On a couru avec le n°1
mondial de l'ultra trail

Courir avec François D'Haene, c'est comme taper dans le ballon avec Messi ou Ronaldo. Le Français, dernier vainqueur de l'Ultra Trail du Mont-Blanc, est, avec l'Espagnol Kilian Jornet, l'une des deux icônes de l'ultra trail, ce sport qui consiste à courir de longues distances dans la nature, en relative autonomie-alimentaire, le tout avec de gros dénivelés.

Mais la comparaison avec les footballeurs s'arrête là. François D'Haene, actuel numéro 1 mondial de l'ultra, a un palmarès long comme le bras (trois succès sur l'UTMB et trois Grand Raid de la Réunion notamment) dans une discipline qui connaît un énorme boom au niveau planétaire mais est pourtant un mec comme tout le monde. Simple, disponible et bien loin d'avoir attrapé la grosse tête.

Son truc à lui, c'est d'abord le plaisir de la montagne et de l'aventure sur les sentiers plutôt que de collectionner les titres et récompenses. À Arêches-Beaufort, là où il habite en Savoie, il a l'habitude de partager ses entraînements avec ses potes et pas nécessairement avec l'élite. À Saint-Julien, durant la saison des vendanges, il enfile sa casquette de vigneron pour vivre, aux côtés de son épouse Carline, son autre passion: le vin. Et en déplacement à l'étranger, il aime à partager ses histoires de vigneron autant que sa science de la course et de la montagne.

C'est cette expérience du partage que nous avons eu la chance de vivre l'espace d'une après-midi de mars, à Mont-de-l'Enclus, petit paradis des traileurs belges à cheval sur la frontière linguistique et lieu régulièrement traversé par les coureurs cyclistes, notamment lors des classiques flandriennes.

François D'Haene était en effet en Belgique au début du printemps pour narrer et partager ses exploits de l'automne 2017 sur le John Muir Trail, vaste sentier de 359 km de long (avec 14.630m de dénivelé positif) à travers la Sierra Nevada qu'il a avalé, record à la clé, en 2 jours, 19 heures et 26 minutes. Mais aussi pour faire déguster ses vins du Beaujolais. Et il en a également profité pour prouver à une vingtaine de chanceux qu'il était tout à fait possible de s'entraîner spécifiquement au trail quand on habite dans le plat pays. Démonstration.

Trouver une côte

Le travail d'endurance, via des sorties plus ou moins longues et à différentes intensités, ne pose pas fondamentalement de souci lorsqu'on réside en Belgique. Par contre, l'absence de dénivelé est le gros problème, à moins d'habiter dans certains coins de nos Ardennes où il est possible de "manger du D+", comme on le dit dans le milieu. Il suffit de vous rendre sur un trail à l'étranger pour rapidement comprendre que la côte que vous pensiez longue et raide sur le chemin de votre entraînement n'est en effet rien de moins qu'une petite bosse.

Face à ce constat, il y a une solution lorsqu'on veut faire un entraînement spécifique pour le trail. "Il faut répéter, sur des petites montées, des séries d’exercices afin d'augmenter la charge musculaire et ce, pour arriver à reproduire un effort comme on pourrait en retrouver dans les Alpes ou sur un autre ultra", détaille François D'Haene.

À Mont-de-l'Enclus, après un petit footing d'échauffement qui n'était cependant pas de tout repos ("J'aime quand ça monte et ça descend", glissa-t-il quand on lui suggéra un parcours), son choix s'arrêta sur une côte dans les bois affichant tout au plus 40 mètres de dénivelé positif. Avec quelques troncs couchés à même le sol et des escaliers en mauvais état. Bref, le lieu parfait. "Ici, on va pouvoir recréer des conditions comme si l'on était face à une belle ascension." La promesse fut tenue...

Sortir des schémas classiques

Avec coach François D'Haene, nous n'avons pas fait beaucoup de kilomètres. Par contre, la pente qu'il a choisie, on a eu le temps de l'apprécier. Et plutôt que de simplement l'affronter en courant, on a varié les exercices, sortant complètement de nos schémas classiques d'entraînement.

