Le travail de l'ombre du cycliste: on a suivi la préparation hivernale de Maxime Monfort
Loin des spotlights du Tour de France ou des grandes classiques, les coureurs du peloton professionnel préparent leur début de saison dans l'ombre et le froid. Car c'est en hiver, au fil de centaines d'heures d'entraînement jamais médiatisées, que se jettent les bases d'exploits futurs.
Alors que les premiers coureurs du peloton professionnel ont repris la compétition aux antipodes, nous vous proposons de plonger au coeur de la préparation de Maxime Monfort. Chez lui, à Aywaille, mais aussi à Manacor (Espagne) en passant par les Alpes... avant de faire sa rentrée au Challenge de Majorque, ce jeudi 31 janvier.
À tout juste 36 ans, Monfort connaît chaque recoin de cette préparation et peut parler mieux que personne de l'apport des nouvelles technologies dans le quotidien d'un cycliste professionnel. Entre seuil anaérobie, entraînements variés et vie monacale, ce grand format est l'occasion d'en savoir plus sur les coulisses d'un sport où le travail laisse finalement peu de place au talent. Vidéos et infographie à l'appui.
1. La coupure
Il est à peine 9 heures quand on frappe à la porte de Maxime Monfort, sur les hauteurs d'Aywaille, en ce début du mois de décembre. Le sixième de la Vuelta 2011 est déjà en tenue de travail. "Aujourd'hui, c'est ma plus grosse journée de la semaine. Je vais faire pas mal de choses différentes", nous annonce-t-il. Deux mois complets vont s'écouler avant sa première course, mais cela fait déjà quatre semaines qu'il s'attelle à retrouver la forme, dans ses chères Ardennes.
Avant de commencer sa journée de travail, le coureur de la Lotto Soudal prend un café en nous racontant le début de sa préparation, indissociable de la coupure et de la fin de saison qui ont précédé. "J'ai terminé 2018 au Tour de Lombardie, par un abandon", se souvient-il. "Là, Tim Wellens et Thomas De Gendt ont eu l'idée de rentrer en Belgique à vélo. Ça avait l'air sympa, mais je n'ai pas leur moteur et leur talent. Moi, j'ai besoin de récupérer physiquement et mentalement. J'ai encore regardé ce que Thomas avait fait la semaine passée à l'entraînement… il fait des trucs de fou ! Après, je ne sais pas si ça lui est vraiment utile mais ce dont je suis sûr, c'est que si je fais des sorties pareilles, j'en ressors plus fatigué que préparé."
Dans la foulée de son Tour de Lombardie, Maxime Monfort a opté pour une coupure complète de quatre semaines et deux jours. "J'ai fait du vélo tous les dimanches avec des potes mais ce n'est pas de l'entraînement, c'était peinard. Et j'ai joué quelques fois au tennis mais pas à bloc. Cette coupure est nécessaire d'un point de vue physique. Il m'est déjà arrivé de finir la saison sans vraiment ressentir de fatigue mais ce n'est pas sain d'être si maigre, de faire autant d'efforts tout le temps, etc. Il faut accorder un peu de repos à son corps et je suis convaincu que si on ne le fait jamais, on le paye tôt ou tard dans la saison qui suit."
"J'arrive à vivre toute l'année"
La coupure est également nécessaire d'un point de vue mental. Pourtant, Monfort reconnaît en avoir "peut-être moins besoin que d'autres". "J'ai trouvé un équilibre au fil du temps. Désormais, j'arrive à vivre toute l'année. J'arrive à avoir une vie sociale et du coup j'ai moins besoin de cette coupure qu'en début de carrière. J'ose faire des choses que je n'osais pas faire avant. Un restaurant de temps en temps, aller chez des amis après l'entraînement… parfois, c'est compliqué, surtout avec la fatigue de l'entraînement. Mais mentalement, ça fait du bien et du moment qu'on ne fait pas d'excès, tout peut être compensé, surtout avec l'expérience."
