48 heures avec les drôles de dames d'Anderlecht

Anderlecht est bien en Ligue des Champions cette saison, grâce à son équipe féminine. En août dernier, les filles de Patrick Wachel ont obtenu une qualification historique pour les seizièmes de finale. C’est la première fois que les Anderlechtoises arrivent aussi loin en Coupe d'Europe. Après avoir remporté leurs trois matches de groupe contre le PAOK (5-0), Kvinner (2-3) et Linfield (1-3), elles ont hérité des redoutables Kazakhes du BIIK-Kazygurt.

Pour préparer au mieux cette rencontre, elles ont passé trois jours en mise au vert, loin de leur quotidien d’étudiantes ou de semi-professionnelles. L’occasion de vous montrer comment elles se sont préparées au match de leur vie.

Il est 8h30 quand nous arrivons à l’hôtel situé à La Hulpe. Il y a du monde à la réception et dans le hall d’entrée: des conférences sont prévues toute la journée, indique le planning de l'hôtel. Tout en bas de celui-ci, le logo d’Anderlecht indique qu'une salle est réservée pour la théorie d'avant-match. Au loin, entre les hommes et les femmes d’affaires, on aperçoit Miguel Atilio, le T2. Un café à la main, il est le premier à se présenter au petit-déjeuner.

30 minutes plus tard, les premières joueuses descendent de leur chambre et se dirigent vers le buffet. Thé, café, croissant, fruits... il y a de tout pour satisfaire les Anderlechtoises. À table, l’ambiance est bonne et les joueuses semblent décontractées. Patrick Wachel, l’entraîneur, lance quelques blagues. "Ne faites pas attention, elles n’ont pas encore fait leurs cheveux", lance-t-il avec un large sourire à notre photographe.

Signe d’une bonne entente dans le groupe, les joueuses quittent ensemble la salle du déjeuner pour rejoindre les chambres. Le staff, lui, est toujours à table et en profite pour planifier la journée. "Notre kiné a eu un problème, il ne peut pas venir ce matin. On attendra après-midi pour les massages", commente Patrick Wachel. Jusque 11h30, les joueuses doivent trouver de quoi s’occuper.

Charlotte Tison n’est pas habituée à un tel quotidien. Elle est étudiante en troisième année en économie à la VUB, le penchant néerlandophone de l’ULB, et son rythme de vie est bien loin de celui que peut avoir une joueuse professionnelle. "On a un statut un peu spécial qui nous permet de combiner, mais c’est un peu compliqué parfois."

"Aujourd’hui, le temps n’est pas avec nous. On verra si on va à la salle de sport de l’hôtel ou si on va quand même se promener" , nous confie Patrick Wachel. Finalement, les joueuses ont choisi de se balader, "de prendre un peu l’air". C’est parti pour presque 30 minutes de marche dans le parc entourant l’hôtel… malgré la pluie. "Elles n’aiment pas quand je change les habitudes du groupe. La dernière fois, j’ai changé un exercice et on a été battu. Pour notre dernier match, on était également sorti se promener et c’est pour ça que malgré la pluie elles veulent sortir", raconte Patrick Wachel, amusé.

Patrick Wachel et son assistant Miguel Atilio.

Patrick Wachel et son assistant Miguel Atilio.

Le groupe semble très détendu et de bonne humeur. "Elles ne doivent pas être stressées. Notre objectif, c’était de passer les groupes et maintenant c’est du bonus. On veut aller le plus loin possible évidemment, mais notre contrat est déjà rempli" assure l’entraîneur.

Après quelques minutes, le groupe s’arrête: Laura De Neve s’est tordu la cheville sur le sentier. Rien d'inquiétant à première vue, mais on sait déjà qu’elle ira voir le kiné plus tard dans la journée. La promenade sous la pluie se termine prématurément pour la capitaine des Mauves, qui décide de rentrer à l’hôtel, accompagnée par Laura Deloose. Ses équipières remonteront dans leur chambre quelques minutes plus tard.

13h00: Il est l’heure du repas pour les joueuses et le staff du RSC Anderlecht. "Le club et l’hôtel se sont mis d’accord sur un menu à servir aux joueuses", nous confirme Maaike Longin, l’attachée de presse de l’équipe. L’équilibre nutritif d’un sportif de haut niveau est important. "Poisson, viande, légumes cuits, pâtes", résume le coach avant de préciser qu’en dessert, il y aura de la tarte au riz et des fruits frais.

Les joueuses sortent de table aux alentours de 13h45-14h00. Rapidement, elles regagnent leur chambre. Avec le training d’Anderlecht sur le dos, le groupe ne passe pas inaperçu dans les couloirs de l’hôtel. Alors que les joueuses sont parties se reposer, le staff en profite pour se réunir.

"J’ai dû déplacer notre prochain match contre le Standard et celui de Gand aussi", explique Patrick Wachel. "C’est un peu du travail administratif, mais c’est parce que je dirige l’organisation générale de la section féminine. Après, il y a d’autres personnes qui m’aident ponctuellement comme Maaike Longin, Frédéric Broos, responsable infrastructure, et Bert. Tout le monde au club essaye de faciliter la progression des femmes et ça, c’est plutôt bien."

