La grande histoire de la Coupe du monde (8/8)

2018

Les Diables, champions du monde des émotions

De la préparation à la fête populaire sur la Grand-Place, en passant par les polémiques, le rodage, le football champagne et la désillusion française, nous revenons sur le plus beau Mondial de l'histoire du football belge.

De nombreux supporters de tous les pays s'accordent à dire que la Belgique fut la plus belle équipe de cette Coupe du Monde. Plus que jamais, Roberto Martinez a replacé le nom du plat pays sur la carte du football mondial et a fait vibrer 11 millions de Belges. Les exploits de la génération 1986 sont définitivement passés au second plan. Une raison de plus pour vous offrir, avec déjà une certaine dose de nostalgie, l'occasion de revivre ce qui restera comme l'épopée 2018.

Chapitre 1 : l'ombre de Radja

De la liste au grand départ, une polémique sans fin

Tout a commencé le 21 mai. Avec Matz Sels, Jordan Lukaku, Christian Kabasele, Laurent Ciman et Christian Benteke mais sans Divock Origi et Kevin Mirallas. Pourtant, c'est un autre nom qui fait la Une de tous les médias belges, celui de Radja Nainggolan. Comme on le pressentait la veille, déjà, ce lundi de Pentecôte fut fatal au Ninja, qui avait été prévenu durant le week-end par Roberto Martinez.

Le sélectionneur a fait le déplacement à Rome pour une "discussion constructive" avec son joueur. Nainggolan, lui, n’a visiblement pas le même point de vue: "Je voulais évidemment être dans la sélection. Il a fait le choix de ne pas me reprendre. Pourquoi? Ce n'est pas très clair pour moi."

S’en suivra l’annonce de la retraite internationale du joueur. La polémique durera une dizaine de jours à la faveur d’une communication un peu négligée par le capitaine du navire national, qui s’est contenté d’évoquer des raisons tactiques pour justifier l’absence de celui qui évoluait encore à l’AS Rome. Au moment de faire le bilan de ce Mondial, on ne peut que mieux comprendre le choix de Martinez. Dans les systèmes de jeu du sélectionneur, celui qui évolue aujourd’hui à l’Inter Milan aurait eu toutes les peines du monde à trouver les libertés qu’il aime sans mettre en péril l’équilibre de l’équipe. Les clés ont été exclusivement confiées à Eden Hazard, qui en a pris le plus grand soin.

Du côté des Diables, ceux qui participeront à l’aventure russe, le soutien à Nainggolan est unanime, tout comme le respect du choix de Roberto Martinez. Du côté des supporters, par contre, la pilule ne passe pas vraiment et les critiques sont plus virulentes que jamais sous l’ère Martinez. La page ne sera réellement tournée qu’avec l’entrée en compétition contre le Panama.

Au tour de Ciman d’être écarté...

Le 4 juin, date limite de la remise d’une liste définitive à la FIFA, Roberto Martinez annonce à Matz Sels, Christian Kabasele, Jordan Lukaku et Christian Benteke qu’ils peuvent partir en vacances. Et il demande à Laurent Ciman, qui ne figure pas parmi les noms rendus à la FIFA, de continuer à préparer le Mondial comme s’il allait le jouer… histoire de se prémunir contre un éventuel forfait de Vincent Kompany ou Thomas Vermaelen.

Certains noms font débat. Ceux de Dendoncker et Tielemans, d’abord. Malgré leur saison décevante, Roberto Martinez les emmène en Russie : "Ils sont le futur de notre sélection et sont prêts pour la Coupe du monde". Le Catalan cache à peine que les deux joueurs sont là pour prendre de l'expérience en vue des échéances au cours desquelles ils auront un rôle plus important. La prolongation du contrat de Martinez, entérinée le 18 mai dernier, ne peut pas être totalement étrangère à ce choix de la jeunesse.

Januzaj, lui, a visiblement gagné sa place lors de sa montée au jeu contre le Portugal : "Adnan a montré de la maturité ces derniers jours, il a aussi montré ce qu'il pouvait nous apporter dans la deuxième mi-temps face au Portugal, notamment dans les un contre un. J'attends beaucoup de lui!"

