Enquête
sur l'escroc belge
des diamants du sang

Deux ans après son suicide à la prison de Saint-Gilles, retour sur le parcours de Michel Desaedeleer, le Belge qui a inspiré le film Blood Diamond avec Leonardo Di Caprio.

Diamants sang Sierra Leone Diamants sang Sierra Leone

Le Sierra Leone, petit état d'Afrique de l'ouest à peine deux fois plus grand que la Belgique, est l'un des pays les plus pauvres du monde. Il dispose cependant d'une richesse qui a fait beaucoup parler de lui durant la guerre civile qui a ravagé le pays entre 1991 et 2002: les diamants.

Baptisés "diamants du sang", ces pierres précieuses étaient extraites par une main d'oeuvre maintenue en esclavage au profit des militaires qui les vendaient clandestinement pour s'enrichir et acheter des armes. Aujourd'hui, le calme est revenu au Sierra Leone et les diamants du sang se sont mués en diamants de la paix qui permettent au pays pacifié d'investir notamment dans l'éducation et les soins de santé.

Mais ces heures noires sont encore bien présentes dans la mémoire collective. Au centre de cette histoire se trouve un ressortissant belge: Michel Desaedeleer. L'homme est décédé il y a près de deux ans. Il s'est suicidé dans une cellule de sa prison bruxelloise le 28 septembre 2016 avant même le début de son procès où il espérait tant pouvoir prouver son innocence.

Son nom est peu connu du grand public. Son physique l’est encore moins. Personne jusqu’à ce que la DH n'enquête sur l'histoire de ce sombre personnage n’avait pu dévoiler le visage de Michel Desaedeleer, qui était pourtant poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité par la justice belge. La vie de Michel Desaedeleer, qui protégeait jalousement son identité, est un véritable feuilleton dont nous sommes en mesure de dévoiler quelques épisodes supplémentaires. Et non des moindres.

Né à Auvelais le 22 janvier 1951, celui qui se présentait comme pilote et homme d’affaires s’est en fait spécialisé dans les trafics et escroqueries de haut vol. Son nom apparaît pour la première fois à la fin des années 90 dans un rapport de l’Onu qui démontre son implication dans le dossier des diamants du sang au Sierra Leone. Le Belge, qui résidait alors aux États-Unis où il a obtenu la double nationalité, s’était rapproché, durant cette période, de Charles Taylor, président du Liberia, alors en proie à la guerre civile. Une guerre civile qui, sur les frontières de l’ouest du Liberia, a touché le Sierra Leone. Et c’est là que Michel Desaedeleer va faire parler de lui en scellant un accord avec le groupe rebelle de Foday Sankoh.

Dans cette région où se déroulent les pires atrocités, Desaedeleer parvient à obtenir, grâce au soutien de Taylor et Sankoh, le droit de gérer le commerce de diamants extraits du sous-sol de cette région fertile en la matière. Et ce pendant une période de deux ans, de 1999 à 2001.Des diamants dont le produit de la vente a servi à financer les exactions des factions en présence. Michel Desaedeleer était également soupçonné d’avoir mis en esclavage les populations locales pour extraire le précieux minerai.Un trafic qui a largement contribué à faire sa fortune.

Pourtant, cet homme, qui vivait visiblement en paix et à l’abri du besoin dans le Maryland aux États-Unis, en voulait toujours plus. Et c’est là qu’on retrouve sa trace à Marbella, dans le sud de l’Espagne, aux alentours de l’été 2014. Il débarque dans la station balnéaire afin de faire un nouveau coup. Il va mettre en place une escroquerie de grande envergure qui va remonter jusqu’au plus haut niveau financier espagnol. Une escroquerie à 750 millions d’euros ! Pour monter cette arnaque, le Belge se fait des amis dans la jet-set de Marbella. Yachts, voitures de luxe, grands restaurants, l’homme s’affiche et cherche des soutiens pour récupérer un produit financier sur lequel il aurait des droits. Un ressortissant français vivant à Marbella a aidé de bonne foi Desaedeleer dans sa quête sans se douter un seul instant qu’il s’agissait là d’un escroc de haut vol. Au bout d’un an, l’affaire a bien failli réussir. L’idée de l’escroc belge était d’échanger contre ce bon du trésor de 750 millions “entre 120 et 150 millions”. Le seul problème, c’est que la personne garante de cette transaction et sans qui rien n’était possible a été retrouvée morte dans un hôtel de Madrid.À partir de là, “il a commencé à devenir nerveux, à faire un peu n’importe quoi jusqu’au jour où il m’a dit qu’il devait absolument partir aux États-Unis”. Sur la route de l’aéroport, Desaedeleer envoie un message à son ami français : “Merci pour tout. Adios”. Michel Desaedeleer ne retournera jamais aux États-Unis. Il est arrêté par la police à l’aéroport de Malaga et extradé vers la Belgique où la justice avait été saisie sur base de la loi de compétence universelle par 5 mineurs victimes de l'esclavage dans les mines du Sierra Leone. C'était en 2015. Il croupissait à la prison de Saint-Gilles depuis un an et attendait son renvoi devant le tribunal, pour y répondre de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, quand il a choisi de mettre fin à ses jours en septembre 2016.

