Tennis professionnel, arbitres amateurs

Cédric Hamiet, le seul arbitre "badge d'or" belge francophone, entouré de Guillaume Woelfle (badge blanc) et Floriane Dierckx (badge de bronze) sont les trois arbitres belges présents à Roland-Garros. Les deux premiers cités nous racontent les coulisses d'une profession (ou plutôt passion) méconnue.

"On attend surtout d'un arbitre qu'il prenne une décision"

Quelles sont les caractéristiques d'un bon arbitre ?
Cédric Hamiet: "Tous les arbitres de haut niveau sont mis, dès leur cycle de formation, sous une forme de pression. Un peu comme si un joueur tentait de les influencer. C'est le signe de la qualité d'un arbitrage de pouvoir résister à cette pression, de tenir une décision, de communiquer de manière claire la bonne réponse, de ne pas changer d'avis avec fermeté... Un arbitre, ce n'est pas que des bons yeux. Il faut rester calme, afficher du sang-froid, avoir la bonne répartie... La communication représente 80 % du boulot."

Guillaume Woelfle: "Les arbitres jouent parfois aussi à l'intox... Et une bonne réponse bien placée pourra rapidement clore une éventuelle discussion stérile de plusieurs minutes."

Le plus important, dès lors, est de ne pas laisser la place à l'incertitude...
C.H: "On attend d'un arbitre qu'il ait raison... Mais surtout qu'il prenne une décision ! Le joueur espère bien sûr qu'elle ira dans son sens. A la limite, il préférera un arbitre qui se trompe mais qui a un argumentaire derrière qui tient la route plutôt qu'un juge qui hésite et change deux fois d'avis."

Le tennis est-il un sport plus complexe à arbitrer qu'il n'y paraît ?
C.H: "Si vous vous en tenez aux 31 règles, cela peut paraître accessible. Mais, c'est sans prendre en compte toutes les procédures pour l'ATP, le WTA, le Grand Chelem, la coupe Davis... Ce sont, rien que pour cela, quatre procédures différentes et autant de pages de règlements à connaître... Et puis, il faut maîtriser l'Anglais, y compris pour arbitrer les tournois belges de niveau international."

Comment se passent les interactions entre juge de ligne et juge de chaise ?
G.W.: "Il y a une série de codes entre nous. A chaque changement de côté, ou même entre deux points, un petit regard suffit pour se comprendre. Si j'ai jugé un point chaud et que je ne suis pas sûr de moi, je regarde en direction du juge de chaise et s'il a vu la même chose que moi, il me le fera comprendre d'un signe très discret et ça permet de se concentrer sur le point suivant. Imaginons qu'un coach discute avec son joueur dans la tribune qui est dans mon dos (ce qui est interdit par le règlement, ndlr), je peux aussi le signaler au juge de chaise avec un petit geste… il sait ce que ça veut dire et il s'occupe de réprimander le coach en question. Plus que dans d'autres sports, l'arbitrage peut se faire avec un langage non verbal."

A force de côtoyer les joueurs sur le circuit, en faites-vous des amis ?
G.W.: "Disons qu'avec les joueurs, on ne se connaît pas vraiment mais on se reconnait. On se salue et puis c'est tout, on a un code de déontologie qui nous oblige à garder nos distances. On ne peut pas arbitrer un copain ou quelqu'un de sa famille. Imaginons que je sois de la même génération qu'un joueur belge et que je l'ai beaucoup côtoyé étant jeune, avant de prendre la direction de l'arbitrage, je ne peux pas l'arbitrer. Si je ne déclare pas avant un tournoi "Attention, je ne peux pas arbitrer untel car je suis proche de lui", je fais une erreur déontologique. Il y a comme cela 25 règles à respecter, comme avoir une bonne vue, s'habiller de manière classe, ne pas boire d'alcool pendant les tournois, etc."

C.H.: "Les amitiés arbitres-joueurs se nouent éventuellement quand la carrière du joueur est terminée. Je suis personnellement très proche de Kristof Vliegen depuis qu'il a arrêté."

"Le plus compliqué ? Arbitrer deux joueurs qui sont amis"

Légende photo: Serena Williams et Caroline Wozniacki (en illustration) sont très proches, au point de partir régulièrement en vacances ensemble.

