Samir Nasri

Un minot en rédemption

Le Petit prince du Vélodrome

Samir Nasri, c'est un accent chantant qui trahit en un clin d’œil des origines marseillaises. C'est aussi une technique délicieuse et une vue panoramique, héritage de ses débuts dans les rues de Septèmes-les-Vallons, une petite commune située au nord de la cité phocéenne. Une enfance vécue dans une barre d'immeubles entouré de ses trois frères et sœurs, et au cours de laquelle il affine ses dribbles. Mais renforce aussi un caractère qui s'affirmera plus tard pour le meilleur et pour le pire. 

C'est à l'âge de onze ans qu'il intègre l'Olympique de Marseille. L'OM. Une passion pour le gamin. Mais plus qu'un rêve, rejoindre le champion d'Europe 1993 est un objectif pour ce garçon qui sera l'un des rares de sa promo à percer dans le milieu professionnel. D'abord ramasseur de balle, il devient ensuite la petite pépite directement sortie du centre de formation marseillais. Une institution qui souffre depuis un bout de temps de la comparaison avec celui de l'OL, d'où sortent des champions quasi chaque saison. 

C'est déjà le signe d'un état d'esprit et d'un talent hors-normes. "Il a fait ses débuts en 2004 en rentrant en jeu contre Sochaux, et là, il s'est passé un truc", rembobine Fabrice Lampretti, journaliste pour Le Phocéen"Il a directement apporté quelque chose. Ce n'est jamais évident pour des débuts pros, surtout à Marseille où les minots sont scrutés, observés plus que les autres. Lui, il n'avait que dix-sept ans, mais il était décomplexé. Il ne s'est pas posé de questions et a joué comme s'il était là depuis longtemps."

 "Quand il jouait aux cartes avec ses copains, comme Jérémy Ménez par exemple, il gagnait tout le temps, parfois en comptant les points à sa sauce, car les autres n'arrivaient pas à suivre"
Mathieu Grégoire, journaliste

Des propos confirmés par José Anigo, l'homme qui décide de le lancer chez les grands. "Il est arrivé très tôt dans un vestiaire pas facile, avec des personnalités comme Franck Ribéry, Mamadou Niang, Habib Beye, des joueurs d'expérience", explique celui qui dirigeait alors le squad marseillais. "Il s'est très vite comporté comme l'un des patrons de l'équipe. À dix-sept, dix-huit ans, il parlait déjà comme un taulier du groupe. Et il était écouté, car il avait à la fois une grosse personnalité, mais aussi les performances qui allaient avec. C'était également un leader technique, hermétique à la pression, même lors de gros matches face au PSG ou en Coupe d'Europe."

De quoi ravir un public qui est dans le dur au cours de cette saison 2004/2005. Car côté club, ce n'est pas la joie. L'OM vit toujours dans le souvenir du coup de boule de Basile Boli et a récemment vu l'idole Didier Drogba partir pour Chelsea. Il y a donc une place à prendre dans le cœur des supporters. Mais le jeune Samir a-t-il les épaules assez solides pour cela, du haut de son mètre 77 ? "Oui, car à Marseille, il a toujours été très bien entouré", affirme Mathieu Grégoire, qui suit l'OM pour le quotidien L'Équipe. "Son papa a toujours été derrière lui, notamment durant l'adolescence, ce qui lui a permis de ne pas faire trop de conneries." "Jusqu'à ses dix-neuf ans, c'est son papa Hamid qui le conduisait à l'entraînement", complète Anigo.

Cette présence paternelle se révèle précieuse et lui permet de ne pas connaître le même destin qu'Ahmed Yahiaoui"Il était cul et chemise avec Samir", poursuit Mathieu Grégoire. "C'était l'un des plus grands talents de la génération 87. Mais lui a mal tourné, car il était fasciné par le côté bling-bling du footeux. Pas Nasri. Il savait aussi qu'il était Marseillais et que tout se saurait s'il déconnait. Il a très bien géré cette pression inhérente au fait qu'il était du coin. Il avait un bon contact avec le public, avec les médias. Il était facile avec les gens. Il s'est montré plus mature que les autres, plus vif d'esprit, aussi."

