De presque
viré à
Herr Weiler

René Weiler a découvert
ce qu’était un club du top et il s’en
est très bien sorti. Retour sur une
saison en montagnes russes.

Mais qui est ce Weiler ? Entre tous les noms ronflants, dont Roberto Martinez et Claude Puel, qui ont filtré dans les couloirs de Neerpede, c’est finalement celui de René Weiler, un Suisse de 42 ans qui n’a jamais coaché plus haut qu’en D2 allemande que la direction anderlechtoise a sorti de son chapeau.

L’installation

« Coupons court aux questions, René Weiler était notre premier choix depuis le début mais possédait encore un contrat à Nuremberg. »

Herman Van Holsbeeck n’attend pas les questions et met directement les choses à plat.

Weiler, lui, reste sobre. Dans un français assez correct pour quelqu’un qui ne l’a plus pratiqué durant un moment, il annonce des buts et refuse de se comparer à Jürgen Klopp.

Pour sa première séance, Weiler convoque le groupe à 8h30 du matin. Ce qui laisse sa direction penser qu’il sait ce qu’il veut. Herman Van Holsbeeck est persuadé qu’il tient là un upcoming boy du coaching européen.

« Il va rendre son identité à Anderlecht et nous le soutiendrons à 100% », conclut le manager général.

Les premiers jours de l’Anderlecht version 2016-17 se résument en un mot : sueur. Weiler a pour première tâche d’amener de la discipline dans un groupe qui en manque cruellement. Sa première décision : travailler avec un groupe restreint. Les moins bons ou motivés, filent dans le noyau B. Anthony Vanden Borre en fait les frais.

Il vit également son premier clash avec Kara qui lui annonce : «Coach, je vous dis bonjour mais je ne reste pas. » Il ne part pas en Autriche avec le groupe, Weiler ne veut que des gars concentrés sur le club.

Le stage estival permet de comprendre comment fonctionne le nouveau coach d’Anderlecht. Et ce n’est pas de la rigolade. Dennis Praet en fait les frais. Pas assez impliqué dans un exercice, il le fait changer de place. Le jeune joueur (dont on ne parle que du départ) part s’asseoir sur le côté. Deux cas qui prouvent qu’on ne plaisante pas avec Weiler.

Le commencement

Le déplacement à Rostov fait office de premier match officiel. René Weiler n’a pas encore une équipe complète (des départs et des arrivées sont prévus) mais fait le boulot. Au programme: courses, pressing, jeu vers l’avant. Anderlecht s’annonce être une équipe spectaculaire.

Elle reste néanmoins perfectible. Les courses demandées par le coach en fatiguent plus d’un. Il les pousse d’ailleurs à perdre du poids et leur prévoit un programme diététique afin d’améliorer leurs performances. Weiler contrôle beaucoup de choses et n’hésite pas à prendre les joueurs à parti pour leur dire leurs quatre vérités.

Au clash avec De Maio et Okaka

Les Mauves ne l’acceptent pas tous. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à le faire savoir. Weiler va au clash avec Sébastien De Maio, qui devait pourtant être son capitaine, puis avec Stefano Okaka qui, déçu de ne pas avoir pu partir s’en mettre plein les poches en Chine, est revenu sans envie. Les deux hommes doivent s’en aller, Weiler ne compte plus les sélectionner.

Herman Van Holsbeeck continue de le défendre en parlant d’une ligne claire. Le vestiaire, les médias et les supporters se posent des questions sur ce qui plus tard sera défini comme le grand nettoyage dont le club avait expressément besoin.

La crise

Weiler n’a pas l’équipe qu’il souhaite. Il aurait aimé un nouveau Defour et un défenseur d’expérience au cas où Kara ne revient pas à son niveau ou ne retrouve plus l’envie de jouer.

Les prestations sont en dents de scie. Un coup Anderlecht se vautre, un coup il joue bien, un autre il est sauvé par un but de Teodorczyk. Le Polonais était une priorité pour le coach d’Anderlecht et fait office d’arbre qui cache la forêt. Sans lui, les lacunes du coach auraient été mises au jour plus rapidement.

En 2016, Teodorczyk a inscrit au moins un but dans 70% des matches auxquels il a participé

Fin septembre, la défaite face à Westerlo est un premier coup dur. Weiler y montre des premiers signes de fébrilité tactique. Il n’a aucune solution face au mur campinois et évolue avec sept attaquants en fin de match. Sa communication connaît également ses premiers accrocs : il ne prend absolument pas la responsabilité de la défaite et du triste niveau de jeu de son équipe.