Lors de cette petite réunion, le staff en profite aussi pour préparer la théorie du soir et pour discuter de la rencontre du lendemain. Si la section féminine d'Anderlecht a pu se développer ces derniers mois et obtenir ces résultats, c'est notamment grâce à l’arrivée de Marc Coucke, qui est proche des joueuses et des supporters.

Pendant près d’une heure, Tim Vollon, le kiné de l’équipe, masse les joueuses qui le souhaitent. Il occupe une place importante dans l’équipe. "Je suis ici pour assurer les soins avant et après les matches. Du coup, je dois suivre les rencontres et les entraînements pour connaître l’évolution de certaines joueuses, mais aussi pour voir qui a mal." Il raconte que des liens se sont créés entre lui et les joueuses: "Il y a une proximité et une confiance mutuelle qui se sont installées. Je pense que c’est important pour elles de se faire masser. En plus, elles sentent qu’elles sont suivies et c’est bon pour le moral de l’équipe."

Le départ pour le stade était prévu à 17h00 mais le coach craint des ennuis de circulation et le rendez-vous dans le hall de l’hôtel a été avancé de trente minutes. On s’attend alors à voir le car d’Anderlecht arriver mais rien de tout ça. Patrick Wachel nous explique que toutes les joueuses et le staff se rendront au stade avec leur voiture personnelle. "On doit faire attention au budget qu’on a. Mais le car nous attend là-bas. On reviendra en car à l’hôtel et demain, on l’aura pour toute la journée."

Même si on nous confirme que ce n’est qu’exceptionnel, la scène est un peu surréaliste. Les joueuses se répartissent dans les voitures, direction le Lotto Park.

Nous arrivons au stade vers 17h15 en même temps que les joueuses et le corps arbitral. Mais les règles de l’UEFA sont strictes, la presse ne pourra rentrer qu’à 18H00. Quand les portes s’ouvrent, il n’y a pas un seul journaliste présent, nous sommes les seuls à avoir fait le déplacement.

"L’entraînement de ce soir, c’est une simple remise en jambes. C’est pour que les automatismes reviennent, pour se repérer aussi sur le terrain et dans le stade." Les dames d’Anderlecht n’ont pas l’habitude d’évoluer sur un tel terrain. On ressent une certaine fierté chez Charlotte Tison au moment ce match au sein du Lotto Parc. "Ça nous donne un boost et ça montre que les dirigeants du club nous soutiennent à 100%. Ils n’ouvrent pas le stade pour tout le monde. On progresse et ils veulent le montrer au grand public, ainsi qu’aux supporters des hommes. Ça nous fait plaisir, on veut montrer qu’on est capable de jouer au football, même aussi bien que les hommes."

Le coach nous détaille le dernier entraînement de son équipe: "Pour aujourd’hui, ce sera un échauffement classique avec un exercice de circulation de balle et avec de la finition. Et on terminera par un jeu de position." Durant l’entraînement, on sent que les choses sérieuses commencent, la rigolade et la décontraction font place à la concentration.

Après l’entraînement, les joueuses retournent à l’hôtel pour le souper. La théorie vient conclure la longue journée des joueuses. Même si nous ne pouvons pas y assister, le coach nous dévoile dans les grandes lignes ce qu’il s'est dit lors de cette session. "Avec mon staff (T2 et T3), on a récupéré des vidéos Youtube de Kazygurt. On a notamment des images de leur match contre le Barça, des matches amicaux et des matchs de groupe. On va tous les trois un peu décrire l’équipe qu’il y a en face pour que les filles puissent un minimum savoir contre qui elles vont jouer. Sans pour autant leur bourrer la tête avec un tas d’informations."

Ces informations seront capitales pour les filles qui ont bien retenu la leçon. "On sait qu’elles sont fortes au vu des vidéos qu’on a pu voir. Elles ont de l’expérience en Ligue des Champions et il ne faudra clairement pas les sous-estimer", prévient la jeune Charlotte Tison. La capitaine, Laura De Neve, se méfie également de cette équipe.

Le jour du match, la préparation est presque la même que la vieille et débute par un réveil musculaire, avant le petit-déjeuner, la promenade et le dîner. Le tout entrecoupé des moments de repos.

"C’est une préparation un peu spéciale. Ces derniers temps, on a été fort occupées avec la Ligue des Champions. On a que ça dans la tête. Des moments comme on le vit ici, ça nous permet de faire plus attention à la récupération et au repos", explique la médian Charlotte Tison.

Les joueuses prennent ensuite la direction de l’académie, à Neerpede, où elles se retrouvent pour une collation avant de partir pour le stade.

Le groupe est assez impatient de commencer ce seizième de finale. "Ce sera une grande première pour nous toutes à ce niveau. On est motivées et prêtes à tout donner même s’il y a un peu de stress, ce qui est normal", assure Charlotte Tison. Laura De Neve était dans le groupe des Red Flames à l’Euro 2017, elle a un peu plus d’expérience du haut niveau. Pour elle, c’est un grand pas pour le foot féminin : "On est entrées dans l’histoire d’Anderlecht, on est très contente d’être arrivées à un tel niveau."

