Le Mans

Retour sur le tournage d'un film culte, avec des Belges ayant côtoyé le sulfureux Steve McQueen

Avec "Grand Prix", "Days of Thunder", "Cars", le documentaire "Senna" et plus récemment "Rush" retraçant la rivalité pour le titre entre Niki Lauda et James Hunt en 1976, "Le Mans" est un des films les plus célèbres sur le sport automobile. Et s'il n'a pas rencontré le succès escompté lors de son lancement et les dix ou quinze premières années, il est devenu culte bien plus tard. Un peu comme son acteur principal véritablement entré dans la légende des années après sa mort d'un cancer du poumon en 1980, alors qu'il venait à peine de fêter ses cinquante ans.

Le mois prochain sortira sur nos grands écrans "Le Mans 66", un film retraçant l'histoire de Carroll Shelby relevant le défi avec Ford de s'attaquer aux mythes des 24H du Mans et de Ferrari. Avec l'acteur américain Matt Damon dans le rôle principal. Un long métrage sortant en salle quarante-huit ans après "Le Mans" réunissant en 1970 deux monuments : le double tour d'horloge sarthois et la star du cinéma américain Steve McQueen.

L'occasion de retracer l'histoire invraisemblable du film sorti il y a un demi-Siècle, dans lequel Steve McQueen a failli perdre la vie, a perdu plusieurs fois les pédales et des millions avant de voir sa femme le quitter. Un tournage de six mois plus dangereux que la course elle-même, avec de nombreux accidents et rebondissements. Ou quand le "making off" est plus intéressant que le scénario lui-même...

Pour mieux évoquer ce tournage pas comme les autres, nous avons retrouvé le Belge Hughes de Fierlant, qui a tourné dans ce film, ainsi que Willy Braillard, participant belge à l'édition 1970 des 24 Heures du Mans.

Paul Newman et Patrick Dempsey sur le vrai podium du Mans

Deux acteurs américains sont réellement montés sur le podium des 24 Heures du Mans : Paul Newman, partenaire de Steve McQueen dans la Tour infernale, en 1979 lorsqu'il termina deuxième de l'épreuve au volant d'une Porsche 935 Mobydick partagée avec Dick Barbour et Rolf Stommelen. Puis Patrick Dempsey (le célèbre « docteur Mamour » de la série « Grey's Anatomy ») il y a quatre ans, deuxième de la catégorie Pro-Am au volant lui aussi d'une Porsche.

Pourtant, le nom du septième art le plus souvent associé au Mans est celui de Steve McQueen, lequel n'a, officiellement jamais participé à la course même si son nom figurait bien sur la liste des engagés 1970 sur sa Porsche 917 aux côtés du champion de F1 Jackie Stewart. Mais les assurances s'opposèrent à sa participation.

A l'origine, "Le Mans" n'aurait jamais dû voir le jour. Passionné de courses automobiles, Steve McQueen voulait depuis longtemps produire un film sur la F1. Il aurait dû s'appeler "Day of the Champion". Il avait déjà dépensé 4 millions de dollars en préparation mais en sortant "Grand Prix" en 1966, avec notamment Yves Montand, John Frankenheimer lui coupa l'herbe sous les roues.

"Le Mans" à la place de la F1 à cause de "Grand Prix"

Il décida alors de se tourner vers l'endurance et une histoire autour de la plus grande épreuve au monde avec les 500 Miles d'Indianapolis et le GP de F1 de Monaco...

"Je me souviens de la première fois que je l'ai vu, derrière mon stand lors des essais des 24 Heures du Mans 1970", nous explique le Belge Hughes de Fierlant qui disputait cette année-là son premier double tour d'horloge aux commandes d'une Ferrari 512S de l'écurie Francorchamps de Jacques Swaters. Un prototype partagé avec Alistair Walker qu'ils allaient mener à une inespérée cinquième place finale. "Il était passionné et prenait son rôle très au sérieux. Il ne pouvait pas courir alors il était là en observateur. Je me souviens qu'il pleuvait beaucoup. Il était seul, n'avait jamais de garde du corps. Il était seulement entouré de groupies. A ce moment, il s'est retrouvé sous le parapluie de ma femme. Une photo a d'ailleurs été publiée de Ginette avec Steve McQueen dans le Elle de l'époque. Elle la recherche encore... Il est clair que toutes les femmes étaient en admiration devant lui.  Moi pas, je ne me rendais pas bien compte de son statut de star planétaire. On ne l'a réalisé que plus tard..."

