Un art mené à la baguette

Il y a encore trois ans, Lise était derrière un ordinateur. Aujourd'hui, elle fait elle-même le pain dans une boulangerie bio. Nous vous racontons son histoire dans notre nouvelle série "J'ai changé ma vie ". La DH part à la rencontre de gens qui ont décidé de bouger leur vie, de lui donner un solide coup de volant. Témoignage !

Demandez à un enfant ce qu'il voudra faire quand il sera grand. Pompier, astronaute, écrivain... Mais combien d'adultes peuvent dire qu’ils ont réellement réalisé leur rêve ? Combien peuvent affirmer que leur travail est celui dont ils rêvaient enfants ?

En moyenne, 7 Belges sur 10 disent être satisfaits de leur travail. Qu'en est-il des 3 autres ? Le mal-être peut parfois venir du fait que l'on effectue un métier qui ne nous correspond pas ou plus. Cela peut prendre plusieurs années pour s'en rendre compte. Certaines personnes décident de prendre les choses en main et de changer de vie. Différentes formations permettent aux adultes d’effectuer une reconversion professionnelle. Si certains le font par nécessité économique, d’autres le font par passion.
Lise Penne a eu un coup de cœur pour un secteur en pénurie en Belgique : la boulangerie. Cette profession peine à trouver des employés qualifiés pouvant s’adapter aux conditions de travail. Pour Lise, se lever à deux heures du matin est presque devenu un plaisir.

Il est six heures du matin. Lise Penne travaille depuis déjà trois heures dans la boulangerie Hopla Geiss située à Saint-Gilles, en compagnie de Dimitri et François. Tous les trois s'activent à pétrir la pâte, à peser les boules, à façonner des baguettes, à enfourner, à défourner...
Des curieux n'hésitent pas à entrer, attirés par une odeur de pain chaud que l'on peut humer depuis le bas de la rue. La boulangerie n'est pas officiellement ouverte, mais la porte l'est toujours. Les passants voient depuis l'extérieur les boulangers travailler, ce qui donne souvent envie de devenir client.

Lise n'arrête pas en ce mardi matin. Elle pèse, elle façonne, elle enfourne le pain... Elle fait même la plonge ! Pourtant, rien ne prédestinait cette trentenaire à devenir boulangère. Diplômée d'un master en graphisme à l'Erg, Lise commence à travailler à 25 ans, bien loin des fourneaux. Elle travaille pendant plusieurs années en France comme graphiste dans des agences de communication. En parallèle, elle essaye de monter sa propre boite. «Mon but, c'était vraiment de donner un sens à mon activité, d'apporter quelque chose au monde via mon activité professionnelle.» A cette période son grand projet est de développer du graphisme éco-responsable.

À son retour en Belgique, cette Bruxelloise de 33 ans pousse par hasard la porte d'une boulangerie ixelloise bien connue : le Saint-Aulaye. Elle s'y fait alors embaucher en tant que vendeuse, puis elle demande à passer une nuit en pâtisserie et une nuit en boulangerie.
Cette expérience va être décisive pour Lise. Alors qu'elle avait des doutes sur sa carrière dans le graphisme, elle se découvre une véritable vocation pour la boulangerie.

« Ce fut un déclic pour moi. J'étais déjà pas mal mordue... Et mes trois patrons m'ont vraiment transmis leur passion en plus.
C'est à ce moment-là que j'ai décidé de suivre une formation. »

« Être heureux, c'est apprendre à choisir. Non seulement les plaisirs appropriés, mais aussi sa voie, son métier, sa manière de vivre et d'aimer »

Sénèque (citation choisie par Lise)

