Jean-Mi, l'histoire d'une légende

Ce jeudi soir, c’est dans la salle du Logis Auderghem, son club, que Jean-Michel Saive disputera sa dernière rencontre officielle de tennis de table. Pour l’occasion, la salle sera certainement trop petite pour accueillir tous les fans de celui qui a fait vibrer le cœur du ping belge pendant des décennies.

Un moment qui s’annonce chargé en émotion, tant pour notre Jean-Mi national que pour ceux qui l’ont suivi tout au long de sa carrière. Et pour marquer le coup, nous avons ouvert l’album souvenirs de Jean-Mi pour se replonger au cœur de son année 1994, la plus belle de sa carrière, mais aussi pour évoquer avec lui ses sept participations aux Jeux Olympiques.

1994: Jean-Mi se hisse sur le toit du monde

Champion d’Europe à Birmingham ; vainqueur de l'European Master, du Top 12 européen et de la Ligue européenne ; n°1 mondial du 9 février 1994 au 8 juin 1995 ; et vainqueur pour la première fois de la Coupe d’Europe des clubs champions avec La Villette, 1994 est indéniablement l’année de référence pour Jean-Michel Saive. Celle qui lui a permis d’asseoir sa domination sur le tennis de table mondial. "Hormis la Coupe du Monde, où j’ai quand même eu une balle de match contre Gatien en décembre, j’ai tout gagné lors de cette année 1994. Ma plus grande fierté, c’est sans doute d’avoir connu l’apogée de ma carrière alors que je bataillais avec le meilleur joueur de tous les temps", nous explique Jean-Mi.

Tout commence à Arezzo

Cette formidable année 1994, qui le conduira au titre de champion d’Europe, c’est à Arezzo, lors du Top 12, qu’elle a débuté pour Jean-Michel Saive. Grâce à sa victoire sur Jan-Ove Waldner, le meilleur joueur de tous les temps, en finale, Jean-Mi a commencé à écrire sa légende. "Alors que je revenais d’une tournée All Stars en Asie, de laquelle je n’avais pas digéré le décalage horaire, j’ai atteint un très bon niveau de jeu, terminant premier de ma poule en ne perdant qu’un match. J’atteins ensuite la finale, en sachant que si je bats Waldner, je deviens n°1 mondial. Ce match fut très serré et alors que je menais d’un boulevard dans le dernier set, Waldner est revenu à 20-18 m’octroyant une sacrée dose de stress. Et même quand je regarde encore la vidéo de ce match aujourd’hui, je stresse toujours autant au moment où il fait 20-18 alors que je sais très bien que je vais finir par gagner (rires)."

4 avril, jour de la consécration

Le 4 avril 1994, voilà une date gravée à jamais dans la tête du meilleur pongiste belge de tous les temps. C’est ce jour-là qu’il décroche le titre de champion d’Europe, devenant le premier Belge de l’histoire à s’imposer à un tel niveau. "Comme j’étais devenu entre-temps n°1 mondial mais que je n’avais pas encore gagné un championnat d’Europe ou un championnat du Monde, certains disaient que Waldner était le vrai n°1 et pas moi. Quand on s’est retrouvé en finale, je ne voulais pas perdre une troisième grande finale dans ma carrière et lui voulait remporter le seul titre qui manquait à sa collection. Il a remporté le premier set mais derrière, c’est comme si j’avais pris un uppercut et que je ne voulais absolument pas perdre. Je suis revenu encore plus motivé et déterminé, ce qui m’a permis de gagner 3-1. J’étais alors sur un nuage, au sommet de ma carrière."

La Villette ou quand l’émotion devient collective

Les soirées Coupe d’Europe des clubs champions avec la Villette sur la RTBF, personne ne les a oubliées. Même les non initiés ont succombé, se prenant au jeu et vibrant au rythme des exploits de Jean-Mi et ses équipiers. Si le club carolo remportera sept fois la compétition, la victoire de 1994, la première, reste certainement la plus belle. "Après être passé à un set du sacre européen l’année précédente, nous avions à cœur de faire oublier cette énorme désillusion. Les images du moment où je bats Rosskopf lors de cette finale sont sans commentaire. La Garenne était un véritable chaudron et ce fut la folie." Une consécration collective dans un sport qui reste avant tout individuel, c’est une émotion toute particulière. "C’était l’aboutissement pour un club et une ville qui faisait un maximum pour le sport à ce moment-là. C’était le rêve des dirigeants."

