attendre la 77e minute pour rejoindre son pote sur le terrain.

"Quand Axel a été transféré à Dortmund, je lui ai dit que ce serait bien que Nacer le rejoigne. Il m'a dit d'arrêter de rêver mais finalement, je n'avais pas si tort que cela vu qu'ils vont s'affronter", souriait pour sa part la maman d'Axel Witsel. "Tout ce que je souhaite, c'est que cela se passe bien pour les deux joueurs. Que le meilleur gagne et, surtout, qu'on voie du beau football !"