Une première mondiale avec Solar Production

L'équipe de Solar Production, la société de Steve McQueen enrichie grâce au récent succès de "Bullit", avait commencé à s'installer début juin, quinze jours avant l'édition du Mans 1970 durant laquelle ont surtout été filmées pas mal de scènes d'ambiance (13h de rushes, plus les heures de caméras embarquées) grâce à 19 caméras sur le circuit. "Il était difficile de faire revenir les 300.000 spectateurs. La voiture au volant de laquelle Steve McQueen avait terminé les 12H de Sebring au 2e rang était équipée de trois caméras, une première mondiale, et plusieurs plans de course réels ont été gardés", poursuit notre interlocuteur lors d'un entretien au Rallye des Autos, un rendez-vous de vieux mordus du sport auto à Fort Jaco.

"Un véritable village a été créé pour l'occasion pour les 600 personnes participant au film au niveau du parking du Houx, là où se situent aujourd'hui la technopole et l'école FFSA. On logeait dans des mobilhomes en bois. Il y avait tout sur place : les chambres, la cantine, un centre administratif et bien sûr une salle de projection pour visionner les rushes."

Steve McQueen avait, lui, droit à sa caravane Airstream tout aluminium.

Seul Belge parmi les 41 participants au film « Le Mans », Hughes de Fierlant a gardé comme unique souvenir la veste offerte par Solar Productions, la société de Steve McQueen.

Seul Belge parmi les 41 participants au film « Le Mans », Hughes de Fierlant a gardé comme unique souvenir la veste offerte par Solar Productions, la société de Steve McQueen.

De gauche à droite, Mike Parkes, Dieter Spoerry avec ses lunettes noires, Jean-Pierre Jabouille, Gérard Larrousse, David Piper (avant son amputation), Jonathan Williams, Steve McQueen, Derek Bell (avant d’être brûlé), Master Grégory, notre compatriote Hughes de Fierlant, Herbert Linge… et le second réalisateur du film Lee Katzin avec son bob blanc. 

De gauche à droite, Mike Parkes, Dieter Spoerry avec ses lunettes noires, Jean-Pierre Jabouille, Gérard Larrousse, David Piper (avant son amputation), Jonathan Williams, Steve McQueen, Derek Bell (avant d’être brûlé), Master Grégory, notre compatriote Hughes de Fierlant, Herbert Linge… et le second réalisateur du film Lee Katzin avec son bob blanc. 

6,5 millions de budget, 25 voitures et 41 pilotes payés 200 dollars cash par jour

Durant les cinq mois après la course, le circuit a été privatisé, loué par la production. Ce n'était pas banal car ce tracé long de plus de 13 km emprunte des routes nationales et n'avait rien de permanent. Steve McQueen dont le budget de 6,5 millions de dollars (énorme pour l'époque) semblait sans limite a d'abord réuni 25 voitures, soit quasi la moitié de la grille du Mans 1970. Certaines étaient prêtées par les usines Porsche, Alfa Romeo ou Matra, d'autres ont carrément été achetées à prix fort à David Piper, Jo Siffert ou l'écurie Francorchamps, Ferrari refusant de prêter ses autos officielles car le scénario prévoyait la victoire d'une Porsche.

"C'est ainsi que je me suis retrouvé sur le tournage", explique Hughes. "Je pilotais pour l'équipe de Jacques Swaters, tout comme Derek Bell qui fut deux fois mon équipier cette année-là à Spa et Kyalami. Un jour, on m'a demandé si j'étais intéressé de participer à ce film. Vous pensez bien qu'il n'a pas fallu me le demander deux fois. Bien sûr, je n'étais pas acteur, ni même figurant. On ne me voit jamais dans le film, on voit juste des images de la Ferrari que je pilotais régulièrement."