On parle en général bien plus de l’arbitrage au football qu’en tennis. Pour quelles raisons selon vous ?C.H.: "Au pire, l'arbitre de tennis aura maximum quatre joueurs sur le dos. Ensuite, il y a de l'interprétation en tennis également. Mais c'est bien plus présent en football. Enfin, le tennis n'est pas un sport de contact."

L’attitude du public est plus respectueuse. On a rarement vu un arbitre se faire huer par une tribune…
C.H.: "Attention, il faut remettre les choses en perspective... une coupe Davis en Argentine ou au Chili peut s'avérer assez chaude. Même en Europe, parfois. J'étais présent sur le terrain lors d'un Nadal-Grosjean de Roland Garros en 2005 et le public a fait la bronca durant dix minutes à la suite d'une décision de l'arbitre."

G.W.: "Cela dit, même avec les équipes de jeunes en football amateur, cela peut déborder chaque semaine. En l'espace de onze années d'arbitrage en tennis, j'ai dû me faire chahuter à deux ou trois reprises tout au plus."

Dans quel état d'esprit monte-t-on sur un court ?
G.W.: "C'est probablement l'unique point commun avec les arbitres des sports collectifs comme le hockey ou le football. Il faut être dans une grande concentration et ressentir un peu d’adrénaline, du stress positif. Moi, ce que je fais sur les grands courts, c'est mettre une casquette d'entrée de match. Pour rester à 100 % concentré sur le terrain et pas l'environnement. Bon nombre de juges de ligne ont aussi des gris-gris ou des rituels comme monter sur le terrain du pied gauche... J'ai récemment lu qu'un arbitre allait toujours dans la même toilette avant le début de la rencontre !"

C.H.: "Moi, pour aller faire un tirage au sort, je ne marche jamais sur les lignes du terrain... En ce qui concerne l'état d'esprit, c'est le cœur même de mon job en tant que conseiller technique. Je gère une trentaine de juges de ligne actifs chaque jour sur un court spécifique. Mon boulot consiste à les préparer mentalement, à les recentrer après leur pause suite à une rotation d'arbitres. On ne s'en rend peut-être pas très bien compte mais le central est immense ! Il faut s'y préparer convenablement."

Certains joueurs utilisent des stratagèmes pour influencer l'arbitre…
G.W.: "Certains essaient de mettre de la pression, en effet. Parfois, un joueur peut essayer de créer un désaccord entre les arbitres pour les décrédibiliser, du genre "ton juge de ligne a dit l'inverse, pourquoi toi tu prends une décision différente ?"

C.H.: "La situation la plus compliquée pour un arbitre, c'est d'être désigné pour un match entre deux copains. Deux partenaires de double qui s'affrontent en simple, par exemple. Il ne faut surtout pas les laisser s'auto-arbitrer. Parce que si l'un change une décision de l'arbitre par fair-play, à son désavantage, en début de partie, il ne le fera peut-être plus une heure plus tard sur un point très important. L'arbitre doit rester le seul maître à bord quoi qu'il arrive."

Vous devez parfois avoir l'impression d'être un défouloir…
C.H.: "Oui, mais on a une série d'outils à notre disposition, comme les avertissements, points ou jeux de pénalité, s'il y a des abus de langage, des raquettes cassées, etc. Cela dit, on doit aussi avoir un minimum de psychologie. Un joueur qui s'énerve un peu au 5e set parce que le match est en train de se jouer, on peut se montrer tolérant envers lui et ne pas le sanctionner, du moment qu'il ne franchit pas certaines limites. Cette acceptation peut varier en fonction de la culture, aussi. On laisse plus passer certaines choses en Espagne ou en Italie qu'en Asie, par exemple. Le "puta" est une virgule, pour certains joueurs espagnols…"

Vous pouvez citer certains noms ?
C.H.: "Non, on ne peut pas en citer mais certains sont plus roublards que d'autres, et vous les connaissez en général. Soderling, qui est retraité, était assez fidèle à sa réputation par exemple… Mais l'arbitre doit partir d'une feuille blanche au début de chaque match, même s'il connait la réputation des joueurs. Après, s'il y a un match qui s'annonce compliqué à arbitrer, en tant que chef des arbitres, je peux vous affirmer qu'on va plutôt choisir un arbitre de chaise qui a un maximum d'expérience… Certains arbitres badge d'or peuvent se retrouver à arbitrer un premier tour parce qu'il y a l'équivalent actuel de Mcnroe qui le joue, tandis que certains badges bronze peuvent être désignés pour un huitième ou un quart de finale s'il s'annonce facile à arbitrer."