C’est visiblement Christian Benteke qui fait les frais de l’apparition de Januzaj dans les 23 : "J'étais très content de son comportement durant les derniers entraînements et face au Portugal mais pour l'équilibre du groupe, j'ai préféré Januzaj à Benteke. Nous avons déjà deux numéros 9 et j'ai confiance en Lukaku et Batshuayi pour remplir ce rôle."

Aucune explication ne sera donnée concernant le choix de Boyata plutôt que celui de Ciman et Kabasele, mais la phase de groupe disputée par le défenseur du Celtic donnera raison à Roberto Martinez. Enfin, Matz Sels n’a jamais eu la faveur des pronostics face à Koen Casteels, le meilleur gardien de la saison en Bundesliga, et Jordan Lukaku paye le prix fort d’une fragilité au genou.

Chapitre 2 : la préparation

Une montée en puissance attendue, une blessure redoutée

Planifiées en février, les trois rencontres de préparation des Diables début juin doivent leur permettre de monter en puissance, et en confiance, avant le début de la compétition. Le Portugal, qui aura donc permis à Adnan Januzaj de gagner sa place au détriment d’un Christian Benteke peu convaincant, était le test le plus sérieux. Mais cette affiche programmée le 2 juin perdra de sa saveur à la seconde où Cristiano Ronaldo annoncera qu’il prend des vacances jusqu’au 4 juin dans la foulée de sa victoire en Ligue des Champions au terme d’une finale qui a vu Mohamed Salah se blesser à l’épaule. "Nous ne devons pas nous fixer sur ses absences, et jouer comme nous le ferions habituellement", relativisait un Martinez forcément déçu de ne pas pouvoir offrir des tests grandeur nature à ses hommes.

De leur confrontation avec les champions d’Europe, les Diables ressortent avec plus de doutes que de certitudes. Le nul blanc n’a rien d’alarmant mais le contenu du match n’a jamais permis au stade Roi Baudouin de s’enflammer. Sur des plans individuels, Moussa Dembélé a démontré par l’absurde l’importance d’Axel Witsel, laissé au repos et, surtout, Vincent Kompany a quitté le terrain sans crier gare à la 53e minute.

“Il a ressenti une gêne à l’aine”, expliquait Roberto Martinez après le match. “Ce n’est pas un jeune joueur, il connaît le bon moment pour quitter le terrain. Mais je dois dire que je suis inquiet. Vinnie a travaillé très dur. Il est si près de la liste finale…" On ne le sait pas encore à ce moment de la préparation mais cette blessure sera le plus long fil rouge du début de Mondial des Diables.

Contre l’Egypte, Lukaku, Hazard et Fellaini offrent une victoire facile face à une équipe qui s’avérera être l’une des cinq les plus faibles de la Coupe du Monde. Le festival de Batshuayi sur le dernier but attire l’attention et fait oublier les quelques moments creux d’une rencontre rythmée par les accélérations d’Eden Hazard. De son côté, le joker médical Laurent Ciman a pu savourer une titularisation dans l’axe de la défense à trois. L’occasion de rappeler qu’il est prêt à remplacer Kompany au besoin… mais aussi de se rendre coupable d’un marquage défaillant, offrant la plus belle opportunité égyptienne à un Mohsen oublié en première mi-temps.

C’est véritablement contre le Costa Rica, à sept jours de son entrée en compétition, que la bande à Martinez rassurera ses supporters. Malgré l’ouverture du score de Bryan Ruiz à la 24e minute, les Diables s’offrent une prestation de choix face à une nation qui décrochera, elle aussi, sa place dans le flop 5 de la compétition deux semaines plus tard. Dries Mertens, avec le but égalisateur, en profite pour retrouver de la confiance après deux rencontres décevantes. Lukaku alimente son compteur buts avec deux nouvelles réalisations et Batshuayi prouve qu'il est prêt à devenir le joker offensif n°1 de cette équipe. Le point noir de la soirée ? La sortie sur blessure d’un très grand Eden Hazard. Par chance, le capitaine noir-jaune-rouge retrouvera très vite ses moyens...

