De Guardiola à Cruyff:
Martinez le Catalan

L'histoire du sélectionneur des Diables a débuté
à Balaguer, une petite ville de Catalogne.
Très vite, il s'y est fait sa propre idée du jeu.
Sous l'influence de son père et du Barça.
Récit, à travers les souvenirs de l'entraîneur
et de ses proches.

Il est tombé dedans quand il était petit. Si Roberto Martinez est aujourd'hui à ce point passionné par le football, il le doit à son héritage familial.

Très souvent, Roberto venait sur le terrain avec son père. Il avait toujours avec lui son meilleur ami : le ballon”, nous raconte Andreu Martinez, un membre de la famille élargie de Roberto.

"Je n'avais que deux ans quand j'ai eu mes premiers contacts avec un ballon de football", narre Martinez dans Kicking Every Ball, son autobiographie parue en 2008. "Mon père m'emmenait dans son club, plusieurs heures avant son match, et on se faisait des passes. Quand j'étais en primaire, tous mes copains m'enviaient. Parce que je récupérais les ballons de matches de mon père, de vrais ballons professionnels!"

"Si je pouvais être la moitié de ce qu'il est, je serais comblé"

La figure paternelle, qui a bourlingué dans les divisions inférieures jusqu'en D3 avant de se poser dans la petite ville catalane de Balaguer, s'avère être le fil rouge de la progression humaine et sportive de l'enfant, puis du jeune homme.

Roberto Martinez nous l'a lui-même expliqué en commentant dans la vidéo ci-dessous une photo de lui, haut comme trois pommes, au pied de son footballeur de père.

La maman, Amor: "On a trois priorités: le foot, le foot et la famille"

"J'ai joué au football jusqu'à mes 43 ans, j'adorais ça. Mon fils est devenu le même passionné que moi à l’époque", nous a confié Roberto Martinez senior, aujourd'hui âgé de 84 ans, lors de notre visite à Balaguer en 2016.

Une passion bien résumée en une anecdote: “Le jour de la naissance de ma fille, qui a pointé le bout de son nez à huit heures du matin, j’ai appelé le délégué de mon équipe pour lui dire: ma femme est en train d’accoucher mais si tu as besoin de moi pour le match aujourd’hui, je viens! Quand j’ai vu la famille de ma femme arriver pour prendre soin d’elle et du bébé, je suis parti jouer !"

Amor, la mère de famille, ne s'est jamais plaint de son sort de femme, puis de mère, de footballeur acharné. Elle parle d'ailleurs encore avec la plus grande tendresse du lien incassable entre le ballon et Robert (c'est comme ça qu'elle appelle son fiston). "Jeune homme, il avait invité une petite amie à la maison. Je lui ai dit : tu es la bienvenue, mais si tu veux entretenir une relation avec Robert, tu dois savoir quelles sont les trois choses les plus importantes pour nous. Un : le football. Deux : le… football ! Et trois : la famille. Quand tu te maries avec un camionneur, tu sais que ton mari peut partir toute la semaine et que tu seras seule avec les enfants. Avec Roberto, ce sera pareil. Il ne compte pas ses heures…

Un tel contexte familial a fait naître, très tôt, de hautes ambitions. “Quand il avait sept ou huit ans, il nous l’avait dit : je ferai carrière dans le foot", se souvient Andreu. "Je l’ai cru tout de suite."

Premier salaire, fausse rolex et faux diamant

Comme beaucoup de jeunes Espagnols, Roberto Martinez commence la compétition par du football en salle, à cinq contre cinq, avant de passer au football de prairie à l'âge de 11 ans. Il est repéré par Saragosse et y obtient un contrat pro, à l'âge de 16 ans. Seul hic, pour la famille Martinez: le fiston doit déménager à 175 kilomètres de Balaguer. “Le jour de son départ, j’ai pleuré”, se souvient son père.

Roberto sait ce qu'il doit à ses parents. Avec son premier (modeste) salaire de joueur, il leur offre un faux diamant et une fausse Rolex. Qui deviendront des vrais plusieurs années plus tard, quand il aura empoché ses salaires anglais…

Les Martinez ont les pieds sur terre: voilà ce qui pousse Roberto à s'inscrire, en parallèle au football, à l'université de Saragosse, où il étudie la physiothérapie. "J'ai toujours cru qu'on avait seulement 40% de son futur en mains et que pour devenir un meilleur joueur, c'était important de découvrir d'autres horizons", remarque-t-il dans son livre.

"Cela a été dur pour moi de combiner mes études universitaires et le football de haut niveau. Mais le terrain me permet d'aller mieux quand j'avais raté un examen, et vice-versa. Mon père m'avait mis en garde du danger : ce n'est pas parce que tu as signé un contrat dans un club de Liga que tu es arrivé à tes fins ! Tu devras continuer à étudier ! Je lui ai promis que je resterais concentré sur mes études et que je ne boirais pas..."

Chose promise, chose dûe: Roberto Martinez n'a jamais bu une goutte d'alcool et il a obtenu son diplôme en physiothérapie. Sur le terrain, la tâche semble moins facile. "Chez les jeunes, le filtrage était important. Chaque année, sur une génération de 16 joueurs, cinq devaient s'en aller. Quand on arrivait en équipe réserve, la barre était déjà donc extrêmement haute."

Le médian défensif se hisse jusqu'en équipe première de Saragosse, pour y disputer ses 35 premières minutes face à l'Atletico Madrid, le 20 juin 1993. "Du jour au lendemain, je me retrouvais à côté de joueurs que j'avais admirés comme Nayim, qui avait porté les couleurs de Tottenham. Les visages de mes albums Panini étaient devenus ceux de mes équipiers. La semaine d'après, on disputait la finale de la Coupe du Roi contre le Real Madrid. Incertain, Gustavo Poyet a finalement pu tenir sa place et je n'ai pas pu figurer dans la liste des 18. Mais faire partie du groupe pour un tel événement, c'était déjà très excitant..."