Accorder du temps à ses deux enfants et à son épouse est aujourd'hui une priorité pour le coureur. "Je ne le faisais pas toujours il y a quelques années et peu de coureurs le font, d'ailleurs. Après, pour certains, cela apporte de grands résultats... parfois au prix de vies monacales. Celui qui arrive à accepter ça tout en restant motivé et en gardant la niaque, il fera certainement une grande carrière... mais peut-être pas aussi longue que celle de quelqu'un qui trouve un équilibre entre sa carrière et sa vie sociale. On assiste d'ailleurs parfois à des pétages de câble. Des gars qui prennent sept ou huit kilos pendant l'hiver, ça vient de là."
"Des grands résultats au prix d'une vie monacale."
Maxime Monfort fait donc partie des hommes les plus "normaux" du peloton. D'ailleurs, l'intersaison ne débouche pas vraiment sur des écarts le concernant puisqu'il n'en ressent pas vraiment le besoin : "Disons que je mange et je bois un peu plus d'alcool, notamment avec les fêtes. L'hiver est l'occasion de boire un verre en plus pour accompagner les amis, sans pour autant exagérer. Cette année, je n'ai que deux kilos à perdre par rapport à mon poids de forme qui est de 68,5 kilos (pour 1m81, NdlR)."
Retrouver ce poids de forme sera une formalité pour Monfort, là où cela peut tourner à l'obsession pour certains de ses confrères. "Au-dessus de quatre kilos, par exemple, ça fait beaucoup et certains doivent s'entraîner plus, faire des sorties plus longues, en roulant moins vite pour éliminer plus de graisses, etc. À ce moment-là, ça vient influencer l'entraînement."
Comme tout être humain normal, le natif de Bastogne a terminé 2018 par quelques bonnes bouffes avec la famille et les amis. "Je roule également les 24 et 31, mais sans me contraindre à de grosses journées sinon je ne profite pas de la soirée. Et le 25 décembre et le 1er janvier, je roule une heure, environ. Je réserve mes séances les plus lourdes pour les autres jours de la semaine."
2. La reprise
C'est donc bien avant les fêtes de fin d'année que Maxime Monfort a repris l'entraînement. Sur son vélo de route, mais pas seulement. "Depuis quelques temps, j'ai l'accord de l'équipe pour faire mes propres entraînements mais en leur soumettant à l'avance. Je passe tous mes diplômes pour être entraîneur donc ce serait un peu dommage de ne pas appliquer ce que j'apprends sur moi-même. Cela dit, quand on a des comptes à rendre à un entraîneur, c'est parfois plus simple de se motiver…"
D'autant plus que cet hiver, Maxime Monfort a fait sa seizième préparation hivernale. "Je sais que j'ai atteint mon meilleur niveau il y a quelques années mais je sais aussi qu'il y a encore sûrement des bons moments à vivre. La motivation est différente, avec le temps, mais la passion ne me lâche pas et heureusement ! J'aime être coureur cycliste mais j'aime aussi faire du sport. Prendre mon vélo et aller rouler, j'adore ça, même si aujourd'hui, en l'occurrence, ce sera sous la pluie…"
Avant d'enjamber son vélo de course Ridley, il va toutefois commencer l'entraînement dans son salon. En disposant un simple tapis sur le sol, avec l'aide de l'un ou l'autre accessoire comme la "gym ball", il va faire une vingtaine de minutes de gainage. Une séance qui lui permet de réveiller son corps et de commencer à souffrir... au sec.