… au contraire de Vincent Kompany dont l’état de santé continue à inquiéter. Le joueur de Manchester City et Laurent Ciman s’envolent conjointement pour la Russie le 13 juin et Martinez annonce déjà qu’il attendra le tout dernier moment pour renvoyer l’un des deux hommes à la maison. Laurent Ciman sera finalement libéré 48 heures (et non 24 comme prévu initialement) avant la rencontre face au Panama. Martinez a tenu à "remercier le professionnalisme" de l'ancien Standarman, saluant au passage sa "contribution à la préparation de l’équipe."

De son côté, le joueur nous annonce à demi-mot sa retraite internationale à sa descente de l’avion, à Zaventem : "C’est la décision du coach, pas la mienne. Moi, j’ai été professionnel jusqu’au bout. J’ai assez attendu. Ma femme et mes enfants ont besoin de moi donc là j’ai décidé de rentrer. C’est certain que maintenant, je vais privilégier ma famille. Il y a des jeunes qui sont là, qui poussent, donc on va leur laisser la place. Mais je ne suis pas le type de joueur qui a besoin, comme d’autres, d’annoncer : 'Voilà, j’arrête l’équipe nationale'. Cela va se faire tout simplement. Je serai moins sélectionné à l’avenir, je pense."

Chapitre 3 : huit buts en deux matches, Lukaku et Hazard en feu

Les conseils d’Eden à Romelu et la pluie de buts moscovite

Le matin du 18 juin, la DH annonce un onze de base qui s’avérera être le bon : Courtois, Alderweireld, Boyata, Vertonghen, Meunier, Witsel, De Bruyne, Carrasco, Mertens, Hazard, Lukaku. Dedryck Boyata est donc propulsé à la place de Vincent Kompany pour son premier match dans une grande compétition.

Face à une faible équipe du Panama, qui n’a que son courage et son envie à faire valoir, le joueur du Celtic Glasgow répond avec ses aptitudes physiques et signe une prestation sans accroc. Offensivement, par contre, la sortie des Diables est bien moins convaincante que celle face au Costa Rica. Il faut dire que le double rideau panaméen n’offre que peu d’espaces et que Romelu Lukaku se fait très discret durant les 45 premières minutes.

Un but de classe mondiale de Dries Mertens délivrera tout un pays au retour des vestiaires et l’attaquant de Manchester United lancera son tournoi avec un doublé pour une victoire 3-0 qui n’aura pas totalement convaincu les supporters. En zone mixte, un Diable s’offre une déclaration moins prévisible que les autres. Il s’agit d’Eden Hazard : "J’ai dit à Romelu à la mi-temps qu'on avait besoin de lui. En première période, il se cachait un peu, là-bas, tout seul. Même si on a des bons joueurs, ce n'est pas facile de jouer avec un élément en moins. Et une fois qu'il a été là, impliqué dans le jeu, comme par magie, il a mis deux buts. J'espère qu'il va comprendre."

Dans la bouche d’un autre joueur, ces propos auraient fait polémique. Pas dans celle d’Eden Hazard. La presse n’envisage pas une seule seconde qu’il puisse y avoir des tensions entre les deux hommes. Le capitaine le confirmera quelques jours plus tard lors d’une interview effectuée au sein même de l’hôtel des Diables. Plus que jamais, l’ambiance semble sereine et décontractée dans le groupe de Roberto Martinez. Les journalistes étrangers qui sont présents au quotidien à Dedovsk, petite ville de la banlieue moscovite où se trouve le centre d’entraînement des Belges, nous font remarquer la confiance qui émane de l’équipe. L’expérience de la génération dorée est palpable dans les discours de chacun.

