"C'était le cimetière ou la résurrection !"

Il y a quelques années, Gabrielle est enfin devenue la femme qu'elle a toujours été. Enfermée dans un genre qui ne lui a jamais convenu, elle a été au bout de sa logique en changeant de sexe, de prénom et d'état civil !

Bruxelles, début octobre 2017. Gabrielle nous reçoit chez elle, dans son appartement situé en face d'un parc où des familles profitent d'une météo clémente en ce mercredi fin d'après-midi...

Gabrielle, 52 ans, entame la conversation par une mise au point, fort nécessaire pour éviter d'écrire des choses erronées sur les transgenres. En effet, il arrive très régulièrement dans l'esprit de la population de mélanger des noms et par conséquent leur signification. Gabrielle nous donne quelques précisions pour éviter tout amalgame.

« Disons que la grande différence se situe autour des termes transsexuel et travesti. Voilà un mot, transsexuel, que l'on n'utilise plus trop aujourd'hui car il ne correspond pas à la situation. Cela signifie passer à travers, cela suppose un changement de sexe effectif. Mais les personnes transgenres souffrent d'abord du fait qu'elles ne se trouvent pas dans le bon genre. Avant tout, nous sommes donc des personnes transgenres. Un travesti est quelqu'un qui prend du plaisir à s'habiller dans les vêtements du sexe opposé. C'est un peu comme un hobby, il ne souhaite pas changer de genre dans sa vie de tous les jours. Le travesti ne connaît donc pas la douleur profonde du transgenre. C'est une activité du samedi soir pour lui... »

Tous ne vont pas au bout des choses comme Gabrielle... « Il y a des transgenres qui désirent rester dans leur sexe original afin de garder la possibilité de faire des enfants. Mais en vivant dans le genre qui leur convient le mieux. Ce n'est pas mon approche. J'ai été le plus loin possible. Je veux être claire avec moi-même pour être claire avec les autres ! »

« C'est un très long cheminement qui vient de la petite enfance et qui demande énormément de temps. On ne se réveille pas un matin en se disant qu'on va changer de genre l'après-midi... Il s'agit d'un parcours réalisé en étroite collaboration avec un psychiatre qui permet de comprendre où on en est et ce qu'on veut vraiment.»

Une suite de périodes de dépressions...

Durant l’adolescence, Gabrielle, encore garçon alors, se voyait comme androgyne. «J'étais tout le temps habillée en noir et je portais les cheveux longs. Un style qui me convenait parfaitement. La puberté a fait changer mon corps et cela a mené ensuite à de nombreuses dépressions.»

Et grandir dans les années 80 avec ces émotions était tout sauf évident. L'époque n'était pas très transgenre friendly. Considéré le plus souvent comme des déviants sexuels voire des pédophiles... Et l'un des films les plus populaires au box office de cette décennie, 'Le silence des agneaux', dresse un portrait fort peu flatteur d'un présumé transsexuel serial killer qui se confectionne une robe... en peau de femmes !

Arrivée à l'âge adulte, Gabrielle se marie avec une femme croyant par cet acte régler les « problèmes » et enfuir l'envie bien présente de changer de genre. Une union qui durera dix ans et couronnée par deux naissances. Durant toutes ces longues années, Gabrielle se montre renfermée. Elle a très peu d'ami et ne socialise pas beaucoup. «Je me sentais toujours en dehors du groupe», confie-t-elle.

Le choc du divorce qui s'en est suivi sera le point de départ d'une totale remise en question avec cette double interrogation en point de mire : «qui suis-je et comment l'assumer ?» A cette époque, Gabrielle a 35 ans. Il lui faudra cinq années pour digérer la séparation et démarrer réellement le travail d'introspection. Et cinq années de plus pour achever un travail profond de psychanalyse. Sans oublier l'assistance d'un médecin pour assurer la transition entre homme et femme. Gabrielle est enfin devenue... Gabrielle à l'âge de 46 ans !

« Je n'ai plus jamais parlé à mon ex-épouse. Si ce n'est au travers d'un tribunal... »

Tout n'est pas rose pour autant dans la vie de Gabrielle car elle ne voit plus ses enfants aujourd'hui âgés de 24 et 26 ans. «Cela fait neuf ans que je ne les ai pas revus... Quant à ma femme, je n'ai jamais eu l'occasion de lui en parler. Le dialogue a totalement été rompu dès la rupture de notre couple. Mes fils n'ont pas voulu comprendre... Ce n'était pas facile pour eux. Ils avaient 14 et 16 ans à l'époque. Une période de la vie qui n'est pas évidente pour aborder ce genre de choses » reconnaît notre interlocutrice, émue.

Un long processus avant que Gabrielle ne 'voie le jour' !