Contrairement à d'autres pilotes de renom comme Jo Siffert, Derek Bell, Jurgen Barth, Jean-Pierre Beltoise, Gérard Larrousse, Vic Elford, Richard Attwood (vainqueur des vraies 24H du Mans 1970 sur une 917 partagée avec Hermann) ou Henri Pescarolo, Hughes de Fierlant n'a pas été engagé directement par Solar et ne touchait pas donc le cachet de 200 dollars par jour. "Moi, je faisais partie du package Ecurie Francorchamps. J'étais défrayé pour mes voyages entre Le Mans et la Belgique. Et je recevais une rétribution symbolique. Mais je m'en moquais. J'étais trop fier de faire partie de la quarantaine de pilotes ayant participé à ce tournage."

Derek Bell brûlé, David Piper amputé

Le tournage long et fastidieux fut émaillé de nombreux accidents, sur la piste et même en dehors.

Il y a d'abord eu celui de Derek Bell, brûlé aux mains et au visage après l'embrassement non prévu de son bolide. Puis celui de David Piper au terme duquel le Britannique a dû être amputé d'une jambe. "Cela s'est passé au Tertre Rouge", se souvient notre compatriote. "Il devait simuler un accident ce qui était normalement le boulot de notre cascadeur Rob Slotemaker. Il l'a tellement bien fait qu'il a perdu une jambe en détruisant son auto. Cela lui a rapporté dix millions à l'époque, touché des assurances. Et cela ne l'a pas empêché de continuer à courir, essentiellement dans des épreuves historiques."

Pour la petite histoire, il aurait dû son amputation à un chirurgien... en congé.

Rencontre à 300 km/h avec un camion et deux accidents de la route pour McQueen

Mais Steve McQueen lui-même évita plusieurs fois le pire. "Il refusait d'être doublé et prenait dès qu'il le pouvait le volant de sa Porsche Gulf."

Lestée de 100 kg avec trois caméras, la Porsche 908 appartenant à Steve McQueen a terminé les 24H du Mans 1970 à la 9e place mais n’a pas été classée. Elle était pilotée par le pilote officiel Porsche Herbert Linge, Jonathan Williams et, selon la confession de notre compatriote Willy Braillard, durant un relais de nuit par Steve McQueen bravant l’interdit des assureurs.

Lestée de 100 kg avec trois caméras, la Porsche 908 appartenant à Steve McQueen a terminé les 24H du Mans 1970 à la 9e place mais n’a pas été classée. Elle était pilotée par le pilote officiel Porsche Herbert Linge, Jonathan Williams et, selon la confession de notre compatriote Willy Braillard, durant un relais de nuit par Steve McQueen bravant l’interdit des assureurs.

Un jour, lancé à plus de 300 km/h dans les Hunaudières, il dut éviter de justesse un camion venu livrer du matériel et que les contrôleurs avaient laissé prendre la piste en ignorant qu'une scène était en cours. L'acteur américain fut aussi victime de deux autres embardées lors de ses nombreuses sorties nocturnes. La première fois quand il partit en tonneaux avec la jeune actrice Louise Edlind, un accident dans lequel son assistant Mario Iscovitch eut un bras cassé. Et dut porter le chapeau. Officiellement c'était lui au volant...

La seconde une semaine plus tard avec une journaliste avec laquelle il roulait trop vite alors qu'il n'avait pas ses deux mains sur le volant...

Accroc au sport auto, à la drogue et au sexe

Accroc au sport automobile, sa grande passion, Steve McQueen était aussi accroc à la drogue et au sexe. Durant le tournage du film, il a multiplié les liaisons. "Entre 3 et 12 par semaine, sa caravane n'était jamais vide. Toutes les filles voulaient pouvoir dire qu'elles avaient couché avec Steve McQueen", raconte Bob Relyea, un de ses meilleurs amis de l'époque, dans le film "The Man and Le Mans" produit par son fils Chad. Cela tourna même apparemment plusieurs fois en partouzes avec des prostituées. Sa première femme, la chanteuse Neile Adams, n'était pas dupe.