Sa vie est un film

Leonardo Di Caprio jouait le rôle inspiré de l'histoire de Michel Desaedeleer

En 2006 sort un film qui va faire couler beaucoup d’encre. Il est intitulé Blood diamond et l’action se passe en 1999 en pleine guerre civile au Sierra Leone. Au casting de ce film, on retrouve Leonardo Di Caprio qui sera d’ailleurs nommé à l’Oscar pour son rôle de Danny Archer.L’acteur y campe un ancien militaire devenu mercenaire et trafiquant. Tout se passe sur fond de trafic des diamants.

Exactement ce que l’on reproche à Michel Desaedeleer. Un film hollywoodien à gros budget qui entend dénoncer ces pratiques inhumaines. Avant même sa sortie en Belgique, le film avait créé la polémique.Le secteur  diamantaire avait, en effet, regretté que le film parle d’une époque révolue depuis qu’un traité international réglementait le commerce et l’origine des diamants. Leonardo Di Caprio avait même été invité à Anvers pour voir sur place comment cela se passait.Invitation que l’acteur avait poliment déclinée.

Et pour cause, l’engagement de l’acteur dans ce film avait une raison. Léonardo comptait bien défendre le propos de ce film car il pensait que le marché du diamant n’était pas encore tout à fait propre.Lors de la sortie du film il avait ainsi expliqué que “je continuerai à défendre l’idée que les diamants doivent être propres. J’ai acheté des diamants par le passé. J’ignorais les ramifications de conflits comme celui en Sierra Leone. Maintenant, si et quand j’achète un diamant, je fais attention à son origine.”

Ruiné sous le soleil de Marbella

Loin du Sierra Leone et des Etats-Unis, Michel Desaedeleer vivait pourtant la Dolce Vita dans le sud de l'Espagne

Avec les diamants du sang, Michel Desaedeleer a acquis une fortune considérable qui aurait dû le mettre, lui et les siens, à l’abri du besoin pour longtemps.C’était sans compter sur un grain de sable. “Il a rencontré une jeune femme de 28 ans au Cap vert. Ils sont tombés fous amoureux. Visiblement, il a tout quitté pour elle. Il a abandonné sa famille aux États-Unis et ils ont fait deux fois le tour du monde en avion. Cela lui a coûté très cher, apparemment”, explique celui qui a côtoyé Desaedeleer durant un an entre 2014 et 2015.“Quand il a débarqué à Marbella, il avait 300 euros en poche et c’est tout. Il avait besoin de quelqu’un pour l’aider dans la transaction financière qu’il souhaitait réaliser et qui devait lui permettre de récolter 750 millions d’euros. Comme je parle espagnol, j’ai constitué un dossier, j’ai pris des rendez-vous dans les banques, je lui ai prêté un de mes bateaux pour y vivre”.À Marbella, Desaedeleer était comme un poisson dans l’eau. Sans argent, il a malgré tout mené la grande vie pendant un an. Hôtel de luxe, voitures, restaurants  : il a laissé une ardoise phénoménale dans la station huppée du sud de l’Andalousie.“C’était quelqu’un de très bien habillé, qui présentait bien, qui parlait bien. Il savait endormir et enfumer les gens pour obtenir ce qu’il voulait.” Bref, la définition du véritable escroc qui de surcroît aurait laissé des dettes “pour 50 millions d’euros aux États-Unis”.

Ce n’est pas un hasard si Desaedeleer a choisi Marbella pour s’établir en Espagne. “Visiblement, il était déjà en Espagne depuis quelque temps”. Mais s’il est venu dans la commune andalouse, c’est surtout parce que le siège social de la Banco Popular y est situé. Et c’est avec cette banque que la transaction de 750 millions d’euros devait avoir lieu.L’autre avantage de cette cité balnéaire de la Costa Des Sol est évidemment sa concentration élevée de grandes fortunes. “C’est un petit port de pêche à l’origine. Il n’y a pas grand-chose à part la vieille ville, de l’huile d’olive et de l’avocat. Le taux de chômage y est de 55 %”, raconte Martin (prénom d'emprunt). Mais dans la commune, il y a trois autres ports dont Puerto Banus. “C’est là que mon bateau était amarré”. C’est aussi là que se concentrent toutes les grandes fortunes “russes et marocaines qui séjournent à Marbella. En étant sur mon bateau, Desaedeleer était en contact avec elles. Cela lui est peut-être monté à la tête, je n’en sais rien”.Une chose est certaine, le Belge aimait l’argent et aimait vivre dans le luxe. À Marbella, il était comme un poisson dans l’eau, le temps de se refaire une santé financière. Ce qui n’arriva donc jamais malgré ses tentatives.

