Dans l'intimité des Espoirs

Durant une semaine, nous avons suivi les Diablotins qui nous ont ouvert les portes de leur quotidien. Des terrains d'entraînement de Tubize à la pelouse de Louvain en passant par les chambres de l'hôtel Martin's Red, immersion en toute intimité dans les rangs de la bande à Johan Walem pendant la préparation des matches qualificatifs pour l'Euro 2019, contre Chypre et la Turquie. Dans un groupe dont font également partie la Suède, la Hongrie et Malte, les Diablotins vont tenter de se qualifier pour un Euro U21, ce qui n'est plus arrivé depuis 2007. Une tâche difficile qu'ils mènent dans l'ombre de leurs aînés, vers qui tous les regards se tournent à quelques mois du Mondial 2018.

Remerciements à l'Union belge, au groupe des Espoirs qui a joué le jeu, à l'intégralité du staff, à Johan Walem ainsi qu'à Brecht Schelstraete.

La pelouse est impeccable. Pas un brin d'herbe ne dépasse.
Le soleil, avec ses rayons généreux, réchauffe l'atmosphère de cette matinée fraîche. À 48 heures du match contre Chypre, Johan Walem a concocté à ses hommes la séance la plus intense du rassemblement.

"On arrête là-dessus,
on ne fera pas mieux"

"Dernier passage". Dominique Hénin, le prépateur physique, en a presque terminé avec son échauffement fait d'accélérations progressives, d'abord sans ballon puis avec. Jordi Vanlerberghe le taquine: "Cela fait 10 fois que tu dis ça". La multiplication des courses fait grimacer Siebe Schrijvers qui se plaint du mollet. Ce qui ne l'empêchera pas de poursuivre la séance.

La voix de Jean-François Rémy résonne: "Plus de concentration, ce sont des choses simples" ou "cela fait 30 minutes que vous êtes ocupés, plus de dynamisme". Le groupe acquiesce, se divise en trois équipes de six pour un petit jeu à base d'accélérations et de une-deux. Dans l'impossibilité d'identifier les vainqueurs malgré le vibrant plaidoyer de Dodi Lukebakio, tout le groupe se retrouve au sol pour 20 pompes.

La deuxième manche est une nouvelle fois remportée par l'équipe du Carolo qui lance, en souriant à Rémy: "Tu vois qu'on n'avait pas triché avant".

La lucarne de Leya Iseka

Jusque là en retrait, Johan Walem entre en scène pour diriger la partie la plus tactique de la séance. L'heure est au travail des automatismes avec une séquence à 5 attaquants contre 4 défenseurs puis un deuxième atelier avec la répétition de circuits préférentiels sur demi-terrain puis devant les 16 mètres où le sélectionneur met l'accent sur "le rythme et la vitesse d'exécution".

Sans oublier la justesse, incarnée par cette merveilleuse frappe d'Aaron Leya Iseka qui nettoie la lucarne. "On arrête là-dessus, on ne fera pas mieux", lance le sélectionneur pendant que le buteur se fait chambrer durant de longues minutes avant de se lancer dans un exercice d'opposition à 6 contre 6. à ce petit jeu-là, l'équipe de Julien Ngoy, Senna Miangue, Stéphane Oméonga, Jur Schryvers, Jordi Vanlerberghe, Aaron Leya Iseka et Nordin Jackers l'emporte.

Puisqu'il n'y a pas de petite victoire, elle célèbrera ce succès en prenant la pose après deux heures d'efforts. Dans un large sourire.

"Coach, il veut me tuer!"

La séance a été longue. Intense aussi. Elle a aussi bouleversé le planning de la journée. Prévu à 12h30, le repas est repoussé à 13h15. Nicolas Lemonis, l'un des quatre team managers avec Kevin Waegemans, Michael Marcoux et Javier Sanchez, fait passer le message aux joueurs qui regagnent leurs chambres pour se doucher. Dodi Lukebakio fait d'abord une étape vers la salle de sport réservée aux Espoirs et aux A.

Dodi Lukebakio en physio

Durant près de quinze minutes, Benjamin Tubiermont, l'un des physios, le fait souffrir.