"Elle est venue plusieurs fois sur le tournage avec leurs enfants. Elle était très jolie", se rappelle notre grand seigneur belge. Mais en 1972, n'en pouvant plus des excès et écarts de son mari volage, elle demanda le divorce.

Au premier abord, Steve McQueen semblait pourtant être un garçon bien sous tous rapports. Pas du tout le mec déjanté et rendu parano par l'abus de substances illicites défini par certains. "Il disait toujours bonjour et au-revoir. Il était poli, très gentil et très galant. Je ne l'ai jamais vu en colère. Et puis surtout c'était un très bon pilote, meilleur que certains autres sur le tournage", souligne le baron de Fierlant.

"Steve nous emmenait parfois en moto et préférait encore les deux roues"

Au bout de semaines de travail, des liens s'étaient tissés. "Il connaissait tout le monde. De temps en temps, lors des longues pauses, il sortait ses motos de trial débarquées d'Hollywood et nous emmenait en randonnée. Il partait en chef de file. C'était vraiment cool.  Il adorait encore plus les deux roues. Il lui arrivait aussi de monter à Paris, à un peu moins de 200 km, le soir pour manger ou faire la fête."

Sans jamais oublier l'oeuvre de sa vie, ce film qui allait lui coûter très très cher. Son erreur fut à la base de trop vouloir réaliser un documentaire pour expliquer sa passion, tenter de transmettre l'adrénaline que procure la course automobile, avec des images tournées à vitesse réelle, sans trucage. Il n'y avait à la base pas d'histoire, pas de script, très peu de dialogue, seulement des voitures, des hurlements de moteurs, des crissements de pneus. Un film de passionné s'adressant aux passionnés de sports mécaniques mais pas au grand public ni aux fans de Steve McQueen dont le visage était caché les trois quarts du temps par une cagoule anti-feu. On ne voyait que ses yeux bleus en-dessous de son casque.

Le jeune Hughes de Fierlant en compagnie de Steve McQueen et du pilote de F1 Jo Siffert.

Le jeune Hughes de Fierlant en compagnie de Steve McQueen et du pilote de F1 Jo Siffert.

L'affiche du film.

L'affiche du film.

Des 24 heures très arrosées

"Il était très exigeant. Il était l'acteur principal mais aussi le metteur en scène. Il nous faisait recommencer dix fois la même prise de vue car il voulait que ce soit parfait. Il soignait les détails. Prenait parfois lui-même la caméra, couché sur le sol pour rendre encore plus l'impression de vitesse. Pour être raccord avec l'édition 1970 très arrosée, on devait souvent rouler sous une pluie artificielle avec des camions de pompiers inondant la piste pour simuler la pluie. Moi je trouvais cela plutôt bien..."

Mais pas les Américains finançant en partie le film. Ni le réalisateur John Sturges qui avait signé avant West Side Story, les Sept Mercenaires et la Grande Evasion, excusez du peu. Un jour, il en eut marre. "Ils ne s'entendaient pas sur le scénario. Steve voulait un film très racing", commente Hughes de Fierlant.

"Je suis trop vieux et trop riche pour supporter ce bordel", déclara le réalisateur en claquant la porte, tandis que Cinema Center Films, une filiale de CBS, bloqua les comptes.

"La course c'est la vie, le reste c'est attendre"

Après avoir quitté le tournage furibard, plantant tout le monde au Mans pour partir en vacances au Maroc avec sa famille, Michael Delaney (le nom de scène de McQueen) est revenu deux semaines plus tard et accepta finalement de plier et romancer son récit, avec l'aide du nouveau réalisateur Lee Katzin (issu de la télé), pour plaire à ses financiers. Lorsque l'actrice allemande Elga Andersen dont il allait devoir tomber amoureux au grand écran débarqua, il l'accueillit en lui disant: "Tu n'as pas baisé avec moi, tu n'as pas baisé avec le producteur ni le metteur en scène, alors comment as-tu pu avoir le rôle ?"

C'est à elle aussi qu'il sortit durant le film cette célèbre réplique : "La course c'est la vie. Tout ce qui arrive avant et après, c'est juste attendre."