C'est ainsi que Martin a croisé la route de Michel Desaedeleer. Aujourd'hui, il s'en mord encore les doigts. Il raconte. “La première fois que j’ai croisé Michel Desaedeleer, je prenais un thé sur le port avant d’aller nettoyer mon bateau. Il buvait un café. Comme nous parlions français, nous avons discuté.” C’est aussi simplement que cela que Desaedeleer a mis la main sur sa future victime. “De bonne foi, j’ai cru l’aider. Son histoire avait l’air crédible. Comme il n’avait nulle part où aller, je lui ai prêté un de mes bateaux pour qu’il puisse y vivre”, poursuit l’infortuné français qui, au final, se retrouve avec une ardoise de “128.000 euros et j’ai perdu mes deux bateaux dans l’aventure pour régler ses dettes”.Car Michel Desaedeleer, qui se prétendait désargenté, n’en menait pas moins la grande vie. “Moi, je pensais qu’il dormait sur le bateau mais en fait, il passait ses nuits dans des hôtels 4 étoiles avec des filles. Il se faisait livrer des repas sur le bateau, il commandait des tas de choses, il a même acheté des bateaux à l’autre bout du monde.” Mais les factures étaient adressées à la capitainerie du port. Résultat, c’est Martin qui a dû s’en acquitter. “Aujourd’hui, je n’ai plus rien. Heureusement que ma maison est payée.” Desaedeleer a profité  de la situation de Marbella au sein de la jet-set pour nouer des contacts avec des avocats mais aussi des banquiers. “Il leur demandait 100.000 ou 150.000 euros à prêter et promettait d’en rembourser 250.000 la semaine suivante. Mais là, ça n’a pas marché. Eux, ils avaient flairé l’embrouille.” Jamais jusqu’à l’arrestation de l’escroc belge, Martin ne s’est douté de quoi que ce soit. “Il n’a jamais parlé du Sierra Leone. Je suis tombé des nues quand j’ai appris ça. C’est incroyable ce qu’il a fait. Aujourd’hui, je pense surtout à ses victimes qui par sa mort ne seront jamais reconnues comme victimes.”

Dernier détail étonnant dans toute cette histoire : les voyages de Desaedeleer. Comment cette homme contre qui un mandat d'arrêt international était lancé depuis 2005 a pu voyager sans problème jusqu'à ce jour de 2015 où il s'est fait coincer à l'aéroport de Malaga? La réponse est aussi simple que troublante: celui qui avait la double nationalité belgo-américaine voyageait avec un passeport belge délivré par l’ambassade de Washington en... 2013. Un passeport tout ce qu'il y a de plus authentique.

Une fin aussi brutale qu'étrange

Desaedeleer s'est suicidé dans sa cellule en absorbant des médicaments. Il clamait encore et toujours son innocence

Il était incarcéré depuis environ un an à la prison de Saint-Gilles lorsque la nouvelle est tombée. C'est à la veille de sa comparution devant la chambre du conseil de Bruxelles qui devait décider de son renvoi ou non devant la justice que Michel Desaedeleer est mort dans la cellule 6013. D'abord qualifiée de mort naturelle par le parquet, la disparition du sexagénaire a, vu les circonstances, tout de même fait l'objet d'une enquête. Une autopsie a été pratiquée et a permis de démontrer sans l'ombre d'un doute que Desaedeleer s'était suicidé à l'aide de médicaments.

Même si la thèse du suicide ne fait aucun doute, le choix de mettre fin à ses jours à la veille de pouvoir s'expliquer publiquement pour démontrer son innocence qu'il clamait corps et âme est plutôt surprenant. Un témoin des faits a été interrogé par la DH.

A l'époque il racontait que : “En prison, Desaedeleer expliquait qu’il ne comprenait pas. Pour lui, il était parti en Sierra Leone avec une délégation officielle du gouvernement wallon et des représentants de la chambre de commerce belge. À Freetown, ils avaient négocié avec le gouvernement régulier un accord d’exploitation de mines de diamants. Un accord était intervenu. Peu après se produisait la rébellion et toute l’affaire capotait. Desaedeleer ne comprenait pas que seize ans plus tard, la justice lui reprochait d’avoir fourni des moyens financiers aux rebelles pour s’armer ainsi qu’une livraison d’armes par avion. Le juge belge était le seul à tenir des accusations qui ne reposaient que sur des documents des Nations unies qu’il demandait, depuis des mois, à voir, pour enfin se défendre, mais que l’on ne parvenait pas à se procurer. Et c’était tous les mois la même rengaine : on verra le mois prochain.”

