Gille-Vliegen, à quitte ou double

Les secrets d’un duo de choc

Leur saison 2019 s’est transformée en un incroyable conte de fée. Véritables forçats de l’ombre, Joran Vliegen (gaucher, 26 ans) et Sander Gillé (droitier, 28 ans) sont parvenus à se hisser parmi le Top 50 de la très relevée hiérarchie mondiale du double. Un exploit, tout simplement !

Auréolé de ses trois premiers titres ATP (à Bastad, Gstaad et Zhuhai) cette année, ce duo limbourgeois a également fait ses premiers pas en Grand Chelem à Wimbledon y passant même passé un tour avant d’expérimenter l’US Open. Grâce à leurs performances, ils font désormais partie des valeurs sûres du circuit, et peuvent prétendre aux ATP500 (comme à Vienne en octobre) et même aux Masters 1000 (comme à Paris-Bercy pour le dernier de l’année). "Aux yeux des joueurs des circuits, notre statut a changé. Maintenant, on est respecté, il y a plus d’attention autour de nous", reconnaissait Sander.

Rappelez-vous, en février dernier, ils avaient copieusement participé à la samba de la bande à Van Herck contre le Brésil en barrages de Coupe Davis. Les Belges s’étaient ouverts les portes de la grande finale du Saladier d’Argent à Madrid. C’est d’ailleurs sur la terre battue d’Uberlândia, lors de ce brillant fait d’armes signé face la solide paire Marcelo Melo - Bruno Soares que les deux Belges sont entrés dans une autre dimension.

"C’était la première fois qu’on remportait un tel match", confiait le droitier de l'équipe. "Cela nous a donné énormément de confiance et très certainement fait office de déclic". Son partenaire gaucher abondait dans ce sens. "Sous pression, devant un tel public, parvenir à prester à ce niveau, ce fut libérateur. On était conscient qu’on pouvait battre des équipes du top, mais là on en avait la preuve."

À quelques jours de la phase finale de cette drôle de Coupe Davis à la sauce Piqué, les deux hommes ont encore faim et veulent conclure ce cru 2019 en beauté. Après le déclic brésilien, place à la confirmation madrilène ? Immersion au cœur d’un duo de choc empreint d’humilité mais aussi, et surtout, d’une bonne dose d’ambition.

Huile de coude et services gagnants

Professionnels jusqu’au bout du grip, Joran Vliegen et Sander Gille sont avant tout de grands travailleurs. Ce matin frisquet d’automne, à J-10 de leur premier match contre la Colombie en Coupe Davis, notre paire tricolore lançait son échauffement de bon matin au Tennisdel de Genk où ils ont posé leurs valises depuis quelques années déjà. Dès 8h, Sander attaquait une séance de stretching-fitness-musculation, rapidement rejoint par Joran qui s’était plié à un petit check-up médical pour le staff belge "à titre préventif", rassurait-il. "Commencer si tôt, c’est clair qu’on voit ça comme du boulot. Mais je préfère de loin cela à être au bureau", observait Sander, philosophe.

C’est un coach de physique de renom qui s’occupe des deux hommes : le Hollandais Rob Brandsma. Il a, entre autres, accompagné Elise Mertens lors de son sacre à l’US Open en double cet été, mais aussi travaillé avec Victoria Azarenka. "Sander et Joran ont pris le bon chemin, et depuis longtemps déjà", soulignait-il tout en regardant d’un œil attentif ses protégés soulever des poids. "Ils ne rechignent jamais à s’entraîner, ont souvent le sourire et un fameux sens de l’humour. Bref, c’est un plaisir de travailler avec eux. En plus, ils ont les pieds sur terre et sont un vrai exemple pour les autres jeunes qu’ils croisent ici à l’académie".

Et les jeunes pépites présentes ce matin-là aux côtés de la paire belge abondaient dans ce sens. Parmi elles, on notait notamment la présence de la Norvégienne Malene Helgo (20 ans et 593e à la WTA), lauréate de trois titres sur le circuit ITF. "C’est inspirant de s’entraîner avec des pros comme Joran et Sander. Ici, les conditions sont parfaites, ce n’est pas pour rien que j’ai quitté la Norvège", souriait-elle.

