Ils "réparent" les rescapés du Coronavirus : plongée dans une unité post-Covid

Après le combat en soins intensifs, une autre lutte commence. Nous l'avons suivie, en compagnie des souffrants et de ceux qui les soignent.

La rééducation des patients atteints du Covid-19 est longue et difficile. Pendant plusieurs mois, elle fait intervenir des kinésithérapeutes respiratoires. Objectif : réapprendre à respirer normalement. Mais aussi à marcher, manger. Bref, à revivre. Cette longue phase est traversée par les patients Covid les plus sévères, ceux qui ont connu tout le parcours de la réanimation.

Les semaines d'intubation laissent place à un retour à la vie sans respirateur artificiel pour de nombreux patients. Mais le combat contre le coronavirus n'est pas terminé. Dans cette optique, les hôpitaux créent peu à peu des unités de revalidation pour les premiers patients infectés par le Covid-19 à leur sortie des soins intensifs. Là-bas, leur chemin vers la guérison prendra beaucoup de temps, avec des séquelles à vie pour certains d'entre eux. Revenu de l'enfer après avoir contracté le coronavirus, Antonio va devoir passer par plusieurs mois de revalidation avant le retour à la réalité.

Découvrez notre plongée dans les couloirs et les chambres du site Joseph Bracops des hôpitaux Iris Sud à Bruxelles où les patients se battent pour retrouver une vie normale, même si elle ne sera plus jamais comme avant, et où le personnel se donne corps et âme pour réparer les vivants.

Depuis plus d'un mois, les équipes de soins intensifs du site Joseph Bracops des hôpitaux Iris Sud à Bruxelles se battent contre le coronavirus et mènent une bataille loin d'être gagnée.

Antonio, 42 ans et rescapé du Covid-19

Sur le long chemin de la rééducation

"Si je suis encore dans la bataille, c'est grâce au personnel"

Respirer. Marcher. Manger. Des actions vitales de notre quotidien que va devoir petit à petit réapprendre à maîtriser Antonio, du haut de ses 42 ans. Car après le Covid-19, qu'il est en train de combattre et vaincre avec abnégation, une autre bataille et non des moindres se dresse devant ce chauffagiste de profession, celle de la revalidation et de la rééducation. Admis sur le site Joseph Bracops des Hôpitaux Iris Sud le samedi 14 mars dernier dans un état catastrophique au niveau respiratoire, c'est peu de dire qu'Antonio a soulevé des montagnes depuis. "C'est un de nos premiers patients Covid-19. Il a été intubé quasi directement et pour une durée de 28 jours, il vient d'être extubé il y a peu. Avec lui, on revient de loin. Pourtant, c'est un sportif, un gars musclé et actif dans la vie", rapporte Jean-Yves Desmet, coordinateur des kinés sur le site de Bracops et en charge du patient depuis son admission à l'hôpital.

Durant ces 28 huit jours de combat, avec un tube dans la bouche en permanence, ce gaillard a perdu une trentaine de kilos. Mais jamais sa motivation. "Il faut se battre, si on ne se bat pas, on sombre moralement. D'ailleurs, je suis toujours en pleine lutte. Mais si je suis encore dans la bataille, c'est grâce au personnel ici, ils sont géniaux et je veux tous les remercier à tous", souffle-t-il d'une voix qu'il récupère un petit plus chaque jour. Au-delà de la douleur physique et des difficultés à respirer qu'imposent "cette crasse", comme on la nomme dans les couloirs de Bracops, il y a la solitude à traverser, d'abord, puis la dépression, ensuite. "Les visites sont forcément interdites, ils ne voient personne. Durant des semaines, ils sont allongés, les mains attachées pour éviter de toucher aux tuyaux au réveil. Le plus dur pour les patients c'est de ne pas pouvoir communiquer avec la famille. Ils pleurent beaucoup et passent passent par une phase de dépression. Si les muscles sont endormis, la conscience est bien présente, imaginez-vous vous réveiller avec un tube en bouche, seul dans une chambre et sans avoir une idée de la suite, c'est très violent", concède Jean-Yves.