C'est souvent ce qui ressort lorsqu'on évoque le "cas Nasri". Vif d'esprit, intelligent, malin, rusé "comme tout bon Marseillais", voire coquin sont autant de qualificatifs qui reviennent. Cela lui permet de vivre une première partie de carrière plutôt linéaire. Et donnera lieu à quelques anecdotes pas piquées des hannetons: "Quand il jouait aux cartes avec ses copains, comme Jérémy Ménez par exemple, il gagnait tout le temps, parfois en comptant les points à sa sauce, car les autres n'arrivaient pas à suivre", se marre notre confrère Grégoire. "Quand on le voit, on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Ce n'est pas un fou furieux, ni un méchant, mais comme on dit à Marseille, il peut envoyer tordu. Il peut faire des petits coups de vice."

De la maturité, de l'audace, un vrai talent d'organisateur, le gaucher acquiert rapidement le statut de Petit prince du Vélodrome. Même si Ribéry conserve une cote d'amour encore plus belle de part son positionnement plus haut sur le pré et ses stats importantes, le minot reste l'un des chouchous d'un stade toujours prêt à bouillir pour l'un des siens. Surtout que quelque soit l'adversaire, le gamin ne se laisse pas impressionner. "Sur la pelouse aussi, il avait plus de talent et d'intelligence que les autres. Il avait cette maturité pour se débrouiller même en étant pressé. Pour avoir les appels en profondeur, écarter quand il le fallait. Il avait cette mesure du terrain et des autres, même très jeune", raconte Grégoire. 

Ses deux premières saisons convainquent les dirigeants marseillais, mais c'est lors de son troisième exercice en pro que son talent éclate réellement. Situé au cœur du système d'Albert Emon, il sublime un effectif riche de joueurs tels que Djibril Cissé ou encore Mamadou Niang. En juin 2007, il reçoit le trophée UNFP du meilleur espoir de Ligue 1 des mains de Zinedine Zidane, l'autre idole marseillaise dont les racines se situent elles aussi en Algérie, l'autre gamin des quartiers nord. Le symbole est parfait, mais cette comparaison le "gêne" à l'époque. "On me compare à quelqu'un qui n'est pas n'importe qui", dit-il, embarrassé d'être mis à côté du double Z.

"On me compare à quelqu'un qui n'est pas n'importe qui et cela me gêne"
Samir Nasri, à propos de la comparaison avec Zidane

Lors de son ultime pige au Vieux Port, en 2007/2008, il réalise une nouvelle saison de haut vol sous la direction d'Eric Gerets. Seule ombre au tableau, une élimination en Coupe d'Europe suite à laquelle Pape Diouf, le président de l'époque, tance vigoureusement ses joueurs, les qualifiant de "nababs" et de "vizirs". "Il ne nommait personne, mais Samir l'avait très mal vécu", se remémore Fabrice Lampretti, notre confrère du Phocéen"Il était encore jeune. Mais cela faisait partie de son apprentissage. C'était une autre facette de son métier." Un épisode qui souligne la nature sensible du joueur, qui s'apprête à franchir un cap important dans sa carrière: un transfert vers Arsenal pour dix-sept millions d'euros. "Il lui restait un an de contrat chez nous", se rappelle José Anigo. "Il aurait pu partir à Arsenal pour rien du tout. Il a volontairement prolongé afin que son club formateur puisse retirer de l'argent de son transfert (une pratique pas aussi répandue qu'aujourd'hui, NdlR). Voilà, c'est ça Samir Nasri."

Splendide Albion

À cette époque, les Gunners font toujours partie du gratin européen. Le challenge est donc costaud pour Samir, vingt-et-un ans, qui hérite du numéro 8, porté naguère par Ian Wright ou encore Freddie Ljunberg. Mais les complexes ne font décidément pas partie de la personnalité du Marseillais, qui s'impose rapidement dans le football d'Arsène Wenger. Il faut dire que l'Alsacien est peut-être le coach qu'il lui fallait pour poursuivre son développement.