Car ils n’ont pas opté pour le Tennisdel par hasard. C’est là que l’académie de Wim Fissette (ancien coach de Kim Clijsters, Simona Halep, Angelique Kerber et actuel de Victoria Azarenka) et Dries Beerden (coach ponctuel de Vliegen et Gille) a pris ses quartiers depuis quelques années déjà (2015) et tente de faire éclore de jeunes talents (comme la Belge Lara Salden 20 ans et 288e à la WTA) au sein d’infrastructures de qualité. "On a choisi ce club déjà parce qu’il se trouve à égale distance de nos deux maisons. L’encadrement est de grande qualité, avec des gens d’expérience qui ont quasi tous collaboré avec des grands noms du circuit. En plus, les infrastructures sont au top. Nous avons tout ici : terrains en terre battue, en dur, fitness", expliquait Sander Gille.

Après s’être plié à près de deux heures d’exercices physiques intenses, le duo pouvait enfin prendre la raquette en main. C’était parti pour une session tennistique d’une heure et demie avec un sparring-partner de luxe en la personne de Maxime Braeckman qui les encadre à "50-50" avec Dries Beerden. Pour Braeckman, ex-coach de Kirsten Flipkens et Xavier Malisse, la clé de leur évolution se situe au service. "C’est en travaillant ce coup essentiel du tennis moderne qu’il ont pu monter les échelons. Qu’est ce que ça va vite, c’est carrément service digne du Top 10 !", rigolait-il.

Du simple au double

Aux côtés de Max Braeckman, Dries Beerden se révèle être leur mentor principal. Et sans doute celui qui les connaît le mieux. "Je les suis depuis 12 ans déjà", avouait-il, avant de poursuivre. "C'est aux USA, lors de leurs études universitaires, qu’ils ont pris conscience de leur force en double. Ils ont remporté facilement des interclubs et puis des 15.000$ où ils s’alignaient. En simple, ils évoluaient autour de la 500e place et ont compris qu’ils ne parviendraient pas à aller plus haut que le Top 300."

C’est une grave blessure qui a dicté ce choix de carrière du côté de Sander. "En octobre 2016, je me suis blessé aux ligaments du bras gauche. Je n’avais plus aucune chance en simple", précisait-il. Son acolyte, lui, avait souffert de l’épaule et du coude. "Mon classement de simple ne me permettait de jouer que des Futures alors qu’en double je pouvais prétendre à des Challengers", ponctuait Joran.

Les deux hommes ont tracé une trajectoire si similaire que les voir s’unir sur le plan sportif n’est pas réellement une surprise. L’un et l’autre se marrent lorsqu'ils évoquent leur première rencontre car ils n’en ont pas un souvenir très précis.

Joran Vliegen se risquait à une réponse approximative. "On devait sûrement se croiser sur les tournois régionaux". Sander Gille estimait, lui, qu’ils se connaissent depuis plus de dix ans. "Nous nous entendions bien et avions le même niveau, juste un peu courts pour les simples. Nous avions cette même envie d’obtenir un diplôme universitaire afin d’avoir un plan B après nos carrières." Si un joueur de simple peut se sentir seul au quotidien, il en va différemment pour la paire belge. "Nous nous entendons bien et passons quasi tout notre temps ensemble. Mais nos caractères sont différents."

Bref, deux amis à la vie aussi même si, "on se voit rarement en dehors du court", concédait Sander. Après six à sept heures au Tennisdel où ils s’entraînent quotidiennement quand ils ne courent pas les tournois aux quatre coins du monde, on peut le comprendre. "S’il n’y avait pas le tennis, on serait très proches, malgré tout", confirmaient-ils en cœur.

Et depuis plus de trois ans, ils se sont lancés à 100% en double avec une réussite fulgurante et impressionnante, qui s’appuie autour de trois pôles majeurs : "du travail acharné, une certaine alchimie et l’expérience engrangée. Tout ça a fini par payer" , résumait Sander. Une addition de paramètres qui leur a permis de garnir rapidement leur armoire à trophées : 13 titres et 8 finales en Challengers, sans compter les trois ATP250 glanés (ainsi qu'une finale) cette saison.

Une percée précoce, voire inattendue ?