Et une fois le respirateur artificiel retiré, ce dispositif médical qui aide les patients présentant des troubles respiratoires à mieux respirer, autrement dit qui permet de souffler artificiellement de l'air pour apporter d'une part de l'oxygène, et pour épurer d'autre part le dioxyde de carbone, c'est une autre vie qui commence. Le visage marqué par de profondes escarres au visage dus à la position ventrale dans laquelle il était depuis plusieurs semaines, Antonio s'apprête à repartir de zéro.

"Quand on enlève le respirateur, c'est comme s'ils revenaient de Koh-Lanta"
Docteur Desmet, unvité Covid de l'Hôpital Bracops

"Quand on enlève le respirateur, c'est comme s'ils revenaient de Koh-Lanta. A partir de ce-moment là, on doit leur réapprendre à manger, à respirer et même à marcher tout seul. Au départ, ils ne savent même plus avaler leur salive, ils recommencent une nouvelle vie", glisse le docteur Desmet avant de dispenser les soins à son patient.

Au menu du jour, se lever du lit en partant d'une position assise depuis son lit, dix fois d'affilée. En quelques jours, il arrive d'ailleurs à se mettre debout tout seul et à faire quelques pas. "Avant ça, on a essayé de l'asseoir au bord de son lit après l'avoir extubé et c'était catastrophique, comme tous les patients au départ. Il saturait directement et tombait en arrière. Désormais, il remarche petit à petit. C'est comme un enfant à qui on réapprend à marcher. Mon but, c'est de le faire marcher, le mettre debout, faire du musculaire car après un long coma médicamenteux, la notion d'équilibre s'est totalement perdue".

Un oeil attentif sur le saturomètre pour veiller que l'oxygène soit suffisant, Jean-Yves prend les bras d'Antonio et les lâche pour lui faire (re)travailler l'équilibre. L'étape suivante sera de marcher tout seul et de faire le tour de sa chambre puis de l'unité des soins intensifs, avec tout le matériel de protection bien évidemment, pour laisser place à une légère rééducation en début d'après-midi et du vélo pendant trente minutes. Mobilisation du diaphragme, de la posture, étirements... les exercices sont très variés. "C'est comme quand on se lève le matin un peu raide après une grosse nuit, imaginez ici après près d'un mois d'arrêt total du corps. Certains n'arrivent même plus à lever le bras, on doit tout revoir. Ces gens reviennent de l'espace, ils ont passé des semaines sur une autre planète. Ici, Antonio pourra retrouver son travail d'ici seulement 3 ou 4 mois".

En ce jeudi ensoleillé, Antonio peut compter sur le soutien d'une supportrice un peu particulière durant sa séance du jour. Depuis le GSM déposé sur la petite table qui borde son lit, une voix s'élève pour l'encourager, et celle-là, elle vaut plus que tous les chants d'un stade de foot. C'est celle de sa compagne. Avec les photos d'elle et ses enfants placardées dans sa chambre, "c'est à eux qu'on pense dans ces moments", confie-t-il. "C'est un coup de boost énorme pour le moral, rien que que ça, ça nous aide à tenir le coup. J'ai tellement hâte de les retrouver". "C'est un brave garçon, on va le rééduquer pour qu'il soit encore plus fort à la maison", s'amuse Jean-Yves en s'adressant à la caméra.

"Les risques ? Des séquelles à vie"

Dans l'ombre des médecins, les kinésithérapeutes assurent un rôle prépondérant

Ils remettent en selle ceux qui ont frôlé la mort

Au sein des hôpitaux Iris-Sud, un réseau hospitalier bruxellois qui compte également sur les centres hospitaliers Baron Lambert, Etterbeek-Ixelles et Molière-Longchamp, une nouvelle unité a vu le jour ce lundi 20 avril sur le site de Joseph Bracops. Il s'agit d'une unité de revalidation qui accueille les premiers patients infectés par le coronavirus à leur sortie des soins intensifs. Pour la plupart d'entre eux, le chemin vers la guérison et un retour à la vie normale sera très long. "Ici, c'est la dernière phase avant la sortie, même s'il y a encore la rééducation ensuite. On décide avec les médecins quand ils peuvent sortir, c'est-à-dire à partir du moment où ils peuvent marcher et se déplacer seuls, tout se fait en accord avec les médecins avant de les relâcher dans la nature", indique Farid Souhail, repsonsable des kinésithérapeutes au sein des Hôpitaux Iris-Sud.

