Radja Nainggolan: une enfance sans argent, sans père et sans reconnaissance
Il était prédestiné à finir à la rue. Ou pire. Radja Nainggolan a connu la pauvreté, l’abandon, le deuil, mais son travail et son caractère lui ont fait sortir la tête hors de l’eau.
Dans ce "Histoires de Diables", nous revenons sur l'enfance et la formation anversoises d'un joueur qui a mis du temps à se faire un nom, au milieu d'une génération dorée. Formateur, coach et directeur d'école se souviennent...
Naître dans la pauvreté
Anvers, début des années 90. La famille Nainggolan vit dans un petit appartement dans les quartiers pauvres de Linkeroever, à l’ouest de la ville. "Un quartier dans lequel la seule règle est de survivre", résume Marc Noë, un ancien formateur du Beerschot.
Une vie que ne supporte par le père du joueur de l’Inter. Radja n’a que cinq ans quand il voit son paternel, criblé de dettes de jeu, mettre les voiles. Retour au pays, en Indonésie.
Le fiston ne garde que de son père des traits aux caractéristiques asiatiques et une réputation folle en Indonésie. Pour le reste, il a tiré une croix sur la branche paternelle de son arbre généalogique.
Une croix effacée le temps d’une rencontre. En 2013, le père de Radja le recontacte. "Je voulais lui offrir une nouvelle chance", a-t-il avoué au Times. "J’étais en Indonésie et on s’est croisé. Je me suis rendu compte qu’il était juste là pour l’argent. Il n’a pas saisi sa chance. Pour moi c’était fini."
Une maman entre trois jobs
Le joueur sait trop bien ce que le départ de son paternel a causé à sa famille. Sa mère s’est littéralement divisée en trois. Pas entre ses trois enfants, mais bien entre les trois jobs entre lesquels elle jonglait pour nourrir Radja, sa jumelle et son frère. "Il n’était pas simple de grandir dans cette situation. Je vivais à la rue la plupart du temps. Jusqu’à tard le soir."
Pour le même prix et surtout sans le football, son défouloir et son aspiration, Nainggolan aurait certainement choisi le mauvais chemin. Il n’était pas bon en classe, ne faisait attention à rien et enchaînait les conneries.
« J’ai pris des choses… quand j’avais besoin de manger. Je n’avais pas les moyens de payer. Cette période a été la plus difficile pour moi. »
Pour illustrer l’éducation difficile du Ninja, Frans Vanden Wijngaert, son directeur à l’école de sport élite et ancien arbitre réputé en Belgique, a une anecdote d’un repas. Il a repéré la manière de manger de Nainggolan et lui a demandé "C’est comme ça que tu manges à la maison ?" Le jeune homme lui a répondu par l’affirmative. "Dans le quartier Chicago de Linkeroever, où il habitait, les jeunes jettent leurs restes de nourriture du 15e étage", poursuit Vanden Wijngaert. "C’est un vrai dépotoir. Il a fallu lui apprendre les règles du savoir-vivre."
Un grand frère aimant
Radja Nainggolan a toujours pu compter sur Riana, sa jumelle. Si elle est son aînée d’un jour (elle est née avant minuit, lui après), les deux sont fusionnels depuis leur plus jeune âge.
"C’est ma grande sœur, mais j’agis en grand frère. Je fais attention à elle et la protège", lance celui qui s’est fait tatouer le prénom de Riana sur le corps.
Orphelins en 2010
Leur relation s’est encore renforcée en 2010. Ils se retrouvent orphelins après le décès de leur mère des suites d’un cancer qui l’a emportée trop tôt.
Radja est déjà en Italie et souffre moins que sa sœur de cette énorme perte. "Elle étudiait encore et vivait à la maison avec elle", explique le Ninja au Times. "D’un coup, elle n’avait plus rien. Ma mère faisait tout pour elle. Elle a dû apprendre à gérer ses études tout en lavant ses vêtements et en se faisant à manger."