"Pour commencer, vous faites la chaise durant 45 secondes", indique-t-il, tout en faisant l'exercice plein de facilité et en en profitant pour taquiner son épouse, de la partie pour la séance. "Ça doit déjà brûler dans les cuisses. Quand c'est fini, vous enchaîner directement avec la montée. Je veux entendre votre coeur taper sur votre thorax. En haut, pendant votre récup' cardiaque, vous faites sept répétitions de fentes, pour chaque jambes. Avant d'enchaîner avec la descente." Où il insiste particulièrement sur la technique. "Vous devez être léger. Attaquez sur l'avant du pied. Et je ne veux pas entendre vos pieds taper sur le sol !"

Ce schéma, on l'a fait quatre fois consécutivement, entre autres exercices. La côte avait certes un joli dénivelé mais n'avait l'air de rien lorsque nous l'avons empruntée pour la première fois à l'échauffement. Mais François d'Haene l'a transformée en mont alpin. "Cela permet de reproduire une similitude des efforts que l'on peut retrouver en montagne."

Profiter du décor

Quand on n'a pas de montagne, chaque élément du paysage peut devenir votre partenaire d'entraînement. Idéal pour compléter le travail en montée, que François D'Haene nous a même fait faire à cloche-pied. Ainsi, les marches d'escaliers permettent d'affiner la technique en descente tandis que bancs ou tables nous ont permis de réaliser toute une série d'exercices de renforcement musculaire.

Chercher le plaisir avant le succès

Courir avec François D'Haene, c'est aussi taper la causette avec un champion abordable. Mais les inévitables questions liées à ses succès et ses objectifs reviennent rapidement dans les discussions. Qu'il balaie rapidement. Qu'il soit avec ses copains sur le GR20 ou à l'autre bout du monde, qu'il soit en course avec les meilleurs ultra traileurs de la planète ou encore avec quelques passionnés sur le sol belge, son credo reste le même: le plaisir avant tout.

"Il ne faut pas, à mon sens, avoir la quête de la performance comme objectif premier. Ce qui m'importe, c'est de donner le meilleur de moi-même", confie-t-il entre deux bosses. "Sur l'UTMB 2017 (NdlR : qui fut le plus relevé de l'histoire du trail), j'aurais été tout aussi satisfait si je n'avais pas gagné car j'y ai donné tout ce que j'avais. Je ne suis pas dans une quête absolue de trophées. Ce qui m'importe, c'est le plaisir de pouvoir vivre cette passion pour la montagne."

Pas de formule miracle

François D'Haene aime à partager. Et à écouter. Il se nourrit même de ces moments où il peut s'entraîner avec un petit groupe de passionnés pour s'enrichir.

Il est donc bien conscient que tout le monde n'a pas la chance de vivre de sa passion du running et qu'il est parfois difficile pour certains de trouver du temps dans des journées bien remplies.

"Je vous partage ici quelques trucs et astuces", dit-il tout en expliquant un exercice de renforcement des cuisses. "À vous de prendre ce qui vous intéresse. Si vous n'avez que 45 minutes, profitez-en pour reproduire les schémas que je vous ai montrés ici. Il y a déjà moyen de bien travailler durant ce court laps de temps. Si vous avez 3 heures devant vous, profitez-en pour accumuler les kilomètres. Le tout est de varier les plaisirs, de se connaître et de s'écouter."

Ne pas trop en faire

"C'est ma plus longue sortie running de l'année." Voilà ce que glissa François D'Haene alors que notre montre affichait à peine dix kilomètres. Pardon ? De la part d'un gars qui a parcouru 359 km presque d'une traite voici quelques mois et qui enfile les succès sur des épreuves longues de 180 bornes, on ne s'attendait pas à une telle affirmation.

Pourtant, le champion français ne rigole pas. "Je suis sérieux. Allez, j'ai bien fait un run d'une vingtaine de bornes lors d'un déplacement en Asie en janvier. Mais pour le reste, rien de plus que quelques petits footings courts."

Là où certains Belges aiment à accumuler les kilomètres et à le faire savoir avec fierté sur les réseaux sociaux, François D'Haene est partisan d'une longue coupure dans la saison.
"L'hiver, je suis à la montagne et il est impossible de courir. Et ce n'est pas plus mal. Ce n'est pas pour autant que je ne fais pas de sport mais je privilégie le ski de randonnée."

Très bien, mais quand on habite en Belgique, on fait comment ? "Il faut de toute façon une coupure dans l'année, sous peine de se cramer physiquement et mentalement. Si on ne peut pas la faire en hiver car il n'y a pas moyen de pratiquer une autre discipline à ce moment, faites-la en été. À cette période, chez vous, c'est idéal pour faire du vélo."