"Un joueur intelligent et généreux"

Mais le conte de fées en Liga s'arrêtera là pour Martinez. La saison suivante, il est une valeur sûre de l'équipe réserve mais n'est plus convoqué en première. A l'âge de 20 ans, il décide de reculer pour mieux sauter: direction Balaguer, en D3.

"Roberto était un échelon plus bas mais il est resté super pro”, explique Andreu, qui fut aussi l'un de ses équipiers. “C’était un médian disposant d’une grande intelligence, d’une très bonne technique et qui couvrait beaucoup de terrain. Il n’arrêtait pas de faire des allers-retours. C’était un joueur solidaire et généreux, qui aidait ses équipiers dans les tâches ingrates.”

Le pari de Martinez est gagnant: deux ans plus tard, il rejoint Wigan, en D3 anglaise. Un pays où il construira une belle carrière de joueur et de manager.

Devenu coach pour... éviter le service militaire

Ce n'est pas un hasard si Roberto Martinez est devenu entraîneur professionnel à seulement 33 ans: très jeune, son intérêt pour le football a dépassé le simple fait d'aller taper dans le ballon.

"Quand mon père jouait encore, on discutait beaucoup des choix de ses entraîneurs", raconte-t-il. "On débattait aussi beaucoup du contenu des matches que nous regardions à la télévision. Dans ces moments-là, la maison aurait pu brûler: nous étions absorbés! Il me disait de quelle façon il voulait que le Barça joue, je lui donnais mon opinion sur la tactique Saragosse... Cela m'a beaucoup aidé à comprendre le jeu."

Plus le temps passait, plus il se montrait curieux. "Quand j'étais frustré par l'un de mes résultats, je me relaxais en... regardant d'autres matches. J'étais fasciné de voir comment les joueurs et les entraîneurs réglaient les problèmes de jeu."
En 94-95, nous avions à Balaguer un entraîneur qui était un peu trop court tactiquement”, s’amuse Andreu. “Du coup, Roberto a été l'un des joueurs à prendre les choses en main. Il voyait très clair. Il aimait déjà la mise en place tactique…”

Sa première mission d'entraîneur, il l'endosse au CF Balaguer, pour coacher des jeunes. Sa première motivation: éviter le service militaire, qui pouvait être remplacé par une mission à utilité sociale. “Roberto était alors un joueur emblématique du club, il revenait de Saragosse et tout le monde l’admirait”, nous confie Isaac Solanes, joueur actuel de l'équipe première Balaguer, redescendue depuis en D4. “Il s’occupait des jeunes entre huit et dix ans. Il n’était pas obsédé par le résultat, mais on gagnait quand même la plupart de nos matches. Il était très précis dans les exercices qu’il mettait en place, il ne prenait rien à la légère. Mais il nous laissait toujours nous exprimer sur le terrain.”

L'apprenti entraîneur découvre déjà certaines facettes moins agréables du métier. "J'ai vite constaté que certains parents étaient très... intrusifs", explique Martinez. "Leur passion dépassait parfois celle des enfants et tout le monde avait son opinion sur ce qu'il fallait faire pour l'équipe. Je suis resté ouvert mais j'ai dû instaurer un code de conduite, non pas pour les joueurs mais pour leurs parents! Chez de tels jeunes, on n'aligne pas une équipe pour gagner, mais pour assurer le meilleur développement possible de chacun. A cet âge-là, les jeunes sont très intuitifs et ils adorent voir qu'ils progressent grâce au coach. En Espagne, on insiste d'ailleurs beaucoup sur le talent brut, on le laisse s'exprimer. Sinon, on va former des joueurs tous identiques. C'est ce qui fait la différence entre l'Espagne et l'Angleterre..."

Avec son équipe, Roberto Martinez rencontre une première fois un joueur Barcelonais qui deviendra un très grand entraîneur: Pep Guardiola. A la vue du cliché de ce souvenir, il ne peut s'empêcher de sourire...

Jordi, Johan et la philosophie Cruyff

Une autre rencontre sera bien plus marquante dans la destinée de Roberto Martinez: celle de Jordi Cruyff. La première fois qu'ils se croisent, les deux hommes sont de simples adversaires, sans plus...

"Roberto a le même vocabulaire foot
que mon père"

"Roberto est l’une des rares personnes en qui j’ai une confiance aveugle", nous a confié Jordi Cruyff dans une interview à la DH. "Joueur, il était déjà en train de remplir des carnets de note avec les différents exercices. Il a toujours fait ça. Les gens regardent un match de football en fixant le ballon. Pas lui. Il a une vue d’ensemble, il analysait les mouvements sans ballon. Il a toujours gardé un esprit ouvert à différentes tactiques, différents systèmes, tout en gardant sa philosophie."

Une philosophie à l'accent barcelonais. Et le fils du mythique n°14 est sans aucun doute la personne la mieux placée de la planète foot pour évoquer les influences de son ami. "Roberto est un amoureux du beau jeu qui s’inspire de gars comme Guardiola ou mon père. D'ailleurs, Roberto a le même vocabulaire foot. Quand il utilise des mots-clés qui définissent sa philosophie, j'entends ceux de mon père ! Chacun sa personnalité, mais ils sont proches dans leur approche offensive et dominante. Pour eux, le football est un moyen d’expression.”

Pour des Catalans, natifs ou d'adoption, il ne pourrait en être autrement...