Les années foot de Remco Evenepoel

Plongée à Anderlecht, au PSV Eindhoven, en équipe nationale belge et à Malines sur les traces de la carrière footballistique de Remco Evenepoel. Nous avons retrouvé ses formateurs à Anderlecht, sa famille d'accueil aux Pays-Bas et l'un de ses coachs en équipe nationale.

Ce récit, accompagné de photos et vidéo et publié pour la première fois en 2019, est l’occasion de lever le voile sur une carrière de footballeur dont on sait finalement peu de choses. Il y a six ans à peine, celui qui vient de dominer la Vuelta était encore sur les terrains de foot et se rêvait milieu offensif des Diables rouges, après avoir lorgné les gants de gardien de but.

Retour sur un parcours pas comme les autres...

Remco, ici avec son père Patrick, supporte Anderlecht depuis tout petit.

Remco, ici avec son père Patrick, supporte Anderlecht depuis tout petit.

“Il voulait être Zitka, on voulait en faire un Biglia”

Un stage a suffi. Comme on le remarque au fil de ses performances cyclistes, Remco Evenepoel n’a pas besoin de beaucoup de temps pour se faire remarquer. Il a quatre ans quand il s’affilie à Anderlecht et pour son premier jour comme footballeur, il arrive avec une paire de gants en main. “Ils étaient plus grands que son visage”, se souvient Marc Van Ransbeeck, ancien coordinateur des jeunes du RSCA. “Il voulait devenir gardien au moment de sa première affiliation. Il rêvait d’être Daniel Zitka, le titulaire à Anderlecht à l’époque.”

Remco a récemment revu Marc Van Ransbeeck, qui fut son premier contact au RSCA.

Remco a récemment revu Marc Van Ransbeeck, qui fut son premier contact au RSCA.

Il déchante très rapidement. Van Ransbeeck discute de son profil avec Seth Nkandu, l’entraîneur de Remco, et lui repère des qualités suffisantes pour évoluer dans le jeu. “Il courait déjà très bien et avait une endurance incroyable. Je le comparais toujours à une mobylette.”

Le gamin est rapidement aligné avec les joueurs plus âgés que lui d’un an. Pas spécialement parce qu’il est le plus fort mais parce qu’il est plus adulte que les autres. La génération 1999 (NdlR : il est de 2000 mais joue avec les 1999) n’est pas simple à gérer pour les entraîneurs. Evenepoel s’en sort à merveille entre tous les forts caractères et est même respecté.

Il pose ainsi les bases de ses capacités de leadership et de people management qu’il traîne encore aujourd’hui dans le monde du cyclisme où on le dit meneur mais très humain avec les membres de l’équipe. Des mécanos aux grands patrons.

Le numéro 10 box-to-box

Il est écouté dans le vestiaire. Son honnêteté paie même s’il fait figure de premier de classe (à l’école comme au club) où les autres manquent de discipline. “Il possédait une rage de vaincre hors norme”, poursuit Van Ransbeeck. “Je n’avais jamais vu cela. C’était un véritable patron sur le terrain. Il savait motiver ses équipiers mais également leur tomber dessus. Il lui arrivait parfois de les engueuler.”

Dans un système en 3-1-3 lorsque les jeunes jouent à huit contre huit, Evenepoel est le “1” au milieu des deux lignes. Marc Van Ransbeeck et les entraîneurs de Remco l’ont rapidement convaincu de troquer les gants contre une place au milieu de terrain. “Il jouait comme numéro 10 mais était tellement fort physiquement qu’on pouvait le mettre seul à ce poste. On ne devait même pas lui demander de revenir. Il avait une telle autodiscipline qu’il faisait les efforts sans broncher. Il était ambitieux et à sept ans, il était obsédé par le fait d’être le meilleur sur le terrain.”

Van Ransbeeck ne peut pas évoquer Remco Evenepoel sans parler de son look. “Il avait de longs cheveux blonds et était tout petit et tout mince”, sourit l’ancien formateur. Jean-François Lenvain l’a pour sa part qualifié de “Schtroumpf” en se souvenant de leur première rencontre.

