La grande histoire de la Coupe du Monde (3/8)
1974 > 1982
Oranje maudits, Diables aux portes du paradis

1974
RFA

1974
RFA > RFA
LE KAIZER À DOMICILE
La plus mauvaise formule de la Coupe du Monde fut, après celle de 1954, celle de 1974, sur les terrains de la Bundesliga : les deux premiers des quatre groupes qualificatifs furent reversés dans deux nouveaux groupes de quatre. Il n’y eut donc aucune élimination directe avant la finale ! Voilà pourquoi l’édition 74 s’appelait Weltmeistershaft, c’est-à-dire Championnat du Monde, et non Weltpokal, Coupe du Monde.
Organisé sans demi-finales, donc, ce Mondial sourit aux Pays-Bas (qui n’avaient devancé la Belgique en éliminatoires que grâce à un plus grand nombre de buts marqués) qui empêchèrent le Brésil d’atteindre la finale, et à la RFA, qui s’était fait pourtant battre par la RDA lors du premier tour…
L’Allemagne forgea sa légende en gagnant sa deuxième finale contre une autre équipe mythique. Vingt ans après avoir surpris la Hongrie, elle a maté la Hollande de Johan Cruyff en finale à Munich (2-1). Le réalisme défensif de Franz Beckenbauer et offensif de Gerd Müller brisa le football total des Oranje. Les Pays-Bas, à l’inverse, rédigèrent le premier acte de leur légende romantique de magnifiques losers en perdant la première de leurs trois finales mondiales, le pire ratio de la planète foot. Cruyff et son équipe avaient pourtant donné des leçons jusqu’à la finale, notamment à l’Argentine (4-0) et au Brésil (2-0). Mais à Munich, Berti Vogts mit Johan Cruyff sous l’éteignoir et Gerd Müller offrit à son pays un trophée que souleva Franz Beckenbauer.
> L’historique RFA–RDA, en pleine guerre froide, en 1974 à Hambourg, est resté dans les mémoires. Les Allemands de l’Ouest ne voulaient pas battre leurs cousins de l’Est : alors que, pour la RDA, s’installer sur le terrain des capitalistes était le but suprême, la RFA désirait, surtout, éviter la première place du groupe… pour ne pas être versée dans la poule A, aux côtés des Pays-Bas, du Brésil et de l’Argentine !
> Le trophée Jules Rimet ayant été définitivement gagné par le Brésil en 1970 (3 fois vainqueur), une nouvelle coupe, dessinée par l’artiste italien Silvio Gazzaniga, fait son apparition. Le trophée existe toujours aujourd’hui… Les champions du monde reçoivent désormais une réplique plaquée or.
> En Allemagne, la première équipe d’Afrique Noire, le Zaïre, se fait humilier: trois défaites, 14 buts encaissés et aucun marqué.
Tous les résultats de la Coupe du Monde 1974 ici.
FINALE
7 juillet 1974 - Munich, Olympiastadion
RFA - Pays-Bas 2-1
RFA Maier, Vogts, Breitner, Bonhof, Beckenbauer, Schwarzenbeck, Grabowski, Holzenbein, Overath, Muller, Hoeness.
PAYS-BAS Jongbloed, Krol, Suurbier, Haan, Rep, Jansen, Rijsbergen (68e De Jong), Neeskens, Van Hanegem, Cruyff, Rensenbrink (45e R. Van De Kerkhof).
Les buts : 2e Neeskens (0-1), 25e sur pen. Breitner (1-1), 43e Muller (2-1).
Johan Cruyff, l'oeuvre inachevée
Comme Messi et Cristiano Ronaldo, qui peuvent encore réussir en Russie, il a manqué une Coupe du Monde au génial Hollandais volant.
"Quand on prononce le nom de Cruyff, tout le monde sait de qui on parle.” Cet aphorisme signé par Johan Cruyff définissait à lui-seul l’idée qu’on peut donner au narcissisme. Mais si l’arrogance du natif d’Amsterdam faisait partie du personnage, elle ne contredisait en rien les talents footballistiques, tant tactiques que techniques, de celui qu’on surnommait le Hollandais volant.
