Anderlecht - Barcelone

Il y a 30 ans, les Mauves éliminaient le Barça de Cruijff

Les jeunes supporters d’Anderlecht ne peuvent qu’en rêver, mais il fut un temps où le Sporting éliminait le grand FC Barcelone. Le 1er novembre 1989 - il y a exactement 30 ans - l’Anderlecht d’Aad De Mos a réalisé ce chef d’œuvre au Camp Nou.

En huitième de finale de la Coupe des Coupes, les Anderlechtois se sont payés le scalp du grand Barcelone, entraîné par Johan Cruijff, véritable légende en Catalogne. À travers les témoignages des héros de l'époque ainsi que des photos et des vidéos d'archives, voici une reconstruction de ce match historique.

La préparation du clash entre les deux clubs emblématiques commence bien avant leur première confrontation du 18 octobre.

Quelques jours après avoir sorti les Irlandais du Nord de Ballymena (6-0 et 0-4), De Mos part à Majorque pour scouter Barcelone. “Je devais faire une escale à Barcelone”, nous raconte le Néerlandais. “Je tombe sur qui à l’aéroport de Barcelone ? Sur l’équipe du Barça, coachée par Johan Cruijff. Johan a eu la gentillesse de m’inviter à bord de leur avion.”

De Mos avait eu Cruijff comme joueur à l’Ajax: ils avaient gagné le doublé. L’affrontement entre les deux clubs était un duel de prestige entre Le Professeur et son Élève. “Johan se méfiait d’Anderlecht”, se souvient De Mos. “Il avait envoyé son bras droit Carles Rexach pour nous visionner à Saint-Trond. On a explosé Saint-Trond par 0-4 avec le meilleur football de mon époque anderlechtoise. Le soir, nous étions en mise au vert à L’Hôtel Président à Bruxelles. Rexach y logeait aussi. ‘C’est ce football-ci dont nous rêvons à Barcelone, Mister De Mos’ ”, me disait Rexach.

Le 18 octobre, 30.000 supporters s’étaient déplacés au Stade Constant Vanden Stock pour le match aller. “Avant la rencontre, Cruijff était venu me trouver. Il était impressionné par l’ambiance. ‘Quand ce stade est rempli, il peut faire peur à n’importe qui’, me disait-il. Les temps ont changé (Rires).”

Anderlecht prend facilement le dessus sur Barcelone. Le Serbe Milan Jankovic (1-0 à la 10e sur centre de Gudjohnsen) et Marc Degryse (2-0 à la 46e sur une contre-attaque) trompent le grand Zubizarreta. L’écart aurait dû être plus important, mais le tenant du titre en Coupe d’Europe limite les dégâts.

Par contre, le Barça sera privé de sa vedette, Michael Laudrup, au match retour. Marc Van der Linden raconte: “De Mos avait préparé son match dans les détails. Vu que Laudrup était menacé, un des objectifs était de l’énerver à fond, pour qu’il se prenne une jaune. On y est parvenu.” Frustré, Laudrup s’est pris un avertissement après une faute sur Georges Grün.

Les deux buteurs étaient les hommes du match. “C’était un des meilleurs matchs et un des plus beaux souvenirs de ma carrière”, dira Degryse, transféré pour 2,25 millions d’euros de Bruges cette saison. Et quid de Jankovic ? Milan, qui habite actuellement en Australie, venait du Real Madrid et était un virtuose du ballon rond. “C’était un bon vivant”, dit Grün. “Il aimait boire un verre et manger un bon bout. Mais quel joueur ! Il était génial et nonchalant à la fois, comme un Lozano. Et quel gars charmant. Je l’adorais. Edi Krncevic m’a dit qu’il a repris des pâtisseries en Australie.”

Marc Degryse inscrit le deuxième but des Mauves au Stade Constant Vanden Stock.

Marc Degryse inscrit le deuxième but des Mauves au Stade Constant Vanden Stock.

Milan Jankovic, un des héros du match aller.

Milan Jankovic, un des héros du match aller.