Au bout du compte, le tournage dura jusqu'au 10 novembre, soit deux mois de plus que prévu. Et surtout coûta plusieurs millions de trop. Au point que Steve McQueen doive accepter une réduction sur son salaire d'acteur et de ses droits de diffusion. Suite à quoi il refusa d'assister à la présentation du film à la presse à Indianapolis en juin 1971.

"J'ai toujours adoré les 24H du Mans. A 76 ans, j'y participerais bien encore une 8e fois"

"A part une veste que nous avions tous reçue et que j'ai gardé, Solar Production ne nous a jamais offert le moindre petit cadeau souvenir. Je n'ai même pas été invité à l'avant-première. J'ai été voir le film comme un plouc en payant mon ticket comme tout le monde Porte de Namur lors de sa sortie l'été 1971. Et honnêtement, j'ai été un peu déçu. Je m'attendais à mieux vu les moyens déployés. Je trouvais l'histoire d'amour désuète. Mais bon, j'étais quand même heureux de voir mon nom au générique. Je suis retourné le voir une fois avec mes filles. Puis je ne l'ai plus jamais regardé. Je ne pense pas que mes petits enfants l'aient même vu", conclut Hughes de Fierlant qui ne revit plus jamais Steve McQueen mais participa à six autres éditions des 24 Heures du Mans. "J'y retourne chaque année, comme en pèlerinage. Je suis tombé amoureux de cette course que Jean Graton m'a fait le plaisir de gagner dans son album Vaillant Champion du Monde (N°26) où je m'impose avec Yves Douleac au volant d'une Vaillante. A 76 ans, je serais encore capable d'accepter d'y participer."

Devenus mythiques avec le temps

Echec commercial (il a coûté finalement 9 millions de $ mais en aurait tout de même rapporté 22 notamment grâce à son grand succès au Japon) durant ses premières années, cette véritable ode aux 24 Heures du Mans est devenue culte en devenant Vintage. Tout comme Steve McQueen passé de son vivant du rang de star à celui de véritable légende près de quarante ans après sa disparition. Un peu à l'image d'un James Dean.

Depuis une dizaine d'années, une ligne de vêtements "racing" Steve McQueen a été créé et les articles faisant référence à la présence de l'acteur de "Papillon" sur l'édition du Mans 1970, souvent liés à la célèbre marque pétrolière Gulf, se vendent comme des petits pains dans le village commercial des 24 Heures et rapportent aujourd'hui toujours beaucoup d'argent à ses héritiers. Les couleurs orange et bleu arborées fièrement dans le film sont d'ailleurs devenues aussi mythiques pour les fans d'endurance que Porsche, Le Mans ou... Steve McQueen, l'homme qui n'aura jamais réalisé son rêve de gagner Le Mans mais lui a rendu un hommage pour la postérité.

Willy Braillard: "J'ai vu Steve McQueen prendre un relais de nuit aux 24H"

C'est une autre grande figure du sport automobile belge des années 70. Willy Braillard était le plus jeune pilote en piste lors de l'édition 1970 des 24 Heures du Mans sur la Porsche 911 partagée avec Jean-Pierre Gaban. "Il y avait beaucoup d'agitation dans le stand juste à côté du nôtre qui était celui de la Porsche avec toutes ses caméras d'un certain Steve McQueene, se souvient très bien Willy. "Les anciens stands n'étaient pas du tout fermés comme aujourd'hui. Il y avait juste un petit muret. On voyait très bien ce qu'il se passait dans le box d'à-côté."

"C'était une édition de folie", se souvient-il encore. "Il pleuvait à torrent et à l'époque pas question d'arrêter la course ou de sortir la safety car. Cela n'existait pas ! C'étaient mes premières 24H et je me faisais peur en partant en aquaplaning en 5e à 280 km/h dans les Hunaudières. Il y avait déjà eu un gros crash impliquant plusieurs voitures dès le premier tour."