L’ancien responsable de la cellule sociale du RSCA a été confronté au jeune joueur dès son baptême du feu. “Jean Kindermans m’avait amené au stage que font les jeunes à Hoogstraten chaque été. Il m’a juste dit d’aller faire un tour sur les différents terrains et d’observer.” Deux joueurs le marquent : Adnan Januzaj chez les plus grands et Remco Evenepoel qui a alors 11 ans. Passionné de sports d’endurance, Lenvain est sous le charme. “Il jouait bien et surtout il n’arrêtait pas de courir.”

Cette rencontre entre les deux hommes est un moment clé pour eux qui continuent de collaborer à l’heure actuelle (Lenvain est d’ailleurs en Angleterre pour les Mondiaux), Evenepoel a un fameux statut à Anderlecht. Même Jean Kindermans, le big boss de l’académie, ne nie pas son talent. Le gamin est, par exemple, élu meilleur joueur d’un tournoi international à Lille.

Ils se souviennent tous de ses longs cheveux blonds.

Ils se souviennent tous de ses longs cheveux blonds.

Techniquement pas au top et pas le plus rapide

Il a pourtant des défauts. Ceux-là mêmes qui le poursuivront jusqu’au bout de sa carrière footballistique. “Techniquement, il fallait encore travailler”, dit Marc Van Ransbeeck. “Son plus grand défaut est son manque d’explosivité. Et c’est souvent plus compliqué à travailler car pour beaucoup, c’est inné.”

Durant sa première période à Anderlecht, son physique lui permet d’être au-dessus du lot. Il est tellement fort qu’il est encore cité à Neerpede comme exemple lors des tests physiques. “En U10, son père est venu me montrer un document. Il s’agissait de ses résultats de tests à l’effort. Je me souviens encore du commentaire laissé par le médecin : ‘Jamais vu ça dans ma carrière.’ À un très jeune âge, il ne commençait à fatiguer qu’en ayant atteint les 16 km/h. Je me suis tourné vers Patrick et je lui ai dit : ‘Je ne sais pas s’il nage bien mais ce sont des chiffres de triathlète.’ Je n’étais pas bien loin du compte au final.”

Le coureur de fond qu’est Jean-François Lenvain s’est rapidement penché sur le phénomène. Avec ses collègues de la cellule sociale, il a découvert le secret de son physique hors norme : “sa capacité à rester au seuil, à son maximum physique. Il peut pousser son extrême limite durant un moment. Sur un terrain de football, il n’était jamais à la rupture car il faut vraiment qu’il aille très loin pour être mal”.

Une dispute avec son coach en U11 change le tracé 100 % anderlechtois qui l’aurait vu rejoindre les Kompany, Vanden Borre ou Tielemans. Le mal est profond et Remco est littéralement cassé dans son élan. “Je me souviens d’une bisbrouille qui avait engendré des réunions avec les parents et le club.”

Il a préféré le PSV au Standard

Remco Evenepoel a lui même expliqué à Jean Kindermans qu’il quittait Anderlecht pour rejoindre le PSV Eindhoven. Il a 11 ans mais sait déjà ce qu’il veut. Un conflit avec son coach l’a poussé à trouver son bonheur ailleurs. Pourquoi le PSV ? Tout simplement parce que le club le suit depuis longtemps et a déjà essayé de le soutirer à Anderlecht par le passé. “Ils sont passés à la vitesse supérieure pour éviter une règle qui empêchait les jeunes d’évoluer à plus de 100 kilomètres de chez eux”, explique Patrick, son père. Cette raison et un nouveau bon match à Westerlo sous les yeux des recruteurs bataves ont suffi à convaincre le PSV.

Le choix est celui de Remco. Il peut signer à Genk ou au Standard mais choisit le PSV. Ses parents auraient préféré une destination plus proche du domicile mais soutiennent à fond leur fils.

Réveil à cinq heures

La première année est vraiment difficile. Evenepoel est en sixième et tient à finir ses primaires en Belgique. Sans grands-parents pour conduire le jeune joueur dans le Brabant néerlandais, ses parents ont pris sur eux. Tous les jours, le réveil sonne à cinq heures du matin pour finalement rentrer à la maison à 20 heures. Quatre fois par semaine. “Cela nous a usés”, confie Patrick Evenepoel.

