Sala, un an déjà

Le 21 janvier 2019, Emiliano Sala disparaissait dans des circonstances dramatiques

La vie est parfois tragique. Pleine de mauvais clins d’œil. En ce soir du 21 janvier 2019, elle délivre une tragédie que même les scénaristes de fiction les plus doués n'auraient pu imaginer. À 20h15, Emiliano Sala monte à bord de l'avion PA 46 Malibu, "The Piper Malibu".

Lui, l'attaquant qui a mis cinq années à percer au plus haut niveau, vient de signer le contrat de sa vie en rejoignant le club de Cardiff quelques jours plus tôt. Après avoir salué une dernière fois ses coéquipiers nantais et repris ses dernières affaires, Sala quitte cette fois définitivement Nantes. Et la vie.

Un an après sa mort, retour sur une catastrophe qui a bouleversé le monde du football.

Une réussite sur le tard

Pour bien assimiler l'importance du juteux transfert de Sala en Premier League, il convient de se replonger dans le début de carrière d'un attaquant qui a dû se battre à chaque instant pour devenir professionnel. Si l'avant-centre provient de la même patrie que Lionel Messi, la comparaison ave La Pulga s'arrête là, car tout les oppose ou presque. Avec son gabarit et son mètre 87, Sala est peu élégant. L'Argentin ne se fait pas remarquer par sa technique balle au pied.

Là où il brille, c'est devant le but. Mais pas assez pour se faire repérer. À l'âge où de nombreux talents ont déjà intégré des centres de formation depuis plusieurs années, Sala défend toujours les couleurs du club de son village à 15 ans. Sous les couleurs de Cululù las Colonias, le buteur ne perd pourtant pas espoirs. Il goûte très peu aux bancs de l'école. Dès lors, le longiligne attaquant est déterminé à réussir dans le football.

À l'aube de ses 16 ans, une première éclaircie apparaît enfin. Proyecto Crecer le recrute. Cette école de foot est située dans la ville de San Francisco, à quatre heures de route de la capitale Buenos Aires. Elle est l'une des plus renommées d'Amérique latine. Surtout, le club de Bordeaux a signé en 2004 un partenariat avec ce centre de formation réputé. Cet accord permet aux Girondins de bénéficier d'une priorité d'achat sur les éléments les plus doués de l'académie. Pour Sala, la perspective du rêve européen s'entrevoit pour la première fois.

Des prêts réussis dans les divisions inférieures, la difficulté de s'imposer en Ligue 1

Quatre ans plus tard, ses espoirs deviennent réalités. Sala rejoint le centre de formation bordelais. Tant pis s'il a déjà 20 ans. Il réussira coûte que coûte grâce à la "grinta" bien connue des Sud-Américains. D'ailleurs, il en faudra du "caractère" au droitier pour s'offrir une place dans la lumière assurée par les projecteurs de la Ligue 1.

Il y aura tout d'abord ce prêt à Orléans, en troisième division, couronné de succès. Sur les pelouses de National, celui qui est originaire de la province de Santa Fe inscrit 18 buts en 37 rencontres. Pourtant, Sala a le mal du pays. "C'était difficile à Orléans. Ça m'a beaucoup marqué dans ma carrière par rapport aux circonstances : je ne parlais pas encore bien la langue, je n'avais pas de mobilité, donc je dépendais des autres pour aller à l'entraînement, pour faire les courses. Ça a été dur mais ça m'a donné de la force pour continuer à suivre mon objectif de jouer en Ligue 1. Je suis fier de ce que je suis maintenant", confiait le joueur en 2015 au journal Ouest-France.

L'année suivante, Sala s'aguerrira encore. Un échelon au-dessus, en Ligue 2, sous le maillot des Chamois niortais. Une nouvelle réussite.

Avec 18 buts, il gagne alors le droit de goûter enfin à la Ligue 1 à déjà 24 ans. Après six mois peu étincelants à Bordeaux, Sala est prêté à Caen. Ses débuts sont parsemés de buts (quatre réalisations en trois rencontres), mais il s'efface progressivement. À son retour dans le Sud-Ouest, celui qui possède également la nationalité italienne rejoint le FC Nantes pour un million d'euros.

Une demi-saison de folie, puis l'apothéose

En Loire-Atlantique, le nouveau Canari s'épanouit. Il devient un titulaire indiscutable sous Michel Der Zakarian, René Girard, Sergio Conceição et Claudio Ranieri. Ses performances sont souvent irrégulières, mais l'attaquant marque sa dizaine de buts pendant trois saisons. Pourtant, l'avenir nantais s'assombrit pour le numéro 9 à l'été 2018. Waldemar Kita souhaite vendre son attaquant et récupérer dix millions d'euros. Galatasaray est intéressé par ses services, mais le président refuse l'offre turque. Sala finit par rester. Il inscrit 12 buts en six mois et devient même l'avant le plus efficace d'Europe devant... son compatriote Lionel Messi. Après des années de galère, Emiliano Sala en profite pour monnayer son talent. Cardiff verse 17 millions d'euros à Nantes, qui devra partager cette somme avec Bordeaux. Le joueur, lui, multiplie son salaire par sept. En France, il touchait 40 000 euros bruts mensuels. Il en percevra désormais 300.000.

Waldemar Kita, président du FC Nantes.

Waldemar Kita, président du FC Nantes.

Waldemar Kita, président du FC Nantes.