Le gainage est un exemple parmi d'autres de la modernisation de l'entraînement du cycliste. Mais parmi cette multitude d'outils aujourd'hui à disposition, certains sont-ils réservés à des coureurs en particulier ? La préparation d'un leader est-elle différente de celle d'un équipier ? "Je n'ai jamais été LE leader d'une équipe. Les grands leaders, ils ont leur programme établi très tôt, avec des courses qui les préparent à atteindre un pic de forme au bon moment. Dans le cas d'un équipier, on prend ce qu'on nous donne avec parfois des calendriers qui connaissent des modifications. Et on essaye d'être bon tout le temps…"
Forcément, les sprinters travaillent plus leur musculature afin d'augmenter leur vélocité quand les grimpeurs développent des fibres musculaires différentes pour améliorer leur endurance tout en se débarrassant de chaque gramme superflu. Mais dans les grandes lignes, la reprise des entraînements est identique pour tout le monde : "Il s'agit de reconstruire une base, retrouver un niveau sur lequel on s'appuiera toute la saison" reprend Monfort. Quant au planning, il peut être avancé de quelques jours et s'intensifier si la première course de l'année arrive plus tôt. "Si j'avais dû courir le Down Under (du 15 au 20 janvier, NdlR), j'aurais sans doute adapté mon programme. Après, qu'on reprenne la compétition le 25 janvier ou le 10 février, ça ne va pas changer fondamentalement ta préparation en novembre ou décembre."
Cet hiver, Maxime Monfort a entamé sa préparation par quinze heures de travail par semaine. "Ça, c'est pour la semaine d'entraînement la plus light de l'année", explique-t-il. L'idée est évidemment d'augmenter la charge progressivement au fil des semaines. Mais y a-t-il une différence entre la préparation d'un coureur Lotto Soudal et celle d'un Sky ? "À mon avis, il n'y en a pas beaucoup. Peut-être au niveau du volume, oui. J'en fais peut-être un peu moins qu'avant et certains collègues, dont ceux de la Sky, en font plus que moi. Mais il y a aussi là-dedans une certaine recherche de bien-être mental… c'est presque psychologique. En tout cas, dans mon cas personnel, j'en fais moins qu'à une certaine époque et je me sens mieux sur le vélo."
3. Des entraînements variés
Il n'y pas que sur son vélo de route ou sur un tapis de gainage que le cycliste peut s'entraîner. Passage en revue :
Le Ski de randonnée...
Maxime Monfort est un fan de montagne. Sa carrière professionnelle est incompatible avec le ski alpin, notamment à cause des risques élevés de blessure (certains contrats en interdisent même la pratique), mais ses années communes avec les frères Schleck lui ont permis de découvrir un excellent moyen de préparer la saison à venir : le ski de randonnée. "Je pars une semaine par an au ski, en général. C'est une semaine de travail intense, mais aussi de vacances avec la famille et les amis. Je travaille de mon côté en journée et je les retrouve le soir, c'est un chouette compromis. Je fais entre 2.000 et 3.000 mètres de dénivelé par jour et le soir je fais du rouleau pour transférer le geste vers celui que je fais sur le vélo." Le ski de randonnée se fait avec des peaux de phoque, ce qui permet de ne pas glisser en grimpant. Une fois au-dessus, il suffit de les enlever pour se laisser redescendre.
... mais pas la randonnée traditionnelle
Si la randonnée à ski est bénéfique, pourquoi pas la randonnée traditionnelle ? "Monter, c'est bien. Mais les cyclistes n'aiment pas redescendre à pied. À vélo, le muscle travaille de manière concentrique. Or, quand tu descends une colline à pied, par exemple, tu le fais en freinant et donc tes muscles travaillent de manière excentrique. C'est un geste qu'on ne fait jamais, nous, cyclistes. Si je descends une bête colline de 100 mètres de dénivelé, je suis cassé pour une semaine !"
La course à pied
Certains coureurs la pratiquent durant l'hiver, afin de varier les plaisirs. C'est moins le cas de Maxime Monfort, qui chausse toutefois ses baskets à quelques reprises sur l'année : "J'en fais un peu pour accompagner mon épouse, qui fait des trails. C'est par pur plaisir plutôt qu'en guise de préparation."