Cette spirale positive se matérialisera par une grande prestation contre la Tunisie, dans le stade du Spartak Moscou, le 23 juin. Malgré un but encaissé sur phase arrêtée et un second en toute fin de partie, les hommes de Martinez s’offrent un récital et frappent un grand coup: 5-2. Eden Hazard en profite pour inscrire les deux premiers buts de sa carrière en Coupe du monde et Romelu Lukaku se hisse en tête du classement des buteurs avec un nouveau doublé. Personne, depuis Maradonna, n’avait réussi deux doublés en deux matches consécutifs de Coupe du monde.

Le lendemain, l’Angleterre étrille le Panama et qualifie les Diables pour les huitièmes de finale tout en leur chipant la première place du groupe… au nombre de cartes jaunes.

Chapitre 4 : l'heure des calculs

L’Angleterre voulait plus perdre que Januzaj

Pendant que les Diables tracent leur route dans un groupe il est vrai à leur portée, d’autres favoris de la compétition sont bien plus à la peine. L'Espagne et le Portugal doivent encore valider leur billet pour les huitièmes pendant que l'Argentine, le Brésil et l'Allemagne sont au bord de l'élimination. Durant les jours qui précèdent Belgique-Angleterre, le tableau de la phase à élimination directe se dessine dans le déséquilibre le plus total.

D’un côté, l'Uruguay, le Portugal, la France, l'Argentine, le Brésil et le Mexique. De l'autre, une Espagne loin d'être convaincante, la Russie, la Croatie, le Danemark, la Suède et la Suisse. L’élimination de l’Allemagne, la confirmation de la première place du Brésil et de la France ainsi que la seconde de l’Argentine dégagent complètement la moitié de tableau dans laquelle s’affronteront le deuxième du groupe G, celui des Diables, et le premier du groupe H en huitième de finale. Une route vers la finale plus facile donc, mais aussi plus confortable en termes de déplacements puisque trois des quatre derniers matches se disputeraient à Moscou.

La perspective d’une spéculation sans précédent en Coupe du monde fait couler beaucoup d’encre, mais les Diables et leur coach jurent qu’ils ne calculeront pas. Martinez ne cache pas que gagner n’est pas une priorité, et qu’il fera d’ailleurs tourner son effectif pour l’occasion, mais il ne se battra pas pour perdre et se méfie du retour de manivelle. "On veut gagner chaque match", assure-t-il, avant de sous-entendre qu'il y aura une énorme rotation pour ce match: "De Bruyne, Meunier et Vetonghen sont menacés par leur carte jaune et ne joueront pas. J'étais triste de ne pas pouvoir reprendre les 28 joueurs utilisés en qualification et les 23 qui sont ici sont tous capables d'apporter quelque chose. C'est important pour moi de donner des chances. Changer l'entièreté de l'équipe est une option."

Une histoire de karma et de respect du foot laisse donc à l’équipe B des Diables tout le loisir de s’amuser contre une Angleterre qui se montrera bien plus réticente - et limitée - au moment d’enclencher ses offensives. Le compromis à la belge pourrait être un bon vieux match nul, qui éviterait aux remplaçants habituels l’humiliation d’une défaite tout en permettant de garder cette deuxième place tant désirée. D’autant plus que Tielemans et Dendoncker soignaient l'avance (ou le retard, si on s'en tient au règlement et au classement du fair-play) des Diables en termes de cartes jaunes durant la première période. Des bristols qui ont d’ailleurs été fêtés par les supporters belges présents à Kaliningrad. Une première, sans doute.

Mais à la 51e minute de la rencontre, Adnan Januzaj décide de jouer son un contre un avec un Danny Rose particulièrement peu inspiré en ce 28 juin. On ne saura jamais si le joueur de Tottenham évoluait à 100% ou s’il avait sorti la calculatrice. Une chose est certaine, le Bruxellois a profité de sa marge de manœuvre pour réaliser un enchaînement parfait.

La Belgique a donc réussi, pour la deuxième fois en quatre ans, un neuf sur neuf en phase de groupe. Elle dispose de la meilleure attaque du tournoi et du plein de confiance nécessaire pour la suite de la compétition. Par contre, après avoir affronté le Japon, elle devra croiser le fer avec le Brésil et la France avant la finale.

