120 km dans le désert:
au coeur d'un ultra trail

Le Half Marathon des Sables, dont la première édition a eu lieu à la fin du mois de septembre sur l'île de Fuerteventura (Canaries), nous a ouvert ses portes.

Plongée au cœur d'un univers atypique mais qui fait fantasmer bien des passionnés de course à pied à travers la planète !

Dix kilos sur le dos et en autosuffisance alimentaire

Du sable à perte de vue et un thermomètre dépassant allègrement les 30 degrés à l'ombre, terme qui n'est ici qu'un mot dans le dictionnaire. Fuerteventura, île des Canaries, a bien des points communs avec le désert marocain qui fait la légende du Marathon des Sables depuis 1986 et le coup de foudre de son créateur, le Français Patrick Bauer, avec le désert.

C'est là que, fin septembre, le premier Half Marathon des Sables a posé ses tentes à la teinte orange pour la première édition d'un concept annoncé comme plus accessible pour le commun des coureurs à pied. Au menu, quatre journées en autosuffisance alimentaire parsemées de trois étapes, pour un total à parcourir de 120 kilomètres.

Le dénivelé de l'île et l'humidité ambiante ont, sur le terrain, rendu la réalité un peu plus coriace pour les quelque 300 participants venus de plus de 40 pays. Bonheur et plaisir mais aussi souffrance et doutes, autant de sentiments que nous avons ressenti en côtoyant tout au long de cette épreuve les concurrents. Avec pour volonté de mieux comprendre, au-delà du strict aspect sportif, leur quotidien sur ce type de course et tenter de saisir ce qui les pousse à s'aligner au départ de ce qui peut paraître pour beaucoup comme un défi fou et irréaliste.

"Ici, peu importe qui on est, nous sommes seulement nous et on nous respecte pour ce que nous sommes"

Christophe Tessier, concurrent français habitué du Marathon des Sables.

"On trouve ici ce que la vie ne peut plus nous offrir"

Le Half Marathon des Sables (HMDS) pourrait être assimilé, pour ceux qui ne sont pas familiers du milieu de l'ultra, comme une histoire de passionnés égocentriques cherchant à tutoyer, voire dépasser, leurs limites, quitte à mettre leur santé en danger. S'il faut évidemment un grain de folie pour s'élancer chaque jour pour plusieurs dizaines de kilomètres dans le désert avec un sac pesant entre 5 et 12 kilos sur les épaules, les participants, ici comme ailleurs, ne peuvent être réduits à ce stéréotype.

À Fuerteventura, ils sont près de 300 à être venus chercher bien d'autres choses, quitte à dénouer les cordons de la bourse pour s'offrir un dossard à plus de 1.000 €.

Chausser ses baskets dans le désert, c'est d'abord pour beaucoup fuir un quotidien au rythme effréné. Entre un boulot prenant et une vie de famille qui l'est tout autant, le HMDS s'impose comme un retour aux sources. Presque une démarche spirituelle afin de se retrouver avec soi-même.

Le Français Christophe Tessier fait partie de ceux qui ont besoin de tout lâcher. Dirigeant d'entreprise, il a changé de tenue pour venir se mêler aux anonymes dans la masse des participants. Avec plusieurs Marathons des Sables dans sa besace, le Niçois envisage ces participations à un ultra comme un rendez-vous essentiel avec lui-même.

"J'ai de la chance dans la vie et je ne vais pas me plaindre. J'ai une famille, des enfants, une maison et même une piscine et l'occasion de prendre des vacances. J'ai donc tout ce qu'il faut, aux yeux d'un citoyen occidental, pour être heureux. Mais quand on a ça, on a quoi au final ? Rien d'important, même si j'ai conscience de mon privilège. Un Marathon des Sables, c'est pour moi l'occasion de te retrouver, de retourner à l'essentiel. Ici, peu importe qui on est, nous sommes seulement nous et on nous respecte pour ce que nous sommes, sans subterfuge."

L'aspect compétition, pour la toute grande majorité, passe également au second plan, loin des images que peuvent véhiculer les chaînes spécialisées. "Avec le boulot que j'ai, je ne vais pas commencer à me mettre de la pression ici", martèle un autre Français, Frédéric Droin, par ailleurs PDG de Cummins Energie Algérie dans le civil. "Si on commence comme ça, on n'y arrive pas !"

Plus que contre le chrono, c'est donc contre eux-mêmes que les coureurs d'ultra se battent. Et ce sont les nombreuses rencontres humaines au cours d'une semaine à partager leurs souffrances, joies et délires avec leurs voisins de tente et l'aventure dont ils se souviendront plus que de la symbolique médaille du finisher.