Avant le match retour, Anderlecht ne se fatigue pas en Coupe de Belgique au Cercle Bruges (0-1, but de Degryse). “De Mos n’hésitait pas à sacrifier des matchs belges pour briller en Coupe d’Europe”, explique le gardien Filip De Wilde. Malgré cela, le Sporting survole la concurrence (8 victoires et 2 nuls) dans le championnat de Belgique.

De Mos confirme sa préférence pour des succès européens. “Constant Vanden Stock partageait mon avis. Il voulait marquer l’histoire en Europe. Il attachait beaucoup d’importance à ce genre de matchs prestigieux. Or, il n’a pas donné de prime supplémentaire pour ce match à Barcelone. Il savait que les joueurs étaient assez motivés. Ce n’est que quand on jouait dans le froid à l’extérieur contre des petits clubs comme le Lierse ou Beveren, qu’il venait me trouver: ‘Je ne ferais pas quelque chose ?’ (Rires)” Les joueurs de Barcelone, eux, reçoivent une grosse prime en cas de qualification: 45.000 euros par joueur, selon les médias locaux. Une somme énorme à cette époque.

Le 30 octobre, Anderlecht débarque à Sitges, une ville balnéaire à 35 kilomètres de Barcelone. Patrick Vervoort sourit: “C’était la saison morte, il n’y avait que des pensionnés dans l’hôtel”, raconte-t-il. “On a demandé à Michel Verschueren de pouvoir déménager. Il râlait, parce qu’il devrait payer deux hôtels, mais il nous en a trouvé un autre dans le centre-ville. En échange, on lui a promis de qualifier son équipe pour le prochain tour.”

Le jour J est arrivé. Le 1er novembre 1989, près de 100.000 spectateurs - dont quelques milliers d’Anderlechtois - garnissent l’imposant Camp Nou. Van der Linden: “Je me souviens d’une anecdote à quelques minutes du début du match. On était dans le vestiaire après l’échauffement. De Mos avait envoyé son T2 Jean Dockx vérifier la pelouse. Et en effet. Comme il l’avait vu lors d’autres matchs du Barça, ils étaient en train d’arroser le terrain. De Mos a obligé tout le monde à mettre ses chaussures avec studs en fer.”

Anderlecht survit à la première mi-temps, malgré la blessure de Georges Grün. “J’avais de terribles maux au dos”, nous narre Grün. “Je ressentais des coups de couteau lors de chaque effort.”

Quelle surprise: au lieu de le remplacer par un autre défenseur - le score était de 0-0 - De Mos fait monter Luc Nilis, avec qui il avait eu quelques frictions.

En début de seconde mi-temps, Anderlecht s’écroule. Salinas (après un tir dévié par Van Tiggelen) et Beguiristain (d’une volée dans le toit du but de Filip De Wilde, après une perte de balle du regretté Keshi) font exploser le stade. “Le drame, la catastrophe. Anderlecht assommé par Barcelone”, s’exclame Frank Baudoncq en direct à la RTBF.

Anderlecht plie mais ne craque pas, et reprend du poil de la bête. Van der Linden reçoit quelques demi-occasions, mais les rate. La meilleure est pour le Danois Hendrik Andersen, qui avait dribblé quatre adversaires avant de déposer le ballon à côté du but. Vervoort: “C’était une action typique pour Hendrik, qu’on surnommait ‘Jerommeke’ (NdlR: le cascadeur doté d’une force surhumaine de la bande dessinée flamande), tellement il était fort. Il faisait de la lutte dans sa chambre d’hôtel avec l’autre Scandinave, Arnor Gudjohnsen.”

Finalement, des prolongations et/ou tirs au but doivent partager les deux adversaires. Anderlecht domine de plus en plus les Catalans, et à la 97e, le miracle se produit. Esseulé sur la droite, Charly Musonda brosse le ballon au second poteau, où surgit Van der Linden. “Je devais toucher le ballon plein de la tête. Je ne pouvais pas me permettre de rater cette occasion. Et j’y suis parvenu. Ma tête piquée n’a laissé aucune chance à Zubizarreta.”