"L'arbitrage vidéo montre surtout que nous avons raison"

En football, il fait toujours débat mais va faire très prochainement son apparition sur les grands tournois. En tennis, la technologie du hawk-eye rend déjà service depuis de nombreuses années...

Le président de la Fifa, Gianni Infantino, a affirmé fin avril 2017 que "l'arbitrage vidéo serait utilisé" durant la Coupe du monde 2018 en Russie. "Ce n'est pas possible qu'en 2017, alors que tout le monde dans le stade ou chez soi voit en quelques secondes si l'arbitre a commis une erreur, que la seule personne qui ne le sache pas soit justement l'arbitre", a-t-il argumenté. En Belgique, les arbitres de l'élite ont reçu une formation durant l'hiver. L'arbitrage vidéo devrait être lancé lors de la saison 2017-2018. En tout cas, sous forme de phase de tests pour 48 rencontres de la Pro League.

En tennis, le "hawk-eye" accompagne l'arbitrage humain depuis plus d'une décennie. Et, dans l'ensemble, il est fort apprécié par les arbitres. "Au départ, cela n'a pas été évident. Pour beaucoup, la technologie allait mettre en lumière leurs erreurs d'arbitrage..." constate Cédric Hamiet, qui est également cameraman pour la RTBF. "Et en fait, c'est plutôt l'inverse qui se produit, cela montre quand nous avons raison !" En général, la machine confirme en effet 75 % des décisions humaines. Quant aux 25% d'erreurs, ils se jouent souvent à quelques millimètres et le grand public peut alors voir à quel point il est difficile de juger une balle qui flirte avec la ligne.

"Le hawk-eye permet surtout de mettre fin à d'interminables discussions et de rétablir une certaine confiance sur le court. Avant, sur surface dur, chaque point pouvait être soumis à discussion. Et le joueur avait raison de le faire puisqu'on ne pouvait pas lui prouver qu'il se trompait..." explique encore Cédric Hamiet.

Pour autant, la technologie est-elle à 100% fiable ? Moins d'1% d'erreur affirment en chœur nos deux invités ! "N'oublions pas que ce sont 20 caméras disposées tout autour de la surface de jeu ! Les tests réalisés en préambule aux grands tournois sont très impressionnants".

"Le bon niveau des arbitres belges ? Grâce à la Coupe Davis !"

L'arbitrage belge a plutôt bonne réputation, ce qui en soit est une très bonne chose. "Surtout les juges de ligne, c'est là que nous sommes le plus visibles. Notamment grâce à la Coupe Davis que la Belgique a soigné ces dernières années. Il n'y a pas de secret, c'est en pratiquant à ce haut niveau que les arbitres belges s'améliorent et acquièrent une bonne réputation", nous explique Guillaume Woelfle. "On a vécu un groupe mondial avec des quarts, des demies et une finale devant 15.000 personnes !" Cette belle série a apporté beaucoup de confiance.

L'organisation de tournoi comme l'Ethias Trophy de Mons a aussi permis de hausser le niveau global. En gros, lorsque le tennis belge se porte bien, il en va de même pour notre arbitrage. La visibilité des joueurs et joueuses pros apporte de la lumière sur la corporation. On y met plus de moyens également. "La France est l'exemple-type. Elle possède un grand nombre de sportifs dans le top 100, de grands tournois organisés sur son sol, la réputation d'avoir les meilleurs arbitres du monde et de gros moyens financiers pour l'arbitrage..." Sans trop de surprise, les élites belges lorgnent d'ailleurs régulièrement sur la formation distillée chez nos voisins directs. Ils s'en inspirent afin de donner les meilleures armes aux prétendants.