« C’est une question de mouvements et de mentalité plus que de système.»

Une semaine plus tard, ce sont carrément des moqueries qui tombent au sujet de l’entraîneur. Après avoir fait monter Olivier Deschacht comme attaquant de pointe au Standard, on comprend que le coach n’a cure des convenances.

Les résultats ne suivent pas et le déplacement à Waasland-Beveren marque un premier coup dur pour Weiler. Il y déclare ceci en réponse à une question sur le faible niveau de jeu de l’équipe :

« La tradition ne marque pas de but. Il y a cette pression du beau jeu à Anderlecht et ça me dérange beaucoup. Je dirais même que je déteste ça. Nous ne sommes pas prêts pour le beau jeu maintenant. Les gens doivent accepter ce constat : l’équipe est en train de se reconstruire et il reste beaucoup de travail. Avec les joueurs que j’aligne, je peux vous dire qu’il y a des équipes plus fortes que nous pour l’instant. »

Le 20 novembre, une défaite marque particulièrement les esprits. Anderlecht est battu à Zulte Waregem alors que René Weiler retente un 3-4-3 qui s’était soldé par un échec quelques semaines avant (Deschacht avait joué sur le côté droit de la défense). Les Mauves mènent toutefois au score grâce à Teo. À la pause, Weiler décide de barricader et de défendre à six en sortant Stanciu pour introduire Badji sur la pelouse.

Les joueurs ne le comprennent pas et ne l’acceptent pas. Sofiane Hanni, le capitaine de cette équipe, s’est lâché après la rencontre en expliquant d’abord que ce sont les joueurs, sans prendre en compte l’avis du coach, qui ont tenté de jouer offensivement après la pause. Il a ensuite taclé le manque de jeu proposé par René Weiler.

« Nous ne pouvons continuer à produire ce football. Les longs ballons, ça va cinq minutes. On ne joue pas en fonction du type de joueurs qu’on possède. »

Le vestiaire n’est plus derrière son entraîneur. Le groupe ne comprend ni ses choix, ni ses déclarations dans nos pages quelques jours avant cette défaite à Waregem. En vrac :

« On n’est pas assez forts pour gagner le titre »

« Nos jeunes joueurs n’ont pas encore le poids pour prendre l’équipe en main. Ils n’ont pas encore la personnalité en ce moment. »

« À Rostov, on a joué avec un pressing comme je l’aime mais j’ai perdu les joueurs capables de le faire. »

« Bruno doit se demander ce qu’il doit changer chez lui. »

« Roef numéro 1 ? Il faut accepter le choix du club. »

« Hanni est capitaine alors qu’il n’avait jamais joué un match de Coupe d’Europe. Cela dit tout. Vu la suspension de Kara et son envie de partir, je ne pouvais lui donner le brassard. »

« Stanciu ne sait pas gérer la pression sur ses épaules. »

« Nous avons trop d’artistes et pas assez de personnalité. »

Depuis cette série d’entretiens, René Weiler a coupé les ponts avec la presse. Il ne se rend plus en conférence de presse d’avant-match et se contente du minimum après chaque rencontre.

La direction met la pression sur Weiler dès le surlendemain de la défaite. Anderlecht se déplace à Bakou et doit gagner pour passer l’hiver en Europe. Le coach est sixième en championnat et affiche le pire bilan chiffré du RSCA depuis la mise en place des playoffs.

Jamais Anderlecht n'avait été sixième du classement depuis l'arrivée des playoffs

Weiler se défend en parlant de« critiques personnelles qui font mal » de la part des médias. La direction nuance pour la première fois son soutien.« J’essaie de soutenir les entraîneurs tant qu’ils le méritent », a déclaré Herman Van Holsbeeck. « Mais à un certain moment, cela s’arrête. Weiler me l’a même dit :dans la situation actuelle, il doit gagner. »

La relance

Il s’en sort à Bakou et réalise un nouveau changement au culot: Frank Boeckx est dans les buts. Il n’en sortira plus. Un coup gagnant auquel personne n’aurait cru.

Malgré un gros clash avec Hanni (« Avec le coach, c’est 1-1 », a plaisanté le joueur) devant le reste du groupe, une mise à l'écart de Deschacht (le seul qui reviendra) et de Badji et une prise de bec avec Harbaoui (qui dira plus tard « Ce que Weiler m’a fait, c’est un manque de respect »), il recommence à prendre des couleurs.