70 semaines dans la peau du n°1 mondial

L’année 1994 sera encore marquée par une victoire en Ligue européenne et une autre à l’European Masters ("Le tournoi où j’ai joué à mon meilleur niveau. J’avais l’impression que je pouvais faire ce que je voulais et que ça passait"). C’est aussi cette année-là que Jean-Mi s’empare du siège de n°1 mondial. Une position qu’il conservera pendant 70 semaines, du 9 février 1994 au 8 juin 1995. "En remportant le Top 12 européen, je savais que j’allais occuper cette place de n°1 mondial. Ça a été le moment le plus fort de ma carrière. J’ai été pris par les émotions, à tel point qu’une fois dans le vestiaire, j’ai eu du mal à reprendre ma respiration. C’est la première fois dans ma carrière où ça a été aussi fort. Ce fut un moment entre planer, suffoquer et du stress dans la nuit qui suivait car je me demandais de quoi allait être fait le lendemain. Heureusement que les compétitions se sont vite enchaînées."

Du jour au lendemain, Jean-Mi est devenu l’homme à battre. Une étiquette avec laquelle il a appris à vivre. "Ce n’était pas évident à gérer. Tout le monde veut la peau du n°1 mondial et se transcende lorsqu’il l’affronte. Ça a été une période de folie, et c’est incroyable que ça a duré si longtemps car l’écart de points avec les autres n’était pas énorme. Ce fut stressant, passionnant, parfois tétanisant mais j’ai bien géré ça puisque ça a duré 70 semaines d’affilée."

"Le sommet de ma carrière": Jean-Mi est champion d'Europe.

"Le sommet de ma carrière": Jean-Mi est champion d'Europe.

"Le sommet de ma carrière": Jean-Mi est champion d'Europe.

La photo date de février 1995 mais concerne la réception des athlètes belges de l'année 1994 par le couple royal.

La photo date de février 1995 mais concerne la réception des athlètes belges de l'année 1994 par le couple royal.

La photo date de février 1995 mais concerne la réception des athlètes belges de l'année 1994 par le couple royal.

Jean-Mi et son copain Didier Falise (cavalier) aux JO 1988 de Séoul

Jean-Mi et son copain Didier Falise (cavalier) aux JO 1988 de Séoul

Jean-Mi et son copain Didier Falise (cavalier) aux JO 1988 de Séoul

Jean-Mi est porte drapeau de la délégation belge pour la première fois aux JO d'Atlanta (1996).

Jean-Mi est porte drapeau de la délégation belge pour la première fois aux JO d'Atlanta (1996).

Jean-Mi est porte drapeau de la délégation belge pour la première fois aux JO d'Atlanta (1996).

Jean-Mi remporte son dernier match "olympique" face à Marko Jevtovic, aux JO de Londres, en 2012.

Jean-Mi remporte son dernier match "olympique" face à Marko Jevtovic, aux JO de Londres, en 2012.

Jean-Mi remporte son dernier match "olympique" face à Marko Jevtovic, aux JO de Londres, en 2012.

7 Olympiades, 7 histoires de passion

De Séoul à Londres, en passant par Barcelone, Atlanta, Sydney, Athènes et Pékin, la carrière de Jean-Michel Saive a été rythmée par les Jeux Olympiques. Avec sept Olympiades, Jean-Mi détient le record du nombre de participations pour un athlète belge, en compagnie du tireur François Lafortune Jr. Et même s’il n’a jamais décroché de médaille aux JO, la seule ligne qui manque sur son palmarès, le pongiste pose un regard fier sur ses rendez-vous olympiques.

1988 (Séoul): un gamin parmi les stars

C’est en 1988 que l’histoire d’amour entre Jean-Michel Saive et les Jeux Olympiques débute. À Séoul, c’est avec les yeux d’un gamin émerveillé qu’il découvre ce monde si particulier. "Séoul, ça a été la qualification déterminante pour toute ma carrière. Pour me qualifier, j’ai dû battre cinq joueurs qui étaient mieux classés que moi et puis derrière, tout a changé. Je me suis entraîné en Yougoslavie, en Pologne et puis en Chine, avec les meilleurs joueurs européens qualifiés pour les Jeux. Ce fut un véritable tremplin. Mais participer aux JO c’est un rêve qui se réalisait. Même si je n’étais qu’un gamin, je faisais partie de la cour des grands, tout en restant impressionné par tout ce que je voyais."