Avec son foot offensif et sa propension à faire grandir les jeunes loups, Wenger lui permet de confirmer ses belles dispositions à un niveau supérieur. Installé sur le côté gauche, il s'impose rapidement, tant en Premier League qu'en Ligue des Champions, une compétition dont il atteint directement le dernier carré.

Parallèlement à ces débuts réussis, Samir, qui n'est plus aussi couvé par son clan suite à son déménagement à Londres, découvre l'autre face de la vie de joueur. Celle où il peut se balader en jet privé pour rejoindre Paris durant son temps libre. Une ville où il s'acoquine avec quelques noms du grand banditisme local (lire à ce propos "Les Parrains du foot", éditions Robert Laffont). "C'est un peu à partir de là qu'il a hérité de l'étiquette d'incompris, sans qu'on ne sache vraiment si c'est mérité ou pas. Il y aura toujours un doute à ce sujet", dit Mathieu Grégoire.

Mais retour à l'Emirates, où il passe trois saisons au total. Un triptyque au cours duquel il impressionne par sa maturité footballistique et prend encore un peu plus d'ampleur. "Il est devenu plus efficace et je pense qu’il est aussi plus fort physiquement", dit de lui son coach après une victoire contre Manchester City où Nasri éclabousse le match de sa classe. "On juge un joueur par le nombre de buts. C’est ce que l’on attend de quelqu'un de talentueux. Il est complet parce qu’il court avec la balle, il est rapide et c’est un finisseur hors pair. À vingt-trois ans, sa carrière commence au meilleur niveau.” 

"Samir est un joueur qui a des qualités incroyables, mais un rendement qui n’a rien à voir avec son talent"
Roberto Mancini, son coach à Manchester City

Nous sommes en 2010/2011 et Samir Nasri est en train de répondre aux attentes placées en lui. Élu meilleur Français de l'année par France Football, il fait également partie de l'équipe de la saison en Angleterre. Mais il lui manque quelque chose : un titre, quel qu'il soit. À l'image de ce que fera un Robin Van Persie un an plus tard, Nasri décide de quitter Londres afin d'étoffer un palmarès toujours vierge à cette époque.

Mais la séparation prend des allures de divorce houleux avec les supporters, qui ne lui pardonnent pas de fricoter avec un rival. Lui se défend deux ans plus tard dans un entretien sur BeIn Sports :"Stan Kroenke (le boss d'Arsenal, NdlR) a dit à Wenger de ne pas s’asseoir sur une indemnité de transfert. Il me restait un an de contrat (son bail courait jusqu’en juin 2012, NdlR), j’avais beaucoup de propositions, de grands clubs, mais je n’avais discuté avec personne, car cela ne se faisait pas vis-à-vis d’Arsenal. Cela a toujours été très clair entre nous." Avant d'ajouter avoir opté pour les Skyblues pour des raisons sportives uniquement. "Ceux qui ont dit que j’avais fait un choix financier ne sont pas honnêtes", jure-t-il. "Quand on regarde les deux effectifs, avec tout le respect que j’ai pour mes amis au club, il n’y a pas photo. Je gagne mieux ma vie à City qu’à Londres, on ne va pas se mentir, mais je suis allé dans une équipe plus compétitive qui m’a donné raison en fin de championnat."

En effet, il ne met qu'une saison pour remporter son premier titre, au terme de ce thriller foldingo contre QPR. Il remet ça deux ans plus tard, ajoutant également une League Cup (2014) et un Community Shield (2013) à son palmarès.

Sur papier, le tableau est idyllique : Nasri s'amuse sur les ailes du terrain, est membre d'un effectif ultra-compétitif et accumule les titres. Mais en coulisses, cela ne se passe pas aussi bien. Car en réalité, le courant ne passe pas entre lui et Roberto Mancini, son entraîneur lors de ses deux premières saisons à Manchester. "Samir est un joueur qui a des qualités incroyables, mais un rendement qui n’a rien à voir avec son talent. Il n’a pas compris qu’il faut toujours donner le maximum", se lamente l'Italien dans So Foot Junior. "Cela me fait vraiment mal au cœur, j’avais tout fait pour qu’il vienne et il s’est contenté du minimum. C’est un joueur qui a les qualités non pas pour être un bon joueur, mais pour être un joueur de classe mondiale."

