Après “l’enfer” du Covid-19, réapprendre à vivre

Immersion dans le service de revalidation du site Delta (Chirec)
La revalidation interne hospitalière

Assis, bras tendus, un bâton rouge entre les mains, Jacques, 68 ans, se concentre pour ramener l’objet à la hauteur de sa poitrine par des mouvements lents et successifs. Voici un peu plus d’une semaine que ce chirurgien orthopédique à la retraite est hospitalisé au sein du service de revalidation du site Delta du Chirec.

“Ce mardi matin, j’ai travaillé avec lui sur l’endurance pour le revalider au niveau de la marche et de l’équilibre, explique Patrick De Gussem, kinésithérapeute en revalidation. Après, on a travaillé sur la respiration pour bien rouvrir la cage thoracique. Le but, c’est vraiment de le remettre en forme pour qu’il puisse rentrer chez lui”.

Un moment que Jacques attend avec impatience: tombé gravement malade après avoir contracté le Sars-CoV-2 en mars, il n’a plus vu ses proches depuis huit semaines. Lunettes en écailles chaussées sur le nez recouvert d’un masque chirurgical, il raconte: “Le problème, c’est qu’avec le Covid, on perd des muscles partout – bras, jambes, abdominaux... Quitter une chaise sans se tenir, on ne sait plus le faire, par exemple. Donc, cela nécessite une rééducation complète. Mais je trouve qu’en une semaine, j’ai déjà pas mal récupéré”.
C’est que ce sexagénaire, qui a été “un baroudeur dans la vie”, est “passé à côté de la mort”. Il y a trois semaines encore, il était en réanimation, intubé. En tout, il est resté cinq semaines aux soins intensifs. À son réveil, fin avril, il ressent une extrême fatigue. “C’est comme si on était sucé de l’intérieur. Il n’y a plus de jus.”
Déglutir, parler, s’asseoir, se lever, marcher… sont autant de gestes de la vie quotidienne que les patients alités pendant une longue période en réanimation doivent réapprendre peu à peu.
“C’est comme si on était sucé de l’intérieur. Il n’y a plus de jus.”
“Souvent, les malades atteints du Covid arrivent à l’hôpital via les urgences. Les cas les plus graves sont hospitalisés en soins intensifs, indique Philippe Claes, chef de service de kinésithérapie. Ensuite, ils passent en chambre”, généralement en unité de pneumologie.
“Quand ils sont sevrés en oxygène, qu’ils sont sortis d’isolement, c’est-à-dire trente jours après le diagnostic pour les gens qui ont été en unité de soins intensifs (et quinze jours pour ceux qui ne sont pas passés par l’Usi), ils peuvent venir dans notre service (ils ne sont alors plus contaminants, NdlR)”, enchaîne le Dr Corine Motte dit Falisse, chef de service de médecine physique et de réadaptation. C’est la revalidation interne, en hôpital. Pour le moment, ils sont six patients post-Covid dans ce service.

“Cette maladie ne touche pas que les poumons, insiste Sophie Gadenne, kinésithérapeute spécialisée en réhabilitation cardio-pulmonaire. Elle peut aussi affecter les systèmes cardiaque, musculo-squelettique, neurologique… Donc, les patients sont vraiment très, très affaiblis. Ils ont un gros déconditionnement et, souvent, une fonte musculaire (de 30 à 40%, NdlR). Pour eux, les gestes de la vie de tous les jours représentent un réel effort. Notre rôle est donc d’essayer de les remettre sur pied, leur rendre leur autonomie et leur permettre de pouvoir réaliser les activités de la vie quotidienne comme ils le faisaient presque auparavant”.
Après avoir vaincu la maladie, il leur faut, en effet, s’armer de courage et de patience sur le long chemin de la rééducation. “Une revalidation se compte en mois voire en années, poursuit Philippe Claes. Le Covid est une maladie nouvelle et nous n’avons pas assez de recul. Mais on se base sur ce que l’on connaît sur les ARDS, les syndromes respiratoires aigus. Et, dans les ARDS, seuls 49% des patients reprennent leur travail après un an”.
“Si je récupère 90% de ce que j’étais avant la maladie, à mon âge, je suis un gars heureux.”
Jacques, 68 ans