D'abord dans le silence. Puis en musique quand Johan Walem débarque pour sa séance de running quotidienne, faisant cracher la sono d'un remix d'Ed Sheeran. Lukebakio sourit, puis grimace. "Coach, il veut me casser, il veut me tuer". Sur un bosu (demi-ballon gonflable), l'attaquant enchaîne les exercices de prévention et de stabilisation.

"En fait, il fait du core stability", explique Tubiermont. "L'idée est de travailler de manière symétrique pour avoir des bonnes bases pour ensuite se muscler, ce qui se fera plus tard vu son âge. Il faut d'abord poser les fondations via des étirements, de la proprioception".

Et des exercices accrobatiques. "J'ai survécu, mais, en même temps, sur le terrain, on ne fait jamais ça", se marre Lukebakio alors que plus loin, Jens Teunckens soulève de la fonte.

Massages, soins et confidences

Un étage plus haut, Siebe Schrijvers souffle. Ses inspirations et expirations sont rythmées par les manipulations de Sander Nuyens qui s'affaire sur l'une des deux tables de soins dressées dans au deuxième étage de l'hôtel, juste à côté du sauna et du hammam. L'espace est confiné. Calme. Propice aux petites confidences.

Dans la pièce d'à côté, le kiné Franky De Buyst, bien connu dans le monde du cyclisme où il travaille pour Lotto-Soudal à son espace propre. Dion Cools passe devant lui avant de discuter avec Wouter Sabbe.
Le médecin en chef des Espoirs depuis plusieurs années a su nouer avec les joueurs une relation privilégiée, comparable à celle de Lieven Maesschalck avec les A, au point que certains le consultent en privée, tel Wout Faes. Avec un peu de bétadine et un coton, le doc nettoie l'impressionnante coupure qui balaie toute la longueur du tibia droit de Cools.
"Un souvenir d'Obradovic", lâche le Brugeois qui n'a pas vraiment aimé que l'Anderlechtois s'essuie les crampons sur sa jambe. Cools ne traîne pas trop, ses coéquipiers sont déjà à table.

À table comme des grands

La vue sur les terrains d'entraînement est imprenable. Mais la grande tablée des joueurs n'y prête pas forcément attention. Aristote Nkaka se lève pour aller remplir son assiette déjà vide pendant que Wout Faes revient s'installer avec son bol de soupe.

Le buffet est riche. Mais équilibré. Au menu du jour: une viande rouge (onglet de bœuf), du poisson (lotte grillée), du jambon, des pâtes, de nombreuses crudités et des fruits pour terminer en douceur.

"Il faut savoir qu'un joueur mange comme une personne normale", précise Philippe Rosier. Le responsable santé et performance de la fédération élabore les menus avec le cuisinier des A, une diéticienne et le cuisinier de l'hôtel. "La qualité du produit est très importante", reprend-il.

"Ce sont des sportifs, donc ils ont des besoins énergétiques supérieurs à la moyenne. Et tous les menus sont élaborés en fonction du timing. Avant le match, il faut charger le corps en énergie avec notamment des sucres lents, des féculents et des protéines pour les blessures. Le jour du match, des aliments à digestion rapide, donc pas de viande rouge mais de la viande blanche. Quand les entraînements sont intenses, la nourriture est adaptée."

Elle ravit en tout cas Senna Miangue qui a l'un des coups de fourchettes les plus appuyés du groupe...

"Viens, on va jouer au mannequin"

Brecht Schelstraete ne quitte pas du regard son imposant tableau Excel qui résume l'ordre de passage des différents protagonistes de la nouvelle campagne de promotion de la fédération. L'attaché de presse accompagne Dion Cools vers la halle couverte, transformée ce jour-là en studio.

Direction le maquillage pour le Brugeois. "c'est chouette d'être maquillé de temps en temps", s'amuse-t-il avant de prendre la pose pour une séance photo puis pour une séquence vidéo avec le nouveau maillot dévoilé la veille.

Landry Dimata arrive peu après. Souriant: "viens, on va jouer au mannequin". L'attaquant enfile un premier maillot, un peu trop petit, puis un second, un peu trop grand. Avant de prendre la pose et de satisfaire aux obligations. "Franchement, c'est cool, cela m'amuse. C'est une fierté car tu le fais pour ton pays".