Nous ne saurons jamais ce qu’il serait advenu du parcours belge dans l’autre moitié de tableau. Mais voir l’Angleterre disposer d’une Colombie bien plus faible qu’en 2014 et d’une Suède en bout de course avant de montrer toutes ses limites face à la Croatie laissera toujours une pointe de regrets. La remontada contre le Japon et l’exploit belge contre le Brésil ont offert des émotions pour dix ans aux supporters des Diables mais une finale de Coupe du monde aurait pu en offrir plus encore.

Et si cette finale s’était disputée contre un Brésil tombeur de l’Angleterre en quart et de la France en demi ? Avec des "si", ces Diables auraient mis plus facilement Paris en bouteille que sans Thomas Meunier… lequel aurait pu, lui aussi, calculer un peu plus tôt dans le tournoi. Pourquoi diable les joueurs menacés après leur avertissement contre le Panama (De Bruyne, Vertonghen et Meunier) n’ont-ils pas forcé une deuxième jaune contre la Tunisie ? Le score (4-1, puis 5-1 pendant une bonne partie de la deuxième mi-temps) et la perspective de laisser leur place contre l’Angleterre auraient dû les y encourager. Après coup, ce fut peut-être la seule erreur de Roberto Martinez dans ce tournoi...

Chapitre 5 : le miracle de Rostov

Une contre-attaque de légende

Pour la première fois du Mondial, Roberto Martinez peut aligner son équipe type. Celle qui a entamé le tournoi contre le Panama et la Tunisie à la différence près que Dedryck Boyata est remplacé par Vincent Kompany. Vince the Prince a reçu quelques minutes de temps de jeu contre l’Angleterre et est enfin prêt à disputer un match complet.

Face au Japon, tout le monde s’attend à une qualification sans trembler. Il faut dire que les Nippons ont bénéficié d’un fait de match très favorable contre la Colombie (réduite à dix et menée au score sur penalty après trois minutes) avant d’accepter une défaite 1-0 dans les dernières minutes face à la Pologne, en prenant le risque de se qualifier au nombre de… cartes jaunes ! Un pari gagnant qui leur offre un huitième de finale au cours duquel ils n’auront rien à perdre.

Cette absence de pression se ressent dans chacune de leurs offensives. Une erreur de Vertonghen et un temps de réaction trop long de toute la défense permettent respectivement à Haraguchi et Inui d’offrir deux buts d’avance au retour des vestiaires. L’ombre du pays de Galles et d’une élimination peu glorieuse déjà vécue à l’Euro se met immédiatement à planer. Thomas Meunier confiera même avoir envisagé de partir en vacances sans passer par la case Belgique, tant il se sentait honteux.

Mais un homme va en décider autrement. Señor Martinez, d’apparence, ne réagit pas. Mais alors qu’il a les bras croisés et observe son équipe prendre l’eau, il se mue discrètement en Mister Martinez. Il range ses principes espagnols au placard et ne fait plus confiance qu’à son instinct anglais. A la 65e minute de jeu, Fellaini et Chadli remplacent Carrasco et Mertens, trop peu à leur avantage.

240 secondes plus tard, le karma soigné contre l’Angleterre viendra aider les Diables quand un improbable coup de casque de Jan Vertonghen termine sa course au fond des filets de Kawashima. Neuf minutes après le double changement, c’est au tour de Fellaini de marquer de la tête, pour remettre les deux équipes à égalité. Ce sont seulement les troisième et quatrième tentatives de la tête pour les Diables dans ce Mondial, après le 2-0 de Lukaku contre le Panama et une occasion ratée par ce même Lukaku face au Japon, quelques instants plus tôt. La Belgique joue à l’anglaise depuis neuf minutes à peine et, déjà, elle a équilibré une situation très compromise.

Le Japon ne se démobilise pas et reste menaçant. De quoi prendre confiance. Un peu trop, sans doute. Sur un ultime corner avant la prolongation, les Nippons montent en nombre dans la surface belge. Courtois y cueille un ballon qu’il transmet directement à De Bruyne. Neuf secondes plus tard, Chadli offre la qualification aux siens après une course folle de 80 mètres et une feinte géniale de Lukaku.

