Jürgen Klopp, Scouser dans l’âme devenu icône d’Anfield

À 53 ans, l’Allemand est entré dans la postériorité comme le neuvième coach champion d’Angleterre avec Liverpool, le premier non-Britannique. Jamais seul, puisque faisant de cette réussite celle de toute la famille du LFC, il marche dans les pas de Bill Shankly, Bob Paisley et Kenny Dalglish.

Au-delà du titre, Kloppo a transformé un mulet du milieu de classement en un cheval de course. Catastrophe s’est mué en “Cata-Klopp” sur le pré d’Anfield. Retour sur une success story.

30 ans ; 362 mois ; 1574 semaines ; 11016 jours. Une génération. Peu importe l’unité, le temps passé entre les 18e et 19e titres de Liverpool n’a que peu d'égal dans l’élite anglaise. Plusieurs fois au cours de ces trois décennies, les Reds avaient cru pouvoir mettre la main sur la Premier League mais jamais les dieux du ballon rond ne leur avaient accordé leurs faveurs. 

“J’avais perdu l’espoir que Liverpool remporte encore un titre”, reconnaissait Jamie Carragher, ancien défenseur emblématique du club. “Cette période sans titre de champion a été un fardeau”, confessait de son côté Phil Thompson, champion sept fois entre 1973 et 1983.

Comme les deux consultants, la ville du nord-ouest a pourtant bien basculé dans l’euphorie ce 25 juin 2020. Loin des drames causés par le coronavirus. Mais même la crise sanitaire n’a pu arrêter les Scousers.

Derrière ce triomphe, un homme : Jürgen Klopp. “Le seul fait de l’avoir amené à Liverpool a payé”, assurait Jamie Redknapp. Une décision prise par la société Fenway Sports Group, propriétaire du club depuis 2010. “Klopp a dépassé nos attentes à bien des égards”, saluait Tom Werner, le président du club. Véritable facteur X, il a refait du LFC le géant qu’il était. “Dès le premier jour où il a franchi la porte, il a tout changé et tout le monde l’a suivi, a cru en lui et a fait ce qu’il disait”, détaillait un Jordan Henderson ému aux larmes jeudi soir. Passées celles de la déception, elles sont désormais de bonheur, sinon de soulagement.

Ces mêmes larmes, Klopp ne pouvait les cacher non plus. Adopté par la ville ouvrière, il a réussi là où tous les autres ont échoué depuis Kenny Dalglish en 1990. Même l’Écossais n’avait pas répété ses performances du XXe siècle en revenant coacher en 2011 et 2012.

L'équipe championne en 1990.

L'équipe championne en 1990.

La glissade de Gerrard contre Chelsea en 2014 avait coûté cher.

La glissade de Gerrard contre Chelsea en 2014 avait coûté cher.

Kenny Dalglish avait été démis de son poste de T1 alors que Liverpool avait terminé huitième en 2011-2012.

Kenny Dalglish avait été démis de son poste de T1 alors que Liverpool avait terminé huitième en 2011-2012.

“Être des croyants
plutôt que des sceptiques”

Le successeur de Brendan Rodgers, lui-même passé près du titre en 2014, donne le ton dès sa présentation le 9 octobre 2015. “En ce moment, ce job est le plus intéressant dans le monde du football”, se réjouit Jürgen Klopp. “Nous devons changer : devenir des croyants plutôt qu’être des sceptiques.” Pas si anodine, cette phrase deviendra un leitmotiv.

Tout comme le “This means more” (NdlR, “Cela signifie plus”) visible partout à Anfield, au centre d’entraînement de Melwood ou encore sur les comptes sociaux du club. Fait pour Liverpool, comme il le reconnaît lui-même, l’Allemand de 53 ans aspire à créer une famille se donnant corps et âme pour le Liverbird. 

Credo qu’il s’impose lui-même, prenant par exemple part aux discussions pour l’érection, en cours, d’un nouveau centre d’entraînement à Kirkby. Un bijou de quelque 50 millions de livres qui ouvrira dans les prochains mois. 

