Roberto Martinez

De l'énigme à la tour de contrôle

"Le changement a parfois du bon"
Jan Vertonghen

Après la déception française à l’euro 2016, la Belgique doit reconstruire. Où plutôt construire selon les mauvaises langues qui estiment que les Diables ont perdu deux ans sous Marc Wilmots. Si le Taureau de Dongelberg n’avait plus rien à apprendre à cette génération, il avait tout de même réussi à la faire grandir. Jan Vertonghen résumait parfaitement cette situation. "On ne doit pas oublier les magnifiques années que nous avons eues avec M. Wilmots." Mais il avoue aussi que "le changement a parfois du bon" et il espère que "le nouveau coach sera très fort tactiquement." Avant ensuite de conclure: "Je crois en cette équipe et en nos jeunes."

Le vrai défi pour le futur coach des Diables se situe là: faire évoluer cette génération tactiquement pour qu’elle soit moins dépendante de la chance ou des coups d’éclat de ses nombreuses individualités. Pour remplir cette mission, la presse désigne immédiatement Michel Preud’homme, alors en poste à Bruges, comme le favori. D’autres grands noms filtrent également dans les médias comme Marcelo Lippi, Louis Van Gaal, Rudi Garcia, Luis Fernandez ou encore Guus Hidink. Finalement, la Fédération étonne tout le monde et choisit Roberto Martinez.

Lors de la présentation, Bart Verhaeghe, le vice-président du Conseil d'administration de l'Union Belge, se montre très satisfait. "Ce choix a été fait à l’unanimité" indique-t-il. Il met également en garde le groupe: "Nous pensons que cette équipe a un réel potentiel. La nomination d'un nouvel entraîneur, qui a de l'expérience et qui est habitué à travailler avec ce genre de joueurs, n'est qu'une première étape. Il y a un tas d'autres pas à franchir, dont un rapidement: les joueurs doivent prendre leurs responsabilités pour devenir des gagnants. Nous aimerions gagner quelque chose et c'est dans cette optique que nous axons notre réflexion."

L’Espagnol se dit honoré et pense sincèrement que ce job et les caractéristiques techniques des Diables collent avec son projet de jeu offensif attractif. Le début d’une belle aventure? C’est ce que le peuple espère mais globalement, il accueille avec prudence l’arrivée de ce nouveau technicien...

Les défis de Martinez

"Kevin et Martinez ne s’entendent plus"
José Mirallas

Martinez sort d’une saison très compliquée avec Everton. Grâce à cette expérience, il connaît déjà plusieurs Diables rouges dont un certain Kevin Mirallas. Par l’entremise de son père, le Liégeois se montre sceptique. "Kevin et Martinez ne s’entendent plus" affirme José Mirallas. Malgré cette sortie offensive, l'ailier d'Everton sera tout de même appelé quelques semaines plus tard.

Kevin De Bruyne, lui, se dit "curieux". Le maître à jouer de Manchester City explique ceci sur les réseaux sociaux: "J’espère qu’il va nous amener à un niveau supérieur. Mais d’abord, il faut se qualifier pour le Mondial en Russie." Pour son premier match, aucune réelle surprise dans sa liste n’est à noter. Paradoxalement, c’est plutôt vers son staff qu’il faut se tourner pour trouver du changement. Thierry Henry accepte le poste de T3 et celui d’entraîneur des attaquants. Un choix étonnant mais qui aura indéniablement un effet positif sur le groupe. Titi, comme le surnomme l’ensemble des membres de l’équipe, a tout gagné et peut justement faire profiter de son expérience et sa haine de la défaite.

Après seulement trois séances d’entraînement, la Belgique joue déjà son premier match officiel contre l’Espagne. Pas un cadeau. La Roja ne fait qu’une bouchée (0-2) de Diables inexistants. Pire, pour la première fois en quatre ans, les joueurs sont sifflés par une enceinte du Roi Baudoin hostile suite à cet Euro loupé. Après la rencontre, Roberto Martinez se montre réaliste. "Ce match va me donner beaucoup d’informations. C’est un match qui m’a appris beaucoup de choses. J’ai vu tout le travail qu’il reste à accomplir. Nous étions face à une équipe très talentueuse. Mais je suis très déçu du peu d’occasions que nous nous sommes créés. Nous n’avons pas été en mesure de montrer ce dont nous sommes capables. Je comprends donc la déception des supporters. Si je suis inquiet ? Un match difficile nous attend mardi à Chypre. Il faudra un meilleur équilibre, une meilleure mentalité pour repartir dans la bonne direction". 