En fait, tout commence dans le lit du patient, quand la décision de ventilation assistée est prise par l'équipe médicale. Pour faire simple, c'est au moment où l'essoufflement (la dyspnée) est majeur, que la saturation en oxygène dans le sang dégringole, bref quand le patient ne parvient plus à oxygéner par lui-même efficacement ses tissus. Le travail de rééducation post-Covid commence à ce moment-là. Car la fonte de tous les muscles démarre de manière très rapide, dès les premières 48 heures d'immobilisation. Le kiné intervient donc dès que la décision est prise d'utiliser les curares  (ces derniers inhibent la contraction musculaire des muscles "striés" du corps) pour le mettre en coma artificiel et l'immobiliser. A ce stade, une fois le patient endormi, "nous réalisons alors une mobilisation passive quotidienne, musculaire et articulaire, de toutes les parties du corps, pour prévenir la fonte musculaire et l'enraidissement des articulations. Notre expérience du SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère) en 2003 nous a aussi appris que les séquelles respiratoires peuvent être présentes 15 ans après chez certains patients". Patience donc.

Au sein de cette nouvelle unité nommée "F11", 17 lits sont d'ailleurs déjà occupés sur les 20 disponibles. Et si on parle moins des kinésithérapeutes durant cette épidémie, comparé aux médecins, virologues et aux pneumologues par exemple, leur rôle est pourtant tout aussi fondamental pour la remise sur pied des patients. Principalement gériatrique, cette unité s'occupe de la réa en chambre et met en place des exercices de revalidation en salles. "On vise à faire récupérer un maximum d'autonomie aux patients avant le retour à la maison. Ceux dont les poumons sont atteints, il y a tout un travail de récupération cardiovasculaire à faire. On va leur faire faire du vélo, de le marche pour ceux qui en ont besoin. Il s'agit aussi de récupérer l'équilibre et une mobilité basique. On veut leur redonner cette autonomie, et elle est lente à recouvrer car ils souffrent pour la plupart d'entre eux de difficultés respiratoires", raconte un kiné de l'unité post Covid. Arrivés ici, les patients ne voient donc pas encore le bout du tunnel. En plus des douleurs physiques et des difficultés à respirer, une autre type de souffrance s'installe : la dépression liée à l'isolement. "Ils sont hospitalisés depuis plusieurs semaines, ça devient très difficile psychologiquement pour eux. Ils sont tout seuls en chambre et ont très peu de contact humain, certains tombent en dépression. C'est pour ça que quand c'est possible on fait des visioconférences avec la famille.".

Car, dans ce service gériatrique, la moyenne d'âge tourne autour de 75 ans. Un public qui n'est donc pas forcément familier avec les nouvelles technologies, le personnel soignant fait donc tout pour que ces réunions de famille virtuelles soient possibles.

L'objectif médical est lui commun: éviter la survenue d'une neuromyopathie aiguë respiratoire (NMAR), une atteinte neuromusculaire globale. Si elle n'est pas spécifique au coronavirus, elle est en fait liée à l'immobilisation en réanimation et survient dans 25 à 65 % des cas chez les patients ventilés plus de sept jours, son risque augmentant avec la durée du séjour. "Une fois que le patient est stabilisé sur le plan respiratoire et que les médecins envisagent d'arrêter les curares, le patient se réveille mais reste encore allongé, trop faible pour la position assise. C'est alors le temps de la kinésithérapie active, qui se déroule elle avec la participation du patient".

