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Pouvait-on vraiment battre le Brésil ?
Retour sur l'un des grands drames du football belge

Intro


Kobé, 17 juin 2002. Il est ​21h05, heure locale. Johan Walem glisse le ballon à Jacky Peeters. Le ​latéral droit de La Gantoise s'avance et centre au deuxième poteau pour Marc Wilmots. Le capitaine de la sélection belge saute plus haut que Roque Junior et plante une tête rageuse ​dans le petit filet d'un Marcos​ impuissant​. La Belgique se met à rêver. Mais Willy n'a pas le temps de célébrer son but qu'un coup de sifflet retentit.

Stupeur et questionnement... Peter Prendergast, l’arbitre jamaïcain prend une décision radicale qui n'​a​ toujours pas été digérée aujourd'hui​: le but est refus​é en raison d’une poussée d​u capitaine sur ​son opposant direct. L'incompréhension est totale. Chez les Diables, chez les 40 000 spectateurs ​présents a​u stade​ et​ chez les millions de Belges qui suivent fébrilement la rencontre depuis leur poste télé ou radio (un smart-quoi ?). Etudiants en blocus, adultes au taf, retraités ou ados pleins d’espoir, tous soutiennent cette équipe qui ne se laisse pas impressionner par un Brésil aussi magistral qu’excitant à cette époque. Les Auriverde ne parviennent pas à trouver la faille dans le collectif proposé par un mage venu de Rocourt, ​Robert Waseige.

Un sélectionneur qui a dû subir les critiques acerbes de la presse (notamment néerlandophone) après l'annonce de son retour au Standard à l'issue de la Coupe du monde. "Une véritable curée", de l'avis du principal intéressé, qui sera qualifié de "menteur", de "coach sans crédibilité" par la presse du nord pays. Le 2-2 contre le Japon (pays organisateur) et surtout le piteux match nul contre la Tunisie (1-1) n'arrangent pas les choses. Au contraire, ce match où les Diables n'arriveront jamais à imposer leur jeu, où seul un but de Wilmots leur sauvera un point précieux, ne fait que déchaîner les journalistes. La rencontre face à la Russie, décisive dans l'optique d'une qualification, est attendue tant par les supporters des Diables que par leurs détracteurs​. Et la victoire, acquise​​ avec la manière​,​ en calme plus d'un...





Au final, ce déchaînement a un effet bénéfique sur ​un groupe déjà très "uni" et "solidaire", si l'on en croit Mbo Mpenza. Un effectif où les leaders existent, mais où chacun tient son rôle, sans accroc. "On a tous tiré dans le même sens", explique l'ancien international. "Car on savait qu'on n'avait pas de génies comme les Brésiliens, mais on avait d'autres atouts." "Après tout ce qu'on a vécu les jours précédents, la cohésion était là", se rappelle quant à lui Johan Walem. "On joue​ contre le Brésil et on veut vraiment prouver que les gens sont trompés sur notre sort."

Car en huitième de finale, c'est en effet la Seleçao de Ronaldo, Rivaldo, Ronaldinho, Cafù et Roberto Carlos qui se profile à l'horizon. Autrement dit, les Belges font pâle figure face à cet adversaire vingt-trois carats. "A l'époque, la Belgique, c'était quoi ? C'était rien", reconnaît Mbo. Et pourtant... L​'improbable se produit. Les ​Diables, en mode diesel contre les Japonais, apathiques contre les Aigles de Carthage et pleins de caractère contre l​es Russes, ne s'effondrent pas. Ils tiennent bon,​ rivalisent même. Ils​ marquent un but, se le voient refuser, mais ne craquent pas face à la curieuse décision ref'. Mieux, ils repartent à l'abordage, font tanguer le navire brésilien avant de plier face à l'invraisemblable talent de Rivaldo et Ronaldo.

C'est alors le tourbillon: une élimination par la grande porte, un retour en ​grâce à Bruxelles devant un public désormais fier de ces ​gars qu'ils ont pourtant moqué à plus d'une reprise et une réception chez le roi Albert II. Et cette question... Pouvait-on réellement battre le Brésil, meilleure nation du monde, qui remportera le trophée un mois plus tard dans la chaleur humide de Yokohama ?