En extase, Van der Linden s’en va fêter son but au poteau de corner, suivi par ses coéquipiers. “À des moments pareils, on est sur une autre planète”, dit l’Anversois. Pendant ce temps, une scène inédite se produit dans la tribune d’honneur. Michel Verschueren nous la raconte: “Constant Vanden Stock était toujours très réservé pendant les matchs. Il ne montrait pas ses émotions, et il voulait que la délégation ne fête pas avec de grands gestes les buts d’Anderlecht. Mais là, je me suis foutu du protocole. J’étais à la même rangée que lui, seul un couloir nous séparait. Quand Van der Linden a marqué, je me suis levé et j’ai été embrasser Constant. Je peux vous garantir qu’il me serrait aussi dans ses bras. C’est ma plus belle victoire européenne, après la finale gagnée contre Benfica.”

Lors des 13 dernières minutes, Anderlecht n’est plus menacé. Le Sporting mérite amplement sa qualification. Les Barcelonais acceptent la défaite et échangent leur maillot. Van der Linden reçoit celui de Luis Milla, De Wilde celui du grand Zubizarreta. “Malgré notre qualification, je trouvais que les stars jouaient à Barcelone, et pas à Anderlecht”, dit De Wilde. Et je me considérais comme un tout petit gardien, comparé à Zubi. Je n’avais d’ailleurs pas été si important que cela. C’est à Bucarest, en demi-finale, que j’ai fait un superbe match. ”

Nous voici éliminés. C’est la Coupe. Anderlecht a droit aux félicitations pour ce qu’il a montré ”
Johan Cruijff, entraîneur du FC Barcelone en 1989

À l’issue du match, quelqu’un frappe à la porte du vestiaire visiteur. De Mos: “Ce n’était pas Cruijff. Il avait envoyé un de ses adjoints, Tonny Bruins Slot, pour nous féliciter et pour dire que la qualification était méritée.”

La nuit, la victoire se célèbre dans le bar de l’hôtel, mais pas en ville. En effet, quelques jours plus tard, Anderlecht se déplace à Malines, le deuxième au classement. “On a quand même vidé le bar de l’hôtel”, se souvient Vervoort. “ Jankovic, Degryse, Van Tiggelen et moi, on a bien fêté cela... ”

Deux jours plus tard, Malines - Anderlecht se terminera sur le score de 0-0. Pendant la seconde partie de la saison, Anderlecht perdra trop de bêtes points, ce qui permettra à Bruges de remporter le titre. Anderlecht atteindra la finale de la Coupe des Coupes, que le Sporting perdra face à la Sampdoria (2-0 après prolongations).

Taxi mauve sur les Ramblas

Envoyé spécial de La Dernière Heure lors de ce Barça-Anderlecht, Miguel Tasso évoque l’ambiance bouillante du Camp Nou en ce 1er novembre 1989.

Ce match retour des huitièmes de finale de la Coupe des Coupes dégageait un petit parfum de soufre. Battu 2-0 à l’aller, le Barça, tenant du titre, entendait bien renverser la situation. Les deux quotidiens sportifs de la ville – Mundo Deportivo et Diario Sport – s’étaient d’ailleurs chargés de faire grimper la température à grands coups de titres provocateurs. Et les déclarations maladroites de Juan Gaspart avaient ajouté un peu d’huile sur le feu. Avec un humour un tantinet arrogant, le vice-président blaugrana avait carrément laissé entendre que son club se qualifierait coûte que coûte, même s’il devait payer l’arbitre !