Semlali est lui gériatre principal au sein de cette unité post-Covid. Depuis lundi, il voit "de braves patients" garnir les chambres de l'hôpital. "Ils viennent juste de sortir de cette phase aiguë du coronavirus mais restent contagieux. Ces gens n'ont pas de point de chute post-infection. Les maisons de repos ne sont pas aptes à les reprendre faute de personnel et ce n'est pas souhaitable qu'ils rentrent à la maison pour leur famille car on ne sait pas dire jusqu'à quand ils sont contagieux, et on manque également de tests. Et ils ont aussi peut-être d'autres affections que le Covid qu'il faut surveiller. S'il est passé, il faut maintenant traiter le diabète, le coeur, le cholestérol, l'après Covid doit être assuré".

Au niveau de la remise en forme des patients, les procédures de sécurité ont modifié la manière de travailler des kinésithérapeutes. Si leur travail de base n'a pas changé, la routine s'est totalement transformée. "On doit se changer dès qu'on va voir un patient, se déshabiller dès qu'on le quitte, tout ce processus est très lourd au quotidien, il y a une fatigue mentale qui s'installe. En moyenne, on se change 15 fois par jour, sans compter tout le matériel de protection à constamment désinfecter. Il y a aussi la perte financière car on est tous indépendant et on a dû stopper nos activités de consultation à côté de l'hôpital", précise Jean-Yves Desmet.

Les hôpitaux Iris-Sud peuvent compter sur la travail de 200 kinés sur les différents sites. Sur le terrain, ils sont en première ligne, comme les médecins, et mènent un travail de remise en forme auprès des malades. Ils ont un rôle prépondérant, il remettent en selle ceux qui ont frôlé la mort. "Ils peuvent avoir des séquelles à vie", lâche Jean-Yves.

"Ils ne bougent plus depuis des semaines, ils n'avaient plus du tout d'activité musculaire, ils sont donc également très affaiblis au niveau neuronal et musculaire. Tout doit se réactiver. Le risque, c'est la polyneuropathie. Il s'agit d'une atteinte des nerfs du système nerveux périphérique qui parcourent le corps à l'extérieur du cerveau et de la moelle épinière (le système nerveux central). C'est comme s'ils avaient hiberné pendant 4 semaines, quand on sort de salle d'op' après 3, 4 jours, il y a déjà un travail à faire niveau rééducation alors imaginez ici, nettement plus ! Ils reviennent de la lune, comme les gars de l'espace".

De plus, le coronavirus s’attaque aussi aux reins : si “la maladie rénale chronique apparaît comme un facteur de risque de gravité” du CoVid-19, “actuellement, en réanimation, plus de 20% des patients développent une insuffisance rénale”, explique à Medscape le professeur Stéphane Burtey, néphrologue à Marseille, qu’il y ait des antécédents de maladie rénale ou non. Les traitements médicamenteux à l’essai pourraient là encore avoir des effets néfastes sur cet organe. Ce virus n'épargnera pas non plus notre système cardiovasculaire. Dans une étude de la revue scientifique américaine JAMA Cardiology, le cardiologue américain Mohammad Madjid explique : "les leçons des précédentes épidémies de coronavirus et de grippe suggèrent que les infections virales peuvent déclencher des syndromes coronariens aigus, des arythmies ou des insuffisances cardiaques".

Certains patients atteints de Covid-19 se retrouvent dans un état de déconditionnement physique et pulmonaire considérable.

Ils nécessitent des séances de réadaptation pulmonaire adaptées.

"L'impression que le plus dur est derrière mais on ne relâche pas la garde"

Le secteur hospitalier ne veut pas revivre une situation proche de la saturation

Entre manque de matériel et traumatismes psychologiques causés par le virus, le personnel raconte

Si la pression retombe petit à petit au sein des soins intensifs du site Joseph Bracops, le personnel reste marqué par les dégâts causés par l'épidémie de Coronavirus entre ses murs.