Si le résultat est une énorme claque pour les Diables, il montre au moins à l’Espagnol le chantier face auquel il se trouve. Rapidement, il identifie le problème majeur du groupe: la mentalité. Dès le début de son mandat, l’Espagnol martèle à qui veut l’entendre les mêmes lieux communs comme "avoir de la fierté", l’importance de "le convaincre" ou "le changement de mentalité" des joueurs.

Force est de constater qu’ils n’avaient pas compris le message à l’époque. Cette génération s’est sans doute crue trop belle à l’Euro. A l’image d’un Thomas Meunier qui déclarait lors de l’élimination face au Pays de Galles : "Notre équipe, c’est le Real Madrid des Galactiques avec Beckham, Zidane. C’est largement comparable. Ce qui nous a fait défaut, c’est difficile à expliquer. On n’a pas été à la hauteur simplement, c’est quelque chose à oublier." Cette déclaration maladroite rappelle que le talent ne suffit pas. Seuls les résultats comptent. Et cela, tout le monde doit l’imprimer le plus rapidement possible pour avancer.

L’autre énorme défi de Martinez est d’ordre tactique: il doit trouver une solution pour les postes des latéraux, LA grande faiblesse des Diables rouges. Thomas Meunier vient de signer au PSG où la peur de le voir cirer le banc s’installe. A gauche, c’est le néant ou presque. Jordan Lukaku, s’il possède beaucoup de qualités offensives, ne rassure pas et concède d’ailleurs un penalty stupide face aux Ibères. Jan Vertonghen va-t-il continuer à dépanner au poste de back gauche ? Le joueur lui-même ne semble guère emballé à cette idée.

Offensivement aussi, Roberto Martinez a du boulot. Comment assurer la cohabitation des deux talents exceptionnels que sont Eden Hazard et Kevin De Bruyne? Personne n'a trouvé la formule magique jusque là. Inconstante sous Marc Wilmots, l'entente du duo demeure l'une des clés pour que les Diables passent un palier. Martinez devra rééquilibrer son équipe dans un système qui a montré ses limites et où l’entrejeu a été littéralement asphyxié par le Pays de Galles ou l’Espagne.

Pour cela, sortir de l’ombre de Marc Wilmots et son milieu à trois très classique et trop prévisible est un impératif. Enfin, il faut redonner confiance à Romelu Lukaku qui est vivement critiqué. Rarement mis en avant sous Wilmots, la Belgique doit se doter d’un numéro neuf inamovible. Lors de son intronisation, il n’en faisait d’ailleurs pas un mystère : "Je veux faire de Romelu Lukaku une machine à marquer des goals", lance Martinez. "C’est un des plus grands talents du football mondial. N’oublions pas qu’il n’a que 23 ans. En termes de buts, il devance Wayne Rooney ou Cristiano Ronaldo au même âge."

Bref, l’Espagnol a du pain sur la planche...

Une défaite salvatrice  

Paradoxalement, la dégelée subie face à la Roja est... la meilleure chose qui pouvait arriver aux Diables. Juste après cette contre-performance, la Belgique affronte Chypre dans le premier match du groupe H pour la qualification de la Coupe du Monde. 

Pour la première fois où presque depuis 2010, la Belgique change de système de jeu. Roberto Martinez nous sort un 3-4-2-1 révélateur. En un coup de baguette magique, le technicien évacue une multitude de problèmes. Le premier concerne le poste de latéral gauche avec Yannick Carrasco qui doit se charger d’arpenter tout le flanc. Si bien sûr, cette place ne colle pas parfaitement à ses qualités qui sont supérieures offensivement que défensivement, elle lui octroie tout de même une certaine liberté.

