La galère de la P4

15 défaites en 15 matches. 6 buts marqués et 152 encaissés. Sur papier, l'équipe B de la RUS Flobecq est la pire équipe de quatrième provinciale de Belgique. Comment les joueurs vivent-ils ce statut particulier? Comment espèrent-ils s'en sortir? Malgré des problèmes récurrents pour des petits clubs de ce niveau, les Flobecquois tentent de garder le moral. Immersion dans une équipe à part...

Bienvenue à Flobecq B

Huit joueurs, quatre ballons: c'est la reprise!

Un froid de canard et une brume épaisse. Pour l'entraînement de reprise après les fêtes, ce jeudi 11 janvier, les joueurs de Flobecq B ont vite été replongés dans le bain. Qui, dans leur cas, a tout d'un bain de boue: ils connaissent une saison noire et leur compteur points affiche un zéro pointé.

Dans l'un des coins du terrain - là où l'éclairage est le moins mauvais – une petite dizaine de joueurs s'amuse à faire une brésilienne, un jeu de jonglages. "Si vous cherchez les B, c'est de l'autre côté! Ici, c'est l'équipe de P3. On est aussi dernier mais au moins, on a des points!"

L'équipe A en compte précisément cinq. Chacun sa mouise. À l'autre bout du terrain gras, les joueurs de Flobecq B arrivent au compte-gouttes, pour finalement former un groupe de huit. Pendant que le coach place ses cônes, ils s'échauffent d'une manière assez peu orthodoxe: des centres et des frappes...

"Coach, ce ballon, c'est une boule de billard! Et ces deux-là sont plats! On nous a piqué des balles à Noël ou quoi?"

Un joueur dépité de voir qu'il n'y a que 4 ballons corrects pour l'entraînement...

La séance démarre par un exercice de sprints. Certains sont à la traîne et d'autres tirent la langue. Mais il n'y a pas de tire-au-flancs. Tout le monde s'arrache. Franchement, sur le plan physique, on a déjà vu pire...

Sur l'autre moitié de terrain, la quinzaine de joueurs de la P3 s'entraîne d'arrache-pied, leur coach pousse une gueulante: "Les gars, vous n'avez pas été à l'école ou quoi? Vous vous foutez de ma gueule?"

Côté P4, l'atmosphère est nettement plus décontractée. Slalom, tirs au but et centres. Beaucoup de frappes, peu dans les filets.

"Et voilà une pataaaaaate de forain!", s'enthousiasme l'un des buteurs du jour. Le groupe compte deux joueurs floqués Kevin De Bruyne et beaucoup de surnoms: Gavroche, Roux, ou même Troll, pour le coach.

L'entraînement se poursuit avec un match à trois contre quatre. "Je veux de la possession", demande l'entraîneur. "Justement, coach, regarde: on a le ballon!"

"Moi, j'ai repris le foot après 15 ans. On a même pris un basketteur dans notre équipe. Lors de son premier match avec nous, il a pris le ballon en main en pleine action, par réflexe. On fait ce qu'on peut, avec nos moyens..."

"Paie tes 440 euros de compte buvette, on pourra s'acheter des ballons!"

La séance terminée, on pense déjà au match à venir. "Je ne sais pas si on sera assez. Moi, j'ai été suspendu trois matches pour avoir insulté un arbitre. J'ai voulu défendre ma cause mais ils n'ont pas même pas voulu entendre mes explications", nous raconte l'un des joueurs, du haut de ses 18 ans, la clope au bec.

Après la douche dans un vestiaire étriqué, les joueurs se réchauffent dans une buvette aux allures de café de village.

Pendant que les entraîneurs de la P3 et de la P4 se concertent pour dresser la fameuse liste des sélectionnés du dimanche, les joueurs s'amusent autour d'un verre. 421 aux dés et bières: programme classique. L'irish coffee l'est moins. "Vous en connaissez beaucoup, vous, des buvettes où l'on fait des Irish?"

Un des joueurs reçoit un coup de fil d'un dirigeant, suivi d'une remontrance de la tenancière de la buvette. "Tu as un compte de 440 euros, il faut que tu le règles au plus vite!"

Ses équipiers en remettent une couche. "Vas-y, gros, paye! Comme ça on pourra s'acheter des nouveaux ballons!"

Au gré des verres, la situation délicate de Flobecq B s'invite dans les conversations. Depuis le 25-0 encaissé contre Tournai, la presse locale a trouvé un nouveau surnom aux joueurs de Flobecq B: "Les Héros du Gazon de Wallonie Picarde."