Le souvenir de leur mère reste gravé en eux. Dans le cœur et dans la peau. À l’encre indélébile. Pour garder un souvenir impérissable de leur mère, les jumeaux se sont fait tatouer son nom. Radja l’a même fait à deux reprises.
Le nom de leur mère en elfique
"Une fois dans le dos et une autre sur le poignet." Ce dernier est écrit en elfique. Un choix esthétique et de discrétion plus qu’un hommage à J.R.R Tolkien et son Seigneur des Anneaux. "Je n’ai d’ailleurs jamais vu les films."
Riana et Radja ont tout partagé. Depuis un utérus commun jusqu’à même habiter ensemble durant un moment lorsque Radja évoluait à l’AS Rome. Le Ninja a créé une dépendance dans sa maison en périphérie de la capitale italienne et y a accueilli sa sœur et sa compagne.
"Elle passait ses journées chez nous. Je lui ai proposé de venir, car je veux qu’elle ait la plus belle vie possible. Ce n’est pas parce qu’on est jumeaux, mais parce qu’on a connu des épreuves dans notre vie. Elle essaie de faire sa vie et je la soutiens."
Depuis leurs quatre ans, ils partagent une passion commune pour le football. Riana n’a jamais atteint le niveau de son frère, mais compte tout de même une sélection avec les Red Flames d’Yves Serneels.
Elle évoluait alors dans la section féminine de l’AS Rome après un passage au Beerschot et à l’Antwerp. Une belle petite carrière qu’elle termine actuellement en Sardaigne, où elle joue au futsal.
Son changement de trajectoire laisse comprendre qu’elle n’a pas le profil de son frère. "Oh non", sourit le Ninja. "Elle joue plus en finesse que moi et possède une excellente technique. Elle est juste moins puissante que moi même si elle a passé son enfance à jouer contre des garçons."
Romulus, Remus et homosexualité
Les Romulus et Remus de l’AS Rome ont ajouté une brique à leur relation lors du coming-out de Riana. Si elle n’a jamais eu de problème à s’assumer et qu’elle n’a jamais été insultée ou critiquée à ce sujet, elle a eu certaines difficultés à l’avouer.
"J’ai toujours su que mon frère serait là pour moi", a-t-elle expliqué à Football Heroes. "Je me demandais toutefois comment je pourrais rendre la chose publique. C’est toujours plus dur de le dire à quelqu’un à qui tu tiens. Je ne pensais pas y arriver. Il m’a juste répondu que si j’étais heureuse, il l’était également. C’était la réponse parfaite. Depuis ce moment-là, je me sens mieux avec la personne que je suis."
Un joueur qui ne sortait pas du lot
Son grand cœur et sa gentillesse ne l’ont jamais défini sur un terrain. Radja Nainggolan a toujours été un guerrier. La rue lui a appris à jouer dur. À ne faire aucune concession.
À 11 ans, le Germinal Beerschot lui met le grappin dessus après quelques années passées au Tubantia Borgerhout, un club local.
"Il n'était pas Moussa Dembelé"
Nainggolan se taille une petite réputation et intègre de temps à autre les équipes nationales de jeunes. "Il vivait pour le football", se souvient Vincenzo Verhoeven, son meilleur ami.
Le médian passe sous le radar. Pour deux raisons : la concurrence et une mauvaise analyse de ses qualités.
"Radja sortait du lot, mais pas comme Moussa Dembelé", dit Eric Verhoeven, correspondant juridique du GBA. "Moussa était un diamant brut. Il jouait dans une équipe avec Jan Vertonghen et Toby Alderweireld (NdlR : et Tom De Mul). Nainggolan avait un an de moins et aurait pu jouer avec cette équipe, mais ce n’était pas toujours le cas, car cette équipe était trop forte."
Jamais approché par un autre club belge
Danny Veyt, formateur du Ninja en fin de parcours au Beerschot, confirme : "Il y avait tant de talents. On était presque toujours champions avec des gars pareils. Radja était tout de même un des bons joueurs qui tranchait par son gros caractère. Il pensait foot et voulait toujours gagner. Il était plus jeune et avait plus de caractère. Il voulait toujours avoir raison et aimait contester chaque remarque. Les autres gars qui ont réussi étaient plus calmes."