Un talent précoce
Les talents de Cruyff furent reconnus très prématurément. C’est à 17 ans qu’il fit ses armes dans le football professionnel avec l’Ajax Amsterdam,
dès 1964. Avec un physique assez frêle, mais un talent évident, il parviendra année après année à se sublimer, emmenant dans son sillage, avec le numéro 14 (reçu à partir de 1970),
son équipe ajacide vers le toit des Pays-Bas d’abord, de l’Europe, ensuite. C’est là, sous l’égide de Rinus Michels, qu’il apprendra le concept de Totaalvoetbal, qui prône
l’implication de tous les joueurs dans tous les compartiments du jeu.
Ce principe, Cruyff le réutilisera plus tard pendant sa période d’entraîneur. Beaucoup n’hésiteront d’ailleurs pas à dire par la suite qu’il est le père du football moderne. Avec le club amstellodamois, il remportera les récompenses les plus prestigieuses, tant collectives, qu’individuelles : le titre et la coupe nationale, la Coupe des cluvs champions (aujourd’hui appelée Ligue des Champions”), la Coupe intercontinentale ou encore le Ballon d’or. Mais en sélection chez les Oranje, il se révélera plus tardivement.
C’est au moment où il émigrera vers la Catalogne qu’il portera le mieux son équipe nationale. Il amènera sa sélection jusqu’en finale de la Coupe du monde 1974, mais il échouera contre l’équipe d’une autre légende, Franz Beckenbauer, devenu par après l’un de ses plus proches amis.
Autant comme joueur que comme entraîneur, Johan Cruyff aura été fidèle à ses couleurs. C’est vrai, il jouera deux années aux Etats-Unis et c’est vrai, il terminera sa carrière de joueur chez le grand rival Feyenoord, après avoir été évincé par l’Ajax. Il y reviendra comme entraîneur.
Toute sa vie, il aura été partagé entre Pays-Bas et Espagne, commençant toujours par l’un et finissant à chaque fois par l’autre. Ainsi, avec cette même idée, il ouvrit la première fois les yeux à Amsterdam, ville qui vit son éclosion; il les fermera une fois pour toutes en mars 2016 à Barcelone, sa terre d’adoption et de rédemption.

1978
Argentine

1978
ARGENTINE > ARGENTINE
L’ALBICELESTE AU PARADIS
Les Pays-Bas étaient décidés à prendre leur revanche sur 1974: après avoir encore devancé la Belgique en éliminatoires, les Néerlandais atteignirent la finale, laissant la RFA et l’Italie à quai lors du deuxième tour à nouveau disputé sous forme de poules. Dans l’autre tableau, l’Argentine devança de justesse le Brésil grâce à une meilleure différence de buts. Mais les Oranje de Haan et Rensenbrink ratèrent une nouvelle fois leur finale. L’Albiceleste de Kempes et Passarella émergea lors des prolongations.
Sous la botte du Général Videla, impassible même le soir de la finale victorieuse, l’Argentine remporta sa première Coupe du Monde. Malgré la dictature, les héros arborent des cheveux longs et des airs de babas cool, comme Mario Kempès, double buteur en finale, et Alberto Tarantini, ou des rouflaquettes de rock-star comme le coach Cesar Luis Menotti. Les Oranje, eux, avaient perdu une seconde finale consécutive, cette fois sans Cruyff : le Hollandais volant était resté en Europe.
Après la finale, les Oranje refuseront d’assister à la cérémonie de clôture pour protester contre la dictature argentine.
Longtemps on pensa que l’absence de Johan Cruyff en Argentine était liée à son opposition à la dictature militaire. Mais le Hollandais volant révéla en 2008 qu’il était resté en Europe suite à une agression à son domicile catalan (il jouait à Barcelone), liée à une tentative d’enlèvement: “J’ai eu un fusil pointé sur ma tête, j’ai été ligoté, ma femme aussi, et mes enfants étaient présents…”
Avant leur affrontement, Français et Hongrois se présentent à l’arbitre avec des maillots blancs. La délégation française avait oublié d’emporter ses vareuses bleues. Le CA Kimberley, club de Mar Del Plata où a lieu le match, prête aux Tricolores le jeu de maillots de son équipe juniors, bardé de rayures vertes et blanches verticales. Des vareuses trop petites, et les numéros des maillots et des shorts ne correspondaient pas !
