Sporting Charleroi

Récit d'une phase classique historique

Dimanche 26 mai 2019. Il est 16h20 dans les travées du Bosuil et Charleroi vient de subir une "remontada" de la part de l’Antwerp (3-2). Le Sporting ne verra pas l’Europe cette année. Les joueurs sortent un à un des vestiaires anversois et s’arrêtent, pour la plupart, devant la presse pour distiller des mots pleins de frustration. "Des petits détails ont fait la différence", avance Gaëtan Hendrickx; "Il manque des gars d’expérience", lance Rémy Riou; "Le parcours était tellement beau...", regrette Dorian Dessoleil...

Samedi 7 mars 2020. Il est 21h45 à la Ghelamco Arena et Kaveh Rezaei inscrit le quatrième but du Sporting face à la Gantoise (1-4). Charleroi a marché sur son adversaire du soir et met fin à une série de 22 rencontres sans défaite des Buffalos à domicile. Cette victoire place les hommes de Karim Belhocine à une étincelante troisième place au classement."Nous n’avons aucune limite", explique à l’issue du match l’attaquant Shamar Nicholson, tout sourire.

En près de 10 mois, le club de Mehdi Bayat a vécu des émotions diverses. Du départ de Felice Mazzù à l’arrivée de Karim Belhocine, en passant par les blessures de Bruno et Diandy, la série de 13 matches sans défaite ou encore la victoire étincelante lors du choc wallon. Au lieu d'une saison de transition, le Sporting Charleroi vit une saison historique, pour le plus grand bonheur de ses fans. Récit.


1. La fin d’une belle histoire,
le début d’un nouveau chapitre

La défaite à l’Antwerp n’est pas encore sortie des têtes des supporters carolos qu’un deuxième coup de tonnerre éclate au-dessus du Pays Noir. Le lundi 3 juin, Felice Mazzù quitte le Sporting, après six années de bons et loyaux services, et signe au Racing Genk, champion en titre. "C’est grâce à Charleroi que j’ai rejoint la Division 1 et ce club restera éternellement dans mon coeur", avance l’entraîneur carolo lors de sa présentation à la presse dans le Limbourg.

Ce départ, attendu depuis un certain temps par la direction zébrée qui s’était faite à l’idée que Mazzù n’allait pas devenir le "Ferguson de Charleroi", pousse Mehdi Bayat à agir en coulisses. Qui sera le nouvel homme fort du Sporting ?

Pendant trois semaines, plusieurs noms vont circuler : d’Hein Vanhaezebrouck à Luka Elsner en passant par Drazen Brncic et Besnik Hasi. Finalement, l’administrateur-délégué du club décide de surprendre son monde en choisissant Karim Belhocine, 18 jours après le départ de Mazzù.

"Karim mérite sa chance", explique alors Mehdi Bayat lors d’un point presse organisé quelques jours plus tard devant un parterre de journalistes assez nombreux pour l’occasion. "C’est un homme honnête, intègre et qui reflète les valeurs de Charleroi." Le nouveau T1 carolo a entre temps donné son premier entraînement, sous le soleil, à 22 joueurs. L’entraîneur des gardiens Michel Iannacone est prié de quitter le club et est remplacé par Cédric Berthelin. Mario Notaro devient lui conseiller sportif : il laisse sa casquette de T2 à Frank Defays.



2. Clap première pour Belhocine

Dès sa prise de fonction, Karim Belhocine fait comprendre aux joueurs où il veut aller avec eux. Le Franco-Algérien veut une équipe qui se bat sur tous les ballons mais qui sait aussi produire du beau football, en étant capable de bien défendre et repartir vite vers l’avant via des reconversions offensives. Pour arriver à ses fins, Belhocine prend le temps d’appliquer ses préceptes à l’équipe lors des matches amicaux d'avant-saison et durant le stage estival, très intensif, organisé en Allemagne.