Durant sa première saison au PSV, Remco vit toujours à Schepdaal.

Durant sa première saison au PSV, Remco vit toujours à Schepdaal.

Remco se développe bien au PSV. Techniquement surtout. Psychologiquement aussi. Le gamin, déjà adulte pour son âge, apprend à se débrouiller. Sa première saison est une réussite malgré la fatigue accumulée et il est considéré comme un grand talent de l’académie.

Pour sa deuxième saison, il loge quatre nuits par semaine dans une famille d’accueil à Best. Les Smetsers l’accueillent à bras ouverts et se souviennent des 18 mois qu’il a passés chez eux comme si c’était hier. “C’est chouette de vous entendre dire ‘dikke merci’ (NdlR : une expression uniquement utilisée en Flandre)”, lance Debbie, la maman d’accueil de Remco. “Il disait toujours cela et ça nous faisait sourire.”

Ses premiers jours chez les Smetsers ne sont pas faciles. Le changement d’environnement est énorme mais Remco y trouve rapidement son rythme. “Nous, Brabançons, avons une mentalité assez proche de ce qu’il connaissait en Belgique. Les Néerlandais du nord sont nettement plus fermés. Là, il aurait peut-être été perturbé mais ce n’était pas le cas ici.” Evenepoel est très calme et tâte d’abord le terrain. Pareil du côté des Smetsers. “Nous avons vite compris que nous avions un chouette gamin à la maison. Il y avait aussi un bon contact avec ses parents qui nous faisaient entièrement confiance. Remco les avait par message ou au téléphone tous les jours. Cela contribuait à son équilibre.”

Le rythme est précis. À la néerlandaise. Debout à 6h30 pour déjeuner et partir 45 minutes plus tard. “Il allait à vélo jusqu’à la gare du village. Son train l’amenait jusqu’à Eindhoven d’où une navette l’emmenait au centre d’entraînement ou à l’école selon son horaire du jour. Il revenait à 18h, mangeait, faisait ses devoirs puis venait un peu se détendre devant la télé ou en jouant à la Wii ou aux jeux de société. À 20h30, il était au lit.”

La catastrophe à l’école

Ce qui a le plus frappé Debbie Smetsers ? “Son envie. J’ai accueilli plusieurs jeunes du centre de formation du PSV et je n’en ai jamais eu un aussi motivé que Remco. Autant pour l’école que pour sa carrière. Même quand il jouait au tennis de table avec mon mari, il voulait toujours gagner. Il se sentait fait pour le sport de haut niveau. Il nous en parlait beaucoup. Il débordait d’ambition et voulait atteindre le top.”

Pas question de vélo à l’époque (“même s’il revenait parfois chez nous après avoir été rouler avec son père”) mais uniquement de football. “De ce qu’on comprenait, il avait de quoi faire une belle carrière de footballeur”, poursuit Smetsers.

L’équilibre est trouvé dans sa famille d’accueil. “Il avait une relation très forte avec notre fille Yinn. Comme s’ils étaient frère et sœur. Ils travaillaient et jouaient à deux.” L’histoire est bien différente à l’école. Remco ne s’adapte pas au système néerlandais. Son père parle d’une “catastrophe.” Le bon élève commence à avoir des difficultés. La méthode ne convient pas au boulimique de travail qu’il est.

Remco a rapidement trouvé son équilibre dans sa famille d'accueil.

Remco a rapidement trouvé son équilibre dans sa famille d'accueil.

Trop de devoirs, trop peu d’explications et très peu d’heures de cours. Il ne se sent pas bien dans cette méthodologie de travail qui, selon lui, ne donne pas assez d’importance au scolaire.

Sa maman tombe malade

Evenepoel joue deux bonnes premières saisons au PSV. On lui confie même rapidement le brassard, une habitude dans son chef, et il réalise des matches pleins. Sa vista et ses qualités physiques sont mises en valeur par ses entraîneurs. Au club on commence toutefois à avoir des doutes au fil du temps qui passe. Ses formateurs lui laissent une chance mais se disent qu’il ne se développe pas comme il le devrait.