Dolores Geurts, qui a bouclé la longue étape de 63 km à un peu moins de 4km/h de moyenne, en est le parfait exemple. Tombée amoureuse de la course à pied voici seulement deux années, la résidente de Beyne-Heusay a rapidement relevé défi après défi pour, après un marathon mené doucement mais sûrement, se retrouver au départ du Half Marathon des Sables. Avec de l'envie, mais aussi beaucoup d'angoisse quant à sa capacité à relever le défi sur un terrain qui lui est a priori hostile.

"La chaleur, le sable et le trail, tout ça, ce n'est pas mon truc", confiait-elle, de façon un peu surprenante. "Je me suis même demandé ce que j'étais venue faire ici. Mais j'avais envie de vivre cette belle aventure humaine."

Sans oublier, pour d'autres, l'aspect caritatif. En se faisant parrainer, ils associent leur effort à une ou plusieurs bonnes causes et donnent un sens supplémentaire à leur défi.

Le bivouac, lieu de rencontre et d'entraide

S'il y a la course, les participants passent néanmoins la majeure partie de leur temps sur le bivouac durant l'épreuve. Et plus le niveau de l'athlète est élevé, plus cette affirmation prend de l'ampleur. Lors de l'étape longue, les meilleurs ont bouclé les 63 km en un peu plus de 6h30, les derniers, eux, n'ont terminé leur effort qu'après la nuit, après plus de 21 heures en chemin.

Ce bivouac, installé au beau milieu d'une plaine désertique et sablonneuse, est érigé sur une surface d'environ 200 mètres sur 30 mètres, sur laquelle sont plantées les tentes fournies par l'organisation et qui, au contraire de tout le reste du matériel, n'accompagnent pas les coureurs sur les étapes. Il s'agit là d'un petit espace individuel d'à peine deux mètres carrés. Ici, l'intimité est toute relative et le confort des plus sommaires, tout kilo supplémentaire devant être traîné 120 kilomètres durant. La récupération n'y est pas évidente, chaque conversation, voire mouvement dans les tentes, étant entendue par les proches voisins.

Le bivouac est aussi le théâtre de superbes rencontres et d'une belle solidarité. Deux éléments fondamentaux d'une course d'ultra par étapes. Si chacun a ses raisons d'être là et ses objectifs, vous ne trouverez personne dans le bivouac pour ne pas prêter main-forte à son camarade en difficultés. Les différences de la vie en société s'effacent. Il n'y a plus de patron ou d'ouvrier, que des concurrents. Les vouvoiements qui peuvent être de mises dans la vie de tous les jours s'estompent. Mais le respect, lui, est bien plus important.

"Nous sommes tous embarqués dans la même galère", sourit Jean Meslany, bientôt 60 ans et l'un des six Belges engagés sur ce premier Half Marathon des Sables.

Des Belges qui ont noué des liens au fil des jours en se côtoyant sur le bivouac. "On devient une famille", trouve-t-il la force de rigoler quelques heures après avoir bouclé la longue étape. "On se rencontre, on se découvre et on fait attention aux autres", ajoute son voisin de tente, Edwin Corin, jeune trentenaire venant de Liège et qui a fait bonne figure pour sa première expérience sur ce format d'épreuve. "Nous ne courons pas ensemble, car il est important d'avoir son propre rythme pour gérer au mieux sa course. Mais nous n'en sommes pas moins attentifs à ce qui pourrait arriver à un autre concurrent."

Chacun partage ses trucs et astuces, comme pour soigner un pied endolori par l'effort, ou est prêt à donner un coup de main, comme pour démarrer un feu qui ne veut pas prendre sous le vent. La complicité grandit et la fête finale, à l'arrivée de la dernière étape, n'en est que plus belle.

Un esprit en mode survie

Une course par étapes en autosuffisance alimentaire signifie que les concurrents doivent trimballer avec eux tout au long de l'épreuve les aliments nécessaires pour tenir jusqu'au terme de la course. L'organisation impose un minimum de 2.000 kilos calories par jour et par personne, ce qui est vérifié rigoureusement avant le grand départ.

Le but du jeu est donc d'arriver à obtenir 8.000 kilos calories en un minimum d'espace et de poids. Pour ce faire, la nourriture lyophilisée est un must sur une épreuve par étapes. Certains sont des champions en la matière, faisant preuve, grâce à l'expérience accumulée par le passé, d'une organisation extrême. "Moi j'utilise des codes couleurs", nous détaille encore le Français Frédéric Droin. "À chaque jour sa couleur pour les repas. Idem pour les ravitaillements en course qui sont programmés."