La tension était d’autant plus grande que les précédents duels belgo-espagnols avaient été souvent très houleux. En 1978, le Sporting de Raymond Goethals avait ainsi fait les frais d’une terrible "remontada" en huitièmes de finale de cette même Coupe des Coupes. Battu 3-0 à l’aller, le Barça s’était qualifié aux tirs au but au retour dans une ambiance tendue comme une corde de violon. En 1982, c’était le Standard (toujours avec Raymond Goethals sur le banc) qui était tombé, en finale de cette C2, face au Barça dans un Camp Nou en délire et après un arbitrage ultra-casanier de l’Allemand Walter Eschweiler. Et faut-il rappeler que le Sporting d’Anderlecht avait, en 1984, subi l’une des pires corrections de son histoire européenne en huitièmes de finale de la Coupe de l’UEFA. Après avoir gagné 3-0 au Parc Astrid, il s’était incliné 6-1 face au Real Madrid au stade Santiago Bernabeu. Bref, ce nouvel épisode attise à nouveau le feu des (mauvais) souvenirs et de toutes les passions.

En ce 1er novembre 1989, le Camp Nou affiche évidemment complet à 18 heures. Le stade est en phase de rénovation pour accueillir les Jeux Olympiques de 1992 mais il présente encore sa version vintage, avec des places debout. Avec plus de 90.000 supporters désireux de transformer le jour des morts en jour de résurrection, l’ambiance est électrique dans l’arène catalane. Lorsque l’hymne retentit, le stade est en ébullition. "Tot el camp es un clam..."

A cette époque, le Barça fait évidemment déjà partie des grands d’Europe. Mais il n’a pas encore son aura actuelle. Icône du club, Johan Cruyff a pris place sur le banc depuis un an et a, d’entrée, offert une Coupe des Coupes à ses couleurs (2-0 face à la Sampdoria en mai 1989). En vérité, il s’efforce de changer le style de jeu de l’équipe en le rendant plus chatoyant mais cela prend forcément un peu de temps malgré la présence de joueurs comme Ronald Koeman, Baquero, Beguiristain ou Laudrup (absent face au Sporting). Quelque part, en talent pur, Anderlecht tient donc largement la comparaison.

La première mi-temps des Bruxellois le confirme. Maîtres du ballon, les hommes de Aad De Mos contrôlent la rencontre, faisant taire le brouhaha du stade. En deuxième période, avec l’entrée au jeu du feu-follet Onesimo à la place d’Ernesto Valverde (actuel coach du Barça), le scénario change complètement. Le Sporting se retrouve dans les cordes et encaisse deux buts dans une ambiance défiant la raison. C’est à peine si le clocher de la Sagrada Familia ne vacille pas lorsque Txiki Beguiristain inscrit le deuxième but blaugrana et remet les deux équipes sur un strict pied d’égalité. En tribune de presse, les radioreporters catalans manquent de s’étouffer dans leur micro!

Les prolongations s’annoncent difficiles pour les Mauves. Mais ceux-ci sont physiquement plus costauds et le but de Marc Van Der Linden récompense, in fine, leur supériorité. Juan Gaspart quitte la tribune d’honneur tête basse, sans faire le moindre commentaire. Et, le soir, sur les Ramblas, ce sont les supporters anderlechtois qui occupent la scène et font tourner à la fois les serviettes et les taxis. Le lendemain, la presse catalane reconnaît que les meilleurs sur l’ensemble des deux matches se sont qualifiés. Johan Cruyff opine du chef. Le coach hollandais se nourrira de cette défaite pour construire sa Dream Team qui remportera quatre Ligas consécutives entre 1990 et 1994 et, surtout, sa première Ligue des Champions en 1992 avec un certain Pep Guardiola au milieu du terrain.

Milan Jankovic avec plusieurs barcelonnais sur le dos, lors du match retour.

Milan Jankovic avec plusieurs barcelonnais sur le dos, lors du match retour.

Milan Jankovic avec plusieurs barcelonnais sur le dos, lors du match retour.

Les Mauves, de blanc vêtus, fêtent le but de la qualification de Van der Linden dans les prolongations.

Les Mauves, de blanc vêtus, fêtent le but de la qualification de Van der Linden dans les prolongations.

Les Mauves, de blanc vêtus, fêtent le but de la qualification de Van der Linden dans les prolongations.