De l’autre côté, c’est l’extase pour Thomas Meunier. Ce nouveau rôle lui va comme un gant. Dans l’axe du jeu, le duo Witsel-Fellaini se connaît parfaitement. L’un utilise essentiellement sa force physique tandis que l’autre dicte le tempo de la rencontre. Plus haut sur l’échiquier, De Bruyne et Hazard sont associés dans le rôle de meneurs de jeu.

Sur le front de l’attaque, plus de place au doute: le numéro un s’appelle Romelu Lukaku. Avec un doublé, il fait à nouveau taire les critiques. Rapidement, les joueurs adoubent ce nouveau système. Le capitaine Eden Hazard ne tarit pas d’éloges sur son association avec KDB. "Oui, cela a bien fonctionné mais on essayait aussi de se trouver dans le passé. On n’était pas souvent libre. On a déjà joué très rapproché l’un de l’autre lors de certains matches mais c’est la première fois que cela marche vraiment bien. Avec Yannick et Thomas qui demandaient les ballons sur les flancs."

Dans l’animation aussi, les progrès sont nets. "Il y a plus de solutions offensivement", indiquait Eden Hazard. "Comme les latéraux montent beaucoup, ils créent des brèches et ils font des appels. On peut toucher le ballon dans les trente derniers mètres. Plus il y a de monde, plus c’est facile." Thomas Meunier savoure. "Je ne sais pas si on gardera cette tactique lors des prochains matches, mais ce serait une bonne chose. Bien sûr on devra encore travailler les automatismes. On a tellement de joueurs offensifs que ce système est le meilleur pour exploiter tout ce potentiel."

Thibaut Courtois, souvent critique à l’encontre de Marc Wilmots, est également ravi. "Il est normal qu'avec un nouveau coach, certaines choses changent, et que les accents ne soient pas toujours mis au même endroit qu'avant. C'est à présent une autre manière de jouer et on doit encore s'y adapter. Cela ira donc mieux la prochaine fois."

Forcément, cette victoire est à relativiser tant l’adversaire était faible ce jour-là. Bizarrement, Martinez ne reconduit pas ce système face à la Bosnie un mois plus tard. La blessure de KDB l’oblige à adopter un 4-2-3-1 plus classique. Pendant 20 minutes, la Belgique patine. Puis, Jordan Lukaku se blesse et est remplacé par Laurent Ciman qui se place dans l’axe. Le tournant du match.

L'équipe repasse dans le même schéma que face aux Chypriotes. Six minutes plus tard, les Diables ouvrent le score. Deux minutes après, Eden double la marque après un caviar magistral de Mertens. Les attaques viennent de partout et le bateau bosnien est submergé. Résultat des courses? Un 4-0 bien tassé. Plus jamais, les Diables ne joueront à nouveau avec une défense à plat. 

Forcément, Roberto Martinez est très heureux de sa trouvaille. "Je pensais que ce système asymétrique permettrait à certains joueurs de trouver plus d’espaces. Kevin et Eden ont donc été très compétitifs. On pouvait alors avoir nos ailiers dans des situations d’un contre un. Je suis très satisfait. Les joueurs ont aussi fait les efforts qu’il fallait. Ce n’était pas facile, car ils n’étaient pas dans leur zone de confort avec ce système..."

Tactiquement, les Diables viennent de faire un bond en avant phénoménal. Thomas Meunier couvre d’éloges le nouvel entraîneur. "On a assez cassé les oreilles de Marc Wilmots avec le fait qu’il ne travaillait pas assez tactiquement. La Fédération a donc absolument voulu un coach rigoureux sur le plan tactique et avec Roberto Martinez, elle a tapé dans le mille. C’est un coach de classe mondiale. Roberto Martinez n’hésite jamais à arrêter le jeu pour corriger notre placement ou nous donner des conseils personnels. Avec lui, les séances sont très variées. Tant mieux car quand elles sont monotones, c’est vite soûlant."

En moins de deux mois, Martinez a imprimé sa patte sur le groupe et trouvé la solution au problème tactique. Et mine de rien, il s’agit déjà d’une révolution.