Les fourmis, l'Obélix et le soliste


Nous sommes à Kumamoto, une ville de l'ouest de l'île de Kyushu. Dans la résidence qui sert de camp de base aux Diables rouges, Robert Waseige se tient devant une feuille blanche. Le sélectionneur a une mission: composer le XI qui devra défier le Brésil, soit la meilleure équipe du monde. Comment contrer le trident infernal Ronaldo-Rivaldo-Ronaldinho ? Qui mettre pour bloquer les montées folles de Cafù et Roberto Carlos ? "J'ai essayé de présenter la sélection belge qui me paraissait la plus fiable et homogène possible pour un match très difficile", explique le coach, aujourd'hui âgé de septante-six ans. Dans son bureau rempli de souvenirs en tout genre, il se rappelle de l'importance capitale de ses "fourmis", des éléments absolument nécessaires quand on ne dispose pas à l'époque de joueurs tels qu'Hazard et autres De Bruyne.

A l'époque, ses "fourmis" s'appellent Yves Vanderaeghe, Jacky Peeters ou encore Timmy Simons. "Vanderhaeghe, c'est la fourmi intégrale", se souvient Waseige. "Un joueur ô combien précieux, qui avait un gros abattage au nombre de ballons touchés. C'est un joueur que je mettais d'office dans l'équipe." A l'époque, l'Anderlechtois n'a pas l'élégance d'un Axel Witsel ou la rapidité de relance d'un Radja Nainggolan. Mais il fait le sale boulot... A droite de la défense, beaucoup s'étonnent de voir Jacky Peeters prendre la place d'Eric Deflandre. Un choix pourtant évident pour le coach. "C'était un vrai bon soldat", dit-il. "On le préparait, on le drillait pour partir la guerre. Ce n'était pas un sale joueur, mais il n'aurait pas sauté pour éviter un contact."

Dans l'axe, c'est Timmy Simons (vingt-cinq ans) et Daniel Van Buyten (vingt-quatre ans) qui auront la (très) délicate mission de stopper Ronaldo, revenu de ses galères médicales pour atteindre son niveau de la fin des années 90. Soit une paire à la fois jeune, pas très expérimentée... mais complémentaire. "Van Buyten, voila encore un fameux soldat, que je connaissais bien en plus", poursuit Coach Bob, qui avait en effet lancé Big Dan dans le football professionnel quelques années auparavant. "Je savais qu'il allait aimanter un maximum de ballons, ou plutôt c'est lui qui allait sur les ballons." Quant à Simons, c'est lors de cette Coupe du monde que le Brugeois vivra son premier grand frisson international. "C'était un joueur qui a beaucoup feeling dans le jeu, qui jouait plutôt en couverture. Ca m'arrangeait tactiquement mieux car De Boeck (NdlR: titulaire face la Tunisie et la Russie) était lui aussi grand et donc un peu lent pour se retourner", analyse Waseige.





Mais si elle n'a pas l'éclat de la sélection drivée aujourd'hui par Marc Wilmots, l'équipe belge ne se résume pas à ces "besogneux" qui ne joueraient qu'avec le coeur. A l'époque, Waseige peut également compter sur un certain Johan Walem, revenu en grâce après une période sans les Diables. Face à la Russie, l'ancien de Parme et de l'Udinese ravit le public mondial avec un amour de coup franc placé dans la lulu du pauvre Ruslan Nigmatullin. Une façon de montrer le talent que possède la Belgique pré-années 2010. "Walem c'était un soliste, un violon", selon un Waseige toujours admiratif, près de quinze ans plus tard. "Pas le violoncelle, car l'instrument eut été plus grand que lui (rires). C'était un artiste, un superbe joueur. Un grand sensible, aussi, mais un joueur de classe et très bien éduqué." A ses côtés évoluent Mbo Mpenza ("plus brillant et spectaculaire") et Bart Goor ("un gars d'une grande simplicité dans ses rapports aux autres et au jeu, qui ne se prenait pas la tête, mais avait une classe indéniable quand il avait le ballon sur son pied gauche." "On avait trouvé un équilibre au milieu de terrain avec Marc un peu plus haut par rapport à moi", se remémore Johan Walem, qui avec ses pieds en or massif se voit alors attribuer un rôle de distributeur."C'était vraiment une bonne alchimie."