Tous les résultats de la Coupe du Monde 1978 ici.
FINALE
25 juin 1978 - Buenos Aires, Estadio Monumental
Argentine - Pays-Bas ap 3-1
ARGENTINE Fillol, Olguin, Galvan, Passarella, Tarantini, Ardiles (66e Larosa), Gallego, Kempes, Ortiz (75e Houseman), Bertoni, Luque.
PAYS-BAS Jongbloed, Krol, Jansen (73e Suurbier), Brandts, Poortvliet, Neeskens, Haan, W. Van De Kerkhof, R. Van De Kerkhof, Rep (59e Nanninga), Rensenbrink.
Les buts : 38e Kempes (1-0), 82e Nanninga (1-1), 105e Kempes (2-1), 116e Bertoni (3-1).
1982
Italie

1982
ESPAGNE > ITALIE
LA RÉSURRECTION DE PAOLO ROSSI
Dans la foulée de leur finale à l’Euro 1980, les Diables se qualifièrent tranquillement pour le Mondial, qu’ils retrouvaient après douze ans d’absence. Ils signèrent un premier coup d’éclat lors du match d’ouverture, face à l’Argentine, championne du monde en titre, emmenée par un jeune prodige, un certain Diego Maradona. Les hommes de Guy Thys franchirent avec maîtrise le premier tour mais ils échouèrent ensuite face à la Pologne de Zbigniew Boniek.
L’Italie remporta, elle, une troisième Coupe du monde. Elle rejoignit le Brésil au palmarès, grâce à l’ex-banni Paolo Rossi, suspendu deux ans pour sa participation au scandale des matches truqués du Totonero. Sur le chemin de la finale, la Nazionale surprit la Seleção archi-favorite, celle de Socrates et Zico, dessinée par Tele Santana, grâce à un triplé de Pablito Rossi. Le meilleur joueur du tournoi explosait enfin, après un premier tour raté (trois pâles matches nuls face à des équipes de second rang : la Pologne, le Pérou et le Cameroun). En finale l’Italie terrassa une Allemagne de l’Ouest épuisée par le premier match de Coupe du monde joué aux tirs au but, la demi-finale épique de Séville contre la France de Michel Platini (3-3, 4-3 aux t.a.b.).
> Le match d’ouverture entre l’Argentine et la Belgique est le premier grand événement médiatique à être diffusé en mondiovision, sur les cinq continents (un an après le mariage du Prince Charles et de Lady Diana Spencer), dans 140 pays et devant un milliard de téléspectateurs.
> Ce Mondial 82 est le premier qui se dispute à 24 nations.
> La demi-finale entre la RFA et la France est marquée par l’agression du gardien allemand Harald Schumacher sur Patrick Battiston. Frappé à la tête, le défenseur français est emmené à l’hôpital, alors que Schumacher n’a même pas été averti. Et les Bleus sont éliminés, lors de la première séance de tirs au but...
> Lors de France – Koweït, le frère de l’Émir pénètre sur le terrain pour contester un but marqué par les Français et obtient gain de cause !
> Le plus jeune joueur ayant participé à un match de Coupe du Monde s’appelle Norman Whiteside. Le Nord-Irlandais a disputé son premier match en juin 1982 contre la Yougoslavie, à 17 ans et 41 jours.
> Dans l’histoire de la Coupe du Monde, un seul match de phase finale s’est soldé par un score à deux unités: le Hongrie-Salvador du 15 juin 1982, 10-1 pour les Magyars ! L’avalanche de buts a eu lieu en seconde période (3-0 à la mi-temps), Laszlo Kiss, entré au jeu, s’offrant un joli triplé en moins de dix minutes. La Hongrie avait déjà infligé une correction à un autre pays, 28 ans plus tôt, 9-0 face aux Sud-Coréens.