Radja Nainggolan, seule et unique tuile de son mandat 

Si tout le monde est ravi du changement d’entraîneur, un joueur est clairement perdant. Et non des moindres: Radja Nainggolan. Le Ninja romain fut l’un des meilleurs éléments pendant l’Euro. Une panoplie de sélectionneurs nous envierait un tel joueur. Mais pas Martinez. Alors qu’il est déclaré forfait pour les rencontres face à la Bosnie et Gibraltar à cause d’une blessure, il dispute un match d’entraînement avec son club de l’AS Roma. Le début de la fin. Forcément, la pilule ne passe pas du tout auprès du coach. Le médian tente lui de s’expliquer: "J'ai lu des choses erronées sur un match d'entraînement que j'ai joué contre une sélection de jeunes de Rome. Je suis en train de me remettre en ordre au niveau physique. Est-ce que vraiment une rencontre amicale contre des jeunes pour revenir dans le parcours est aussi exigeante qu’un match officiel ? Je ne suis pas encore prêt pour jouer une partie de cette intensité."

La polémique enfle. Pour le punir, Martinez choisit de ne pas le sélectionner pour les deux matchs suivants face aux Pays-Bas (amical) et l’Estonie. Martinez se justifie tant bien que mal mais personne ne le croit vraiment. "Non, je n'ai aucun problème avec Nainggolan. Je pense simplement qu'il faut lui laisser le temps de revenir à 100%, car il n'a pas encore retrouvé tous ses moyens. Mais il a été bon ce jeudi en Europa League et il est sur la bonne voie. L'émergence de Youri Tielemans est bien réelle également et c'est le moment pour lui de nous rejoindre. C'est vrai que Kompany a moins joué que lui ces dernières semaines mais cela dépend aussi de la position sur le terrain et de la concurrence. Le plus urgent pour Nainggolan est de retrouver sa meilleure forme en club, c'est pour cela que je le laisse travailler à Rome."

Il avoue également ne pas sélectionner ses joueurs uniquement en fonction de leur palmarès. "Je sélectionne les joueurs avec lesquels je peux former la meilleure équipe. Je ne rappelle pas des joueurs expérimentés sur base de leur nom. Il faut travailler, se battre, être patient et mériter sa sélection" dit Martinez, en mettant l’accent sur le mot team. Radja Nainggolan, lui, ne comprend pas. "Je ne sais pas si on peut dire qu’il n’a pas confiance en moi. La première fois que je l’ai rencontré, nous avons beaucoup parlé et il m’a mis dans le onze de base contre l’Espagne. Puis après, j’ai été mis à l’écart. C’est étrange. Tout le monde pense que j’ai des problèmes avec mes entraîneurs car je n’avais déjà pas été sélectionné par Wilmots pour la Coupe du Monde 2014. Mais ce n’est pas vrai. Je n’ai jamais eu de soucis avec mes coachs. Le sélectionneur actuel, si je ne lui plais pas comme joueur, autant qu’il me le dise tout de suite. Comme cela, on pourra se serrer la main et je saurai où j’en suis. À présent, je crains d’être absent de la prochaine sélection car la situation est compliquée. Peut-être que je ne serai pas en forme dans quatre mois… Beaucoup de choses peuvent se passer d’ici là. Je n’ai pas un bon sentiment..."

S’il revient pour le match décevant contre la Grèce, la mauvaise intuition du Ninja s’avère justifiée. Roberto Martinez tranche et décide de ne pas le sélectionner pour le Mondial en Russie. Pour l’Espagnol, ce choix est avant tout tactique. "C'est un grand joueur mais son absence s'explique très clairement par des raisons tactiques. Ma conversation avec Radja restera privée. Je sais que cette décision est impopulaire mais il faut parfois en prendre en football. Comme je l'ai expliqué, c'est un choix tactique. Nous avons beaucoup de joueurs offensifs dans le groupe, il faut le comprendre. La décision est basée sur les deux dernières années, pas sur les dernières semaines."