1992 (Barcelone): première désillusion

Quatre ans après avoir découvert les Jeux Olympiques, Jean-Mi débarque à Barcelone avec un autre statut. Déjà vice-champion d’Europe, sportif de l’année, il fait partie des potentielles chances de médaille pour la Belgique. "C’est ma première désillusion aux Jeux. Je me retrouve dans un tableau loin d’être facile et, surtout, je suis trop crispé, ce qui m’empêche de bien jouer et d’aller loin dans la compétition."

1996 (Atlanta): du Nirvana à l’enfer

Les JO de 1996 à Atlanta restent la plus grande déception de la carrière de Jean-Michel Saive. Alors qu’il avait régné sur le tennis de table mondial au cours des deux années précédentes, il n’est pas parvenu à faire honneur à son statut sur la scène olympique. "Atlanta, c’est très particulier car jusqu’en quart de finale, je jouais comme jamais. Je n’avais pas perdu le moindre set. Et puis, pour la première dans une compétition individuelle, il y a un jour et demi entre les huitièmes et les quarts. Je suis alors sorti de mon tournoi, ça a cassé ma dynamique, un peu comme un cycliste qui doit se remettre d’un jour de repos au Tour de France. Je suis passé au travers de mon match contre Korbel et au final, je sors avec un énorme sentiment de déception."

Pourtant, c’est en 1996 qu’il vit l’un de ses plus beaux moments, dans le rôle du porte-drapeau de la délégation belge. "Ce fut une fierté et un honneur. Je l’espérais et j’ai été très soulagé au moment de l’apprendre dans l’avion qui nous emmenait aux Jeux."

2000 (Sydney): l’heure est à la réconciliation

Les JO de 96 encore dans la tête, c’est avec un match contre… Korbel que Saive doit tenter de faire oublier la déception. "À Sydney, j’ai pelé mon oeuf avec les Jeux. J’ai tué mes démons en battant Korbel 3-0 au premier tour. Par la suite, j’ai encore livré un gros match contre Waldner en huitième. J’ai été éliminé mais avec les honneurs et en m’étant réconcilié avec les JO."

2004 (Athènes): remplaçant et puis supporter de Justine Henin

En 2004, Jean-Mi est à nouveau porte-drapeau de la délégation belge, remplaçant au pied levé Justine Henin, obligée de faire l’impasse puisqu’elle disputait son premier match le lendemain. "C’était complètement inattendu. J’étais chez moi, je voulais arriver plus tard pour ne pas me mettre de pression, décidé à aborder ces Jeux dans le rôle de l’outsider. J’ai donc embarqué en urgence pour Athènes, avant de vivre une bonne compétition et d’être sorti au terme d’un beau match par un Chinois de République Dominicaine. Cette élimination assez rapide m’a tout de même permis de suivre le parcours de Justine Henin jusqu’à sa médaille d’or. C’est un de mes plus beaux souvenirs."

Pékin (2008): au pays du tennis de table

Les Jeux de Pékin, ce sont les plus particuliers pour un joueur de tennis de table. Une compétition au pays du tennis de table. "C’était spécial de se retrouver en Chine. Ce fut aussi très spécial car au moment de mon élimination, je fais signe au public, en pensant que c’est la dernière fois. Je n’ai d’ailleurs pas pu retenir mes larmes."

Londres (2012): c’était écrit

Finalement, les larmes essuyées, c’est bien quatre ans plus tard que Jean-Mi tournera définitivement le chapitre Jeux Olympiques. Avec une septième participation synonyme de record pour la Belgique et pour le tennis de table. "J’avais pas mal joué en 2010 et 2011. Aux Jeux, j’avais gagné mon premier match et puis le lendemain, je me lève avec un dos bloqué. Et c’est dommage car j’aurais pu aller plus loin. Il était donc écrit que je ne pouvais pas briller sportivement aux Jeux Olympiques. Malgré tout, je reste fier d’avoir pu participer à ces sept Olympiades. C’est un record belge, c’est toujours un record pour le tennis de table et puis les Jeux, c’est tellement à part dans la carrière d’un sportif qu’une participation, même sans décrocher de médaille, est pratiquement aussi importante qu’un titre de champion d’Europe ou du Monde."

Quoi de mieux qu'un best of, pour conclure ?

Les meilleurs moments de Jean-Mi ont été compilés dans une vidéo Youtube par la fédération internationale de tennis de table, à la fin 2015.