Les choses s'apaisent sous Manuel Pellegrini, qui prend les commandes de l'Etihad en 2013/2014. À tel point que les deux hommes retravailleront ensemble à West Ham en 2019, avec moins de succès, il est vrai. "La confiance, c’est tout pour un footballeur", explique Nasri à Sky Sports en 2015. "Le manager m’a témoigné toute sa confiance dès son arrivée, et m’a laissé libre sur le terrain. On parle beaucoup, il me rappelle Arsène Wenger, qui était comme un père pour moi." "Il me comprend. J’ai besoin d’affection. Il m’a fait comprendre que j’étais à nouveau un joueur important pour l’équipe", complète-t-il sur RMC. La sensibilité, encore et toujours. Un trait de caractère qui sera un peu le moteur de la carrière de Samir.

"J’ai besoin d’affection"
Samir Nasri, en 2014

L'ultime pige de Pellegrini à City sonne le début des emmerdes pour le Français. Blessé aux ischios, il loupe cinq mois de compétition. Pour ne rien arranger, Raheem Sterling et Kevin De Bruyne débarquent dans le vestiaire skyblue, compliquant encore un peu plus son retour aux affaires. L'arrivée de Pep Guardiola en lieu et place du coach chilien n'y change rien, malgré un attachement réciproque entre les deux hommes. "Pep m'a dit : 'T’es un gâchis. Avec tes qualités, tu ne dois même pas être ici à Manchester City, tu devrais être un joueur du FC Barcelone. Je ne comprends pas pourquoi tu as fait ça. Est-ce que c’est l’argent, des choses comme ça ?'. Je lui ai dit non. Il y a des choses dans ma vie qu’on ne peut pas savoir. Vous avez ce cliché du joueur de foot, qui ne fait que ça, mais il y a d’autres paramètres qui entrent en compte", se souvient l'Anderlechtois sur le plateau de L'Équipe du Soir"On a eu deux, trois discussions après. Il voulait que je reste et que je joue pour lui." Mais faute de se voir assurer une place de titulaire, Nasri opte pour un prêt d'une saison au FC Séville.

Un départ qui signe la fin de son périple anglais, débuté quasi une décennie plus tôt en tant que grand espoir du foot français et européen. Entre-temps, le minot aura troqué cette belle image pour endosser le costume d'enfant terrible et de "gamin de merde".

Le creux dans les Bleus

Une carrière foirée, celle de Samir ? Loin de là. Le garçon a remporté des titres, joué dans de grand clubs européens, réussi en France et en Angleterre. Ce n'est donc pas côté club que la frustration est la plus grande. Si le bleu a réussi à Nasri à Marseille et City, il restera de son épopée en Équipe de France un goût de trop peu. Et comme souvent, les torts sont partagés...

"Demandez aux gens si Nasri et Benzema étaient à Knysna, je suis sûr qu'un sur deux vous répondra oui." Le constat est posé par Mathieu Grégoire. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'image du joueur est liée au psychodrame vécu par les Bleus lors du Mondial 2010, tout cela sans jamais avoir mis un pied en Afrique du Sud.

Injuste ? Oui, car le meneur de jeu a payé un mauvais timing, quand rien n'était pardonné après le fiasco sud-africain. Mais celui-ci n'est pas exempt de tous reproches. "Il a cet orgueil qui lui a fait imaginer qu'il était supérieur aux autres, intellectuellement, techniquement, tactiquement", regrette Raymond Domenech, dans un long reportage de L'Équipe Enquête consacré à un gars qu'il ne fait jouer qu'à trois reprises entre la fin de l'Euro 2008 et celle de son mandat en 2010.