Pour Radja, c’en est trop. Il claque la porte de l’équipe nationale. "Il y a quelques jours, Martinez a dit qu'il voulait l'équilibre et un système dans son équipe. Je ne sais pas de quoi il s'agissait. Je n'ai jamais eu de soucis avec les joueurs. Je n'ai jamais eu de problèmes avec le jeu tactique. Donc je ne sais pas ce qu'il cherchait dans cette direction..." expliquait le joueur à la VRT. "J'estime que sur base de mes qualités et sur ce que j'ai montré cette saison, j'avais ma place dans cette équipe... Je n'ai jamais pu vraiment le prouver (NDLR: en équipe nationale ) et je ne recommencerai pas à l'âge de trente ans. C'est un peu comme un malade: s'il est à l'hôpital, il va se battre contre la mort. Mais à un moment donné, il abandonne aussi. Cela suffit."

La vérité, c’est que Radja Nainggolan ne rentrait pas dans les clous de la discipline de fer imposée par le coach. Ni sur le terrain (où il n'a pas la discipline tactique de Witsel pour jouer en 6 ni le talent de De Bruyne ou Hazard pour jouer plus haut) ni en dehors (le Ninja sortait, fumait, buvait). Roberto Martinez vient de montrer qui était le vrai patron. Et ce, malgré les évidentes qualités techniques d’un joueur ou la pression populaire du public. 

Après l'Espagne, la Grèce alerte les Diables

Roberto Martinez a réglé les problèmes tactiques de la Belgique assez rapidement. Cela a pris plus de temps pour ce qui est de la mentalité. Si les résultats sont assez exceptionnels, les Diables retombent dans leurs travers contre la Grèce pendant la campagne de qualification pour la Coupe du Monde. Ce jour-là, ils sont méconnaissables. Face à un bloc extrêmement bas, ils s’embourbent. Ne parviennent pas à créer du danger et sont menés au score par ce diable de Kostas Mitroglou. Les vieux démons ressurgissent.

Après la rencontre, le sélectionneur se montre déçu: "Il faut apprendre à jouer contre de tels adversaires", commentait Roberto Martinez. "Nous nous sommes précipités alors qu’il faut parfois prendre le temps de trouver l’espace et de tourner autour du bloc. La ligne droite n’est pas toujours le meilleur moyen. Parfois, il faut faire une passe supplémentaire avant d’aller au but. Hazard et De Bruyne cachent les soucis que l’on peut avoir. Sans eux, on n’a pas su comment faire."

Sans ses deux joueurs clés, absents ce jour-là, la Belgique n’est plus la même. Lukaku sauve finalement les Diables sur un exploit individuel mais le vrai problème est ailleurs. Face aux Grecs, nous avons revu certains comportements du traumatisant Euro 2016. Des têtes baissées, des gestes d’irritation, une certaine nonchalance... Yannick Carrasco était la parfaite illustration de ce piège. "J’ai été incroyablement déçu de la frustration qu’on a développée, reconnaissait Martinez. "Contre de telles équipes, il ne faut pas se laisser guider par les émotions. Il faut jouer avec la tête, pas avec le cœur. Notre circulation de balle a été très, très lente..." Quelques jours plus tard, les Diables ne se rassurent pas et encaissent trois goals en Russie en match amical (3-3). Mousa Dembélé admet que les joueurs se sont pris une soufflante une fois les trois coups de sifflets finaux. "Il nous a dit nos quatre vérités par rapport à notre fin de match". Comment faire pour améliorer cet état d’esprit? 

Fondamentalement, la seule façon de savoir si les Diables ont vraiment évolué, c’est de les observer durant une grande compétition. Et à l’été 2018, définitivement, ils sont entrés dans une autre galaxie. Face au Japon, dos au mur, ils sont revenus du diable Vauvert alors que tout semblait perdu. À 0-2, qui aurait pu imaginer un seul instant que les Diables inversent la tendance ?

Contre le Brésil, le groupe reçoit une occasion en or de sortir un match référence contre un adversaire de renom dans un grand tournoi. Clairement, ce 6 juillet 2018 restera gravé dans la mémoire de tous les Belges. Avec une tactique aussi inédite qu’exceptionnelle: en perte de balle, Lukaku se décale sur un côté et Kevin De Bruyne reprend l'axe. Martinez et ses Diables terrassent Neymar et sa bande. Plus personne ne parle de Nainggolan.