Ambitieux, “Je vous donne rendez-vous dans quatre ans. D’ici-là, je suis persuadé que nous remporterons un trophée”, jure-t-il en arrivant au club, il est aussi conscient que la route sera longue. Notamment car son squad n’est pas à son image. Loin de là.

Héritant d’une équipe partagée entre talents, comme Philippe Coutinho, et noms moins ronflants, tels Alberto Moreno ou Mamadou Sakho, le nouveau mentor des Reds les hisse quand même en finale de la Coupe de la Ligue et de l’Europa League dès sa première saison. Deux défaites, contre Manchester City et le FC Séville, attestent autant des progrès réalisés que du travail considérable encore à fournir. Elles donnent aussi, et surtout, cet espoir réclamé par Klopp à ses débuts. Son autre adjuvant : du temps lui est laissé pour bâtir son projet. Une forme d’anachronisme dans le football moderne.

Inspirant confiance aux propriétaires du club, il bénéficie de moyens considérables. Clairvoyant, il a le don de sortir le chéquier de manière opportune. Sadio Mané, Joël Matip et Georginio Wijnaldum débarquent à l’été 2016. Mohammed Salah, Andy Robertson et Alex Oxlade-Chamberlain un an plus tard. Suivront Virgil van Dijk, Fabinho, Naby Keita et Alisson en 2018 pour compléter le puzzle.

“Ce n’est pas une coïncidence qu’il nous ait menés jusque-là vu les joueurs qu'il a convaincus de venir et la manière avec laquelle il a créé un ensemble avec ceux déjà présents”, assure Jordan Henderson. Au club depuis 2011 et plus ancien membre du noyau, le capitaine sait de quoi il parle. Lui-même, comme tant d’autres, ayant été sublimé par le tacticien allemand. 

Des transferts réalisés pendant l’ère Klopp, seul Loris Karius n’a pas suivi la même évolution. Unique erreur de casting de Klopp, patriotique diront certains, le gardien n’a peut-être pas coûté la Ligue des Champions en 2018 mais ses approximations n’avaient pas aidé ses partenaires contre le Real Madrid.

“Let’s talk about six, Baby”

Une fois encore en C1, le coup était donc passé près, mais ce nouveau faux pas sur la dernière marche ne détournait pas le natif de Stuttgart de sa tâche. 

De manière peu conventionnelle, au bout d’une nuit arrosée après la défaite à Kiev, il promettait en chanson : “Nous la ramènerons à Liverpool.” Le tout accompagné de son fidèle assistant Peter Krawietz. Homme de l’ombre, il n’est jamais oublié dans les louanges émises par le T1, peu adepte d’attirer tous les projecteurs sur lui. Son truc consiste plutôt à diffuser la lumière sur l’ensemble des gens qui l’entourent. Tel est l’esprit de corps qu’il prône.

Sorte de catharsis pour évacuer la frustration de la défaite, cette chanson improvisée fera place un an plus tard à une parodie entrée dans les mémoires, et dont lui seul a le secret. “Let’s talk about six Baby”, entonnera-t-il en direct à la télévision après avoir écarté Tottenham en finale. 

Voilà bien un autre pan de la méthode Klopp : rester soi-même sans se soucier de son image. Certains le trouvent hystérique, d’autres exubérant mais, ce soir-là, tous ont salué le travail abattu pendant ses quatre premières années au club. Fort de ce premier trophée à la tête des Reds, le manager ne se présente ainsi pas les mains vides au rendez-vous donné lors de sa présentation en octobre 2015.

La preuve qu’il est un homme de paroles. Et d’émotions. “À chaque fois que nous allons en finale, mes proches souffrent. Ils méritent cette victoire plus que n’importe qui. Tout comme les supporters.” 