Beaucoup d’observateurs n’avaient pas vu venir cette envolée vers les sommets signée par les deux Limbourgeois. "C’est incroyable ce qu’ils ont réalisé cette année", analysait le sélectionneur Johan Van Herck venu jeter un œil, ce matin-là, à l’entraînement de ses protégés avant de prendre le chemin de Madrid. "Ils ont signé une progression impressionnante qui ne doit rien au hasard."

D’autres se montrent beaucoup plus interloqués au moment d’évoquer leur intégration parmi les meilleures paires de double de la planète. C’est le cas notamment de Steve Darcis qui n’aurait jamais parié sur une telle progression. "Franchement, je dois avouer que jamais je n’aurais jamais pensé qu’ils atteindraient un tel niveau. C’est fou ! J’ai beaucoup de respect pour leur parcours et leur courage", déclarait le Shark.

Même les coachs de notre double national avouaient leur étonnement. "Il y a cinq ans, je n’aurais jamais parié qu’ils seraient si haut aujourd’hui", balançait Max Braeckman. "Ils ont progressé tellement rapidement tout en restant authentiques en dehors du terrain. Ils n’ont pas pris la grosse tête et continuent de tracer leur route simplement." Un aspect l’a aussi particulièrement marqué. "Je suis aussi très étonné de les avoir vu briller autant sur terre battue (Ndlr : ils ont remporté deux titres et signé une finale en ATP250 cet été sur cette surface) alors que le jeu de Joran est beaucoup plus adapté sur dur."

Son de cloche identique du côté de Dries Beerden qui ne s’attendait pas à les voir briller si vite. Ce dernier avait une explication à cet embrayage vers les sommets. "Au-delà de leur victoire en Coupe Davis au Brésil en février, je pense que l’autre déclic s’est opéré lors de la saison sur terre battue", observait-il. "Au printemps, après sa blessure, Joran a signé un beau parcours à Roland Garros avec Kukushkin (Ndlr: quarts de finale). Quand ils se sont retrouvés, quelque chose a changé je pense. Je m’attendais plutôt à les voir arriver dans le Top 70 ou 80 mais pas si haut !"

Désormais, jusqu’où peuvent-ils s’élever ? "Ils vont devoir davantage se frotter à des joueurs du top comme Dodig, Melo etc. Cela va encore les faire grandir et ils vont encore accumuler de l’expérience pour monter d’un cran", poursuivait Beerden. "Pour moi, ils peuvent atteindre le Top 10 dans les années à venir, j’en suis persuadé !"

Van Herck admiratif de l'éclosion de Sander et Joran

Van Herck admiratif de l'éclosion de Sander et Joran

Van Herck admiratif de l'éclosion de Sander et Joran

Dries Beerden (à droite), le coach ponctuel de Sander et Joran et Wim Fissette, entraîneur belge de renom à la base de l'Académie installée au Tennisdel

Dries Beerden (à droite), le coach ponctuel de Sander et Joran et Wim Fissette, entraîneur belge de renom à la base de l'Académie installée au Tennisdel

Maxime Braeckman coache aussi la paire belge.

Maxime Braeckman coache aussi la paire belge.

Rob Brandsma, un entraîneur de physique réputé qui s'occupe aussi d'Elise Mertens...

Rob Brandsma, un entraîneur de physique réputé qui s'occupe aussi d'Elise Mertens...

Top 30 dans le viseur en 2020

"On vise le Top 30 l’année prochaine, c’est logique et envisageable. A la Race, on est la 22e équipe". Sander Gille et Joran Vliegen n’entendent pas en rester là et affirment leurs ambitions sans trembler.

De là à carrément viser le Masters l’année prochaine, et imiter un certain Dick Norman qui avait participé à cette épreuve de prestige en 2010 ? "C’est formidable ce qu’il avait réalisé à l’époque et inspirant mais je pense que c’est un peu tôt pour 2020. Mais dans deux ans, pourquoi pas, c’est un objectif !", appuyait Joran Vliegen.

Persuadés que leur ranking va encore grimper, il sont enthousiastes à l’idée de jouer d’autres Grands Chelems et Masters 1000. "Il y a plein de top joueurs, tout le monde est là-bas. À Paris, j’ai demandé l’huile d’olive à Rafa, il avait quasiment vidé toute la bouteille", blaguait Vliegen.