Et s'il faudra finalement se contenter d'une médaille de bronze, la Belgique est décrite comme étant la plus belle équipe du moment par de nombreux observateurs. Oui, Roberto Martinez a réussi son pari. Après avoir réussi à les faire passer à un autre stade tactiquement, un cap est également franchi mentalement. 

Roberto Martinez, la tour de contrôle de l’Union Belge

Après une Coupe du Monde (très) réussie, le pouvoir de Roberto Martinez est étendu au sein de l’UB. Le départ de Chris Van Puyvelde, l'ex-directeur technique de la Fédération, pour la Chine lui laisse le champ libre. Pour son groupe, Roberto Martinez a déjà préparé l’avenir. Si la non sélection de Radja Nainggolan avait suscité l’incompréhension, elle ouvrait également la porte à une pépite comme Youri Tielemans. Depuis le début de son mandat, l’entraîneur n’a cessé de couver le Ketje de Bruxelles. Selon le coach, la formation de notre plat pays est excellente et n’a rien à envier à nos voisins européens plus riches comme l’Espagne et surtout l’Angleterre. 

"En Espagne, il y a de fantastiques centres de formation et nous connaissons le système des équipes B dans les divisions inférieures. Et dans le football britannique, il y a tellement d'argent que l'on a tendance à gâter les gens. Je trouve aussi cette haute qualité dans la formation, ici en Belgique. Ce n'est pas un hasard si tellement de bons jeunes joueurs se sont révélés au cours des 12 ou 13 dernières années. Sur le plan géographique, la Belgique est un petit pays, mais cela présente l'avantage que l'on peut partager beaucoup d’informations."

L’intéressé assure qu’il prépare les Diables pour le futur. "On veut bâtir l’avenir de l’équipe nationale pour les quinze ans à venir. Nous suivons déjà un noyau élargi de 45 joueurs. J’avais, par exemple, rendu visite à Edmilson au Qatar : il était à un très bon niveau quand il a quitté la Belgique. Désormais, nous suivons également de très près les joueurs nés en 2000 et après, en collaboration avec Wesley Sonck, en charge des U19, et Jacky Mathijssen, coach des U21. Deux de ces joueurs ont, en Pro League, atteint un très haut niveau ces six derniers mois : Jérémy Doku et Charles De Ketelaere. Ils font partie d’une liste plus large qu’on ne se contente pas d’observer. Nous voulons avoir un impact sur leur progression. Nous avons eu des générations, avant eux, qui étaient douées mais qui ont souffert d’un manque d’expérience."

Avant la pépite d’Anderlecht et du Club de Bruges, un autre talent venu de Nerpeede avait rapidement pu côtoyer l’équipe A: Yari Verschaeren. Lui même avouait "être surpris de sa sélection". Après un peu plus de 20 matchs dans les jambes en Jupiler Pro League, le gamin de 18 ans faisait déjà le grand saut, à l’image de Youri Tielemans ou Leander Dedondoncker quelques années avant lui.

Roberto Martinez a également voulu récompenser un joueur qui a préféré se former au sein d’un club en Belgique plutôt que de se laisser guider par une formation étrangère. "Il faut conserver nos talents un peu plus longtemps. L’expérience nous a appris que c’est un énorme risque de quitter la Belgique à 16 ou 17 ans. Le plus souvent, le jeune joueur est convaincu de faire le bon choix, mais il subit un gros contrecoup et il risque de ne jamais parvenir à exprimer son plein potentiel. C’est un travail de fond à réaliser main dans la main avec les centres de formation, en éduquant les familles." 

En plus des jeunes, Roberto Martinez n’oublie pas non plus le football amateur, qu’il juge crucial pour l’avenir du football belge. À son propos, Daniel Boccar, le directeur technique de l’ACFF, l’aile amateur francophone de l’Union belge, s’est réjoui de cette nouvelle vision: "Roberto Martinez s’implique à fond dans sa fonction de directeur technique national et, fort de son expérience acquise en Espagne et en Angleterre, distille de très bonnes idées en matière de détection. La catégorie U18 requiert toute son attention. Le but est de réaliser un véritable catalogue afin de détecter toutes les richesses des D1 et D2 Amateurs."

Martinez n’oublie rien et personne. En quatre ans, il est devenu la tour de contrôle de notre football.