Enfin, il est aussi un élément important aux yeux de Cédric Hamiet: l'âge du début de la carrière d'arbitre. "Avant, la Belgique possédait déjà des arbitres. Mais, nous étions face à des profils qui s'y étaient mis une fois à la retraite... Aujourd'hui, nous démarrons le cycle de formation avec des gamins de 13 ans parfois."

Comment devenir arbitre en Belgique?

En Belgique, il existe une association nationale mais le tennis est bel et bien scindé en une aile flamande et une autre francophone organisant chacune son programme de formations comme elle l'entend. Côté francophone, il existe une académie des arbitres chapeautée par l'AFT (Association francophone de tennis). Le premier grade s'obtient au niveau du club avec un premier examen. Ces arbitres servent ensuite leur club et les autres notamment lors des nombreux critériums amateurs organisés dans leur région. L'objectif est de prendre goût et d'acquérir de l'expérience.

Le second grade est arbitre régional. On y aborde les choses plus en profondeur avec une série de cours et un examen. Ils peuvent ensuite arbitrer différents niveaux dans leur région. Ce sont les formateurs de l'AFT qui se déplacent dans les clubs pour dispenser les formations.

Enfin, le dernier grade à obtenir est celui d'arbitre national. Un diplôme décerné après trois jours intensifs de formation. Ce dernier sésame ouvre les portes aux tournois internationaux (premier niveau) qui se disputent en Belgique. Les têtes de série de ces tournois tournent autour de la 300e place (ATP ou WTA). Pour les juges de ligne, il n'y a pas de grade. Chaque arbitre est potentiellement juge de ligne et gagnera en expérience spécifique à force de remplir cette mission. Pour les grades internationaux, auxquels bien entendu les arbitres belges peuvent prétendre, voir notre infographie explicative ci-dessous.

Pour l'arbitre belge, le nirvana reste Roland-Garros...

Quand on demande à Cédric Hamiet quel est LE tournoi de l'année pour les arbitres belges, il répond du tac au tac: "Bien sûr, participer à n'importe quel Grand Chelem est une expérience que chaque arbitre aura à cœur de vivre. Même en restant au stade des qualifications. Mais, soyons honnêtes, Roland-Garros reste très particulier pour les Belges. On est tous nés sur terre battue, on sait comment il faut arbitrer sur cette surface. C'est à moins d'une heure et demi de Thalys de Bruxelles, on sait qu'il y aura beaucoup de Belges... J'ai eu la chance de pouvoir y arbitrer le duel Massu–Horna. Dans mon dos, Steve Darcis qui jouait sur un autre court... Rien que de sentir le public belge et sa ferveur, c'était absolument magique !"

Comment se passent les à côté de Roland-Garros pour les arbitres ?
G.W.: "C'est une grande famille. On sera 310 à Roland-Garros et j'en connais déjà une centaine avant d'y aller, dont plusieurs étrangers. Et puis, on va encore se connaitre un peu mieux au bout de la quinzaine. Les conditions sont excellentes pour ces internationaux de France. On a deux solutions en tant qu'arbitre: soit toucher 60€ par jour qui sont destinés à nous loger, et alors on se débrouille en prenant un Airbnb avec d'autres arbitres… soit tu prends l’hôtel mis à disposition par l'organisation, qui est confortable pour les juges de ligne mais encore plus pour les arbitres de chaise, qui bénéficient d'un hôtel d'un meilleur standing."

Quelle est la moyenne d'âge du juge de ligne de Roland-Garros ?
G.W.: "Il y a énormément de juges de ligne qui ont moins de 28 ans, âge auquel la plupart se cherche un vrai boulot et met quelque peu de côté cette passion. Et il y a aussi une série de juges de ligne de plus de 50 ans, qui bénéficient d'aménagement de carrière ou d'une prépension. A Roland-Garros, il y a la règle des 67 ans, âge au-delà duquel on ne peut plus participer."