Toute cette agitation liée aux grands rendez-vous n’atteint pas des masses ces deux gars simples qui gardent les pieds sur terre. "On porte un regard amusé à tout cela, mais nous ne sommes pas des fans : j’ai déjà vu d’autres joueurs faire des selfies avec Federer, ce n’est pas notre genre", racontait Sander.

Financièrement, leur situation a diamétralement changé. En perte en 2017, tout juste à l’équilibre à l’issue du cru 2018, les voilà enfin signer une balance positive au niveau de leur budget annuel en 2019. Pas de quoi rêver du train de vie des stars du circuit pour autant. Car au quotidien, les deux hommes ne profitent d’aucuns subsides des fédérations, et pas plus d’aides financières outre leurs prize-money. "Malgré nos victoires en tournois, on continue de voler avec Ryanair, de choisir des hôtels pas chers et de calculer nos dépenses. Ce n’est pas comparable avec le circuit en simple", regrettait Vliegen. Certes, ils disposent de sponsors qui leur fournissent vêtements (Jako), chaussures (Mizuno) et raquettes (Yonex pour Gillé et Prince pour Vliegen), "mais c’est loin d’être évident", clamaient-ils.

Avec leur nouveau statut, ils vont néanmoins modifier leur structure pour l’année prochaine. "Jusqu’ici, on voyageait seulement à deux, sans entraîneur. Mais l’an prochain, on sera encadré en tournoi", pointait Sander Gillé. Concernant la piste d’un coach à plein temps, celle-ci est en bonne voie mais le tacticien choisi ne sera pas belge. "En Belgique, il n’y a pas assez de spécialistes de double qui soient disponibles pour les suivre sur le Tour, par contre à l’étranger… ", confiait Dries Beerden. D’ici la fin de l’année, les deux hommes devraient dévoiler leur préférence..

En attendant, il ont la Caja Magica en point de mire. "Nos autres objectifs de l’année sont déjà réussis : atteindre le Top 50, glaner des titres ATP, disputer deux Grand Chelem et même un Masters 1000. Joueur la finale de la Coupe Davis, c’est le dernier objectif de l’année." Et sans doute le plus important…

Quand Business et Marketing riment avec Tennis

Joran Vliegen a toujours privilégié sa formation intellectuelle. Il n’était pas formaté pour vivre du tennis. Son frère Warre et son papa sont des aficionados de volley-ball. Et puis, ses parents enseignent l’éducation physique. Inscrit en latin-math, il a commencé à 6 ans ses entraînements de tennis à hauteur de 8 à 10 heures par semaine.

Passé par le Boneput de Bree avant qu’il ne se transforme en Académie Clijsters, il s’est développé au Tennisdel de Genk dans la Wilson Tennis Academy. Conscient qu’il ne figurait pas dans le top 3 des juniors belges, il a quitté le pays à l’aube de ses 18 ans. "Si j’étais resté en Belgique, j’aurais dû arrêter le tennis pour m’inscrire à l’université." Il a donc pris la direction d’une faculté en Caroline du Nord, où il a été diplômé en business management et surtout pu combiner son cursus avec le tennis dans de bonnes conditions.

"Un diplôme et surtout une progression au tennis"

De son côté, Sander Gille est un véritable touche-à-tout. Aucun membre de sa famille ne jouait au tennis, mais lui a exploré de nombreuses voies sportives jusqu’à ses 14 ans. "Pourquoi le tennis ? Je ne sais pas", souriait cet habitant de Runkster, un petit village à côté d’Hasselt. Il est resté dans son club local jusqu’à 17 ans. Comme Joran Vliegen, il avait vite compris que son niveau était insuffisant pour tenter la grande aventure de l’ATP. 

Il s’est donc lui aussi exilé aux États-Unis pour s'inscrire à l’université tout en pratiquant le tennis à un haut niveau. "Non seulement j’ai obtenu mon diplôme de management marketing, mais, en plus, j’ai si bien progressé aux USA que j’ai décidé de poursuivre le tennis lors de mon retour en Belgique à 21 ans." Il a alors pris la direction de Bree chez Kim Clijsters avant de rejoindre le Tennisdel de Genk, il y a quatre ans. Et depuis, les deux hommes ne se quittent plus et vivent un incroyable conte de fée...