Physiquement d’abord. Footballistiquement ensuite. Rini De Groot, responsable du Scouting au PSV, a dit à Foot Magazine qu’il “a reculé dans la hiérarchie pour finalement avoir un statut totalement différent de celui qu’il avait en arrivant.” C’est finalement Evenepoel qui a décidé de son avenir. L’école joue un rôle dans son choix mais c’est surtout l’état de santé de sa maman qui le fera rentrer au pays. Touchée par une maladie aux intestins, elle veut à nouveau avoir son fils à ses côtés. Remco lui manque.

Cela n’a pas été facile pour moi”, se souvient Debbie Smetsers. “J’étais vraiment triste car il était devenu un membre de la famille. Je connaissais la situation et comprenais parfaitement son choix.” Il est resté en contact avec les Smetsers. Debbie confie lui envoyer un message après chacune de ses grandes victoires. “Je suis tellement fière quand j’allume la télévision et que je le vois sur son vélo. Nous avons été le voir lors de la manche des Hammer Series à Sittard. Il nous est tombé dans les bras.”

Remco est toujours en contact avec les Smetsers.

Remco est toujours en contact avec les Smetsers.

Remco arrive au PSV avec ses longs cheveux, il en repartira avec un look d'ado.

Remco arrive au PSV avec ses longs cheveux, il en repartira avec un look d'ado.

Remco avec sa famille d'accueil, aux Pays-Bas.

Remco avec sa famille d'accueil, aux Pays-Bas.

Le brassard lui collait au bras.

Le brassard lui collait au bras.

Retour chez les Mauves

La première aventure à Anderlecht s'était terminée en bons termes malgré le petit accroc chez les U11. En 2014, il est donc accueilli à bras ouverts par son premier club. “Je me souviens encore de la scène”, rembobine Lenvain. “Nous étions sur les marches dans l’entrée de Neerpede. Il revenait pour discuter avec le club de son affiliation. Il rentrait alors dans les catégories d’âge que j’accompagnais le plus. Mes collègues et moi avons beaucoup été là pour lui.”

Le retour du jeune prodige est si naturel que Stéphane Stassin, son coach durant deux saisons, affirme que “c’est comme s’il n’était jamais parti”. Malgré trois ans d’absence, Evenepoel n’a perdu aucune de ses anciennes habitudes. “Il m’arrivait parfois d’oublier un truc et quand je revenais, c’était fait. Remco s’en était chargé. Il avait demandé à quelques joueurs de l’aider.”

Stassin considère Evenepoel comme son bras droit et lui donne le brassard. “À cet âge, le capitaine est souvent le joueur le plus talentueux. Mais Remco était un patron naturel. Je n’avais jamais vu ça. Il agissait en relais et prenait des initiatives. Et je ne parle même pas de sa mentalité sur le terrain. Pour résumer : il aurait mis sa tête là où un autre n’oserait pas mettre le pied.”

Plus fort que des joueurs du noyau A

Certains pourraient presque qualifier le gamin de Schepdaal de stakhanoviste ou d’éternel insatisfait. Il n’avait qu’une seule volonté : être le meilleur. “Il lui arrivait de regarder les résultats des tests physiques des U19 ou même des U21 alors qu’il était U16. Il tentait ensuite de les battre. Et s’il n’y arrivait pas, il travaillait pour finalement y parvenir.”

Buteur à ses heures...

Buteur à ses heures...

Seul Hannes Delcroix, de loin son aîné, pouvait rivaliser avec lui. “Et on considérait Delcroix comme une machine physique.” On dit même qu’il explosait Lucas Biglia aux tests d’endurance. Il découvre également une nouvelle position. Le numéro 10 redescend d’un cran pour évoluer devant la défense. “En fait, il était plus proche d’un box-to-box que d’un vrai six tant il courait. Et je ne voulais pas le brider. Je l’ai même essayé en tant que latéral gauche. Il était gaucher et capable de faire tout le flanc. Je ne sais pas combien d’allers-retours il faisait mais en général il parcourait une douzaine de kilomètres par match.”