"Au départ, on avait des journées de 15 heures de travail avec beaucoup d'heures supp'", soupire Isabelle, infirmière aux soins intensifs, et dont le visage est profondément marqué par le port du masque et la lourdeur imposée par les changements répétitifs de matériel de protection. "C'est très fatiguant au quotidien, on doit se changer quasi intégralement entre chaque patient. On a aussi du personnel qui est devenu positif au Covid. Heureusement, ça n'a pas été une catastrophe dans notre service même s'il y a eu des décès dans l'hôpital. On a galéré tous ensemble mais maintenant, on est plus soudés que jamais".

"Abandonnés par ceux d'en haut"
Isabelle, infirmière aux soins intensifs

Au niveau des galères, Isabelle parle surtout du manque criant de protections pour le personnel soignant face à la contagiosité de la maladie. Dans son viseur, les autorités et le gouvernement. "Parfois, oui, on s'est senti abandonné par ceux d'en haut. Au début de l'épidémie, je me suis sentie en insécurité. On était obligé d'utiliser des masques pendant plusieurs jours alors qu'ils étaient valables pour seulement trois heures. On a donc dû se débrouiller par nous-mêmes face à un virus meurtrier et dévastateur", déplore-t-elle. Cette infirmière, comme ses collègues, a ainsi pu compter sur la solidarité du monde extérieur. En traversant le bureau du personnel, il suffit d'une minute pour constater qu'il s'est transformé en véritable stock de matériel de protection. Bonnets artisanaux, lunettes, visières envoyées par une entreprise bruxelloise, masques faits à la main, la solidarité est devenue le meilleur allié face à la crise. "Avec la pénurie et suite au retard lié à la livraison de masques et d'autre matériel (comme des visières, des lunettes), on s'est débrouillés en demandant à droite à gauche puis on a pu compter sur les dons comme ces bonnets confectionnés par des familles d'infirmières. Ce soutien immense nous a permis de tenir le coup, surtout qu'on reçoit aussi régulièrement du chocolat, de bonbons ou des pizza. Si le gouvernement a pu nous oublier, le soutien de la société a été très important. Aujourd'hui, on a l'impression d'avoir plus de matériel et celui qu'on a, on le stérilise en permanence".

Même si les admissions se font moins nombreuses depuis quelques jours, le virus a fait des ravages et le nombre vertigineux de patients emportés par la maladie laissera des séquelles psychologiques indélébiles dans les esprits du personnel. "Je pense et j'espère que le plus dur est derrière", souffle une infirmière qui se permet une brève pause après neuf heures de service aux soins intensifs. "On a connu tellement de départs (comprendre décès) qu'on a envie de pleurer quand un patient ressort vivant, ça devient une énorme motivation ! Cela faisait un moment que ça n'avançait pas positivement. Aujourd'hui, j'ai l'impression que le plus dur est derrière mais on ne relâche pas la garde. La plupart des patients sont extubés ici et ceux qui arrivent sont plus légers et ont besoin de moins d'oxygène".

D'ailleurs, pas plus tard que ce jeudi 23 avril, les infirmières ont organisé une haie d'honneur pour la sortie d'une patient. Une patiente qui ressortait tout juste d'un combat d'un mois contre le Covid-19. Le soulagement, ce sentiment de revenir de la mort après un long combat, se manifeste aussi forcément chez les patients. Mais peut-être plus que pour un autre virus. "On avait jamais vu ça", s'exclame Jean-Yves qui a une anecdote à ce sujet. "Après avoir extubé une dame, elle m'a demandé du champagne ! Elle ne pensait plus qu'à profiter de la vie, elle avait le sentiment d'avoir survécu. Même s'ils ne savent plus bouger à cause des médicaments, notamment les curares qui paralysent les muscles, ces traitements n'atteignent pas la conscience".