C.H.: "Mais globalement, c'est plus homogène à Roland-Garros que sur les tournois d'une moindre envergure. Car il y a pas mal de quarantenaires qui prennent une semaine ou deux de congé par an pour l'arbitrage et qui les réservent à ce tournoi-là. Bien sûr, ils doivent garder de l'expérience le reste de l'année pour être repris à Roland-Garros mais les Français ont tellement de tournois que ce n'est pas très compliqué pour eux d'arbitrer les samedis et les dimanches le reste de l'année."

On est souvent admiratif des joueurs mais comment se sent un arbitre après un match marathon en Grand Chelem ?
C.H.: "Lessivé ! J'ai fait une fois un match de plus de 5 heures… il y a la chaleur, la concentration… et puis, tout bêtement, on doit aller aux toilettes au bout d'un moment. Les joueurs peuvent y aller mais c'est plus compliqué pour l'arbitre de chaise, même si on peut y aller si vraiment ça devient insoutenable. Dès que tu rentres sur le terrain, tu dois être conscient que ça risque de durer cinq heures et qu'il faut gérer tes efforts et ta concentration en fonction de cela. Il faut bien manger avant, prévoir une casquette, mettre sa crème solaire… prendre un pull avec soi au cas où on se retrouve dans l'ombre des tribunes après 19h, car il peut vitre rafraîchir. Mais le plus dur nerveusement, c'est la Coupe Davis. D'ailleurs on ne fait qu'un match par jour en tant qu'arbitre de chaise, en Coupe Davis, contre deux en Grand Chelem pendant les premiers tours."

G.W.: "Si un arbitre de chaise peut vivre un match marathon, les juges de ligne, eux, se relaient. En général, deux équipes sont désignées pour chaque court et elles se relaient toutes les heures ou toutes les heures et quart, du matin jusqu'au soir. La pause sert à souffler un peu et à se reconcentrer, mais aussi à aller manger. Mais attention, il y a toujours au moins un juge de ligne qui reste aux abords du court, au cas où. S'il y en a un qui fait un malaise en plein match, il faut pouvoir le remplacer."

Un phénomène d'endormissement est-il possible ?
C.H.: "Sur la chaise, c'est du jamais vu. Mais un juge de ligne qui pique du nez, je l'ai déjà vu. C'est très rare mais quand ça arrive, le mec est mis à la porte du tournoi. Il faut être en bonne forme physique, ne pas manger trop lourd le midi, faire des bonnes nuits de sommeil…"

G.W.: "La règle dit qu'on ne peut pas boire d'alcool dans les douze heures qui précèdent un match que l'on va arbitrer. On peut boire un verre de vin au resto le soir quand la journée est finie mais après 23h, si on reprend à 11h le lendemain, on doit être sérieux à 100%. Celui qui arrive un matin sur le tournoi en ayant visiblement la gueule de bois, il peut rentrer chez lui."

C.H.: "Ça, c'est notre travail à nous, les conseillers techniques. A Wimbledon, en 2016, on a viré un gars qui est arrivé avec des tâches de sauce tomate sur sa cravate Ralph Lauren… quand tu manges tes pâtes, tu mets une serviette autour du cou, point. La tenue qu'on a, c'est notre tenue d'arbitrage mais c'est aussi la tribune de l'année pour Lacoste, dans le cas de Roland-Garros. Si un juge de ligne porte un polo chiffonné, tu peux être sûr que le mec de Lacoste va nous téléphoner."

Y a-t-il des jours de repos pour les arbitres ?
C.H.: "Oui, le juge de ligne ou l'arbitre de chaise qui fait les trois semaines d'un tournoi du Grand Chelem (en comptant les qualifications), il a généralement un ou deux jours de repos sur sa quinzaine."

Quid de la gestion du public et de spectateurs indisciplinés ? On en voit beaucoup à Roland Garros…
C.H.: "Il faut surtout savoir si ça perturbe les joueurs ou non. Le pire, c'est aux Etats-Unis. A Flushing Meadow, si on interrompt le jeu dès qu'un spectateur bouge, on ne joue jamais… Et si vraiment le problème vient d'un même spectateur très indiscipliné, on demande discrètement au juge arbitre ou à un steward de s'en occuper."