Le Cyclo-cross
"Certains en font mais pas moi. Ici, dans les Ardennes, c'est trop cassant. Il faut le faire dans l'endurance plus que de manière intensive car ça peut alors devenir contre-productif. Van Aert, par exemple, il scinde bien ses saisons de cross et de route et il a besoin d'une pause assez longue après les classiques."
La Piste
"Ça pourrait être intéressant mais dans mon cas, je suis à 1h30 de route de la piste la plus proche, en Allemagne. Je suis trop vieux pour faire trois heures de route pour aller améliorer ma vitesse sur une piste. Mais pour certains coureurs, c'est super efficace pour la vitesse de jambes. On a beau être en grande forme physique, si on n'a pas le rythme et la cadence ça ne sert à rien."
Le VTT
"J'en fais quasiment toute l'année. Beaucoup moins en saison qu'en hiver car l'inconvénient, c'est qu'on n'a pas le même rythme de pédalage sur un VTT qu'en course. Mais quand je travaille surtout ma base physique, c'est plutôt utile de faire des sorties VTT."
Le pignon fixe
Le "pignon fixe" est bien connu des anciens coureurs. Il consiste à faire une sortie d'entraînement sur un vélo de route muni d'une seule vitesse, ce qui permet de travailler la fréquence de pédalage, la vélocité et la force. "Personnellement, quand j'ai besoin de travailler ma cadence, je fais une sortie durant laquelle je me concentre là-dessus sans pour autant faire du pignon fixe. Il faut dire qu'ici dans les Ardennes, le terrain ne s'y prête pas vraiment (rires)."
La natation
Elle est pratiquée par certains professionnels. Le crawl, notamment, permet de travailler le gainage abdominal et de renforcer les muscles du dos pour une meilleure posture sur le vélo. "Ça se fait encore chez certains confrères du peloton mais personnellement je n'aime pas compter des carrés au fond de la piscine, c'est chiant", rigole Monfort.
4. Le stage collectif
La pratique du cyclisme n'est pas toujours simple, pendant les hivers belges. Les équipes professionnelles organisent toujours au moins un stage hivernal qui permet de rassembler les coureurs sous le soleil. L'occasion de s'entraîner dans les meilleures conditions mais aussi de régler le programme de course, ainsi que le matériel et d'apprendre à connaître les nouvelles recrues.
Nous étions aux côtés de la Lotto Soudal, en décembre, pour le rassemblement annuel de la formation, à Majorque. "Les stages en hiver sont très importants dans la préparation des coureurs", explique Monfort. "Pour de nombreux aspects différents. Le premier, et le plus important, est la qualité des entraînements que nous pouvons y effectuer."
"Les stages en équipe nous permettent de franchir un cap"
Pas question de chômer sous le soleil espagnol. La réussite d’une saison passe par une solide base de travail. "Après avoir fait quatre ou cinq semaines d’entraînement individuel à la maison, on arrive sur le premier stage qui nous permet de passer un cap dans la préparation, avec une charge de travail plus importante. Lors du stage de l’équipe, nous avons les conditions idéales pour pouvoir faire cette importante charge de travail. Pour résumer : on n’a rien d’autre à faire que de rouler ou de travailler le physique ! Le reste du temps, on a tout le soutien de l’équipe, on peut récupérer, on a des massages, des soins…"
Lotto Soudal avait établi son premier camp d’entraînement dans l’imposant complexe sportif de la star de tennis Rafael Nadal, à Manacor, sur l’île de Majorque. "En stage, on est comme des rois : on ne doit rien faire. On a juste à monter sur le vélo. Qui est prêt, avec deux bidons remplis dessus. Le ravitaillement est préparé aussi. On part rouler. On dépose le vélo au retour de l’entraînement et on n’y touche plus. Il sera prêt le lendemain. On donne notre linge, qui est lavé et replié pour le lendemain. Et tous les repas sont préparés aussi pour nous. Avec un bon timing. C’est même parfois exagéré, il y a un tel clivage par rapport à la vie quotidienne, notamment pour un père de famille comme moi..."