Sa séance de kiné achevée, Jacques prend quelques minutes de pause avant de rejoindre sa chambre au fond du couloir opposé. “J’ai été un sportif de haut niveau. Je n’ai jamais fumé. Et j’ai des problèmes pulmonaires. C’est vexatoire, confie-t-il. Mais je suis un rebelle de Mai 68, donc, il faut que je récupère! Je vais y travailler d’arrache-pied. Je sais que j’en ai pour l’année. Je suis un rescapé, mais j’y suis pour quelque chose. C’est dans la tête. Je suis un rationaliste. J’ai pris une douche hier et sans difficultés. Cela peut paraître anodin, mais c’est une image de liberté. Ce sont des petits détails qui font que je me sens progresser et qui m’encouragent. Si je récupère 90% de ce que j’étais avant la maladie, à mon âge, je suis un gars heureux”.

Une prise en charge pluridisciplinaire

Face à cette maladie qui touche tous les organes et sur laquelle planent encore beaucoup d’inconnues, il importe de prendre en charge le patient dans sa globalité. “Nous avons établi un programme de revalidation pour tous les patients qui ont eu le Covid, que ce soit des atteintes modérées, c’est-à-dire des patients qui ont été hospitalisés en gériatrie ou dans le service cardio-pulmonaire, ou sévères, avec des malades qui sont passés par les soins intensifs”, rapporte le Dr Corine Motte dit Falisse.

Ce programme se fonde sur une prise en charge pluridisciplinaire (médecine physique, kinésithérapie, ergothérapie, logopédie, diététique, psychologie...) car, “après le Covid, on remarque que les patients présentent de multiples déficiences”.
Ainsi, “les patients qui sortent de l’Usi souffrent beaucoup de polyneuropathies ou d’atteintes musculaires. Un bilan neuro-musculaire est donc effectué par un médécin-rééducateur, le Dr Michel Goossens”, précise-t-elle. Par ailleurs, “les patients post-Covid peuvent avoir beaucoup de troubles cognitifs, dont des troubles dit exécutifs, ce qui signifie des troubles de mémorisation, d’orientation, d’inhibition, de flexibilité, c’est-à-dire d’adaptabilité, de concentration, etc., énumère-t-elle. Ils sont testés et 'bilantés'. Puis, pris en charge par nos ergothérapeutes".

Une taque électrique, un évier, une machine à laver, des espaliers, des ballons, des barres de marche… Le 4e étage du site Delta est équipé d’une grande salle de mise en situation (une deuxième a été aménagée dans un local de réunion afin d’assurer la sécurité de tous les patients, non-Covid et post-Covid).
“L’ergothérapie, c’est vraiment la rééducation dans la fonction. Réapprendre les gestes de la vie journalière, à faire sa toilette, s’habiller, mais aussi travailler l’équilibre, la marche, etc.”

François Delhove est ergothérapeute. “On voit que les patients post-Covid ont parfois traversé ‘l’enfer’. Ils sont dans un état physique très compliqué. Rien que se lever de leur chaise et se rasseoir, ou aller d’un point A à un point B est extrêmement difficile pour eux. Les séances se déroulent en plusieurs phases. Comme ils ont souvent été alités, ils ne savent plus marcher seuls, donc on fait des petits périmètres de marche. Ensuite, ils se déplacent avec un rollator quatre roues, puis avec des béquilles, avant de remarcher sans aide. On travaille aussi leur équilibre. Il ne faudrait pas qu’ils tombent, car une luxation, une fracture... compliquerait la revalidation.”

Il poursuit: “Il y a aussi des exercices de remise en forme. Puis, en fonction de leurs habitudes de vie, on va les mettre en situation. Le but, c’est qu’ils soient autonomes pour réintégrer leur domicile le plus aisément possible et en toute sécurité. En cas de difficultés, on va adapter leur environnement, en plaçant une barre d’appui dans la salle de bain, par exemple, ou un monte-escalier. Cela dépend vraiment du patient”.



