Kevin De Bruyne

Les maux bleus

Avant de devenir le géomètre en chef des Diables rouges et de Manchester City, Kevin De Bruyne avait connu la galère, la vraie, à Chelsea.

Snobé par un José Mourinho paré sur les ailes et au poste de milieu offensif, et surtout peu sensible au talent de l'ancien Genkois, ce dernier voyait sa carrière s'assombrir, malgré une pige au Werder Brême qui avait confirmé son talent à un plus haut niveau que la Pro League.

C'était il y a six ans, à une époque où le Belge n'était pas encore considéré comme l'un des meilleurs médians de la planète, dépositaire du jeu ultra-complexe de Pep Guardiola à City.

Un temps où un jeune homme né à Tronchiennes voyait "son rêve" virer au cauchemar, vivant six mois à Stamford Bridge plus en somnambule qu'en footeux.

Retour sur ce moment charnière de la carrière du numéro 7 diabolique, un semestre passé sur fond de frustration, entre incompréhension et renaissance allemande.

Kevin de Brême

Janvier 2012. À cette époque, Eden Hazard fait sa tournée d'adieu à Lille, la Belgique attend toujours de se requalifier pour un tournoi international et Megaupload vient tout juste d'être fermé par le FBI. Dans la foulée du naufrage du Costa Concordia, Chelsea boucle son mercato en déposant neuf briques sur le compte en banque de Genk pour acquérir Kevin De Bruyne.

Le plan est limpide: laisser le jeune ailier gauche poursuivre son écolage jusqu'à la fin de la saison dans le Limbourg, avant de le rapatrier à Londres, et le prêter ensuite pour lui permettre de s'étoffer encore un peu plus. La preuve que l'on compte sur lui ? Il signe un contrat de cinq saisons et demi, quelques mois après avoir tapé dans l'oeil d'André Villas-Boas, qui a entre-temps dû laisser sa place à Roberto Di Matteo, puis Rafael Benitez.

Le plan est surtout salutaire pour le joueur. Tout talentueux qu'il soit, KDB ne peut rivaliser d'emblée avec Juan Mata, Frank Lampard, Oscar, Florent Malouda ou encore Eden Hazard, tout juste débarqué pendant l'été pour quarante millions d'euros. À vingt-et-un ans, c'est donc au Werder Brême que sa carrière à l'étranger démarre vraiment, sous la forme d'un prêt sans option d'achat.

Collectivement, le club se plante, avec une quatorzième place qui fait tache. Mais à titre individuel, la première saison de Kevin dans un grand championnat est une réussite: dix buts, dix passes décisives et une position plus axiale de meneur de jeu qui convient mieux à sa vision d'aigle, De Bruyne impressionne. 

À tel point qu'un retour à Chelsea dans la peau d'un titulaire potentiel n'est pas totalement délirant. Au pays, on fantasme sur un potentiel trio Hazard - De Bruyne - Lukaku (qui vient lui-même de rentabiliser son prêt à West Brom) pour apporter un peu de piment au 4-2-3-1 de José Mourinho. Après des expériences à l'Inter et au Real, le Portugais est revenu comme un prince au coeur de l'été 2013.

Si les supporters des Blues se mettent à rêver d'une domination anglaise comme celle mise en place par le squad du Special One au mitan des années 2000, cette arrivée sonne en réalité le glas de la carrière du Diable à Stamford Bridge. 

Klopportunité manquée

De José Mourinho, on connaît son aisance devant les micros des journalistes, toujours ravis de relayer ses coups de sang (ou de génie) en conférence de presse. Mais il semblerait que le coach se soit à l'époque montré nettement moins disert face à son numéro 15. Un élément qu'il place plutôt sur l'aile droite, mais qui ne cumulera que 425 maigres minutes de jeu en cinq mois (et cinq titularisations). 

Une galère pas possible, que le joueur ne comprend pas, lui qui avait l'opportunité de signer au Borussia Dortmund quelques semaines plus tôt. "Jürgen Klopp me voulait et en plus, il prônait le genre de football qui me plaît", expliquera De Bruyne quelques années plus tard dans The Player's Tribune. 

Vu ses états de service au Werder, d'autres clubs allemands sont sur lui. On parle notamment d'un deal où il serait refourgué au Bayer Leverkusen en échange d'André Schürrle, autre flop de Chelsea. "Je pensais que Chelsea me laisserait peut-être partir. Mais Mourinho m'a envoyé un message me disant: 'Tu restes, je te veux dans mon équipe'. Je pensais que j'entrais dans ses plans." 