Ses formateurs le résument à son agressivité et sa mentalité. Jamais à son talent pur. Un point soulevé par son meilleur ami. "Je crois qu’il n’aurait pas réussi en Belgique à cause de cela. On le considérait juste comme un arracheur de ballons. Rien de plus. En Italie, il a prouvé que son rôle allait au-delà de cela. Étonnamment, je ne me souviens pas qu’il ait été un jour approché par un autre club belge."
Le transfert par pur hasard
À 16 ans, Nainggolan n’en peut plus et veut s’en aller. "Le Beerschot ne croyait pas en moi", a-t-il dit à Fan ! "Je ne recevais pas de contrat pro."
Il signe finalement à Piacenza, en D2 italienne, pour 1.400 euros par mois. "Une somme pour ma famille", poursuit-il. Un choix critiqué par beaucoup. "J’ai dit ‘aïe’ quand il m’a annoncé qu’il partait", dit Frans Vanden Wijngaert, son directeur d’école. "J’espérais qu’il n’allait pas le regretter."
"Il était perçu comme un pitbull"
Seul Marc Noë, son ancien coach, frappe du poing sur la table quand on lui annonce qu’une offre est arrivée d’Italie pour son protégé. "J’ai dit à Eric Verhoeven de le garder. Il était considéré comme moins talentueux que Vermaelen, Dembelé, Vertonghen ou Alderweireld. Il était perçu pour un pitbull et cela se retournait contre lui. Il avait pourtant deux bons pieds et un bon jeu de tête malgré sa taille."
La décision est prise : un prêt de deux ans avec une option d’achat pour un total de 450.000 euros dans les poches du GBA.
Revenons quelques semaines en arrière. Un bon mois avant les négociations. Alessandro Beltrani est au bord du terrain lors d’un Mouscron-Beerschot et a une révélation : il va embarquer ce petit milieu de terrain à la coupe en brosse en Italie.
Posté aux côtés de Beltrani, devenu depuis l’agent historique du Ninja, David Lasaracina, agent belge, se souvient parfaitement de cette journée.
La Fiorentina venait voir un latéral gauche, pas Nainggolan
"La Fiorentina recherchait un latéral gauche et avait Benoît Sotteau (NdlR : qui évolue actuellement en D3 Amateurs) dans le viseur. Nous venions l’observer et nous avons flashé sur un petit asiatique qui jouait dans l’entrejeu. Après nous être renseignés, on nous a dit qu’il jouait par défaut, à cause de blessures. Il a sorti un énorme match."
Les deux hommes ont rapidement rencontré la mère du joueur pour les mandater pour le marché italien. Ils invitent plusieurs clubs à venir le voir de leurs propres yeux.
"Tous sont tombés sous le charme. Il a joué plusieurs matches dans son style propre. Le GBA le pensait trop petit et trop frêle, mais nous avons vu sa grinta. Il n’avait peur de rien. Les Italiens ont adoré. Lecce, Palerme et la Fiorentina le voulaient, mais nous avons réfléchi en terme de plan de carrière et nous pensions qu’il se développerait mieux dans un plus petit club comme Piacenza."
Son frère l'a menacé de lui casser les jambes
Le club de Sardaigne a un autre avantage : il accepte de prendre deux de ses équipiers avec lui. "Didier Ndagano est parti avec Radja. Benoît Sotteau devait en faire de même, mais est resté en Belgique pour des raisons familiales. Finalement, Radja est le seul à avoir réussi à un tel niveau. Alors qu’il était celui qui, à la base, n’était pas supposé devenir un grand joueur. J’aime appeler ça le paradoxe Radja."
Ses six premiers mois à Picenza sont un calvaire. Il n’a qu’une seule envie : revenir. Il n’arrive pas à s’adapter au jeu, à la mentalité et à la langue. Il pense à rentrer, mais voit son grand frère contrecarrer ses plans de désertion.
"Il m’a dit que si je rentrais, il me casserait les jambes. Je peux le remercier."