Lorsqu’ils sont hospitalisés en revalidation, les patients suivent deux heures de traitement par jour: une heure de kinésithérapie le matin, axée sur l’endurance et le renforcement musculaire, et une heure d’ergothérapie l’après-midi. Un suivi “de base” qui peut être complété par des séances avec la logopède, la psychologue, la diététicienne…

“Parfois, avec l’intubation ou par l’atteinte neurologique, le patient peut avoir des troubles de la phonation ou de la déglutition. Il est alors pris en charge par la logopède, précise le Dr Motte dit Falisse. On peut également faire appel à la diététicienne, car on constate beaucoup de troubles métaboliques, y compris chez les gens qui ont eu une atteinte modérée du virus. Quant aux patients qui ont été aux soins intensifs, ils souffrent d’une fonte musculaire importante et bénéficient donc d’une alimentation riche en protéines. Enfin, nous travaillons aussi avec une assistante sociale, et la psychologue vient en appui lorsque le patient ressent de l’anxiété ou souffre de dépression”.

Régine Hermans, psychologue, confirme: “Il s’agit de prévenir les séquelles post-traumatiques chez les patients ayant eu le Covid. Confrontés à la perte de lien social, à la réalité des symptômes et peut-être aussi à la mort, ils ont vécu une expérience éprouvante, traumatique. Ils ont donc besoin d’être écoutés, accompagnés dans ce qu’ils traversent”.
Et d’alerter: “Je pense qu’il faut s’attendre à ce que les effets post-Covid se manifestent plutôt dans les six mois voire dans l’année qui suit. Il faut donc absolument, maintenant, prévenir les séquelles et aller vers les patients pour qu’ils puissent décompresser et déposer leur trop-plein”.

Afin d’avoir “une vue d’ensemble” de l’état de chaque patient, l’équipe pluridisciplinaire se réunit toutes les semaines – dans la salle de revalidation (faute de place dans la salle de réunion) pour respecter la distanciation physique d’1,5 m – afin d’évoquer l’évolution du patient et sa prise en charge ainsi que son éventuel retour à domicile.


“On vient de lancer le programme de revalidation. Tout est nouveau bien qu’il y a quand même un début de littérature sur la prise en charge de réadaptation, expose le Dr Motte dit Falisse. Nous nous sommes donc tous mis d’accord pour dresser des bilans systématiques de nos patients post-Covid en début et en fin de prise en charge afin de disposer de cohortes et d’alimenter une banque de données pour communiquer nos résultats et essayer d’en tirer des études scientifiques”.
La revalidation en ambulatoire

Dans la vaste salle de fitness du 2e étage, percée de larges fenêtres, ils sont trois patients (ils ne peuvent être plus de cinq en même temps afin d’assurer les mesures sanitaires ; le port du masque est requis et tout est systématiquement désinfecté) à s’exercer sur des tapis roulants, des vélos assis, des vélos debout…

Parmi eux, Francesco, qui vient d’entamer sa première semaine de revalidation en ambulatoire. Sorti de réanimation mi-avril, ce Bruxellois de 41 ans a pu réintégrer son domicile. Désormais, il se rend trois fois par semaine à Delta pour ses séances de kiné et d’ergothérapie.

“Chaque séance de revalidation débute par la prise de paramètres pour voir quel est l’état du patient, explique Sophie Gadenne, kinésithérapeute, tout en attachant un tensiomètre autour du bras d’une patiente. Dans ces paramètres, il y a la tension artérielle, la fréquence cardiaque et le taux d’oxygène sanguin. On mesure aussi la dyspnée, c’est-à-dire qu’on demande au patient sur une échelle dite de Borg (qui va de 0 à 10) d’évaluer sa difficulté respiratoire. Ces paramètres sont répertoriés dans son dossier. Si tout est correct, on peut lancer la séance. En revanche, lorsqu’un des paramètres est un peu moins bon, par exemple le taux d’oxygène dans le sang, eh bien, on peut suppléer en donnant un peu d’oxygène au patient”.
Ce travail de réhabilitation est donc extrêmement progressif et propre à chaque patient.