Le jeu n’y est toujours pas, la mentalité, oui. Anderlecht devient la première équipe à battre Courtrai là-bas cette saison et pour la première fois les Mauves montrent un mental de champion. « On a un bon groupe », souligne Hanni. « On a livré une prestation solide et solidaire. » « Nous avons bien joué en nous comportant en équipe », ajoute Tielemans.

René Weiler a posé la première pierre de son projet : le collectif. Les joueurs ne cessent de le répéter, tout le monde s’entend à la perfection. Les remplaçants sont impliqués dans le projet et les titulaires veulent tout donner pour le rester. Le tout dans une ambiance de saine concurrence.

Après avoir émis des doutes quant à sa méthode, les joueurs se disent ravis de ce qu’a amené Weiler. « Il a répondu aux critiques en créant un groupe », résume parfaitement Bram Nuytinck.

« Nous ne formions pas une telle bande l’année passée. C’est le grand mérite du coach.Nous n’avons pas eu peur de sa méthode. Il aime la discipline et elle est nécessaire. On en a manqué par le passé. »

L’entraîneur suisse est assuré d’être en poste jusqu’à la fin du mercato hivernal et donne ses consignes. Il obtient Isaac Kiese Thelin et Ruben Martinez mais surtout Adrien Trebel qui remplace enfin Steven Defour que le Suisse a, en vain, tenté de retenir. Trois choix de Weiler, trois décisions payantes.

La consécration

Entre le 20 novembre et le 4 mars, Anderlecht ne perd plus le moindre match. La remuntada bruxelloise est en marche. Le quatrième match de 2017 marque par l'absurde l’importance de Weiler. Absent suite au tragique décès de son père, Weiler voit son équipe s’effondrer à Lokeren. Chacun joue pour sa pomme et personne ne fait l’effort pour l’autre. Comme si le collectif ne tournait pas rond sans son patron.

La réponse ne se fait pas attendre. Une semaine plus tard, Anderlecht prend sa revanche sur Zulte Waregem(4-2), rejoint Bruges en tête du classement et joue pour la première fois un football plaisant. Même le discours de Weiler s’en ressent. Le coach cynique qui ne pensait qu’aux résultats avoue qu’il « fallait divertir les fans. »

Jusqu’au terme de la phase classique, seuls le Zenit et Malines parviennent à battre Anderlecht. Le Sporting affiche un nouveau visage, se qualifie pour les quarts de l’Europa League et termine la saison régulière en tête. Une période qui s’est soldée par la prolongation du contrat de Weiler pour deux années. Un signal fort de la direction, « surtout envers le monde extérieur », a souligné Herman Van Holsbeeck.

L’Apoel Nicosie n’est qu’une formalité car c’est le match à Zulte Waregem qui marque un tournant. Malgré une nouvelle altercation avec Frank Acheampong (qui ne travaille pas assez défensivement selon le coach), Weiler revient de Flandre avec le sac plein de confiance. Ces playoffs seront les siens.

Deux matches ont finalement mis tout le monde d’accord : à Manchester et face à Bruges. Le premier a été presque parfait. Le second l’était totalement. Le coach l’a d’ailleurs conclu sur un « Je fais plutôt bien mon job » avec le visage nettement moins crispé que quelques mois plus tôt. « Notre jeu contre Bruges, c’est le foot dont rêvent tous les entraîneurs. »

La célébration

Les derniers matches de la saison sont tendus. Le Club Bruges revient fort et Anderlecht perd trois points sur son terrain face à Charleroi avant de concéder le nul à La Gantoise.

La réception de Zulte Waregem se fait sous tension. La nervosité se lit dans les cernes du Suisse. "Tout le monde l'a ressenti", lance-t-il même après le match.

Weiler style

C'est à Bruges, où son équipe à vu l'éternel rival remporter le titre la saison passée, qu'il joue son titre. Dans son style propre, il joue organisé et ne laisse pas à Bruges l'occasion de trouer sa défense. Il obtient le petit point nécessaire pour finir la saison sans souci, bien que la fête soit reportée.

Petit champion? C'est ce que semblent dire les Brugeois en pointant du doigt le coach. Cela lui importe peu. Le titre est au bout de l'aventure.

Au bout d'un nouveau match à suspense sur les terres carolos, Anderlecht s'en sort dans le pur style Weiler: un but de Teo et deux contres.

Une marque de fabrique loin de l'ADN anderlechtois mais qui convient parfaitement à sa direction.

"Le titre est celui de René Weiler et d'Herman Van Holsbeeck."

Roger Vanden Stock