Et notre pilote de poursuivre son récit: "Durant la nuit, c'était l'enfer. Comme on ne roulait qu'à deux, on se reposait peu. Entre 1h et 2h du matin, j'attendais pour prendre mon relais, quand j'ai vu de mes propres yeux Steve McQueen monter dans sa voiture pour prendre un relais. Il avait un casque peint aux mêmes couleurs que celui du pilote officiel Porsche Herbert Linge engagé officiellement sur cette auto. Mais je l'ai reconnu. Je suis sûr que c'était lui."

Inscrit aux côtés de Jackie Stewart, l'acteur américain n'avait pu s'engager à la course. Les assureurs refusaient de couvrir le risque. En cas d'accident, tout le film aurait été remis en cause. Mais Steve McQueen ne s'arrêtait pas à cela. C'était un rebelle. Ses contrats lui interdisaient aussi de participer à des épreuves de motocross auxquelles il prenait dès lors part sous le pseudonyme de Harvey Mushman.

A cette époque, les contrôles n'étaient pas ceux d'aujourd'hui. Steve McQueen a donc attendu que l'attention des fans, des medias et des commissaires se soit dissipée pour, en pleine nuit, au moment où c'était le plus dangereux, monter dans le proto avec lequel il avait terminé deuxième des 12H de Sebring quelques mois avant avec une jambe cassée. Seuls ses équipiers Jonathan Williams et Herbert Linge, mais aussi son assistant personnel et son attachée de presse savaient. Mais personne n'a jamais lâché le morceau.

Officiellement, la star de cette édition avait "disparu entre 1h et 3h du matin", personne ne savait où il se trouvait. Mais il réalisait son rêve :  participer aux 24H du Mans.  Pilote de l'époque, Gérard Larousse a déclaré lors d'une interview au journaliste français Pascal Dro : "Je ne connaissais pas cette histoire, mais cela ne m'étonne pas du tout de lui." Son fils Chad McQueen n'a jamais démenti le témoignage du jeune Willy Braillard qui aura donc croisé Steve McQueen quelque part en piste sur sa Porsche 908/2 bleue N°29. Un proto lesté de 100 kg de matériel (avec notamment trois caméras) contraint de s'arrêter très fréquemment pour changer les bobines de film (on pouvait filmer maximum quatre minutes) franchissant néanmoins le drapeau à damier au 9e rang avec 282 tours. Mais non classé pour avoir parcouru une distance insuffisante (il lui manquait 110 km) par rapport aux vainqueurs.

Selon le témoignage exclusif de notre compatriote Willy Braillard, Steve McQueen a donc participé activement, en véritable pirate, aux 24H du Mans. De quoi amplifier encore la légende... Et quand il n'était pas dans la voiture, il partageait parfois le parapluie de Ginette de Fierlant, lançant des "Let's go Hughes" à chaque passage de notre compatriote sous ses yeux.

Willy Braillard.

Willy Braillard.

Joël Robert.

Joël Robert.

McQueen entraîné sur 2 roues par notre champion de motocross Joël Robert

Steve McQueen était un amoureux des sports mécaniques. Il a participé entre 1958 et 1970 à une petite vingtaine de courses automobiles. Il a débuté en 1958 sur une GT Siata 208 RS. Puis il est passé à la Porsche 356, Lotus Eleven, Austin Healey dans les années 60. En 1970, il s'est offert une Porsche 908/2, la version ouverte du proto 908, au volant de laquelle il a remporté une épreuve à Phoenix en janvier 1970 avant de terminer 2e des 12H de Sebring, battu dans les derniers tours par la Ferrari de Mario Andretti après avoir longtemps mené la course alors qu'il avait une jambe dans le plâtre suite à une chute... à moto.

Steve McQueen était pourtant plus connu comme le cow-boy de Nevada Smith ou de Au nom de la Loi. On le voyait plus souvent à cheval. "Je préfère les chevaux vapeur", avait-il déclaré dans une interview. "C'est moins traître. Les vrais chevaux vous sourient et puis trente secondes plus tard hop ils ruent et vous envoient à terre."

Lors de cet entretien à INA, dans le cadre de la préparation du film des 24H du Mans, il avait ajouté. "Je ne suis pas un bon pilote. C'est trop dangereux. Je préfère les deux roues, la moto, cela c'est mon truc."