Autres "acteurs" d'un match de tennis: les ramasseurs de balle…
G.W.: "J'ai déjà vu un ramasseur de balle se faire pipi dessus à cause du stress. Dans ce cas, il faut gérer ça discrètement. Chaque année à Roland-Garros, des ramasseurs font des malaises à cause de la chaleur. Dans tous les cas, c'est au juge de chaise de s'assurer que le problème se règle de manière efficace."

"La sélection des arbitres pour Roland-Garros ? Un travail de titans"

Comment Roland-Garros sélectionne-t-il ses arbitres ?
C.H.: "Il y a 310 arbitres (245 juges de ligne et 65 arbitres de chaise). Les arbitres internationaux et français postulent avant le 1er décembre 2016 pour Roland Garros 2017. Le fichier de candidature mentionne les dates de disponibilité de chacun et c'est le chef des arbitres à la fédération française de tennis qui fait sa sélection, comme moi j'ai pu le faire pour l'Ethias Trophy ou au Brussels Open. Mais à Roland-Garros, je me contente de m'occuper de plusieurs équipes de juges de ligne chaque jour. Mais je sais qu'il y a plus de 1000 candidatures pour 245 places (car les 65 arbitres de chaise sont désignés par l'ITF, ndlr). Globalement, la priorité est donnée aux Français car c'est aussi l'occasion de permettre à "ses" arbitres de prendre de l'expérience. Je faisais pareil quand je désignais des arbitres pour l'Ethias Trophy: priorité aux Belges !"

Combien de candidats belges y avait-il pour Roland Garros, cette année ?
C.H.: "Neuf ! On n'est jamais sûr d'avoir des places… Tout ce qu'on fait, c'est remettre la liste de nos postulants en prenant soin de les mettre dans l'ordre, avec les plus expérimentés en tête de liste. L'organisation de Roland-Garros regarde ensuite au cas par cas. A partir de là, leur réflexion ressemble à ceci: 'Guillaume Woelfle, il est badge blanc, il a plusieurs expériences en Coupe Davis. Il a fait tel et tel type de tournois et a eu des évaluations positives. Profil intéressant. On met une croix et si on a de la place, on le prendra !' Au final, cette année, 2 Belges sur les 9 postulants sont repris. Guillaume Woelfle (première année) et Floriane Dierckx, qui est badge de bronze, fera son quatrième Roland Garros. Sur les juges de ligne étrangers qui sont sélectionnés, il n'y a qu'une vingtaine de badges blancs qui reçoit sa chance.

Guillaume, vous savez si vous aurez une chance d'être arbitre de chaise sur ce Roland-Garros ?
G.W.: "Oui, je sais que je n'en ai aucune. Ils prennent les badges d'or et d'argent en priorité. Ainsi que quelques badges bronze sur des matches d'une moindre importance et même quelques badges blancs, mais à ce moment-là c'est réservé aux Français. Mon badge blanc ne fera pas le poids contre un Français en France, mais c'est normal car en Belgique on privilégie aussi ses propres arbitres, cela fait partie du jeu. Cela dit, les Belges sont plutôt bien vus en France, parler la même langue facilite notamment les choses".

Goffin lésé face à Nadal: "L'arbitre savait qu'il avait tort, mais ne pouvait pas revenir en arrière"

L'arbitrage vidéo à Roland-Garros et sur terre battue en général, cela pourrait arriver un jour ?
G.W.: "L'inspection de trace fait partie du charme de la terre battue, et les joueurs la préfèrent en général car ça leur permet de discuter avec l'arbitre. La vidéo amène un verdict plus froid… C'est quand même très rare d'avoir une erreur d'arbitrage sur une inspection de trace. Le cas de Goffin contre Nadal à Monte Carlo n'aurait logiquement pas dû se produire, car l'arbitre de chaise ne peut descendre que s'il est sûr d'avoir repéré la bonne marque."