Laura De Neve, capitaine de l'équipe.

Laura De Neve, capitaine de l'équipe.

Les filles profitent de la cantine pour prendre un dernier repas avant le match. Le repas qui leur est servi est le même que celui des hommes avant une rencontre. "Il faut qu’on mange au moins 3 heures avant le match", explique Patrick Wachel. Le menu est plus spécifique pour le jour J "Il y aura des légumes cuits et des pâtes notamment. On préfère éviter les légumes crus avant un match", poursuit l’entraîneur.

Les joueuses sont plus concentrées mais restent détendues. Après la collation, il y a une dernière séance de théorie qui est essentiellement tournée sur le jeu à mettre en place: "On se focalise vraiment sur notre jeu, nos points forts. On va rappeler qu'il faut faire attention à telle joueuse ou telle joueuse. Mais on va principalement parler de notre équipe", explique Patrick Wachel.

Du côté des joueuses, elles ont l’habitude de cette dernière séance avant d’entrer en scène. "C’est un moment important, car c’est un speech de motivation" raconte Charlotte Tison. Le match débute alors dans quelques heures et l'ensemble du groupe entre dans sa bulle.

Charlotte Tison.

Charlotte Tison.

Alors que les joueuses montent sur le terrain pour s’échauffer, le public commence doucement à remplir les gradins qui font face à la tribune d’honneur. Les Anderlechtoises savent qu’il y a un coup à jouer face à cette équipe. C’est également le moment de voir si la préparation a été assez bonne pour se frotter à l’une des meilleures équipes d’Europe.

On assiste à un début de match assez timide. Il faut attendre la 20ème minute pour voir la première vraie occasion grâce à une frappe de Tobola. Ensuite, Vatafu passe tout près de l'ouverture du score pour Anderlecht. La réaction de Kazygurt ne se fait pas attendre et Justien Odeurs doit s’employer pour sauver les Mauves.

Au retour des vestiaires, Kazygurt accélère le jeu et grâce un pénalty transformé par Litvinenko, les Kazakhes prennent l’avantage à la 52ème . Quelques minutes après le but, Laura Rus, qui avait déjà été avertie, écope d’une deuxième carte jaune pour rouspétance. Anderlecht se retrouve à 10. La tension monte d’un cran et dans le jeu les Anderlechtoises n’a rien à envier à Kazygurt. Anderlecht revient dans le match à moins de 20 minutes de la fin. Sur un corner de Merchiers, Vanhamel envoie le ballon au fond des buts d’une tête puissante. Le score ne changera plus et les deux équipes se quittent dos à dos.

Après le match, on constate que la préparation a été bonne et que les filles ont réussi à tenir tête à une grosse écurie européenne. "On a un bon staff, qui a tout fait pour nous. C’était une préparation incroyable. C’est difficile de gérer le planning des filles, car certaines sont encore étudiantes ou bossent à côté du foot. Se retrouver ensemble comme on l’a été, c’était le bon moyen d’être performantes. On doit vraiment remercier le staff pour ce qu’il a fait", commente Britt Vanhamel.

Pour le match retour, la préparation ne changera pas nous confie Patrick Wachel : "Elle ne sera pas plus spécifique que celle que nous avons faite. Ce sera évidemment très professionnel." Miguel Atilio, l’assistant de Wachel, est confiant pour le match retour: "On sait à quoi s’attendre là-bas, maintenant." Charlotte Tison abonde dans son sens: "On connaît un peu plus cette formation. On sait qu’on devra les presser directement pour les contrer".

Se rendre au Kazakhstan nécessite un long voyage (environ 5 000 km), se rendre à Kazygurt est encore plus périlleux (presque 6 000 km). Miguel Atilio redoute un peu se long périple : "Un voyage comme celui-là, ça peut avoir un impact sur les joueuses. Elles peuvent être fatiguées. Certaines sont habituées aux longs trajets avec les équipes nationales, d’autres non. Il faudra qu’on garde l’équipe en forme jusqu’au jour du match."

La médiane Charlotte Tison est un peu plus catégorique : "On a une journée de vol, ça va être long mais bon, elles l’ont fait aussi pour venir et elles ont réussi à tenir bon. Donc je pense qu’on a pas d’excuse et qu’on devra jouer normalement." Quand on évoque le trajet que devront réaliser les filles de Wachel, on se rend compte très vite que c’est un peu le parcours du combattant qui les attend. "On part de Bruxelles vers Amsterdam, où on prend l’avion vers Ankara. Quand on arrive en Turquie, on prend un avion vers Chimkent, où on jouera notre match moins de 48 heures après notre arrivée sur place", détaille Patrick Wachel.

Une joute retour prévue le 25 septembre à 12h00 (08h00, heure belge) lors de laquelle les Anderlechtoises tenteront d’aller chercher une qualification historique pour le prochain tour de la Ligue des Champions féminine.