En Belgique, aucune femme ne peut vivre du football. Jongler entre sa passion, son travail et sa vie de famille n'est pas facile. Entre ses casquettes d'entraîneuse, d'employée de bureau et de joueuse d'Anderlecht et des Red Flames, les journées d'Aline Zeler sont à rallonge. Nous l'avons suivie pendant 24 heures.
L'occasion de mieux comprendre les difficultés de nos meilleures joueuses et de percevoir le gouffre énorme qui les sépare des Diables rouges.
Tous les lundis, son réveil sonne à 6h du matin. Elle quitte son lit rapidement. Tout en sachant qu'elle ne le retrouvera pas avant 23h, au mieux, en soirée. Aline Zeler n'a pas de temps à perdre. Elle commence par s'occuper du fils de sa compagne. "J'aime prendre mon temps le matin", explique-t-elle. La capitaine des Red Flames se prépare et le conduit à l'école. Avant de prendre la route en direction de Liège, où va débuter la première partie de sa journée.
Il est 9h30 lorsque nous retrouvons Aline Zeler, au centre d'entraînement du RFC Liège. "Je suis en retard, je dois préparer l'entraînement", nous lance-t-elle directement. Son entraînement, elle va le donner à des filles âgées entre 15 et 18 ans. Des joueuses qui représentent l'avenir du football féminin belge et qui font partie du programme foot-élite étude. Elles évoluent chacune dans les grandes formations belges, mais elles suivent des séances avec Aline Zeler trois fois par semaine (lundi, mardi et vendredi), en plus des entrainements avec leurs clubs respectifs.
Avant d'aller placer ses exercices sur le terrain, la Red Flames prend quand même le temps de saluer tout le monde au club et notamment Gaëtan Englebert (ex-Diable Rouge), qui s'occupe des U15 masculins du foot-élite. C'est lundi, on discute donc des résultats du week-end. Et des dernières nouvelles. "Tu as été au dernier tournoi ?", demande la capitaine des Red Flames. "Oui, j'ai vu de très bons joueurs", lui répond Englebert.
Il est déjà près de 10h et Aline Zeler doit aller placer ses exercices sur le terrain d'entraînement. Ses joueuses arrivent et la séance doit débuter à 10h30 précise. "Chacun donne son entraînement sur un terrain séparé, nous glisse Englebert. Mes U15 ici et les filles d'Aline sur l'autre terrain, là-bas derrière. Les garçons et les filles, c'est séparé ici.(sourire)"
"On s'entraîne quand même parfois avec les garçons, explique Zeler. On fait des matchs d'entraînement et cela apprend beaucoup à mes filles. Cela va plus vite, elles doivent donc prendre leurs décisions plus vite. Cela leur permet aussi de voir qu'elles ne sont pas dix fois inférieures aux garçons. C'est important qu'elles prennent conscience de leurs qualités."
En club amateur, les filles peuvent jouer avec les garçons jusqu'en U17.
Cette saison, elles sont 16 (l'an dernier 15) à participer au programme foot-élite étude. Si les garçons sont séparés en cinq centres (Virton, Liège, Ciney, Mouscron et Charleroi), les filles n'en ont qu'un seul : celui qui se situe au RFC Liège. "Il y a donc des joueuses du Standard, d'Anderlecht, mais aussi de D2, nous explique Aline Zeler en plaçant ses exercices sur le terrain. C'est la suite de la formation provinciale. Elles suivent leurs cours scolaires ici à Liège. Et elles ont trois entraînements en fonction des rapports que nous recevons. On s'est inspiré de ce que font les garçons.Mais elles sont plus sérieuses que les hommes. Elles ne se plaignent pas et sont mieux organisées, notamment pour leurs études."
Aline Zeler est diplômée en éducation physique. Elle a passé ses brevets C et B et compte obtenir son diplôme UEFA B en 2018.
Ce lundi, les 16 joueuses d'Aline Zeler travaillent la profondeur et l'explosivité. Les filles sont sérieuses et bossent dur. "Je vous avais dit qu'elles étaient toujours concentrées", nous glisse, avec un sourire, la Red Flames.
Entre les exercices, elle prend des nouvelles de ses 16 joueuses. "J'ai entendu des échos de tes deux dernières matchs, tu es sur la bonne voie, dit-elle à une joueuse. C'était difficile physiquement ? C'est pour cela que tu es ici. On va travailler spécifiquement ce point avec toi."