"Le côté old-school, ce n'est pas trop mon truc"

"On a choisi les joueurs les plus expérimentés", précise Schelstraete au moment d'accueillir le capitaine Siebe Schrijvers. "On essaie toujours de trouver une solution pour satisfaire les joueurs, le staff et la presse. On aimerait faire le shooting avec tous les joueurs, mais ce n'est pas possible niveau timing. Généralement, ils ne sont pas difficile à convaincre".

Le design de la nouvelle tunique les laisse par contre un brin dubitatif. "Le côté old-school, ce n'est pas trop notre truc", sourient Cools et Dimata.

"Je t'aime, mon amour"

Dion Cools s'amuse. "Attendez avant de rentrer dans ma chambre, je vais ranger un peu", se marre le Brugeois au moment de traverser le couloir du premier étage du Martin's Red où sont regroupés les Espoirs et le staff. Loin des habitudes des A qui ont pris 56 chambres (!) de l'établissement, les Diablotins préfèrent les joies de la collocation.

Tuc, biscuits et Whatsapp

À l'entrée de la coursive, une table avec de l'eau, des boissons de récupérations à base de lait et de chocolat que les joueurs s'arrachent, des Tucs, le petit péché mignon d'Isaac Mbenza alors que Siebe Schrijvers est plutôt "sucré". "Est-ce qu'il y a des biscuits ?" avait demandé la veille le Genkois sur le groupe Whatsapp du rassemblement qui permet de faire remonter les informations pratiques. L'heure n'est pas aux échanges virtuels mais aux conversations réelles. Cools et Senna Miangue ont vu sur le parking où Divock Origi vient de garer son joli petit bolide. "Ce n'est pas ma voiture", se marre Senna Miangue qui, pourtant excelle au volant. "Personne ne me bat à Mario Kart", lance le défenseur au prénom prédestiné.

Ses voisins de pallier, Wout Faes, Alexis De Sart et Elias Cobbaut sont nettement plus bruyants.

Tranches de vie

Johan Walem observe la scène d'un air amusé et interpelle Aristote Nkaka qui n'entend rien avec ses écouteurs visés aux oreille. Puis chambre Cobbaut à son tour. "Je t'ai vu à Malines en scouting, tu parlais tout seul". Explosion de rires générale.

"Je leur ai demandé s'ils voulaient toujours me faire autant souffrir"

Jour de match. Dans un peu plus de 1h30, le coup d'envoi de la rencontre contre Chypre que les Diablotins ont battu 2-0. La température qui règne à Louvain n'a rien à voir avec la douceur de Larnaca. "Pfff, comme vous dites", souffle Landry Dimata avant d'aller reconnaître la pelouse sans savoir que le soupir sera le maître mot de la soirée...

Alors que les Diablotins viennent de s'imposer à l'arraché grâce à Aaron Leya Iseka, Michael Marcoux est l'un des premiers à s'extirper du vestiaire. En soufflant un gros coup. "C'était chaud", lâche le team manager en charge du matériel.

"Vous verrez, nous allons nous qualifier pour l'Euro en Italie"

Johan Walem préfère en sourire. "Je leur ai demandé s'ils voulaient toujours me faire autant souffrir. Parce que franchement, quand tu rentres à 2-0, que tu sais ce que tu dois faire pour mettre ton adversaire en difficulté, c'est faire souffrir les gens pour rien", souligne le sélectionneur, précisant ensuite :

"Ce sont des garçons qui sont encore jeunes, je le dis et je le répète. De temps en temps, ils passent encore à côté de l'essentiel, des bases d'une rencontre. L'essentiel était de mettre du rythme, de ne pas laisser jouer l'adversaire et leur approche n'était pas bonne. Mais ce groupe a des qualités de réaction. Là, ils ont pris une belle leçon d'humilité."

Mais peut-être scellé aussi l'une de ces victoires fondatrices qui donnent le droit de voir loin. Devant les tribunes louvanistes désormais désertes, Brecht Schlechstraete s'enfonce dans la nuit et prend les paris : "Vous verrez, nous allons nous qualifier pour l'Euro en Italie. J'en suis sûr"