Mais alors que tout autre club la considérerait comme un aboutissement, cette sixième Champions League, un record outre-Manche, n’est qu’une étape. Un catalyseur vers l’objectif ultime : mettre la main sur la Premier League.

L’entraîneur sait très bien qu’elle est visée, attendue, espérée, rêvée plus que tout autre chose. Plus que jamais aussi. Car même les 97 points engrangés (troisième total le plus élevé de l’histoire) en 2018-2019 ne suffisent pas à faire tomber Manchester City de son piédestal. Les Citizens conservant leur bien avec une unité de plus, grâce notamment à une histoire de millimètres (onze, exactement) lors de la défaite des Reds à l’Etihad en janvier 2019, la seule de leur exercice.

“Nous reviendrons pour franchir le prochain palier”, jurait le coach des vice-champions au terme de la saison passée.

Crève-cœur, le titre de City en 2019 a aussi été une motivation pour Liverpool.

Crève-cœur, le titre de City en 2019 a aussi été une motivation pour Liverpool.

“Comme si tu étais un Scouser”

À l'image de leur succès en C1 en 2018-2019 après leur défaite en 2017-2018, les hommes de Klopp vont prouver qu'ils ont la capacité de se remobiliser après un coup dur. Décrochant ce tant attendu 19e titre, 30 ans après le précédent, ils bouclent une année historique qui les aura aussi vus s’adjuger la Supercoupe de l’UEFA en août et leur première Coupe du monde des clubs en décembre. 

Le tout grâce au subtil mélange de leur entraîneur, fait de “gegenpressing”, d’humilité, d’une énorme capacité de persuasion pour convaincre les joueurs du bien fondé de son football énergivore et d’une touche d’histoire. “Le passé de ce club nous a rendus puissants”, confessera le manager après le titre.

En plaçant Liverpool au pinacle, Jürgen Klopp a vaincu la malédiction et scellé définitivement sa place dans le cœur des sympathisants du club. Le tout avec quelques records à la clé, dont celui du titre le plus précoce à sept journées de la fin. Faisant même abdiquer Pep Guardiola très tôt cette saison. Une gageure auraient pu affirmer les adeptes du suspense.

Premier coach non-Britannique titré avec Liverpool, Jürgen Klopp a succédé à Kenny Dalglish. Touché par le coronavirus début avril, King Kenny s’en est remis et a peut-être livré le plus bel hommage envers le T1 des Reds. “C’est comme si tu étais un Scouser”, glissait-il à son successeur au panthéon.

Tombé amoureux de la ville dès le premier jour, le principal intéressé n’a pourtant cure de ce que les gens pensent de lui, du moment qu’il laisse un héritage dans son sillage. "En quittant Dortmund, mes derniers mots signifiaient que le plus important n’est pas ce que les gens pensent de vous quand vous arrivez mais quand vous partez.”

Qu’il se rassure, le peuple rouge est conquis. Avec Steven Gerrard en porte-parole. L’ancien capitaine de légende himself avait exhorté les dirigeants du club à ériger une statue une fois le titre en poche. Klopp n’y voit que peu d’intérêt “de son vivant”. Lui préfère marquer l’histoire durablement. “Je ne pourrais pas être plus heureux, je n’avais même pas rêvé de quelque chose comme cela. Je suis peut-être le mec chanceux à être assis dans ce siège (NdlR, à commenter le titre) mais si je suis là, c’est grâce à tout mon staff, aux nutritionnistes, à la direction, etc. Et la bonne nouvelle, c’est que ce n’est pas fini.”

Ses joueurs et lui ont encore faim de succès : “C’est juste le début. On veut que cela dure des années”, prévenait Gini Wijnaldum. “Je n’ai aucun doute sur notre volonté de nous améliorer. Alors d’autres trophées suivront dans un futur proche”, assurait Jordan Henderson.

Autour de la figure de son manager, la famille Liverpool est plus soudée que jamais depuis 30 ans. Et est prête à relever les défis propres aux néo-champions. Une nouvelle mission pour Lad Klopp.