En réalité, ce n'est pas le cas. Kevin est pourtant sur la pelouse au coup d'envoi du match face à Hull City pour la première journée du championnat 2013-2014. Résultat ? Une passe décisive et un titre de Man of the Match. Il ne quittera malheureusement pas le banc la semaine suivante, avant de gratter une heure de jeu celle d'après contre Manchester United. Après moins de deux semaines de compétition, il s'agit de sa dernière titu sous le maillot blue en Premier League. Déjà.

Une entrevue décisive

Les trois matches de League Cup auxquels il prend part sont nettement insuffisants pour se débarrasser de cette sensation qu'on a joué avec ses pieds. "Quand je suis arrivé en pré-saison, je le sentais bien", poursuit-il, toujours dans cette longue tribune où il revient en long et en large sur son passage à Londres. "J'ai joué deux des quatre premières rencontres de l'année. Ce n'était pas brillant, mais c'était vraiment pas mal. Après quatre matches, c'était fini. J'ai atterri sur le banc et je n'ai plus vraiment reçu ma chance après cela. Je n'ai jamais eu d'explication."

En lieu et place de cela, De Bruyne doit se contenter d'une entrevue un peu lunaire en décembre, au cours de laquelle il a le sentiment de ne pas être apprécié à sa juste valeur. "José m'a appelé dans son bureau et c'était sans doute le deuxième moment qui a transformé ma vie", rembobine-t-il. "Il avait disposé des papiers devant lui et il a dit: 'Un assist. Aucun but. Dix récupérations.'" Soit les stats du Flandrien depuis ses débuts à Chelsea. "Ensuite, il m'a montré celles des autres milieux offensifs (Willian, Oscar, Mata, Schürrle). Et eux affichaint quelque chose comme cinq buts, dix passes dé'." Logique quand on sait que le temps de jeu de ces derniers est nettement plus important. 

"C'était étrange. On a évoqué la possibilité que je reparte en prêt. Mata n'était plus trop bien en cour, lui non plus. José m'a dit: 'Tu sais, si Mata s'en va, tu seras le cinquième choix au lieu du sixième.'Difficile, dans ces conditions, de vraiment imaginer un avenir à Chelsea pour KDB. Lequel rappelle à son entraîneur qu'il est là pour jouer et estime que le club ferait mieux de le vendre. "Je pense que José était un peu déçu, mais je dois lui accorder ça, il a également compris mon besoin de jouer. Le club a fini par me vendre le double de ce qu'il avait payé pour moi et tout s'est arrangé pour moi à Wolfsbourg."

Le bonheur est sur le pré

Déçu, José ? Peut-être. Cela expliquerait sa sortie en août 2015, lorsqu'il doit justifier la vente de son ancien poulain aux Loups du VFL pour vingt-deux millions d'euros. Un prix qui semble dérisoire quand on sait que la valeur actuelle du garçon avoisine les 130 millions d'euros. "Quand vous avez un joueur qui frappe à votre porte tous les jours pour pleurer qu'il veut partir, il faut prendre une décision", déclare le Lusitanien à ESPN. "Si on l'avait vendu un an plus tard, pas heureux, ni motivé, on en aurait touché la moitié. C'était une bonne affaire à ce moment-là." Bim.

Le Mou ne lâche pas la sulfateuse, qualifiant le joueur de "gamin râleur qui s'entraînait mal." "Il a toujours affirmé qu'il s'entraînait bien, mais il a besoin d'être motivé par l'idée de jouer chaque semaine pour cela." La réponse de Kevin ? Elle se fera sur le pré, avec un titre de joueur de l'année en Bundesliga, vingt buts, trente-sept assists et une Coupe d'Allemagne avec Wolfsbourg, plus six trophées (dont deux titres de champion), des records de passes avec Manchester City. Et une certitude: ce KDB-là possède l'étoffe des plus grands.

Il y a quelques années, le prince Harry était condamné à vivre dans l'ombre pesante de son frère William. Un aîné moins renfrogné, plus accessible et souriant que lui, sans doute. Aujourd'hui, c'est bien le rouquin qui est la star de la famille royale britannique. Un retour en grâce comparable à celui vécu par De Bruyne en Angleterre. Pas étonnant que Mister Markle soit à l'origine du surnom dont on affubla jadis le Diable à son arrivée à Londres, finalement...