"Il n'a pas joué le jeu du foot, qui est devenu un truc de commercial, où tout le monde se vend"
José Anigo, son coach à Marseille

Un défaut qui fait mal, surtout que deux ans avant le traumatisme, à l'Euro 2008, Nasri se fait déjà plus remarquer par son côté effronté (les haters diront à cause de sa grande gueule) que sur le terrain, qu'il ne foule qu'une demi-heure en tout sur l'ensemble de la compétition. Comment ? En prenant un jour la place normalement attribuée à Thierry Henry dans le bus des Bleus. Aussitôt recadré par William Gallas, son coéquipier à Arsenal, le Marseillais ne se laisse pas faire, affichant un caractère parfois trop affirmé. "Il avait le sentiment que ce n'était pas équitable, car pour lui, une fois qu'on était en sélection, on était tous égaux", estime Jean-Alain Boumsong, présent lors de l'altercation avec Gallas. "Mais ces susceptibilités-là, il fallait qu'il les gère, au moins au début. Il ne l'a pas fait et cela a créé quelques tensions." Comme souvent, sa sensibilité à fleur de peau (et son gros ego) est touchée par ce sentiment d'injustice qu'il ne supporte pas.

"Sous Domenech, il y a eu des erreurs dans la transmission de témoin entre l'époque Zidane et la génération qui lui a succédé", indique Grégoire. Cette nouvelle vague, c'est la fameuse génération 87 incarnée par le quatuor Nasri-Ben Arfa-Benzema-Ménez. Celle qui avait été sacrée championne d'Europe des U17 face à l'Espagne de Cesc Fàbregas et Gerard Piqué grâce à un but en fin de match signé... Samir Nasri. Si la Benz cumule tout de même 81 sélections, le Marseillais reste lui bloqué à 41 caps, et surtout sur une retraite internationale prise en 2014. Un gâchis.

"Il n'a pas assez respecté les anciens, ni les codes, car il a cru que le monde était à lui", nous dit-on. "Il n'a pas joué le jeu du foot, qui est devenu un truc de commercial, où tout le monde se vend", rétorquent ses défenseurs pour expliquer la mauvaise réputation qui colle encore aux crampons du jeune homme. Si son côté forte tête, qui ne le faisait craindre rien ni personne a pu se révéler utile dans son développement, c'est une fois le maillot français enfilé que les choses se sont quelque peu retournées contre lui. "J’ai fait des erreurs et j'ai un caractère bien trempé. Quand je suis en conflit, je ne fais pas semblant", reconnaissait-il lors de sa présentation à Anderlecht. Vincent Duluc, le journaliste de L'Équipe pourra le confirmer.

C'est son média qui est visé par le fameux "Ferme ta gueule", éructé par le joueur après son but contre l'Angleterre à l'Euro 2012. Selon le buteur, les critiques émises par le quotidien sportif auraient été trop loin, jusqu'à toucher profondément sa maman, malade. Cette nouvelle incartade rappelle inévitablement les fantômes de Knysna et flingue encore un peu plus sa réputation, alors que Laurent Blanc lui avait offert une seconde chance après les années Domenech. Surtout que lors de l'élimination (sans gloire) subie face à l'Espagne en quarts de finale, Nasri semble en garder sous la pédale. Bref, l'Euro 2012 se déroule dans un climat électrique, à la fois avec la presse (il se fritera également avec un autre journaliste en zone mixte) et dans le vestiaire, où tout le monde se renvoie un peu la balle de l'échec en Ukraine et en Pologne.

L'arrivée de Didier Deschamps semble ouvrir une nouvelle ère. Les deux hommes partagent le même agent (Jean-Pierre Bernès), Nasri fait son mea culpa au moment de son retour en sélection, tout semble repartir sur de bonnes bases. Jusqu'à ce barrage en Ukraine, le 15 novembre 2013. Ce soir-là, Samir se troue et la France se fait tanner 2-0 à Kiev. Surtout, il se met à dos certains cadres, dont Hugo Lloris, qui veulent l'écarter du groupe. Il est en effet sur le banc pour le match retour, remporté 3-0 à Paris, et qui pose les bases du triomphe de Moscou en 2018.