« Je suis beaucoup plus épanouie dans la boulangerie que derrière un ordi. »
Faire du pain est une véritable passion pour elle ; une révélation même ! « Ce que j'aime dans l'idée de faire du pain, c'est le fonctionnalisme qui découle de la boulangerie. On fait vraiment du pain pour le manger. »
Cet univers est bien loin de toutes les "fioritures" (comme elle dit) du monde du graphisme et du design. Elle parle de la beauté du pain qui ne se résume pas seulement à ses ingrédients. Lise confie, avec enthousiasme, régulièrement pousser la porte des boulangeries par curiosité. Juste par pur plaisir... « Mes potes n’en peuvent plus », confie-t-elle amusée. « Dès que l’on part en voyage, je vais toujours dans une boulangerie. Chaque pays a sa tradition du pain. Il y autant de pains que de pays ! »

« C'est tout un art de le fabriquer ! Ça demande un savoir-faire pour faire du bon pain, dans une société où l'on ne mange que du mauvais pain. »

Lise n'a pas encore fini sa formation qu'elle travaille déjà chez Hopla Geiss. « C'est un métier où si on est passionné, on peut vite être engagé ».

Officiellement, il lui reste encore deux ans de formation avec l'EFP. Toutes les deux semaines, elle doit donc s'absenter un jour pour suivre la partie théorique de la formation. A la fin, Lise obtiendra un certificat qui lui permettra d'exercer, « ou en tous cas, d'ouvrir ma propre boulangerie » explique t-elle. C'est un de ses objectifs d'ouvrir, à terme, sa boulangerie. Elle se laisse encore quelques années pour emmagasiner de l'expérience, mais ce qui est sur, c'est que sa boulangerie sera en toute simplicité.

« Le pain, ce n'est pas quelque chose d'élitiste, et il ne faut pas que ça le devienne. »

Même si elle a encore quelques demandes, Lise ne compte pas reprendre son ancien métier. « Ce que j'aime dans mon métier de graphiste, c'est le sens que je lui ai donné. C'était de la communication écologique, autour de projets qui me passionnent. C'est comme le pain : ce qui me passionne, c'est de faire des pains bio, au levain et à l'ancienne. Du vrai bon pain. » Tout au long de sa carrière, Lise a toujours voulu donner un sens à ses métiers. Aujourd'hui, elle dit avoir trouvé son rôle à jouer dans la société, à son propre niveau.

« Il faut être passionné dans la vie. »

En effet, il faut être passionné pour se lever tous les jours à deux heures du matin. « Ce n'est pas évident mais je suis toujours heureuse de me lever. C'est une partie du métier que j'adore. On se lève pour apporter du bonheur aux gens. C'est aussi un réel plaisir d'aller au boulot en vélo, et de traverser la ville déserte ».

Les doutes ? Elle n'en a encore jamais eu pour l'instant, malgré les difficultés rencontrées. « Le monde ouvrier n'est pas un monde facile ». Physiquement, ce n'est pas toujours une partie de plaisir. Il y a quelques temps, Lise s'est blessée à l'épaule alors qu'elle portait un sac de farine de 25 kg. « Quand on est passionné, cela fonctionne. Si on n'aime pas le métier, on ne tient pas à long terme ». Elle sait qu'elle a trouvé sa voie et son entourage la soutient.
« Ils voient que je suis plus épanouie maintenant qu'en tant que graphiste » affirme Lise.

Ce qu'elle apprécie chez Hopla Geiss, c'est que le "laboratoire" se trouve à l'avant du magasin. Ainsi, « l'ouvrier n'est plus à l'arrière, mais il est devant et il vend également son pain ». Ce changement par rapport aux boulangeries traditionnelles permet de donner un côté plus humain à son travail.

La fin de journée n'est jamais la même. « On n'a pas d'horaire de sortie, cela dépend des jours. C'est le pain qui nous
commande ! ». Suivant la météo, le pain ne réagira pas de la même façon. S'il fait chaud, il gonflera plus vite que s'il fait humide. « Il y a beaucoup de changements d'un jour sur l'autre. C'est ce qui rend le métier aussi passionnant ! ».

Le chiffre :

60% des actifs français ont déjà connu un changement d’orientation professionnelle.
Aucun chiffre n'existe pour l'instant en Belgique, mais on suppose que la tendance est la même.