Son passage chez les U17 marque un tournant négatif de sa carrière. Celui qui un an avant encore était vu comme le successeur de Leander Dendoncker et à qui on pensait donner un contrat est prié de quitter le club. “J’ai frôlé la dépression”, affirme Evenepoel. “Je suis quelqu’un de très sociable mais je ne parlais plus à personne.”

Il reste persuadé qu’il aurait réussi à Anderlecht

Que s’est-il passé ? Cela reste flou. Jean Kindermans persiste et signe : il lui manquait quelque chose pour réussir à Anderlecht. “Ce sont ses mots, pas les miens”, dit Evenepoel. “Je reste convaincu qu’en restant un an de plus à Anderlecht, j’aurais pu le convaincre.”

Les explications sont vagues. Evenepoel n’en a jamais vraiment reçues. Est-ce lié à la blessure à la hanche qu’il a connue en U15 ? A priori non. Deux éléments auraient joué en sa défaveur : son manque de vitesse et d’explosivité et ses lacunes techniques. “C’est un âge clé”, résume Stassin. “J’étais persuadé que les qualités tactiques allaient venir. Pour un gamin intelligent comme Remco, en deux vidéos, tout est assimilé.”

Aurait-il réussi à Anderlecht ? Aucun de ceux qui l’ont connu ne peut répondre franchement à la question. Mais ils sont tous persuadés d’une chose : il aurait pu devenir footballeur pro.

Semi-marathon ou vélo lors des jours de repos

Une anecdote revient régulièrement au sujet de Remco Evenepoel. Ce fameux semi-marathon de Bruxelles en 2016. “Je courais avec Stéphane Stassin pour mon association Tous à Bord”, explique Jean-François Lenvain. “Nous étions à hauteur de l’avenue Louise. Nous étions partis avant la foule et les Kényans venaient de nous dépasser quand un petit bonhomme est venu frapper sur l’épaule de Stéphane. Je lui ai dit : ‘Hé, mais c’est Remco’. Il était surpris.” Logique, vu que le coach d’Evenepoel avait été très clair. “J’avais demandé aux joueurs de se reposer. Nous avions eu un gros match le samedi et on avait une rencontre en milieu de semaine. Il fallait donc souffler.”

À l’arrivée, Evenepoel vient expliquer à Lenvain qu’il a explosé après 15 ou 16 kilomètres. “Quand j’ai vu son temps. Je me suis, d’un côté, dit qu’il était fou. Et de l’autre, ses capacités de résistance m’impressionnaient encore.”

Chrono : 1 heure, 16 minutes et 15 secondes et une treizième place au général. “Il avait besoin de cela”, explique Stassin. “J’avais beau répéter que le repos était crucial, tous les lundis, il venait me raconter qu’il avait été courir ou rouler 100 bornes avec son père. Et toujours à bloc.”

“Quand tu es si fort, le football te frustre”

Les bénéfices des ventes du merchandising du fan-club de Remco Evenepoel iront à ‘Tous à Bord’, une association créée par Jean-François Lenvain dans le but d’aider les jeunes en difficulté, côté francophone. Une preuve de la personnalité du cycliste mais également de la relation qui existe toujours entre les deux hommes.

Jean-François Lenvain et la cellule sociale d'Anderlecht ont bien aidé Evenepoel. Lenvain et lui sont restés proches.

Jean-François Lenvain et la cellule sociale d'Anderlecht ont bien aidé Evenepoel. Lenvain et lui sont restés proches.

Lenvain a rapidement cerné les qualités du joueur qui était encore un gros espoir d’Anderlecht et l’a poussé à aller chercher le maximum de son potentiel. “J’avais rarement vu un moteur pareil. Tous sports confondus. Ajoutez à ça sa personnalité et vous comprenez pourquoi on ne voyait que lui sur un terrain.”

L’homme est persuadé, encore aujourd’hui, que Remco aurait pu réussir dans le foot : “Il possède la culture du haut niveau. Pour être un athlète, il faut frôler l’excellence dans tous les niveaux de sa vie. Être un grand malade au niveau de la nourriture, du sommeil et des entraînements. Il a tout et, comme beaucoup de grands sportifs, c’est un mec bien et fiable. Une qualité qu’on retrouve moins dans le football.”