Après des semaines de rush, infirmières, médecins, kinés et pneumologues commencent à sentir une légère diminution de la charge de travail imposée par le coronavirus. Et alors qu’une première phase de déconfinement se prépare, le combat contre le coronavirus n’est pas terminé dans les hôpitaux belges. Des centaines de personnes se trouvent toujours en soins intensifs. Même si la tendance est à la baisse, le respect des mesures d’hygiène et de distanciation est plus que jamais d’actualité. Car ce sentiment puissant qui habite le personnel, celui de servir une cause utile, et le plaisir du combat collectif face à un ennemi commun, ne doit pas être entaché par le non-respect des règles de sécurité. "Distanciation sociale, lavage de mains, port du masque, on en a encore pour un moment, on espère que les gens tiendront. Parfois, quand on voit des parcs bondés ou des réunions de personnes en extérieur, on a mal au ventre et on a peur aussi de retrouver ces personnes sur nos lits d'hôpitaux".

D'ailleurs, pour cette autre infirmière aux soins intensifs du site de Bracops, il faut également "arrêter immédiatement avec ce mythe lié à l'âge" . "Il n'y a pas de limite d'âge, il faut arrêter ça ! Tout le monde est intubé ici. On a une aide-soignante de 40 ans, un homme de 33 ans, un autre de 42, la plus âgée a finalement 63 ans chez nous. Avec le début du déconfinement, on a un peu peur que les gens se croient tout permis et recommencent à vivre comme si de rien n'était. Or, on ne peut pas encore retrouver notre vie normale, même le 4 mai" , rappelle Isabelle. S'ils n'osent pas en prononcer le mot, par peur de connaître une réelle saturation des urgences cette fois, passée toute proche il y a de ça trois semaines, le personnel hospitalier craint une seconde vague de patients. "Le confinement commence à porter ses fruits, les admissions se tassent mais comme on le sait, on va commencer à déconfiner. C’est clair qu’on ne peut pas immuniser les gens chez eux, on va devoir le faire par strates mais on craint une deuxième vague. On n’a pas encore gagné, on était proche de la saturation il y a trois semaines. Il faudra du temps entre les vagues, si une seconde arrive, sinon on ne tiendra pas la cadence. Le gros problème, c’est le délai de contagion car on n’a aucune certitude là-dessus, on manque de recul face à ce virus", explique Semlali, gériatre principal au sein de l’unité post-Covid sur le site Joseph Bracops des hôpitaux Iris-Sud.

Pour le Dr Alain Bauler, chef de service de la pneumologie sur les trois sites des hôpitaux Iris-Sud, la crainte de cette seconde vague épidémique est bien présente dans les hôpitaux, mais il est désormais nécessaire de débuter un déconfinement. "On la redoute mais on ne sait pas si elle arrivera. Tout dépendra du respect des règles, c'est-à-dire le respect de règles de distanciation, la limitation des contacts et le lavage de mains automatique. Si la gestion est intelligente, on pourra éviter ce problème. J'espère qu'on évitera le deuxième vague même si c'est trop tôt pour le dire. L'éducation restera la meilleure arme, il faudra suivre les mesures dans la rue et dans les entreprises, le gouvernement doit maintenant donner les règles de façon stricte. On a les mêmes débats ici à l'hôpital: comment gérer le flux de patients qui va revenir aux urgences ? Quand ils vont revenir aux urgences, il sera difficile de respecter les distances dans le salles mais on réfléchit à comment faire. On ne peut plus rester fermé mais il faut gérer de très près le flux de personnes. Se laver les mains tout le temps, porter le masque, tout le monde devra l'intégrer et les entreprises devront suivre ces règles que nous appliquons depuis longtemps à l'hôpital", détaille celui qui est aussi président du conseil médical.

C'est la lourdeur imposée par le matériel de protection qui pèse le plus sur les épaules du personnel soignant.

Face à la pénurie de matériel de protection, le personnel a pu compter sur de nombreux élans de solidarité, faute de pouvoir compter sur les autorités.

Isabelle, infirmière aux soins intensifs, brandit des bonnets confectionnés à la main par des proches du personnel hospitalier.