« Je témoigne pour faire comprendre à ceux et celles qui sont dans mon cas ou se retrouvent au bout de quelque chose dans leur vie, que le changement est le fruit d'un travail important... Mais que tout est possible ! Changer de vie, ce n'est pas devoir forcément tout plaquer et partir au bout du monde. Changer de vie, cela peut aussi être un voyage intérieur. Moi, je n'ai pas beaucoup voyagé dans la vie mais j'ai fait le plus grand des voyages au fond de moi...»

"C'est vrai, je me suis sentie très coupable..."

Comme elle nous l'a répété à plusieurs reprises, Gabrielle a mis du temps à changer de vie, à préparer la nouvelle. Il lui aura fallu une décennie pour renaître ! Suivie par un psychiatre de nombreuses années, elle a aussi mené de front une intense réflexion sur son futur prénom, mis au point un style vestimentaire et opté pour un maquillage adéquat à son nouveau visage. Bref, cela ne s'est pas fait sur un claquement de doigt.

Gabrielle, notre série 'J'ai changé ma vie', parle de personnes qui ont effectivement passé le cap. Comprends-tu les gens qui ne le font jamais ?

« Non, je ne le comprends pas tout en le respectant. Je connais une série de personnes bloquées dans un entre-deux. Elles restent dans le compromis, dans une sorte de double vie avec des réseaux d'amis bien distincts. Cela ne me correspond pas .Y a-t-il forcément un bon ou un mauvais choix ? Il y a surtout une décision dans laquelle on se sent le plus confortable... »

Que donneriez-vous comme conseil à ceux qui, quelque soit leur besoin de changement, n'ont pas encore franchi le cap ?

« C'est vraiment d'écouter sa petite voix intérieure... Si vous êtes à l'écoute, il y a peu de chance de se tromper au final. Des doutes vont apparaître. On se demande si on aura le courage, si on aura l'argent pour changer de vie ou de pays... La précarité ou la pauvreté n'a jamais été une option en ce qui me concerne. J'ai toujours gardé un travail mais j'en ai perdu aussi. Aujourd'hui, je bosse dans une administration publique. J'ai le sentiment que c'est surtout dans ce type de secteur qu'une personne transgenre trouvera de l'embauche... »

Pour quelle raison ?

« Si je m'en réfère à mon propre cas, j'ai essuyé pas mal de refus. Souvent, les recruteurs souhaitaient m'engager en réalité mais il craignaient essentiellement les réactions négatives des autres employés, des futurs collègues... Dans la fonction publique, les règles en matière d'embauche doivent être respectées à la lettre et les transgenres sont davantage protégés. Lorsque vous avez réussi l'examen Selor, impossible de vous refuser le poste !»

Dix ans pour changer... Cela pourrait décourager plus d'une personne qui vit la même situation !

« Dans mon cas, les dix années s'expliquent par le fait que je devais absolument garder mon boulot. Je connais des personnes qui disparaissent deux ou trois ans et reviennent ensuite complètement changées. Mais elles se sont focalisées à 100 % sur ce processus. Ce n'était pas une possibilité pour moi. »

Dans une interview, vous expliquiez que votre vie avait commencé à fonctionner après avoir fait votre choix. C'était un réel soulagement, presque un apaisement ?

« Dès que j'ai modifié mon prénom auprès de mon employeur et de mes collègues, je me suis sentie apaisée. De nombreuses barrières sont tombées à ce moment-là. Cela a rapproché les gens de moi et l'inverse aussi.»

Le sentiment de culpabilité a aussi été fort présent dans votre parcours... Comment l'avez-vous surmonté ?

« Grâce à l'aide d'un médecin. Mais, c'est vrai, je me suis sentie très coupable... Vous devez comprendre que dans mon cas, comme dans celui de nombreux transgenres, seuls deux chemins sont possibles : le cimetière ou la résurrection ! Retrouver la vie s'accompagne de son cortège de désillusions. Vous perdez des amis, un travail. Votre famille peut aussi faire le choix de ne plus vous voir... Moi, j'ai pensé que mes enfants pourraient avoir besoin de moi un jour. Et qu'il valait mieux vivre, changer et devoir me passer d'eux...

Vous êtes heureuse aujourd'hui Gabrielle ?

« Oui, vraiment ! Les cinq premières années qui ont suivi mon changement de genre, c'était l'euphorie totale. Après, je suis retombée dans les soucis quotidiens de travail, d'argent de monsieur et madame tout-le-monde. Mais, ces tracas sont tellement éloignés de mon mal-être d'avant que je m'en accommode plutôt facilement. »

Vous ne nourrissez donc aucun regret ?

« C'est la question typique des gens qui ne savent pas ce que vit une personne transgenre au fond d'elle-même. J'ai toujours été une femme. Donc, je ne peux avoir le regret de ne plus être un garçon... Je n'ai rien changé au plus profond de moi. J'ai adapté mon milieu de vie, ma carte d'identité, mon prénom, mon genre à ce que j'étais à l'intérieur. Moi, je n'ai rien changé du tout. Au contraire des autres qui eux ont changé à mon égard... »

Une passion pour la confection de vêtements

Informaticienne de métier, Gabrielle a un hobby depuis de nombreuses années. Elle confectionne des robes, des manteaux, des vestes, des jupes, des habits le plus souvent très colorés ! Dans son appartement bruxellois, elle a d'ailleurs installé un petit atelier sur la mezzanine avec une grande table de travail. Lorsque nous avons été lui rendre visite au début du mois d'octobre, elle s'attelait à la création d'une veste féminine mi-saison à motif para-commando ! Une belle production pour son petit plaisir et celui de ses amis proches.