Le 28 juillet, la saison débute enfin pour le Sporting Charleroi. A domicile, et sous un soleil radieux, le Sporting accueille la Gantoise dans un climat de révolte des supporters carolos qui s’en prennent au manque de proactivité de Mehdi Bayat dans la politique sportive du club : "Mhdi : menteur, frimeur, baratineur", peut-on lire sur une banderole affichée en T4.

De son côté, Karim Belhocine décide d'assumer d'entrée de jeu plusieurs choix forts. Le premier est la titularisation de Marco Ilaimaharitra, pourtant revenu quelques jours auparavant de vacances, après une CAN prolongée avec Madagascar. Le second est la présence dans le onze de base de Cristophe Diandy aux côtés du Malgache. Un duo qui fera des étincelles les semaines suivantes et qui poussera Gaëtan Hendrickx dans l’ombre. Le jeune Belge ne jouera que 232 minutes en 29 journées (soit 8,89 % de temps de jeu). Il est le roi des entrées tardives en Pro League avec 10 montées de moins de 15 minutes.

Le Sporting, aligné en 4-2-3-1, montre de belles choses face à l’actuel dauphin du Club Bruges. Pour la première officielle sans Mazzù, Charleroi accroche un point dans le...Felice Time, à la 89e via Massimo Bruno, l’homme en forme du début de saison : "Karim Belhocine nous insuffle sa rage", explique alors l’ancien Anderlechtois. "Il veut qu’on se dépasse tout le temps, à chaque entraînement et à chaque match. Le groupe est facile à vivre, on s’amuse tout en restant sérieux. Nous avons aussi beaucoup de qualités ce qui nous permet de faire un bon début de saison."


3. Une première claque qui pousse à agir

Après un 5 sur 9 d’entrée de jeu, les Zèbres enregistrent leur première défaite de la saison le lundi 19 août à Zulte Waregem. La rencontre tourne mal pour les Carolos, qui ne perdront plus que 4 fois après ce match, mais incapables ce soir-là de se montrer dangereux face aux hommes de Francky Dury (3-1). Après la rencontre, plusieurs joueurs du Sporting ne souhaitent pas s’exprimer devant la presse. C’est le cas d’Adama Niane, conscient qu’il vient de brûler sa dernière carte, au terme d’un mauvais match en tant que titulaire. Le staff et la direction prennent conscience qu’il est urgent de transférer, eux qui ont vu Osimhen quitter le Pays Noir et Nicholson le rejoindre.

Dans la foulée, Charleroi agit en faisant signer le jeune Frank Tsadjout (en prêt de l'AC Milan) mais surtout Kaveh Rezaei, prêté par le Club Bruges. Une arrivée considérée comme impossible un mois plus tôt par Mehdi Bayat : "Parler d’un retour de Kaveh Rezaei est complètement surréaliste", expliquait l’administrateur-délégué aux journalistes présents lors du stage estival. "C’est complètement ridicule d’aborder ce sujet."

Dans le sens des départs au sein du secteur offensif, Pollet et Bedia partent, Perbet trouve une porte de sortie en toute fin de mercato alors que Niane ne jouera plus une seule minute avant de rejoindre Ostende durant le mercato hivernal.

4. Le retour du fils de Charleroi

Le 13 septembre, c’est avec une grande émotion que Felice Mazzù revient au Mambourg, sur le banc visiteur, à la tête du Racing Genk. Pour l’occasion, les supporters carolos déploient un énorme tifo en l’honneur de celui qui sera resté six ans à la barre du navire zébré.

Ce retour ne se déroule cependant pas comme prévu pour le coach débauché au White Star par Mehdi Bayat puisque les Limbourgeois subissent leur troisième défaite en sept rencontres sur la pelouse du Pays Noir. "Je ne sais pas s’ils ont joué à la Mazzù mais honnêtement, je ne pense pas qu’on mérite de perdre", commente Mazzù à l’issue de la rencontre. "Nous n’avons pas grand-chose à nous reprocher. Malgré tout, cela restera un grand moment dans ma carrière avec ce public qui est toujours avec moi et ce magnifique tifo." En fin de soirée, le "fils de Charleroi" sera encore fêté par quelques Ultras zébrés restés en tribunes.