Un accident fatal dans des circonstances mystérieuses

Sur le papier, l'histoire semble très belle. Mais tout n'était pas aussi idyllique qu'il puisse y paraître. Si Sala rêvait d'un transfert vers un championnat plus huppé, il n'avait pas en tête la destination galloise. Certes, Cardiff évoluait en Premier League, mais les hommes de Neil Warnock se battaient pour le maintien. En privé, Sala se confie sur le réseau WhatsApp à un proche quelques jours avant son transfert. L'Argentin incrimine son président comme le révèle un document de la chaîne L'Equipe.

"Je ne veux pas parler avec Kita, je n'ai pas envie de m'énerver, c'est une personne qui me dégoûte quand elle est en face de moi", indique alors l'attaquant. "Lui, aujourd'hui, il veut me vendre à Cardiff, car il va rentrer l'argent qu'il veut. Il ne m'a même pas demandé, il ne s’intéresse qu'à l'argent. Personne ne comprend ce que je dois subir. C'est très dur", poursuit-il. Finalement, le transfert se conclut et Sala se retrouve spectateur dans ce grand film qu'est le football-business.

Un premier vol mouvementé organisé par un agent sulfureux

Deux jours avant le drame, Emiliano Sala monte déjà à bord du "Piper Malibu", un petit avion de six places avec un seul moteur mis en service en 1984. Cardiff n'a pas regardé à débourser 17 millions d'euros pour s'attacher les services du Nantais, mais le club gallois semble rechigner au moment d'offrir les services d'un jet privé ou d'une compagnie aérienne pour son nouvel attaquant. C'est Willie McKay qui organise ces allers-retours entre Cardiff et Nantes. Ce dernier est un agent sulfureux qui a perdu sa licence en 2015 en raison d'une faillite. Mais si officiellement McKay ne pouvait plus se targuer d'être agent, ça ne l'empêchait pas de continuer à endosser le rôle d'intermédiaire.

L'avion est piloté par David Ibbotson, qui totalise 3500 heures de vol. Malgré cette expérience, le vol qui ramène Sala de Cardiff à Nantes en ce 19 janvier est mouvementé. Deux jours plus tard, alors qu'il s'apprête à reprendre cet appareil pour regagner Cardiff, le récent transfuge des Bluebirds aurait confié à son ami et désormais ancien coéquipier Nicolas Pallois "être inquiet pour le vol retour"

"Je suis dans l'avion en ce moment. J'ai l'impression qu'il est en train de se disloquer."
Emiliano Sala, quelques minutes avant de mourir

Nicolas Pallois (à gauche) porte le cercueil de son ami Emi, qui lui avait confié quelques minutes avant son décès n'avoir aucune confiance dans l'appareil qui le transportait.

Nicolas Pallois (à gauche) porte le cercueil de son ami Emi, qui lui avait confié quelques minutes avant son décès n'avoir aucune confiance dans l'appareil qui le transportait.

Alors que le "Piper Malibu" vient de démarrer, Sala envoie un message vocal à un autre ancien partenaire, Diego Rolan. "Je suis dans l'avion en ce moment. J'ai l'impression qu'il est en train de se disloquer (…) Si dans une 1h30 vous n'avez pas de nouvelles de moi, je ne sais pas s'ils vont envoyer quelqu'un nous chercher. Parce qu'ils ne vont pas nous trouver. J'ai peur". Une heure après le décollage, le contrôle aérien perd le contact avec l'avion, qui disparaît au-dessus de la Manche au nord de l'île de Guernesey.

Les recherches débutent le soir-même et la police de Guernesey les stoppent trois jours plus tard. À la suite de dons, notamment réalisés par plusieurs footballeurs, la famille du footballeur mandate David Mearns, un spécialiste des recherches sous-marines. Avec son équipe, il localise rapidement l'épave qui se situe à 67 mètres de profondeur et à 30 kilomètres à l'est de la dernière position radar établie. Un corps est visible. Le 7 février, celui-ci est remonté. Après identification, la police annonce qu'il s'agit d'Emiliano Sala. La dépouille de David Ibbotson ne sera jamais retrouvée. En août dernier, une enquête démontre que les deux hommes ont été exposés à des niveaux "potentiellement mortels" de monoxyde de carbone. Le destin de ces deux familles est brisé.

L'épave de l'avion d'Emiliano Sala.

L'épave de l'avion d'Emiliano Sala.

Un imbroglio juridique

Très vite, après le décès du joueur, un conflit apparaît entre les clubs français et gallois. Sur le plan juridique, Sala avait signé son contrat et était donc un joueur de Cardiff. Mais leurs dirigeants ne veulent pas s’acquitter du versement des 17 millions d'euros prévu en trois tranches avant l'accident. Ils prétextent alors que "Sala n'était pas officiellement un joueur du club lorsqu'il est décédé". Ceux-ci refusent de payer la première échéance de six millions d'euros. Les Nantais se tournent donc vers la FIFA qui leur donne raison. Fin septembre, elle menace Cardiff d'interdiction de recrutement pendant trois mercatos successifs.

Réponse en juin

Le club de Championship fait dès lors appel en derniers recours au Tribunal arbitral du sport de Lausanne. Cependant, cette institution indépendante ne livrera pas son verdict avant le mois de juin. La semaine dernière, France Bleu informait que le club, relégué en deuxième division anglaise la saison dernière, n'avait pas non plus versé le deuxième tiers du montant du transfert, prévu pour le 1er janvier dernier. La dernière échéance de cinq millions d'euros doit être versée dans un an et elle ne sera sans doute pas honorée.

Un an après la disparition du joueur, la bataille juridique risque de s'apparenter à un véritable marathon. Mais dans la mémoire des passionnés du ballon rond, c'est l'image d'un buteur attachant qui restera dans toutes les têtes. Et c'est bien là le plus important.