Tous les résultats de la Coupe du Monde 1982 ici
La finale
11 juillet 1982 - Madrid, Santiago Bernabeu
RFA - Italie 1-3
RFA Schumacher; Kaltz, Stielike, Förster, Förster, Briegel, Dremmler (63e Hrubesch), Breitner, Littbarski, Rummenigge (70e Muller), Fischer.
ITALIE Zoff, Gentile, Scirea, Collovati, Bergomi, Cabrini, Oriali, Tardelli, Conti, Graziani (8e Altobelli/ 88e Causio), Rossi.
Les buts : 56e Rossi (0-1), 69e Tardelli (0-2), 80e Altobelli (0-3), 83e Breitner (1-3).
AUX DIABLES LE MONDIAL
UN COUP DE TONNERRE SIGNÉ VDB
Si elles voulaient rallier l’Espagne en 1982, les troupes entraînées par Guy Thys, qui avait pris les commandes de l’équipe nationale en 1976, devaient écarter la république d’Irlande, Chypre, la France et les Pays-Bas.
Après un bon partage à Dublin, les Belges prirent enfin la mesure des Néerlandais grâce à un penalty converti par Vandenbergh. Trois succès poussifs contre Chypre et l’Irlande les propulsèrent en tête du groupe. Le voyage à Paris fut plus délicat. Au Parc des Princes, Vandenbergh frappa d’entrée mais à la mi-temps, Michel Preud’homme avait encaissé trois buts. Celui de Ceulemans ne changea rien à l’affaire. Giresse, Tigana et leurs potes revenaient dans le parcours. Le 9 septembre 1981, le stade du Heysel était plein comme un oeuf pour la revanche. Un certain Alexandre Czerniatynski endossait, ce soir-là, sa première cape d’international. Le bel Alex allait remercier son entraîneur en marquant le premier but. De façon peu académique, à la Czernia en quelque sorte, mais les Diables étaient lancés. Vandenbergh paracheva somptueusement le travail. Plus rien ne pouvait leur arriver : les Diables iraient en Espagne.
Ils y signèrent d’emblée un fabuleux exploit. 13 juin 1982. Match d’ouverture contre l’Argentine, championne du monde, au Camp Nou de Barcelone. Nonante-cinq mille personnes suivent la rencontre depuis 63 minutes. La plupart n’ont d’yeux que pour Maradona. Vercauteren arpente le flanc gauche et adresse un centre banane vers Erwin Vandenbergh, isolé. L’avant-centre lierrois progresse à la rencontre de Filol. Il attend, attend, puis frappe : 1-0. Coup de tonnerre dans le ciel catalan.
“Dans le vestiaire, ce n’était même pas la fête tant nous étions tous groggy d’avoir réalisé cet exploit. On avait du mal à y croire…” se souvient Vdb, le buteur.
La suite ? Un succès difficile contre le Salvador obtenu grâce au regretté Ludo Coeck et un partage suffisant contre la Hongrie. À la 76e, les Hongrois étaient qualifiés et on voyait mal comment le cours de la rencontre pouvait encore s’inverser quand, parti de son rectangle, Ceulemans se lança dans une incroyable cavalcade sur le flanc droit. À bout de forces, il adressa un semblant de centre à Czernia, posté au point de penalty. Celui-ci croqua à moitié sa reprise mais le ballon s’en alla mourir dans le petit filet du but gardé par un Meszaros médusé.