Mazzù ira les saluer, ému, une écharpe du Sporting à la main. "Merci Mazzù, merci Mazzù, merci..." L’ancien T1 du Sporting quitte le Pays Noir avec de belles images en tête mais aussi et surtout avec le sentiment du devoir non-accompli...

Tout profit pour le Sporting de Belhocine qui accède pour la première fois de la saison au Top 6 grâce à cette victoire arrachée après des buts de Nicholson et de Morioka, sur penalty. Le Japonais sera l’un des quatre tireurs de penaltys carolos durant la saison (avec Perbet, Ilaimaharitra et Rezaei), ce qui fait de Charleroi l’équipe possédant le plus de tireurs différents (7 penaltys tirés, 5 marqués).



5. Le changement,
c'est maintenant

Après une défaite face à Anderlecht subie devant la plus grosse assistance de sa saison (13 332 spectateurs), Charleroi se déplace au Cercle Bruges, lanterne rouge du championnat, le 20 octobre. Loin d’être un grand fan de la tournante au sein de son équipe, Karim Belhocine décide d’apporter de la fraîcheur dans son onze de base. Exit Mamadou Fall (blessé de dernière minute), Stergos Marinos et Shamar Nicholson. Ils sont remplacés par Ali Gholizadeh, Maxime Busi et Kaveh Rezaei. Les Zèbres l’emportent facilement (0-3) et débutent par la même occasion une belle série de 13 rencontres sans défaite, ce qui constitue le record historique du club.

Pendant ce laps de temps de plus de trois mois, Belhocine voit renaître Kaveh Rezaei (auteur de 7 buts durant une période de 5 matches et actuel 4e meilleur buteur de la Pro League avec 12 réalisations à son compteur), redonne confiance à Ali Gholizadeh et permet aux Carolos de faire peur à toutes les équipes du Royaume. Nicolas Penneteau, de son côté, enchaîne les clean-sheets pour se placer sur la deuxième marche du podium des gardiens, avec 12 matches sans encaisser, derrière l’intouchable Simon Mignolet (Club Bruges).

Deux ombres au tableau font leur apparition durant cette période faste. La première : la grave blessure de Cristophe Diandy, touché aux ligaments croisés du genou à Malines, qui doit faire une croix sur la suite de sa saison. "J’en ai pleuré et j’étais au fond du trou quand on m'a appris la nouvelle", nous confiera quelques mois plus tard le joueur, en pleine revalidation.

Pour remplacer un titulaire devenu indiscutable, le T1 carolo surprend son monde en faisant redescendre Ryota Morioka aux côtés de Marco Ilaimaharitra. Un choix tactique payant que personne n’avait vu venir et qui permettra au Japonais de hausser encore plus son niveau de jeu, jusqu’à devenir le véritable maître à jouer de Charleroi.

Le second (gros) bémol: l’élimination en quart de finale de la Coupe de Belgique face à Zulte Waregem (2-0). Une grosse déception pour ce club qui fait d'une victoire en Coupe un objectif clair depuis quelques années, même si Mehdi Bayat n’a pas voulu le crier sur tous les toits cette saison. "L’élimination fait mal", explique après coup Nicolas Penneteau. "C’est une grosse déception car c’est une belle aventure qu’on voulait poursuivre." Rendez-vous donc, une nouvelle fois, la saison prochaine...



6. Un dernier feu d'artifice en 2019

Le Sporting termine l’année 2019 sur une note positive : une victoire 5-0 à domicile, dans une belle ambiance, face à une équipe d'Ostende littéralement écrasée ce soir-là. Il faut remonter à décembre 2014 pour retrouver une victoire plus large des Zèbres... Plus rien ne semble les arrêter même si les joueurs et le staff tempèrent et ne s'emballent pas. "Les playoffs 1 représentent un objectif mais il ne faut pas s'enflammer", explique Marco Ilaimaharitra, d'habitude très discret par rapport à la presse. "Ce n'est pas parce que nous avons de l'avance que nous pouvons lever le pied. Nous ne devons pas nous prendre pour ce que nous ne sommes pas."