On le voyait effectivement plus régulièrement sur deux roues. Il participait aussi clandestinement à des motocross ou compétitions de trial. "Il avait pris des cours auprès de notre multiple champion de motocross Joël Robert afin d'effectuer lui-même la plupart des cascades dans son célèbre film La Grande Evasion", nous rapporte Hughes de Fierlant. Ce n'est pourtant pas l'acteur américain qui a effectué le grand saut au dessus des murs de barbelés du camp de détention (il a essayé mais s'est planté) au guidon de sa Triumph, mais bien son ami Bud Ekins qui le doublera encore cinq ans plus tard dans Bullit.

Hughes de Fierlant, plus qu'un bon "gentleman driver"

Nettement plus modeste que ses origines, Hughes de Fierlant originaire de Freux, près de Libramont, a hérité du virus de la course automobile de son papa Jacques, véritable passionné de sport automobile qui l'emmenait voir les GP de F1. Il a 21 ans, en 1964, lorsqu'il dispute ses premières courses nationales en Mini Cooper. Le début d'une carrière relativement courte (13 ans et une centaine de courses), mais intense avec un beau palmarès. Dès 1967, il passe aux plus grosses cylindrées d'abord en Sports Proto où il va piloter des Ford GT40, Ferrari 512, Lola T280, Porsche 911 et Mirage avec comme plus hauts faits d'armes une victoire aux 4H du Mans, l'épreuve préparatoire des 24H 1972, et surtout sa cinquième place dès sa première participation au double tour d'horloge manceau en 1970.

Mais c'est surtout en voitures de Tourisme qu'il remportera ses plus grands succès. Alors qu'il se considérait humblement juste comme un bon "gentleman driver", il remporta à l'époque plusieurs grandes victoires sur les BMW 3.0 et 3.5 CSI des teams Luigi, Alpina et même pour le compte de l'usine BMW Motorsport pour qui il travaillera plus tard en tant qu'ambassadeur, coordinateur et conseiller. En 1975, il triomphe aux 24 Heures de Francorchamps sur la Béhème du préparateur belge Luigi en compagnie de Jean Xhenceval. Son plus beau souvenir ? "Jean risque d'être fâché, mais 1976 aurait été une plus belle victoire. Nous menions la course jusqu'à quelques heures de l'arrivée avec Grano avant malheureusement d'abandonner."

La même année il remportait les 1000 km du Nürburgring avec le pilote de F1 Gunnar Nilsson. "Je m'étais crashé lors des essais entre les deux Carousel, ces virages en banking. La voiture était endommagée. Je ne voulais plus rouler. Mais mon team-manager de l'époque m'a réconforté en me disant que Gunnar prendrait le départ et que tout irait bien. Et le lendemain on a gagné."

Cet épisode lui rappelle une anecdote : "Chaque fois que je montais après Gunnar, je devais fortement resserrer mes harnais au niveau de l'entre-jambes. Il n'était pourtant pas gros. J'ai malheureusement compris deux ans plus tard quand il est décédé d'un cancer des testicules."

Une maladie qu'a vaincu à deux reprises plus tard notre Ardennais. Sans doute ses plus belles victoires : "J'ai arrêté le sport auto très jeune, à 34 ans fin 1976 pour m'occuper de mes deux petites filles Eleonore et Ludwinne. Je n'ai plus participé à une course après. Je suis devenu un amoureux de la nature, la pêche, les balades en forêt et le golf. J'adore me promener. Lorsque j'ai eu mes cancers, les médecins m'ont répété qu'une bonne hygiène de vie, faire du sport, se promener étaient des remèdes plus efficaces que la chimio."

Aujourd'hui, il s'occupe du domaine familial, lit La Dernière Heure Les Sports tous les matins au petit déjeuner et garde un contact avec le "racing" en s'occupant des invités de son ami Bart Mampaey en DTM. Toujours avec BMW, car Hughes a gardé une hélice dans son gros coeur.

Merci à Eleonore de Fierlant pour les documents et son aide pour la rédaction de ce grand format.