Cela dit, le coureur de la Quick Step-Alpha Vinyl avait de bonnes raisons de se lasser du ballon rond : “Ses capacités étaient tellement énormes que le football l’aurait frustré. Le terrain était trop petit pour lui. On a dit qu’il manquait de finesse ? En D1, la plupart des joueurs ne sont pas techniques mais sérieux et rigoureux. Remco l’est aussi. Depuis tout petit, il est taillé pour le top absolu.”

“Le match finissait toujours trop tôt pour Remco”

Novembre 2014. Remco Evenepoel réalise un rêve en enfilant la vareuse de l’équipe nationale belge. Les Belges réalisent un nul (2-2) et perdent (3-1) dans une double confrontation face aux Pays-Bas mais ces matchs restent gravés dans la mémoire du jeune joueur.

Tout juste revenu au Sporting d’Anderlecht, il est sur la pente ascendante. Ses premières rencontres se déroulent très bien. Malgré une absence de quelques mois en fin de saison 2014-15 suite à un souci à la hanche sur laquelle il a un peu trop insisté, il devient le patron de l’équipe. D’abord en U15 sous les ordres de Joric Vandendriessche puis sous ceux de Bob Browaeys.

Pour l’un des formateurs les plus réputés du pays, il était naturel de voir Evenepoel avec le brassard de capitaine. Chez les U15, il a rapidement prouvé son abnégation sur le terrain. “Il avait déjà un comportement très professionnel”, souligne Browaeys. “Nous cherchions un profil comme le sien. Un gars qui peut être une source d’inspiration pour ses équipiers. Croyez-moi: ce n’est pas simple à trouver chez les U16.”

Il faisait 100 fois sa ligne

Browaeys l’a fait jouer comme latéral gauche. Un poste où il n’avait pas d’alternative mais surtout où il pouvait faire jouer son endurance. “Il manquait juste d’explosivité pour dribbler un adversaire mais il était capable de faire sa ligne 100 fois s’il le fallait. Il frustrait ses adversaires. Ils essayaient de passer une fois, deux fois, trois fois et à la dixième fois, Remco leur collait encore aux basques. Le match était toujours trop court pour lui tant il était endurant.”

Il a directement porté le brassard.

Il a directement porté le brassard.

Sur ces deux années chez les jeunes internationaux, il a dû jouer une grosse quinzaine de matchs si la mémoire de Broways ne flanche pas. “Il était toujours appelé”, appuie-t-il.

Plus convoqué

Ce fut une autre histoire au moment de passer à la catégorie d’âge supérieure. “Nous devons aussi voir ce qui se passe en club; cela n’allait plus aussi bien qu’avant. Il jouait de moins en moins et nous ne l’avons plus convoqué. On en attendait plus de lui mais il ne progressait plus comme il était supposé le faire.”

Le coach réitère des reproches entendus à Anderlecht et notamment son souci de placement en perte de balle. “Quand tu joues contre des équipes belges, ça se voit moins. Quand tu joues avec les meilleurs du pays contre des talents de l’étranger, c’est directement plus criant.”

Browaeys l’imaginait pourtant remonter la pente grâce à son mental à toute épreuve. “Il avait une grosse envie d’apprendre et je me disais qu’il ne tenait qu’à lui de corriger ses points faibles. L’apprentissage n’est pas toujours une ligne droite, surtout chez les jeunes. Et Remco avait cette force de savoir ce dont il était capable et de mettre en avant ses qualités. Je ne me suis jamais dit qu’il était trop court pour le football.”

"Il s’entraînait comme Rocky"

Evenepoel a passé quatre mois à Malines avant de disparaître… sur son vélo.

Il est arrivé en cours de saison. Avec une fameuse gueule de bois. Le KaVé était sa porte de sortie. Un moyen de ne plus regarder vers Anderlecht, son club qui venait de brusquement lui tourner le dos.