Au départ, ses créations étaient vendues via un e-shop qui n'est plus d'actualité aujourd'hui. En faire son activité principale est une vraie gageure. Le fait main coûte plus cher à la base. Impossible de vendre une veste en-dessous de 150 euros. Rien que les tissus, les fermetures, les boutons ne sont pas pour rien dans la confection. Mettre son talent au service d'une marque de prêt-à-porter ? « Disons que j'apprécie pouvoir garder une totale liberté dans ma créativité. Je n'ai pas envie d'avoir des restrictions sur mes envies... »

Un hobby qui n'est pas né avec sa 'transformation'. « J'en rêve depuis que je suis enfant... C'est très compliqué d'apprendre seule. Donc, j'ai dépassé le stade du découragement en prenant des cours de couture et de création. A l'époque, j'étais le seul homme au milieu de dames pensionnées. Une fois les bases acquises, j'ai pris des cours particuliers. »

Pour prendre contact avec Gabrielle pour ses créations vestimentaires, contactez-la via son site internet ou par mail à info@gabrielle.be

Le chiffre: chaque année, 50 belges changent de sexe

Nous l'écrivions en 2016 dans nos colonnes, les Belges qui ont subi un traitement hormonal et chirurgical pour changer de sexe sont nombreux. En Belgique, entre janvier 1993 et juin 2015, 794 personnes ont changé de sexe, selon les données du registre national. Dans la plupart des cas, il s’agit d’hommes (de naissance) qui souhaitent devenir des femmes accomplies physiquement. Sur les 794 Belges qui ont officiellement changé de sexe, 259 sont des femmes qui ont désiré avoir un corps masculin.

Que dit la loi sur les transgenres ? Elle a changé il y a six mois !

La Chambre a approuvé au printemps 2017 le projet de loi qui facilite la procédure administrative pour changer de sexe. Jusqu'à présent, la loi prévoyait de lourdes conditions médicales ainsi qu'une stérilisation obligatoire. Le dispositif méconnaissait le droit à l'autodétermination d'une personne et était contraire aux droits de l'homme. Auparavant, seules les personnes qui avaient subi une opération visant à changer de sexe pouvaient faire enregistrer et acter leur nouveau genre.

La nouvelle procédure commence par une déclaration devantl'officier de l'état civil. La personne intéressée doit y joindreune déclaration disant qu'elle a depuis tout un temps la convictionque le sexe indiqué dans son acte de naissance ne correspond pas àson identité de genre vécue intimement. Le fonctionnaire de l'étatcivil devra attirer l'attention de la personne concernée sur lesconséquences et l'informer sur la suite de la procédure. Il porteégalement la déclaration à la connaissance du procureur du Roi quia trois mois pour rendre un avis. Si l'avis est négatif, un recoursest possible devant le tribunal de la famille.

Après la déclaration, un délai d'attente commence à courir. Lapersonne devra se présenter à nouveau devant l'officier de l'étatcivil, réitérer sa déclaration de volonté de changer de sexe etpréciser qu'elle est consciente des conséquences juridiques etadministratives que ce changement entraînera.

L'acte de naissance sera ensuite modifié

Et pour les mineurs ? Une procédure est également prévue pour eux, autorisant un changement de prénom dès l'âge de douze ans.L'étape suivante pourra être franchie à partir de l'âge de 16 ans. Dès cet âge, le sexe pourra être changé dans l'acte de naissance. L'assistance des parents ou du représentant légal est requise dans les deux cas, ainsi que la déclaration d'un pédopsychiatre pour le changement de sexe.

Gabrielle ou le saut de l'ange !

Le film dont nous vous avons montré ci-dessus le teaser sera diffusé dans les prochains jours. Voici les rendez-vous !

· Le 19 octobre 2017 à 19h30 - CINÉ-CITOYEN dans le cadre du 31ieme festival Tels Quels (http://http://telsquels.be)

L'Armillaire. Centre culturel de Jette. 145 bd de Smet deNaeyer. 1090 Jette.

· Le 10 octobre 2017 à 20h00 - CINE'BISTRO dans le cadre du 31ieme festival Tels Quels (http://http://telsquels.be)

Centre culturel. Rue du Huit Mai 15. 5030 Gembloux.

· Le dimanche 19 novembre 2017à 20H à l'Espace 7 dans le cadre du Week-End du Doc' (https://www.we-doc.be/).

Place vieille montagne 7 - 4000 Liège