Qu'est-ce que vous pouvez-nous dire de plus sur ce cas d'école, entre Goffin et Nadal ?
C.H.: "Pas grand-chose, si ce n'est que c'est effectivement un cas d'école car je sais qu'il a été donné en exemple dans la formation de certains arbitres, depuis. En insistant sur le fait que quand ce type de cas arrive, il faut absolument rester dans le match ensuite. Mais Cédric Mourier est un des meilleurs arbitres en activité, il a plusieurs finales de Grand Chelem à son actif. Cela arrive à tout le monde de se tromper, et d'ailleurs, quand il a vu Goffin râler, il l'a très vite compris lui-même et sur les vidéos on l'entend dire "peut-être que je me suis trompé". Mais il est trop tard, le règlement stipule qu'un arbitre ne peut pas changer sa décision. Comme je l'ai dit plus tôt, ce qu'un joueur veut, c'est qu'on prenne une décision pour clore la conversation. Imaginez qu'il change d'avis et attribue le point à Goffin, Nadal se serait senti lésé et la discussion aurait pu durer de longues minutes et plomber le match. L'Espagnol aurait même pu faire venir le juge arbitre sur le court et ce dernier aurait été obligé de faire valider la première décision de Cédric Mourier, comme le veut le règlement. Ce genre d'erreur, il faut pouvoir passer au-dessus. Tant pour le joueur que pour l'arbitre… et même l'adversaire. Quand je débriefe un juge de ligne, je dis toujours: l'annonce la plus importante, c'est la suivante."

Quelles sont les sanctions possibles envers un arbitre qui fait une grosse erreur ?
"Dans ce type de cas, c'est une erreur minime, même si elle a pris finalement de grosses proportions. Les sanctions sont souvent réservées aux arbitres qui ont éventuellement triché, ou à ceux qui ne respectent pas le code de déontologie. Mais il est clair que dans un cas très rare ou un arbitre enchaîne plusieurs erreurs sur quelques matches, on va le coacher, l'évaluer, le débriefer. L'arbitrage en tennis est vraiment très vivant. Jamais on n'annoncera dans la presse que tel ou tel arbitre est rétrogradé… comme cela a pu être fait en football récemment avec un arbitre de Jupiler League."

Est-ce que certains arbitres peuvent être récusés par des joueurs ? Goffin peut-il demander à ne plus être arbitré par Cédric Mourier, dans le cas présent?
C.H.: "La plupart du temps, cela vient plutôt de l'arbitre que du joueur. Cédric Mourier pourrait demander à ne pas arbitrer Goffin à Roland-Garros, pour laisser passer un peu de temps. C'est à lui de le sentir… De l'autre côté, si le joueur vient voir le juge arbitre en disant "je ne veux pas cet arbitre-là", le juge arbitre peut effectivement décider que c'est intelligent de respecter sa demande pour un tournoi mais il n'y aura jamais un arbitre récusé 'à vie' par un joueur."

Les arbitres professionnels ne gagnent qu'entre 2.500 et 3.000€ par mois

"Il y a environ 30 professionnels de l'arbitrage, au niveau mondial", explique Cédric Hamiet. Ils ont des contrats avec la fédération internationale, ou des contrats WTA ou ATP. Ceux-là sont salariés. "Je ne connais pas les chiffres exacts mais on doit être entre 2.500 et 3.000€ par mois, tous frais payés. Mais on parle des meilleurs du monde, et surtout de gens qui vivent loin de chez eux toute l'année… donc ce salaire reste assez modeste".

Ensuite, il y a une série d'arbitres "indépendants" qui vivent à la petite semaine, qui postulent de tournoi en tournoi et qui en font leur revenu principal. Mais tant Guillaume Woelfle que Cédric Hamiet en font leur activité secondaire, ou plutôt leur passion, et ont un "vrai métier" à côté. Ceux-là sont rémunérés par les organisateurs du tournoi en question, donc le revenu varie d'un tournoi à l'autre et le grade de l'arbitre influence également ce revenu. "Un badge bronze qui touche 750€ pour une semaine et qui sera imposé à 50% sur ces revenus-là ensuite, il ne lui restera pas grand-chose…" reprend Cédric Hamiet, avant de préciser: "Je dis toujours 'Je suis arbitre de tennis professionnel'. Et non 'arbitre professionnel de tennis'. J'ai un boulot, qui est d'être caméraman à la RTBF. Le tennis, pour moi, c'est 5 ou 6 semaines par an et je prends des congés sans solde pour y aller. C'est une passion avant tout."