Un menu visuellement et gustativement pas toujours appétissant mais qui fait l'affaire quand on a plusieurs dizaines de kilomètres dans les pattes dans le désert et le ventre affamé. Le tout à préparer dans des conditions, là aussi, rudimentaires. "Moi ce sont des pâtes carbonara au menu ce soir", indique le Floreffois Olivier Quevrin. "C'est relativement mangeable (rires) et il y a suffisamment de calories pour pouvoir s'en sortir..."

Alors quand, lors du jour du repos, l'organisation réserve une surprise à tous les participants en déboulant dans le bivouac avec un camion rempli de bouteilles de soda bien fraîches, l'euphorie est de mise. Et il ne faut que peu de temps pour que le véhicule soit encerclé de concurrents en quête de sucre. Pour peu, on se croirait sur le terrain d'une zone sous assistance humanitaire...

Conserver un minimum d'hygiène est aussi l'un des combats quotidiens des concurrents. La tâche n'est pourtant guère évidente et mieux vaut ne pas être du genre pudique. Pour corser le tout, l'importante humidité ambiante sur l'île de Fuerteventura fait que la transpiration est abondante, contrairement à ce qui peut être le cas dans le Sahara. Ici, pas d'eau en abondance et encore moins de machine à laver.

Après l'étape, les participants reçoivent tout au plus un bidon de 5 litres qui doit leur permettre de tenir, pour tous leurs besoins, jusqu'au premier check point du lendemain. Et comme les concurrents ne prennent peu ou pas de vêtements de rechange avec eux, c'est le règne de la débrouille avant de repartir pour le lendemain.

La douche relève du fantasme. Chacun y va donc de ses trucs et astuces pour se rafraîchir. "Moi j'ai opté pour les lingettes. C'est facile à transporter, c'est léger et ça permet d'économiser de l'eau", avance Edwin Cordin. D'autres percent un petit trou dans le bouchon de leur bidon, se fabriquant un semblant de douche avec un minimum d'eau. Le tout offre des scènes parfois cocasses où la pudeur, encore de mise le premier jour, s'estompe rapidement.

Tutoyer ses limites... jusqu'à les franchir.

Le marathon des Sables, même dans sa version courte, c'est aussi et surtout une épreuve sportive pour laquelle les concurrents se préparent généralement depuis de longs mois. S'ils s'alignent au départ avec une condition et des ambitions bien différentes, ces aventuriers du désert sont conscients des difficultés qui les attendent : sable, sol technique, dénivelé mais surtout sac à dos de plusieurs kilos et la chaleur du désert.

Les défaillances physiques, légères ou plus graves, sont nombreuses. Comme celle de ce coureur âgé qui après dix kilomètres d'une première étape sous le cagnard a déjà dû renoncer et rendre son dossard suite à un coup de chaud. Et même si la grande majorité voit l'arrivée, il n'est pas rare de passer par tous les états et l'important dispositif médical surveille avec attention la progression des participants.

"Je n'ai jamais autant souffert en courant, j'ai bien pensé arrêter", nous glissa ainsi le Belge Olivier Quevrin, dont les pieds prendront quelques semaines à se remettre de l'aventure.

Jean Meslany, lui, fut même provisoirement mis à l'arrêt par le service médical. "Oui, j'ai vomi..." avoua-t-il. Une mésaventure pas si rare que ça sur les courses d'endurance extrême mais qui est un signal que la limite est franchie. "Je ne voulais pas mais les médecins m'ont arrêté et m'ont fait une injection... dans la fesse."

Ce qui ne l'a pas empêché de boucler cette première édition du Half Marathon des Sables.

Un bouquet final d'émotions qui rend accro

Privation alimentaire, sommeil difficile et dépassement de soi offrent un savant mélange qui, en fin d'aventure, compose le cocktail explosif d'émotions ressenties sur la ligne d'arrivée. Ces mêmes émotions qui peuvent rendre accro à l'ultra.

Patrick Bauer, le fondateur du Marathon des Sables, se fait un plaisir d'être là pour accueillir les participants, du premier au dernier classé. "Thibaut, mon fils", nous lance-t-il dans un éclat de rires en nous voyant arriver à l'issue de l'ultime étape, que nous avons pu tester de l'intérieur.

Les bras sont levés vers le ciel, les genoux touchent le sol. Pour beaucoup, les larmes sont difficiles à retenir. Le retour sur terre prendra de longues heures. Avant, déjà, de penser au prochain défi.