"Ces stages sont importants pour souder les groupes"
Une autre utilité des rassemblements d’équipes en hiver, c’est de permettre aux coureurs d’apprendre à mieux se connaître. "C’est souvent la première fois que nous sommes tous ensemble au même endroit, et c’est rare dans une saison", décrit encore Maxime Monfort. "Il y a par exemple des coureurs que je ne reverrai sans doute pas cette année. Comme des jeunes sprinters, qui n’auront pas le même programme que moi, qui feront dans leur première année des courses plates de moindre envergure."
C’est aussi une bonne occasion de souder un groupe. "À l’entraînement, nous sommes déjà répartis en groupes spécifiques : il y a les sprinters, les gars des classiques, les grimpeurs... Cela permet de travailler nos spécificités. C’est important que chaque groupe se connaisse bien, pour bien évoluer ensuite en course. Il faut tester des choses à l’entraînement, avant de pouvoir les organiser en course. Pour nous les grimpeurs, c’est encore un peu tôt, car cela demande des efforts longs et violents qui ne sont pas encore applicables lors du premier stage de décembre. Par contre, pour les sprinters, qui font des efforts plus courts, il est déjà important pour eux de tester à vitesse réelle ce que cela va donner en course."
Les grands rendez-vous de la saison paraissent encore très éloignés. Mais la préparation des coureurs est déjà bien avancée. "En plus des entraînements, nous enchaînons de nombreuses réunions. Pour régler le matériel, ce qui est assez simple dans mon cas cette saison puisque je me contente d'un changement de guidon, mais aussi pour organiser les plannings de courses."
Celui de Maxime Monfort sera axé sur Tim Wellens : "Je ferai trois jours de course à Majorque, puis l'étoile de Bessèges, le tour des Emirats Arabes Unis, Paris-Nice, le tour du Pays Basque, les quatre classiques ardennaises (Flèche brabançonne, Amstel Gold Race, Flèche wallonne et Liège-Bastogne-Liège, NdlR) et le tour de Romandie. Et mis à part aux Emirats où je devrai prouver que je peux aider Caleb Ewan sur le Tour de France, je serai surtout là pour aider Tim Wellens avec qui je m'entends très bien. Je sais que je ne ferai pas le Giro et j'espère être sur le Tour de France. À partir du mois de mai, je me concentrerai sur cet objectif, pour être frais et en forme en juillet. Si je ne suis pas au départ à Bruxelles, alors il faudra bien basculer sur un autre programme de course..."
5. Retour en Belgique
Le premier stage ne dure qu'un temps (une semaine, en général) et il faut revenir à la pluie belge tôt ou tard. "Le froid n'est pas tellement le problème, c'est plutôt l'humidité. Quand j'étais plus jeune, je me motivais malgré la pluie mais j'ai appris avec les années que ça ne servait pas à grand-chose. Entre ce que ça coûte mentalement et physiquement… c'est juste de la lutte contre l'humidité et le froid donc on perd en général sa concentration sur l'entraînement."
A propos du mental, peut-il être travaillé ? "Je l'ai fait pendant cinq ou six ans et j'ai arrêté depuis deux ans car j'avais fait le tour. Personnellement, j'essayais de trouver des motivations supplémentaires en course. Je m'explique: Quand on arrive au pied de la dernière bosse après 200 bornes, on est tous crevés. Devant sa télévision, on pense parfois que certains coureurs sont encore frais au moment de se disputer la victoire mais c'est faux, tout le monde est fatigué. La différence se fait à ce moment-là, en faveur de ceux qui en veulent le plus. Me concernant, il m'arrive de penser, dans ces moments de souffrance : 'Qu'est-ce que je fais là ? Pourquoi je m'inflige ça ?' Il faut lutter contre cette pensée car c'est à ce moment-là qu'il faut se motiver pour se placer avant l'ultime difficulté, puis faire abstraction de la douleur et de l'inconfort dans les derniers kilomètres."