La suite, oublions-la. Le match contre la Pologne fut un cauchemar. “Le 28 juin 1982, je remplaçais dans les buts Jean-Marie Pfaff, qui s’était blessé lors du match précédent contre la Hongrie, dans un choc avec… Gerets”, se souvient Théo Custers. “Le moins que je puisse rappeler est que j’ai disputé ce soir-là, au Camp Nou de Barcelone, la rencontre la plus malheureuse de ma carrière. La Belgique s’est inclinée 3-0. Trois goals de Zbigniew Boniek ! Le plus effroyable est que j’avais dû négocier cinq ballons et que je m’étais laissé surprendre à trois reprises. Ce fut mon dernier match avec les Diables. J’avais été mauvais, c’est vrai. Mais pourquoi n’a-ton tranché que ma seule tête ? Je ne l’ai jamais compris. Peut-être parce que j’étais l’unique étranger du groupe, moi qui évoluais à l’époque à l’Espanyol… Barcelone.”
Le ressort était cassé. Après une courte défaite face à l’URSS, les Belges étaient éliminés…
Pfaff blessé contre la Hongrie, Custers mauvais contre la Pologne, c’est Jacky Munaron qui défendit le but belge contre l’URSS. Ce fut la seule fois que la Belgique utilisa trois gardiens en phase finale.
LA SÉLECTION BELGE DE 1982
22 JOUEURS
1. Jean-Marie Pfaff (SK Beveren)
2. Eric Gerets (Standard de Liège)
3. Luc Millecamps (SV Waregem)
4. Walter Meeuws (Standard de Liège)
5. Michel Renquin (SC Anderlechtois, puis Servette FC Genève-Sui)
6. Franky Vercauteren (SC Anderlechtois)
7. René Vandereycken (Genoa 1893-Ita)
8. Wilfried Van Moer (SK Beveren)
9. Erwin Vandenbergh (Lierse SV, puis SC Anderlechtois)
10. Ludo Coeck (SC Anderlechtois)
11. Jan Ceulemans (Club Brugge KV)
12. Theo Custers (Real CD Espanol-Esp)
13. François Van Der Elst (West Ham United-Ang)
14. Marc Baecke (SK Beveren)
15. Maurits De Schrijver (SC Lokeren)
16. Gérard Plessers (Standard de Liège)
17. René Verheyen (SC Lokeren)
18. Raymond Mommens (SC Lokeren)
19. Marc Millecamps (SV Waregem)
20. Guy Vandersmissen (Standard de Liège)
21. Alex Czerniatynski (Antwerp FC, puis SC Anderlechtois)
22. Jacky Munaron (SC Anderlechtois)
Sélectionneur : Guy Thys.
NdlR: Pfaff, Renquin, Vandenbergh et Czerniatynski ont, fédéralement, changé de club d’appartenance lors du dernier match contre l’URSS, joué le 1er juillet!

Alex Czerniatynski: "Du dédain dans le regard des Argentins"
Au Nou Camp, les Diables étaient pourtant rentrés par la grande porte...
9 septembre 1981. Servi sur un plateau (celui du Heysel…), le jeune Alexandre Czerniatynski (21 ans) fête sa première cape en équipe nationale en signant le but d’ouverture contre la France et devant plus de cinquante mille spectateurs ! Vous parlez d’un baptême du feu. Carrément synonyme de qualification pour la Coupe du Monde, douze ans après cette expédition mitigée au pays de sombreros.
Nos Diables finissent même en tête de leur groupe, précédant les Coqs de Michel Hidalgo alors que les Pays-Bas, finalistes quatre ans auparavant en Argentine, sont priés de rester à la maison…
Pour l’entraîneur fédéral, Guy Thys, la belle aventure reprend de plus belle après un Euro ’80 enthousiasmant et ce, malgré cette finale perdue contre la Mannschaft. Pour Alex, c’est bien plus qu’un rêve les yeux éveillés et en mode accéléré.
Au printemps 81, ne jouait-il pas encore en D2 avec le Sporting de Charleroi ? Et à peine débarqué au Bosuil, le Nalinnois n’avait cessé de faire feu de tout crampon avec l’Antwerp, tout en tapant dans l’œil du coach au gros cigare. Mais pas seulement puisque le Sporting d’Anderlecht s’empressera de mettre le grappin sur le bel Alex, peu de temps avant qu’il ne s’envole pour l’Espagne.