Aline Zeler ne travaille pas comme en club avec ses jeunes élites. "J'axe mes entraînements sur les basiques : répéter beaucoup les gammes, nous explique la joueuse d'Anderlecht. Mais aussi travailler les tactiques d'équipe en possession et en perte de balle. Certaines auront aussi du travail physique. Elles doivent améliorer leur VMA (vitesse maximale aérobie), leur explosivité avec des cordes à sauter par exemple. Il y a trois entraînements par semaine avec moi, mais aussi trois le soir avec leurs clubs. Cela fait six au total. On ne remplace pas ce que le club fait chez lui. C'est vraiment un travail individuel et spécifique qu'on fait avec les joueuses. À terme, j'espère vraiment qu'on pourra faire comme les garçons et ouvrir plusieurs centres."
Comme chez les garçons, les filles râlent. Surtout quand elles ratent un geste. Pour calmer la situation, Aline Zeler les envoie courir autour du terrain. L'entraînement touche à sa fin, il est déjà 12h30. "Demain, on travaillera le même thème, conclut Zeler à ses joueuses. On continue avec la profondeur du jeu."
Et la course reprend. "Je vais vite chercher une bouteille d'eau et puis on file vers Tubize."
Parce que la journée est loin d'être terminée. Il est 12h45 et Aline Zeler doit filer au Centre National pour entamer la deuxième étape de sa journée.
L'heure du début de l'entraînement approche. Encore quelques kilomètres à parcourir pour Aline Zeler. Et ce qu'elle dit sur le foot féminin se confirme dans les faits.
L'équipe féminine A d'Anderlecht ne s'entraîne, par exemple, pas à l'endroit où elle se change. Il y a deux sites séparés d'un kilomètre. Les filles doivent s'habiller dans un vestiaire qui se situe sur le premier site et puis reprendre leurs voitures et prendre la direction de l'autre site pour arriver au terrain.
Et rebelote après l'entraînement. "On finit l'entraînement à 21h50 et on doit se doucher très vite après, précise Zeler. Sinon l'alarme sonne ! La situation n'est quand même pas idéale. Je ne comprends pas pourquoi on se trouve dans cette situation. On nous demande d'être pros et de représenter le club. Mais cela va dans un sens et pas dans l'autre."
En fait, le Sporting d'Anderlecht ne veut pas qu'elles se changent dans le même vestiaire que l'équipe A masculine. "En plus, les plannings sont assez mobiles, ce qui est loin d'être pratique. On dit parfois que les filles ne sont pas assez assidues. Mais nous avons des emplois, des études et nos entraînements sont toujours mal placés. Et ils changent parfois d'horaire du jour au lendemain. Il faut se mettre à notre place. On ne va pas se faire virer pour le foot..."
Fait particulier et étonnant, les joueuses d'Anderlecht n'ont pas accès au centre principal de Neerpede, celui où se trouve leur terrain d'entraînement. Quelques minutes avant la séance, une longue file de voiture se forme donc devant les grilles du centre. Dans les voitures, les joueuses habillées pour la séance du jour attendent qu'un des coachs de l'équipe vienne leur ouvrir. Elles peuvent alors entrer à l'intérieur, une par une. Une scène assez particulière...
Une fois garée à l'intérieur, Aline Zeler se motive pour le troisième acte de sa journée. Après avoir été coach et employée de bureau, une lourde séance physique l'attend avec son équipe, le Sporting d'Anderlecht. "C'est difficile parce que j'ai une longue journée derrière moi, mais je suis passionnée. Aujourd'hui j'en ai besoin de ce sport. Cela me fait du bien et c'est la partie la plus chouette de la journée. Je peux enfin pratiquer ma passion."
Irréprochable, elle participe à l'entraînement en grande professionnelle. Leader et souvent première dans les exercices physiques malgré qu'elle soit une des plus âgées (34 ans), elle finit sa journée sur le coup de 22h. Mais elle a encore un bonne heure de route avant de rentrer chez elle et de retrouver sa maison et ses proches.
"J'aimerais qu'un joueur de l'équipe nationale masculine passe une journée avec moi un jour, nous glisse, en montant dans sa voiture, Aline Zeler. Entraînements, bureau et difficultés du quotidien. Comme la lessive par exemple. Cela peut paraître anodin, mais je dois laver moi-même mes affaires du club. Et on ne reçoit que deux tenues en début de saison. Donc je dois faire plusieurs machines par semaine. Si on pouvait prendre conscience de cela, cela pourrait déjà faire bouger les choses."
L'appel est lancé. Parce que cette journée d'Aline Zeler illustre la difficulté de la vie des joueuses de football en Belgique. Sans un peu plus de professionnalisme, le niveau n'augmentera jamais. Et les Red Flames l'ont prouvé à l'Euro 2017: il y a du talent en Belgique. D'autant qu'il y a de plus en plus de filles qui jouent au football. Elles sont aujourd'hui 31.000 à être affiliées à l'Union Belge.