Mais c'est sur le front de l'attaque que se trouvent les deux "vrais relais" de Waseige sur la pelouse. Leurs noms ? Gert Verheyen et Marc Wilmots. "Verheyen est un garçon qui n'était pas apprécié à sa juste valeur", regrette aujourd'hui l'ex-sélectionneur. "Il était pourtant essentiel. Il pouvait occuper trois joueurs adverses en défense. Il était aussi très respectueux du job bien fait. Et tactiquement fiable." Quant à Willy, le capitaine indiscutable, impossible pour Robert de se passer lui. "C'était l'incontournable, l'Obélix (sic) de notre sélection (sourire). Il était indestructible. C'est incroyable la force physique et mentale de ce mec. Par rapport au Mondial 2002, tout le monde se souvient de Wilmots, mais je ne pense pas que beaucoup de gens se souviennent de l'entraîneur (sourire)."





Un coach qui savait comment parler à ses hommes... au risque parfois de titiller leur ego. "Ma relation avec Robert était géniale", confie aujourd'hui Mbo Mpenza. "C'est encore une personne que je vois de temps en temps. C'est une relation quasi père-fils. C'est quelqu'un qui couve ses joueurs... à partir du moment où l'on fait ce qu'on doit faire. Parce que Robert sait être très, très piquant quand il le veut (rires). Il peut t'emmener très loin à partir du moment où tu t'appliques. Mais si ce n'est pas le cas, il peut être très sévère."

C'est donc avec un XI hybride, avec le rayonnement physique de joueurs comme Vanderhaeghe et Wilmots, couplé à l'explosivité et la virtuosité de Walem et Mpenza que la Belgique s'apprête à affronter le joga bonito brésilien, ce qui se fait de plus excitant à l'époque sur la planète football. "Mais quand vous apprenez que vous allez affronter les meilleurs joueurs du monde, vous grandissez de dix centimètres, hein !", conclut Waseige dans un sourire...​


À DEUX DOIGTS DE L'EXPLOIT




A leur retour en terre belge, les Diables ont toujours la tête dans les étoiles. Robert Waseige savoure son triomphe sur ses opposants, qui se prennent leurs critiques comme un boomerang en pleine figure. Presque quatorze ans plus tard, il est temps de procéder à l’analyse tactique de cette rencontre qui restera dans l’Histoire du football belge. Entre injustice, pressing, travail entre les lignes et virtuosité individuelle, c’est le débrief tactique de Brésil-Belgique 2002 !



LE DÉBRIEF TACTIQUE



Composition Belgique (4-4-2)

Entraîneur : Robert Waseige




Nom : Geert de Vlieger

Date de naissance : 16/10/1971

Club de l’époque : Willem II Tillburg

Nombre de sélections et de buts : 43 - 0

Ce qu’il est devenu : Après Tillburg, il s’envole pour Manchester City où il ne joue aucun match officiel. Il revient ensuite à Zulte-Waregem avant de terminer sa carrière au FC Bruges à presque quarante ans. Il est désormais consultant pour Canvas.



Nom : Nico Van Kerckhoven

Date de naissance : 14/12/1970

Club de l’époque : Schalke 04

Nombre de sélections et de buts : 42 - 3

Ce qu’il est devenu : Après Schalke, il joue une saison à Mönchengladbach avant de terminer sa carrière en Belgique du côté de Westerlo. Depuis juin, il est en charge du scouting au Lierse, club où il a commencé sa carrière pro.



Nom : Timmy Simons

Date de naissance : 11/12/1976

Club de l’époque : RC Genk

Nombre de sélections et de buts : 94 - 24

Ce qu’il est devenu : Timmy n’a toujours pas rangé les crampons puisqu’il officie toujours au FC Bruges . Un club qu’il a délaissé huit ans pour deux piges, à Eindhoven et à Nuremberg, avant d’y revenir. Longtemps en piste pour accompagner les Diables au Brésil, il sera finalement écarté de la liste des vingt-trois élus.