"Vivre ensemble sur une aussi longue période demande des qualités humaines"
Didier Deschamps, à propos de sa non-sélection en 2014

Le Mondial 2014 ? Il ne le verra pas. "Deschamps n'est pas un grand humaniste, mais si Nasri l'avait fait gagner il l'aurait pris", explique Mathieu Grégoire. "C'est un choix très rationnel. Il s'est dit qu'il amènerait plus de problèmes que de solutions." C'est en effet la justification de la Dèche au moment de l'annonce de la sélection. "Il l'a dit lui-même, il n'aime pas être remplaçant et je peux vous assurer que cela se sent dans le groupe (...) Vivre ensemble sur une aussi longue période demande des qualités humaines", justifie-t-il sur le plateau de TF1. Pour ne rien arranger, sa compagne de l'époque, Anara Atanes, insulte copieusement Deschamps sur Twitter ("J'emmerde la France et j'emmerde Deschamps ! Quel coach de merde !"), faisant craindre l'ouverture d'une joute judiciaire (qui n'aura finalement pas lieu), histoire d'ajouter encore un peu plus de théâtralité à une situation déjà peu glorieuse.

Le 9 août 2014, c'est terminé: il officialise sa retraite internationale dans le Guardian. "Je ne veux plus y aller. Je ne suis pas heureux", dit-il, scellant définitivement l'aventure de avec les Bleus. Un gâchis, écrivait-on plus haut...

L'amour foot

27 ​février 2018, la nouvelle tombe. Samir Nasri est suspendu six mois pour dopage. Une suspension allongée à un an et demi quelques mois plus tard. Le pire dans l'histoire, c'est que le Français s'est fait capter par la patrouille pour la raison la plus bête du monde: un tweet écrit par DripDoctors, une clinique de Los Angeles qui prétend offrir "des traitements médicaux innovants". Plus précisément, DripDoctors indique avoir fourni un traitement intraveineux nommé Immunity IV Drip, "afin de le maintenir hydraté et en pleine forme pendant sa lourde saison de football".

Sauf qu'en se rendant sur le site de l'hôpital, on se rend compte que ce produit est "une perfusion qui permet de stimuler le système immunitaire et de prévenir des maladies". "Il contient des doses élevées de vitamine C, de vitamines B et de zinc combinées avec des nutriments spécialement formulés pour aider à combattre les maladies courantes", poursuit le site. 

Un peu trop gros pour ne pas voir l'Agence espagnole pour la protection de la santé dans le sport (AEPSAD) lancer une enquête contre le milieu offensif, qui sera finalement suspendu dix-huit mois de manière rétroactive (un an effectif) par l'UEFA. Un an plus tard, Samir s'explique auprès de L'Équipe Enquête et plaide la bonne foi. 

Cette annonce est ressentie comme un clou de plus dans le cercueil de ce qui fut la carrière d'un joueur alors âgé de trente ans. Fin 2016, soit au moment où cette perfusion interdite a lieu, il évolue au FC Séville, où il est prêté par Manchester City. Passée une première partie de saison où il séduit sous les ordres de Jorge Sampaoli, il déçoit, avec en point d'orgue ce huitième de finale retour contre Leicester, où il répond à une provoc' de ce filou de Jamie Vardy et se fait exclure dans la foulée. Pour ne rien arranger, il se blesse. C'est la fin de son aventure andalouse, celle qui aurait dû sonner le retour du grand Samir. 

En lieu et place de ce retour en grâce, il aboutit à Antalyaspor, en Süper Lig turque. Le joueur affirme pourtant avoir eu des contacts (brefs) avec Marseille, Lyon, le Milan AC, Besiktas et même Galatasaray, mais c'est bien Antalya qu'il rejoint durant l'été 2017. Un club qui a déjà recruté Samuel Eto'o et son pote Jérémy Ménez. Le genre de plan qui ne sent pas toujours bon. Et cela ne rate pas. Six mois après avoir débarqué en Turquie, Antalyaspor annonce la résiliation de son contrat d'un commun accord. En effet, le club n'est plus en mesure d'assumer son salaire. Un mois plus tard, la décision de l'UEFA tombe. Et c'est parti pour un an de purgatoire.