Le tirage au sort réserva un épouvantail pour l’entrée en lice des Diables tout honorés d’affronter l’Albiceleste de Diego Maradona en match d’ouverture au Nou Camp. Au fond, ils n’avaient rien à perdre, sauf l’honneur.
Comme les autres échéances (El Salvador et la Hongrie) étaient programmées à Elche, nos compatriotes prirent leurs quartiers à l’hôtel Huerto del Cura (le Jardin du Pasteur), au cœur de la célèbre palmeraie qui sera d’ailleurs déclarée patrimoine de l’Humanité par l’UNESCO en 2000. Dans un tel cadre idyllique, les Diables ne pouvaient que préparer sereinement leur rencontre contre El Pibe de Oro et ses frères. A l’inverse de Raymond Goethals, Guy Thys ne jouait pas au veilleur de nuit.
"Partisan de l’autogestion, il nous faisait confiance", raconte Alex. "Les conférences de presse se déroulaient au bord de la piscine et il m’arrivait de répondre aux journalistes entre deux parties de tennis de table."
Une certaine presse crut bon d'épingler le mode de vie zen des Diables, tout en forçant le trait selon notre interlocuteur : "Il y a eu un jour de black-out décrété par les joueurs. En tant que benjamin, j’ai suivi le mouvement, à charge pour notre coach d’arrondir les angles le moment venu. Les entraînements également étaient dispensés en toute décontraction. Eric Gerets n’était pas le dernier à juger que la séance avait été suffisamment longue."
La veille du match, les deux délégations, argentine et belge, foulèrent le tarmac de l’aéroport El Prat, à quelques dizaines de minutes d’intervalle. La foule s’était pressée au portillon. Alex s’en souvient fort bien : "Tous ces gens, c’était en réalité pour Diego, pas pour notre Zean-Marie national qui avait pourtant préparé un tas de photos dédicacées à distribuer une fois notre avion atterri."
Avant, pendant et après, la rencontre valut également son pesant de souvenirs indélébiles pour Alex : "Je me rappelle comme si c’était hier du regard hautain et dédaigneux que les Argentins nous jetaient avant de gravir ensemble les marches conduisant au terrain. Pour ma part, j’ai failli avoir le privilège d’ouvrir la marque en fin de première période. Une tête plongeante à laquelle il ne manqua qu’une poignée de centimètres pour faire mouche. C’est finalement Erwin qui eut ce plaisir-là. Entre parenthèses, il n’a jamais reçu le cadeau normalement dévolu au premier buteur de la compétition. Je pense que cette récompense était prévue juste pour Maradona (rires)."
Le roseau noir-jaune-rouge ayant plié sans jamais rompre, la stupeur s’empara fatalement du Nou Camp au coup de sifflet final mais la journée était loin d’être finie pour Alex, appelé à se soumettre au contrôle anti-dopage en compagnie de Maurice De Schrijver mais aussi de Diego dont la tronche en disait long sur son dépit. C’est en taxi que nos deux compères rejoignirent leur hôtel dans la banlieue barcelonaise : "Heureusement, personne n’était encore parti dormir. On a encore pu faire la fête avant de retourner à Elche le lendemain."
Obtenue sur le même score (1-0), la victoire contre El Salvador eut bien moins de saveur : "Sans une frappe de mule de Ludo Coeck, nous aurions défrayé la chronique dans l’autre sens", objecte Alex, toujours aussi ravi trente-six ans après, d’avoir marqué contre la Hongrie le but donnant droit aux Diables Rouges d’accéder pour la première fois de leur histoire au deuxième tour de la Coupe du Monde : "Les chaussettes baissées et la foulée dévastatrice, Jan (Ceulemans), avait avalé tout le flanc droit avant de m’adresser le ballon."
La suite et la fin de cette odyssée ibérique fut bien moins glorieuse : "Avec Boniek insatiable, notre adversaire polonais s’en est donné à cœur joie contre nous. Il faut dire que Custers a sans doute joué le plus mauvais de sa carrière ce soir-là. Face à l’URSS, notre prestation fut plus honorable mais l’espoir d’aller plus loin avait disparu."