En bas de contention dans ses pantoufles, short et t-shirt, Francesco s’est assis pour récupérer un peu entre deux exercices. Anaïs Voron est la kinésithérapeute qui l’accompagne pour sa deuxième séance de réadaptation.

“On démarre toujours par de l’endurance pour travailler tout ce qui est cardio-respiratoire, renseigne-t-elle. Le patient peut le faire sur vélo, tapis roulants ou vélo à bras. On adapte en fonction de chacun. Monsieur présente des difficultés au niveau de son membre supérieur droit, donc on va plutôt travailler les membres inférieurs. Après, on va lui proposer des exercices de mobilisation de son bras. Au début, ce sera passif: c’est nous qui allons mobiliser le patient. Puis, ce sera à lui, progressivement, de passer à l’actif. On vise un objectif fonctionnel: on pense toujours aux exercices qui vont pouvoir aider le patient à progresser et à être autonome. Après, on lui proposera des exercices purement respiratoires pour augmenter ses capacités pulmonaires. Et on finira la séance en travaillant l’équilibre”.
Le Dr Corine Motte dit Falisse précise: “Monsieur a, en effet, d’autres problèmes dus à son hospitalisation à l’Usi. Quand on met les patients sur le ventre pour augmenter la ventilation, certains développent des parésies et des paralysies au niveau des plexus brachiaux. Mais Monsieur récupère assez bien, donc c’est vraiment positif”.

Plongé en coma artificiel pendant près de quatre semaines, Francesco est passé par le chas de l’aiguille. “Après la maladie, j’étais vraiment très affaibli, se souvient-il. Grâce à la revalidation, je gagne en endurance et en tonus. C’est important de récupérer, se prendre en main et aller de l’avant. Mais sans l’équipe de réadaptation, je ne pense pas que je pourrais revivre normalement”.
Pour Judith Dacquin, chef de service adjointe de kinésithérapie, il est donc “très important de faire connaître ce service de revalidation aux patients parce que, très souvent, lorsqu’ils sont sortis de la période aiguë, ils ne pensent qu’à une seule chose, c’est de pouvoir rentrer chez eux le plus vite possible”. Son collègue Philippe Claes enchaîne: “Pour certains patients, marcher, faire des petites activités, ça va aller. Mais quand ces gens vont commencer à monter les escaliers, s’asseoir et se lever cinq-six fois…, ils vont se rendre compte qu’ils sont à court”. “À nous, donc, de les avertir que notre service existe pour essayer de les remettre en forme”, prévient Mme Dacquin.

Tout est systématiquement désinfecté.
Tout est systématiquement désinfecté.

Philippe Claes et Sophie Gadenne, kinésithérapeutes, épaulent une patiente lors de ses exercices.
Philippe Claes et Sophie Gadenne, kinésithérapeutes, épaulent une patiente lors de ses exercices.

Le cardio-respiratoire initie systématiquement les séances.
Le cardio-respiratoire initie systématiquement les séances.

"Je gagne en endurance et en tonus..." - Francesco
"Je gagne en endurance et en tonus..." - Francesco
“Pour nous, en fait, tout commence, affirme Sophie Gadenne. Certains patients sont encore dans la phase aiguë, c’est-à-dire qu’ils ont quitté les soins intensifs et sont à présent passés en chambre. D’autres patients sont déjà rentrés chez eux, mais se sentent peut-être encore un peu faibles et attendent encore quelques jours pour se déplacer et venir jusque chez nous. Donc, pour le moment, c’est assez difficile de quantifier le nombre de patients en revalidation. Mais, ce que je peux dire, c’est que d’un jour à l’autre, cela ne fait qu’augmenter”.

Et l’équipe est fin prête : “Nous allons devoir gérer la reprise des activités hospitalières dites classiques en même temps que l’afflux des patients post-Covid, mais, pas de problème, assure Philippe Claes. Nous sommes sereins”.