 "Il est fabriqué pour rester dans le foot"
José Anigo, son coach à Marseille

Voire d'enfer pour ce véritable amoureux du foot. Car Nasri, ce n'est pas qu'un type qui tape dans le ballon. C'est aussi une véritable encyclopédie. "Il m'est arrivé de discuter avec lui lors de mises au vert et il connaît tous les joueurs de toutes les équipes de n'importe quel championnat", se rappelle José Anigo. "Je connais pas mal de joueurs qui ne s'intéressent même pas à leur propre championnat. Lui, il s'intéresse à tout." Une caractéristique que le milieu juge tout simplement normale. "C'est choquant pour moi quand un joueur n'arrive pas à analyser un match", dit-il en 2007 dans les colonnes de L'Équipe. "C'est mon métier, alors autant le connaître sur le bout des doigts. C'est important de s'y intéresser, de connaître ses adversaires, d'avoir des conceptions." "Vous pouvez aussi parler de tactique avec lui", rajoute son ancien coach à l'OM. "Il est fabriqué pour rester dans le foot. Coach, directeur sportif, je ne sais pas, mais il restera dans ce milieu."

"Il aime vraiment le foot, c'est un peu ça qui l'a sauvé", ajoute Mathieu Grégoire. "Il n'aurait pas été capable de rester un an sans jouer dans un club, comme Alou Diarra ou Hatem Ben Arfa. Lui, c'est impossible. Il a vraiment souffert de ne plus pouvoir être sur le terrain." Une passion dévorante qui explique qu'il ait signé à West Ham (où il se blesse et ne peut exprimer son talent), et surtout à Anderlecht, alors que la péninsule arabique et ses pétrodollars lui tendaient les bras.

"Il y a des joueurs qui sont des recrues. D'autres qui sont des renforts. Lui, ce n'est pas une recrue, mais un renfort"
José Anigo, son coach à Marseille

C'est désormais au Sporting que Samir va tenter de redonner du volume à une carrière déjà bien remplie. Un club cornaqué par un Vincent Kompany pour lequel le médian a le plus profond respect. "C'est quelqu'un qui a du charisme, qui sait où il veut aller et plus important, quelqu'un d'honnête", explique la nouvelle recrue lors de sa présentation. "Notre relation a toujours été très bonne, notamment parce qu'on parlait la même langue. Il a su m'intégrer à mon arrivée à City. On s'entendait super bien et le fait qu'il soit capitaine inspirait le respect."

"C'est un véritable opportunité pour Anderlecht d'avoir un joueur comme lui", se réjouit Anigo."Il y a des joueurs qui sont des recrues. D'autres qui sont des renforts. Lui, c'est un vrai renfort. Il a une forte personnalité, mais il sera apprécié, car il n'a pas peur de prendre ses responsabilités. C'est une bonne chose pour un entraîneur de disposer d'un profil comme le sien. Il a aujourd'hui une maturité plus importante de par son vécu. Il a l'âge pour apporter son expérience dans un vestiaire." Jeune papa, Nasri avoue même être sorti transformé de cette nouvelle étape. À lui de prouver sur les prés de Pro League qu'il ne s'agit pas d'une entourloupe précédant une nouvelle déception.

"De temps en temps, je suis un petit con"
Samir Nasri, à L'Équipe

Intelligent, mais incapable de mesurer le poids de certaines de ses réactions. Bon copain dans le vestiaire, mais prêt à foutre de la pommade chauffante dans le slip de Mathieu Valbuena, son ex-équipier (et souffre-douleur) marseillais, envers lequel il nourrit une profonde inimitié. Doué, mais décevant dans la deuxième partie de sa carrière. Mature, mais pas toujours capable de se remettre en question. Samir Nasri, c'est un peu tout ça, finalement. Un paradoxe qui représente à la fois l'un des fleurons du foot français, mais aussi sa face sombre. Un mec à la personnalité sans doute trop affirmée pour faire l'unanimité autour de lui. "Allez, de temps en temps, je suis un petit con", avouait-il en 2014, tout en arborant le sourire malicieux du garnement qui vient de reconnaître sa dernière blague potache. "De temps en temps", Samir est aussi un très grand joueur. Auquel aura-t-on droit sous le maillot d'Anderlecht ?

Aurélie Herman