Nom : Daniel Van Buyten

Date de naissance : 07/02/1978

Club de l’époque : Marseille

Nombre de sélections et de buts : 83 - 10

Ce qu’il est devenu : Manchester City, Hambourg puis le Bayern Munich où il remporte de nombreux titres dont la C1. Big Dan est le seul Diable de la cuvée 2002 présent au Brésil douze ans plus tard. Il est désormais conseiller sportif de Bruno Venanzi au Standard.



Nom : Jacky Peeters

Date de naissance : 13/12/1969

Club de l’époque : La Gantoise

Nombre de sélections et de buts : 17 - 0

Ce qu’il est devenu : Une fin de carrière à Heusden-Zolder puis en promotion au Patro Eisden dont il devient ensuite l’adjoint puis l’entraîneur principal. Après avoir entrainé les jeunes de Genk, il est désormais propriétaire d’un carwash.



Nom : Yves Vanderhaeghe

Date de naissance : 30/01/1970

Club de l’époque : Anderlecht

Nombre de sélections et de buts : 48 - 2

Ce qu’il est devenu : Après Anderlecht, il finit sa carrière à Roulers, son club formateur avant d’embrasser la carrière d’entraîneur. D’abord adjoint d’Hein Van Haezebrouck à Courtrai, il lui a succédé avant de prendre en charge Ostende depuis juillet 2015.



Nom : Johan Walem

Date de naissance : 1/02/1972

Nombre de sélections et de buts : 36 - 2

Ce qu’il est devenu : Après le Standard, il repart en Italie (Torino et Catane), un pays où il a aussi posé les bases de sa carrière d’entraîneur. Après un passage chez les U21 des Diables, il va à Courtrai, où il coache depuis juillet 2015.



Nom : Bart Goor

Date de naissance : 09/04/1973

Club de l’époque : Hertha Berlin

Nombre de sélections et de buts : 78 - 13

Ce qu’il est devenu : Bart quitte l’Allemagne pour Feyenoord avant de revenir à Anderlecht. Ensuite, il enchaine au Beerschot, à Westerlo et au Dessel Sports avant de terminer sa carrière à quarante ans. Il profite maintenant de sa retraite.



Nom : Mbo Mpenza

Date de naissance : 04/12/1976

Club de l’époque : Mouscron

Nombre de sélections et de buts : 56 - 3

Ce qu’il est devenu : La Coupe du monde et Mouscron relanceront la carrière du frère ainé des Mpenza, qui signera en 2004 à Anderlecht avant de stopper sa carrière en Grèce à Larissa en 2008. Après avoir tenté l’expérience d’analyste chez RTL, il s’est associé à différents projets dont celui d’un ami, le Hangar 125 à Bierges, qui permet aux collectionneurs de voitures d'y stocker leurs bolides.



Nom : Marc Wilmots

Date de naissance : 22/02/1969

Club de l’époque : Schalke 04

Nombre de sélections et de buts : 70 - 28

Ce qu’il est devenu : Willy est le sélectionneur actuel des Diables après être arrivé à la fédération en tant qu’adjoint d’Advocaat. Après le Brésil, il arrête son aventure diabolique et termine sa carrière à Schalke 04..



Nom : Gert Verheyen

Date de naissance : 20/09/1970

Club de l’époque : FC Bruges

Nombre de sélections et de buts : 50 - 10

Ce qu’il est devenu : Il prend sa retraite internationale après ce match pour finir sa carrière dans son FC Bruges en 2006. Après un bref passage dans l’équipe de beach soccer, le grand Gert est désormais en charge des U19 belges depuis 2012.



Nom : Wesley Sonck

Date de naissance : 09/08/1978

Club de l’époque : RC Genk

Nombre de sélections et de buts : 55 - 24

Ce qu’il est devenu : Après ce mondial, Wesley partira à l’Ajax. Il reviendra ensuite au pays du côté du FC Bruges avant de terminer sa carrière en mode mineur au Lierse et à Waasland-Beveren. Consultant reconnu au nord du pays, l’attaquant est aussi en charge depuis quelques mois des jeunes attaquants du RC Genk, le club dans lequel il évoluait au moment du Mondial.


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