L'impact des nouvelles technologies
Les nouveaux outils scientifiques à disposition changent également la face d'une préparation. "Toutes nos sorties sont enregistrées sur des serveurs et on sait voir où on en est exactement dans notre forme. C'est un super outil de calcul pour la préparation en cours mais aussi un bon point de repère par rapport aux précédentes saisons." Et à 36 ans, se voit-on encore progresser ? "Physiquement, j'ai les mêmes paramètres qu'avant. Mais parfois, mentalement, j'ai de plus en plus cette pensée qui est 'qu'est-ce que je fais là ?'. Donc c'est un vrai objectif lors de cette préparation de retravailler à partir des clés que m'avait données le coach mental il y a quelques années."
Si les coureurs savent mieux qu'avant où ils en sont dans leur forme, les premières courses de l'année seront forcément un bon baromètre. "C'est super important de bien débuter sa saison. Il n'y a personne qui vient sur la course en étant loin de sa meilleure forme. Tout le monde est à 95 ou 96% minimum et il faut prendre le train en route. L'année passée, j'ai un peu loupé le bon wagon en début de saison et je n'ai sorti la tête hors de l'eau qu'au mois de mai. Ce n'était vraiment pas facile, donc cette année j'ai adapté ma préparation pour ne pas revivre ça."
L'envie de Maxime Monfort de bien faire en 2019 est d'autant plus présente qu'il rêve de renouer avec le Tour de France. Son équipe a déjà annoncé qu'il faisait partie d'une présélection, mais seuls les premiers mois de l'année et ses performances pourront valider sa présence au Grand Départ, à Bruxelles, le 6 juillet prochain.
En attendant, la meilleure chose à faire est de continuer à travailler dur. Après l'avoir observé en pleine séance de gainage et lors d'une sortie VTT, place à l'interval training. L'occasion d'enfourcher le vélo de route. Pas forcément pour y cumuler les kilomètres, mais plutôt pour répéter les efforts à haute intensité.
6. Perfectionnement sous le soleil espagnol
Nouvelle preuve que le cyclisme est en perpétuelle évolution, Maxime Monfort innove encore pour sa seizième préparation hivernale. Il l'a finalisée par trois blocs de quatre jours d'entraînement en Espagne. Lors des deuxième, troisième et quatrième semaine de janvier, il est retourné à Majorque pour s'astreindre à de grosses charges de travail. "Ce sont des blocs de quatre jours en semaine et j'en profite pour rentrer en Belgique le week-end. Ce n'est pas très bon pour mon empreinte carbone mais ça permet de souffler un peu en famille, tout en roulant quand même un peu, avant d'enchaîner sur quatre grosses journées d'entraînement."
Il faut dire que contrairement au début de la préparation, rouler au sec ne suffit plus pour garantir une certaine efficacité : "La température en Belgique ne dépasse pas les cinq degrés durant ces trois semaines. Or, pour perfectionner notre forme, on doit vraiment faire de grosses intensités et la particularité de ces entraînements intensifs, c'est que lorsque la barre des dix degrés n'est pas atteinte, on risque de tomber malade. C'est donc vraiment bien de pouvoir s'entraîner de manière optimale sous le soleil espagnol sans risquer de perdre du temps et des forces à cause de microbes..."
Ce deuxième stage se déroule donc en trois étapes pour Monfort tandis que ses équipiers optent pour des rythmes différents : "L'équipe nous laisse un peu nous organiser, c'est la première fois qu'on fait ça. Contrairement au stage de décembre, on est un peu plus livrés à nous-mêmes en janvier mais ça permet aussi de ne pas être tributaire du rythme du groupe."