Une phase post-Covid en préparation

"La qualité de la récupération respiratoire dépend de la précocité de la prise en charge"

Les unités de revalidation attendent les recommandations du SPF Santé pour prendre en charge les cas les plus aigus

Sur le site de Bracops, tout le monde travaille main dans la main. Ici, la pluridisciplinarité est le maître mot. Médecins, kinésithérapeutes, pneumologues, infirmières, les différents corps de métiers sont unis face à un ennemi commun et dans une même optique : remettre les patients sur pied au plus vite et sans laisser de séquelles. "Car intervenir au plus tôt est essentiel", indique Farid Souhail, responsable des kinésithérapeutes au sein des Hôpitaux Iris-Sud. "On sait aujourd'hui que la qualité de la récupération respiratoire dépend de la précocité de la prise en charge et des premières mobilisations. Comme toutes les rééducations, au plus vite on démarre, au plus vite les patients se remettent. Ici, on parle surtout de pathologies neurologiques. C'est la raison pour laquelle on est déjà présent en salle de réveil avec eux pour commencer tout ce travail de revalidation".

Ce sont donc les kinés qui fourniront aux malades cette aide quotidienne qui durera tout le temps de la réanimation et se poursuivra encore bien après la sortie, soit dans des unités spécialisées de réeducation, soit lors du retour à domicile. Et en général, le séjour en réanimation dure en moyenne 3 semaines, voire un mois, auxquelles il faut souvent rajouter trois à quatre autres semaines à domicile, où les soins se prolongeront soit par téléconsultation, soit par des visites à domicile traditionnelles. D'ailleurs, à Bracops, une unité de rééducation pour ces patients va bientôt voir le jour. "Au niveau ambulatoire, on a bloqué les consultations et on a quelques patients le lundi en urgence, tous les autres sont en stand-by. On va donc recontacter nos patients pour leur donner progressivement un rendez-vous tous les quinze jours en établissant les critères de priorité. Maintenant, on prépare le post-confinement et on prépare cette unité à Bracops pour la phase post-Covid pour les cas les plus aigus", confie celui qui gère une équipe de 200 kinés sur les quatre sites des hôpitaux Iris-Sud.

Si le stade en est encore à la réflexion théorique, le but est de prendre en charge la revalidation des patients dans ce type d'endroit à partir du moment où ils ne seront plus contagieux. Ils pourront alors faire des exercices sur tapis roulant, du vélo d'intérieur, mais avant ça, les kinésithérapeutes de Bracops, comme ceux des autres hôpitaux, devront attendre les recommandations du SPF Santé Publique pour mettre en place les séances, avec les distances à respecter et les mesures d'hygiène à suivre par exemple. Il sera aussi question de voir comment désinfecter les surfaces de travail pour qu'elles soient optimales, et c'est là que c'est plus compliqué. "En effet, tous nos appareils sont proches les uns des autres, il faudra voir comment s'organiser, on pourra prendre sûrement quelques patients à la fois. Ce qui est certain, c'est que ces patients sont dans le besoin. On est en étroite discussion avec les chefs de service, c'est vraiment multi-factoriel. Les gens ont une condition très limitée, autant au niveau respiratoire que physique", rapporte-t-il.

Première étape pour eux, un test de mise en position assise pour évaluer ce qu'on appelle l'indice de déconditionnement, qui va de 1 à 5, comme une note, en fait. Si les besoins en termes de revalidation sont importants, ils seront pris en charge par les différentes équipes. Et pour certains, ils devront repartir de zéro, "c'est un vrai travail de fond qui prendra plusieurs mois", admet Aurèle Besnier, kiné sur le site de Bracops.

"C'est pour ça que c'est important de dire que les kinés ne sont pas en deuxième ligne mais bien en première, au même titre que les médecins car les patients restent contagieux et on doit se protéger tout autant qu'eux, c'est un travail d'équipe. D'ailleurs, les équipes entre les différentes spécificités se sont très vite formées, avant elles n'existaient pas comme ça. On en revient à cette notion de pluridisciplinarité, c'est la clé de la réussite face à ce fléau qu'est le coronavirus".