"Quand j'entends ça, ça me fait mal", confie Lorenzo. "Les réseaux sociaux, ça empire encore les choses.On sait qu'on est la pire équipe de P4, les chiffres sont là. Nous, tout ce qu'on veut, c'est ne plus être dernier. Comme ça plus personne ne pourra dire que nous sommes les nouveaux Héros du Gazon..."

Jour de match

Si difficile d'être onze...

Dimanche, c'est jour de match. A l'entrée du vestiaire du FC Houtaing, l'adversaire du jour, Le coach fait le compte. Une fois, deux fois, trois fois. Il a dû mal à y croire, mais il ne s'est pas trompé: il n'a que huit joueurs dans son équipe.

Dans une heure, sur le coup de 14h30, Flobecq B devra affronter Houtaing (7e) et le match ne pouvait pas se présenter plus mal.

"Je vais devoir jouer, pas le choix. Mais à 44 ans, je ne suis pas capable de tenir un match entier dans le jeu", souffle le coach. "Je vais jouer dans le but. De toute façon, on n'a pas de gardien fixe..." Il fait les cents pas devant la buvette, en grillant une clope et en espérant un miracle.

Dans le coin du terrain, les huit joueurs de Flobecq, de bleu vêtu, se posent des questions. L'échauffement est perturbé par un débat, qui se fait de plus en plus vif.

"Putain, là, on n'est que neuf! J'ai pas envie qu'on prenne de nouveau 25 buts comme à Tournai... Et encore, là, on risque de s'en prendre 50... On irait pas directement faire la troisième mi-temps?"

La buvette du FC Houtaing, prête pour la troisième mi-temps.

La buvette du FC Houtaing, prête pour la troisième mi-temps.

Un joueur tente de convaincre son coach de ne pas jouer. Puis un autre. La porte du vestiaire claque et derrière elle, le ton monte. Le groupe est divisé. "T'es venu pour quoi? Pour gagner? Moi pas. On sait qu'on va être battu même à onze. On est ici pour jouer, alors jouons!"

L'élément décisif sera un coup de fil du vice-président. "Pfff... Il nous a interdit de déclarer forfait", peste un joueur.

Sur le coup de 14h05, un joueur de Flobecq débarque, le sac sur l'épaule. Il est accueilli comme le Messie. "Dimitri! Tu es là! Merci!"

Flobecq B jouera finalement à dix plutôt qu'à neuf, mais ça ne suffit pas à remotiver tout le groupe. Pendant la théorie, un certain scepticisme règne dans le vestiaire...

"La tactique est simple: on met les meilleurs joueurs en défense centrale, pour essayer d'en prendre le moins possible"

Jessy

De la sueur et des buts, beaucoup de buts

Devant une trentaine de spectateurs refroidis par le spectacle, le plan - "On bétonne" - fonctionne. Du moins pendant le premier quart d'heure. Flobecq B met beaucoup d'engagement dans ses duels et gêne son adversaire. Mais le premier but d'Houtaing finit par tomber. Les autres suivent, très vite: 5-0 à la pause, 11-0 au final.

Dans son but, l'entraîneur fait à peu près ce qu'il peut. Et finit par commettre une sérieuse boulette en fin de match.

Malgré l'une ou l'autre occasion, Flobecq B ne parvient pas à marquer. Et ses joueurs souffrent pour finir le match. L'un d'eux s'effondre, victime de crampe, avant qu'un adversaire ne vienne étirer sa jambe.

"Pousse plus fort, on voit la tête!", hurle un spectateur. Un autre joueur en profite pour souffler."Pas simple, avec tout l'alcool d'hier. Voilà ce qui arrive quand on se prend pour un clubbeur..."

"Ce point on finira bien par le prendre..."

Au coup de sifflet final, pas de déception ou de tête basse: les joueurs semblent déjà être passés à autre chose. Et ils se montrent plutôt... satisfaits de ne pas avoir pris une valise encore plus lourde.

C'est Flobecq, c'est compliqué, mais le fatalisme ambiant est toujours un peu teinté d'espoir. "Ce point, on finira bien par le prendre", souffle un joueur.

Après quelques chopes - sans abus - les joueurs de Flobecq B se saluent sur le parking. Epatés par le ciel rosé par le soleil couchant, ils prennent la pose pour un selfie. Ils y affichent un sourire.

Ce n'est pas cette défaite qui les mettra de mauvaise humeur. Ni la défaite du dimanche suivant. La galère de la P4, ils ont appris à vivre avec.