L'occasion de suivre un programme qui lui est propre : "Je peux par exemple travailler un jour mon seuil anaérobie avant d'enchaîner le lendemain sur 6h30 d'endurance." Le seuil anaérobie, c'est le moment précis où le cycliste bascule d'un effort "équilibré" pour se mettre "dans le rouge". "Théoriquement, on peut rouler pendant une heure au seuil anaérobie, ce qui correspond à certaines montées de col ou certains contre-la-montre. Plus notre seuil anaérobie est élevé, plus on s'épargne dans les périodes intensives d'une course", explique le grimpeur.
Pour travailler ce seuil et repousser le moment où il se met dans le rouge, Maxime Monfort réalise plusieurs blocs d'effort d'une douzaine de minutes juste au-dessus et juste en-dessous du seuil. "Ce seuil est calculé pour chacun avec un test à l'effort, mais grâce à l'expérience, les sensations sur le vélo me suffisent pour savoir si je l'ai atteint ou non."
Le climat espagnol est également idéal pour "travailler sur le lactique", comme disent les coureurs : "Là, on parle d'une intensité qui va au-delà du seuil. Forcément, on ne peut la tenir qu'entre 30 secondes et une grosse minute, car les jambes brûlent fortement." C'est notamment dans ces moments d'effort intense que le coureur compte en profiter pour travailler... le mental, et sa faculté à se surpasser.
De la route et du repos
À quelques jours du retour en compétition, il n'est plus question de ski de randonnée ni de VTT. "C'est vraiment sur le vélo de course qu'on va chercher les derniers pourcents de forme. Il n'y a pas de secret, nous sommes des cyclistes sur route et c'est le seul moyen de perfectionner sa forme. Je continue simplement à faire du gainage tous les deux jours pour entretenir les progrès faits en début de préparation sur ce point."
Avec de telles charges de travail, le mois de janvier nécessite d'être irréprochable sur deux choses : l'alimentation et le repos. "Il faut vraiment savoir quoi manger après une grosse séance d'entraînement, connaître ce dont notre corps a besoin. Et il faut aussi accorder énormément d'importance à la récupération pour que la séance du lendemain soit optimale." D'ailleurs, après son dernier bloc de quatre jours intensifs en Espagne, Maxime prendra le temps de récupérer pour recharger les batteries avant sa première course de l'année, qui aura lieu le 31 janvier.
Le rythme se gardera ensuite à la faveur des différentes compétitions. Bien sûr, il faut continuer à s'entraîner entre les courses mais les charges redeviennent raisonnables, ce qui est nécessaire pour ne pas vider ses réserves énergétiques avant même les premiers grands rendez-vous.
Au contraire des équipiers, certains leaders devront se livrer à un véritable travail de précision pour calculer leurs pics de forme durant la saison. S'il n'est plus la tête de liste de son équipe, l'Ardennais l'a été et en tant qu'étudiant-entraîneur, il est évidemment bien placé pour parler de ces fameux pics de forme : "Il ne faut surtout pas négliger les bases et se construire une condition générale. Pour affiner cette condition, il faudra alors faire des entraînements de plus en plus précis et intenses. Pour qu'un coureur passe de 97% à 100%, il faut jongler entre la science et l'art, si je peux m'exprimer de la sorte. Ce n'est pas avec des sorties de 6h30 qu'on va chercher les derniers pourcents de forme, car l'endurance a été acquise avec la préparation hivernale et les premières courses, mais plutôt avec de l'intensité et du spécifique."
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Vous en savez désormais un peu plus sur le travail de l'ombre des cyclistes et sur la passion inébranlable qui doit être la leur pour soutenir un tel rythme de vie. Cette passion anime indiscutablement Maxime Monfort, tant dans la pratique que dans le partage de son métier. À ce titre, nous ne pouvons que le remercier pour sa disponibilité et lui souhaiter la meilleure saison possible en 2019.