“C’était encore un jeune garçon”, explique Jean-François Lenvain. “Passer d’un statut à un autre est toujours frustrant. Surtout quand on est destiné au sport de haut niveau.” Sa place à Anderlecht s’était dégradée au fil des mois. “Durant deux ans, j’ai tout joué mais j’ai progressivement perdu ma place”, a expliqué le principal intéressé. On lui retire d’abord son brassard pour, selon nos sources, “lui retirer un peu de poids des épaules”.

La chute est rapide : le banc, puis la fin de l’aventure. “L’échec est toujours plus difficile à accepter quand tu as l’envie d’être le meilleur au quotidien”, dit Stéphane Stassin, son ancien coach. “Il s’en est nourri pour rebondir et continue d’utiliser cette motivation sur son vélo.”

Stéphane Stassin a coaché Remco.

Stéphane Stassin a coaché Remco.

Evenepoel affirme que ses proches avaient du mal à le reconnaître tant son mal-être était profond. D’autant plus qu’il ne peut pas jouer le moindre match officiel avec les Malinwas. Un souci administratif, pour lequel Malines dit qu’Anderlecht n’a pas du tout aidé (“Peut-être par peur qu’il perce chez nous”), et le fait que Malines ne voulait pas payer de gros frais de formation pour ses trois ans au PSV l’a empêché d’être en règle pour la deuxième partie de saison.

Koen Booghe ne reconnaît pas Evenepoel dans ce portrait que nous lui dressons. Le responsable de l’académie de Malines affirme qu’il voyait un gamin heureux à l’entraînement. “Il ne donnait pas l’impression de traîner son échec anderlechtois sur le terrain. Je ne l’ai jamais vu nonchalant ou démotivé.”

Il est même bien accueilli à Malines où on lui parle rapidement de la possibilité d’être professionnel et d’intégrer le noyau A. “Nous l’avons recruté car nous avions besoin d’un joueur avec son profil et son tempérament.” Le fait de ne pas jouer n’aide pas Evenepoel à se vider la tête mais il reste concentré sur ses objectifs. “Il travaillait très dur. Il a beaucoup impressionné nos préparateurs. Certains de ses résultats étaient supérieurs à ceux du noyau pro.”

Koen Booghe a ouvert grands les yeux quand il a vu Evenepoel travailler le dimanche alors que ses équipiers se prélassaient chez eux. “Il était le seul à faire cela. Il se faisait des montées de marches comme Rocky Balboa. Il était toujours à fond et aucun entraînement ne lui suffisait. Nous utilisons encore des vidéos de lui et de ses entraînements individuels pour nos jeunes. Il est un exemple de travail.”

Les responsables malinois émettent toutefois des doutes au fil des semaines. “Il était souvent mal placé sur le terrain. Surtout en perte de balle. Nous le faisions jouer comme latéral gauche et il avait du mal à se corriger tactiquement. J’avais l’impression qu’il était toujours à fond, comme sur son vélo, sauf qu’il faut parfois se retenir de monter pour ne pas se faire prendre dans le dos. Je me demande s’il aurait pu compenser ses manquements.”

Booghe est alors honnête avec lui et lui dit que son avenir est peut-être ailleurs. Car pour le football, il semblait un peu juste. “Il perdait peut-être son temps sur un terrain.” Evenepoel ne termine pas la saison à Malines. Depuis le début, il sent que le ressort est cassé. “Je ne prends plus de plaisir sur le terrain”, affirme-t-il même.

S’en suit cette fameuse sortie à vélo qui a fait office de déclic. Patrick Evenepoel l’avait racontée en marge du double titre de champion du monde 2018 du fiston, chez les juniors : "Un jour, je rentre chez moi et je ne trouve plus mon vélo. J’étais embêté car je devais rouler avec les copains le lendemains. Mais tout à coup, le portail s’est ouvert et Remco venait de rentrer avec mon vélo. Il m’a montré son Garmin qui indiquait 120 kilomètres parcourus pour 34km/h de moyenne. Il m’a alors dit en pleurant qu’il voulait commencer le cyclisme. C’était surprenant car il était encore à Malines et était plutôt bon au foot, même si on sentait qu’il n’était plus si heureux."

Malines ne l’a plus jamais revu après cela…