Après quelques jours de congé, l’équipe prend la direction d'El Saler (près de Valence, en Espagne) pour son stage hivernal. Pendant une semaine, les joueurs s’entraînent dans un cadre magnifique et dans une ambiance au beau fixe rarement vue auparavant. C’est d’Espagne que Mehdi Bayat verra le Gantois Louis Verstraete et ses agents snober le Sporting. Une non-arrivée qui sera vite oubliée après les transferts de Joris Kayembe (venu de Nantes) et de Lazare Amani (arrivé d’Eupen) durant un mercato qui sera surtout positif pour une autre raison : aucun cadre de Charleroi ne quitte le navire durant l’hiver, malgré certaines offres reçues.

Un vrai succès pour ce club qui voyait d’année en année ses meilleurs éléments (encore récemment avec Lukebakio ou Benavente) aller voir en hiver si l’herbe n’était pas plus verte ailleurs qu’au Pays Noir.



7. Février,
entre grimaces et sourires

Lors d’un week-end coincé au milieu du mois de février, Charleroi connaît un véritable tournant dans sa saison, avec un bonheur et un malheur. Côté pile, les hommes de Karim Belhocine se qualifient officiellement pour les playoffs 1 le 17 février après leur match nul à l’Antwerp conjugué à la défaite de Zulte Waregem face à Mouscron. C’est la quatrième fois de son histoire que le Sporting se qualifie pour les PO1. Jamais le club ne l’avait fait aussi tôt (à la 26e journée de la phase classique).

Côté face, l’équipe perd à nouveau un joueur, après la mise à l’écart de Cristophe Diandy quelques mois plus tôt. La veille du déplacement à l’Antwerp, Massimo Bruno se blesse au genou à l'entraînement. On craint le pire à Charleroi et le pire est annoncé quelques jours plus tard : le joueur de 26 ans souffre d’une rupture des ligaments croisés du genou, comme son coéquipier sénégalais. Un coup dur pour le Zèbre mais aussi pour l’équipe qui avait trouvé un bel équilibre avec l’ancien Anderlechtois en tant que numéro 10.



8. Des Zèbres inarrêtables

Toujours bien accroché au haut du classement, c’est à égalité de points avec le Standard que Charleroi accueille le 1er mars les Liégeois pour ce qui ressemble à l’un des chocs wallons les plus équilibrés sur le papier. Mais sur le terrain, c’est tout autre chose qui se déroule : pendant 90 minutes, le Sporting ne laisse aucune chance aux hommes de Michel Preud’homme et prend trois points plus que mérités grâce à des buts de Dorian Dessoleil et de Shamar Nicholson (2-0). Cette victoire fait tomber quelques records : le Standard perd pour la première fois en phase classique face à Charleroi depuis l’instauration des playoffs en 2009-2010. Aussi, les Zèbres n’avaient plus gagné par plus d’un but d’écart face aux Liégeois à domicile depuis près de 30 ans…

Une semaine plus tard, les Zèbres réalisent un autre exploit en venant à bout de la Gantoise, sur son terrain (1-4). Une performance qu’aucune équipe n’avait réalisée depuis 22 rencontres… L’équipe de Belhocine bat aussi le nombre de points récoltés durant une phase classique avec 54 unités au compteur (soit 3 de mieux que le Sporting version 2017-2018 de Felice Mazzù, avec un match en moins).

Désormais troisième au classement, à un petit point de la Gantoise, Charleroi patiente avant de pouvoir terminer sa phase classique, à domicile face à Courtrai, et s'attaquer aux playoffs. Il y a dix mois, alors que beaucoup parlaient d'une "saison de transition", peu d'observateurs auraient imaginé Charleroi au sommet. Beaucoup doutaient même des capacités de Karim Belhocine à réaliser de bons résultats àla tête du club. Doucement mais sûrement, à force de travail et d'humilité, le Sporting a fait déjouer tous les pronostics au terme d'une phase classique d'ores et déjà historique. Et le club ne compte pas s'arrêter en si bon chemin...