Si Desaedeleer n'était pas à proprement parler suicidaire ni dépressif, son moral était tout de même sérieusement émoussé face à la machine judiciaire. Aucun avocat n'avait accepté d'assurer sa défense. Il était seul face au monde judiciaire pour se faire entendre. Il aurait alors échafaudé un plan: celui de la tentative de suicide. Il ne voulait pas aller jusqu'au bout mais simplement lancer une alerte, pouvoir se retrouver à l'hôpital d'où il aurait alors pu alerter les médias. Mais sa tentative aura été trop loin. Les médicaments qu'il avait accumulé pendant plusieurs semaines dans sa cellule lui ont été fatal.

Ironie du sort, Michel Desaedeleer avait écrit une lettre quelques jours avant de mourir. Lettre qu'il avait envoyé à la presse mais qui, par les lenteurs administratives, est parvenue dans les rédactions au lendemain de son décès. Dans cette lettre, il livre une vérité, sa vérité. Il y accable notamment la Région wallonne. La voici:

"Madame, monsieur. “J’ai 65 ans et suis de citoyennetés belge et américaine. Je n’ai jamais eu de problème avec la justice et n’ai donc pas de casier judiciaire. J’ai quitté la Belgique il y a 35 ans, d’abord pour le Zaïre où j’étais directeur commercial pour Unilever, puis les États-Unis. En août 2015 je me rends à l’aéroport de Malaga pour rentrer à Washington. Je suis arrêté par la police espagnole qui m’informe de ce qu’“un juge belge veut me parler”. Quinze jours plus tard, je suis dans le bureau de ce juge à Bruxelles qui après 30 minutes m’informe qu’il me met en détention préventive. Treize mois plus tard, j’y suis toujours. Voici un résumé des faits. - Juillet 1999, j’assiste à Lomé à la signature des accords de paix sous l’égide des Nations unies. Sont présents : Kofi Annan, secrétaire général des NU, 12 chefs d’État africains, Jesse Jackson pour la Maison Blanche […] - Ces accords donnent au chef rebelle M. Sankoh le poste de Vice-président de Sierra Leone et la présidence de la commission chargée de l’exploitation des ressources naturelles dans ce pays. - Les Nations unies officialisent les accords. - En octobre 1999 avec mon associé John Caldwell, vice-président de la Chambre de commerce des États-Unis, nous nous sommes rendus à Freetown (Sierra Leone) où nous avons signé avec le vice-président Sankoh un contrat qui nous donne l’exclusivité des activités minières dans le pays, de la vente de la production à l’étranger et de la signature de contrats avec des sociétés principalement belges et américaines pour reconstruire le pays. - Pour l’exécution de ce contrat, nous obtenons le support de la Région wallonne qui s’implique à 100 %, de la Banque mondiale, des Nations unies, et sommes reçus par les dirigeants de l’Union minière, de De Beers à Londres, de la banque Artesia à Anvers, etc. “En décembre 1999/janvier 2000, je me rends à Kono en Sierra Leone pour faire une évaluation du matériel en place. J’y suis resté 3 semaines et n’y suis jamais retourné. Les accords de paix ayant très vite volé en éclats, notre contrat est tombé à l’eau. Conclusion : il n’y a même jamais eu de début d’exécution.” “Selon le juge d’instruction : les accords de paix signés en présence de Kofi Annan ne sont qu’un morceau de papier sans valeur : ça ne s’invente pas. J’ai pillé le pays, réduit la population en esclavage et fourni la rébellion en armes et munitions durant des années.” “Tout ceci n’est que pur délire.” “Nous avons remis au juge des documents officiels des Nations unies, de la Banque mondiale, de l’Union minière, de la Région wallonne, qui confirment tout de A à Z . Il y a également une longue audition par la police belge du représentant de la Région wallonne. “Mais pour le juge d’instruction de Bruxelles, tout cela ne compte pas : je suis enfermé depuis 13 mois à 5.000 km de chez moi sans aucune preuve ni élément matériel de quoi que ce soit, et pour cause. Dire que le juge et […] le procureur font preuve de malhonnêteté intellectuelle serait une litote […] Je vous remercie par avance etc.”

C'est donc ainsi que se termine la vie et l'histoire de Michel Desaedeleer. Les poursuites judiciaires se sont éteintes en même temps que lui. On ne saura donc jamais s'il était l'homme d'affaires qu'il prétendait être ou le sombre escroc qui a mis en esclavage des populations pour s'enrichir au mépris de la vie humaine et du droit international.