Pendant plusieurs jours, les Diables citeront ce match comme une référence. "Nous avons montré que nous étions un vrai groupe avec un mental irréprochable. C’est la preuve de la maturité acquise lors des précédentes compétitions", expliquaient-ils en zone mixte après la rencontre. Hazard, lui, entrevoit déjà le choc face au Brésil : "Je ne sais plus où j’étais en 2002 quand ils nous ont éliminés. Sans doute devant la télévision familiale. Je me souviens surtout de la défaite et du sentiment d’injustice suite au but de Wilmots refusé. S’il est l’heure de prendre une revanche ? Bien sûr !"

Chapitre 6 : la mi-temps parfaite

Le match référence de la génération dorée

Contre le grand favori du tournoi, la Belgique doit également faire face au public le plus impressionnant du Mondial. Près de 20.000 maillots jaunes garnissent les tribunes de la Kazan Arena et l’hymne national, dont une partie est reprise a capella par les supporters, donne le ton d’un début de match à couper le souffle.

Il faut dire qu'en marge de la rencontre, les supporters de la Seleçao étaient plus confiants que jamais. Les Belges présents à Kazan s'en amuseront d'ailleurs, quelques heures plus tard: "Vous auriez dû voir leurs têtes en sortant du stade. Je n'avais jamais vu des supporters aussi arrogants avant un match, ils se voyaient gagner 3-0 sans souffrir."

En dix minutes, le Brésil étale toute sa classe et son expérience. Les assauts répétés sur le but de Thibaut Courtois font reculer les Diables, dont la mise en place tactique attire l’attention. Quand ils n’ont pas le ballon, Lukaku va se poster sur le flanc droit pour laisser à De Bruyne l’axe de l’attaque. Eden Hazard, lui, est prêt à amorcer les contre-attaques depuis le côté gauche. Seuls sept joueurs défendent vraiment. Parmi eux, Chadli et Fellaini, qui viennent de déloger Carrasco et Mertens du onze de base. "On a préparé cela pendant quinze minutes à peine, deux jours avant le match" confieront les joueurs à l’interview, après leur exploit.

L’orage ne passera vraiment qu’avec les premiers couteaux plantés dans le dos des Brésiliens par le big three des Diables. Lukaku met le feu sur chacune de ses prises de balle, De Bruyne trouve facilement Hazard pour lancer des slaloms géants vers le but d’Allison et, surtout, Fernandinho n’est pas à la hauteur dans une position clé.

La suspension de Casemiro s’avère être la meilleure nouvelle du tournoi pour Roberto Martinez, qui a mis en place un plan qui vise à faire mal au Brésil plutôt qu'à défendre. La déclaration de Vincent Kompany la veille du match prend tout son sens: "On va les regarder droit dans les yeux". Sur un corner légèrement dévié par le vice-capitaine des Diables, Fernandinho est surpris et trompe son propre gardien.

La Belgique mène 0-1 face à la plus grande nation de l’histoire du foot mais il est hors de question de basculer dans l’euphorie tant elle a souffert dans ce tout début de partie. Il faudra attendre un grand pont magistral d’Eden Hazard sur Fernandinho pour que le public auriverde baisse d’un ton, laissant les "Come On Belgium" retentir une première fois dans l’enceinte de Kazan.

Quelques instants plus tard, au terme d’un mouvement de classe mondiale de Romelu Lukaku, Kevin De Bruyne est servi à trente mètres du but adverse. Après s’être avancé jusqu’aux abords du rectangle, l’autre équipier en club de Fernandinho arme une frappe imparable. Le score est de 0-2 et la Belgique peut activer son plan B: défendre coûte que coûte cet avantage tout en laissant Eden multiplier les dribbles (10 sur 10 en la matière, un record en Coupe du Monde) en contre-attaque…

Le numéro 10 belge avouera après le match avoir été sceptique au sujet de la tactique: "J'ai pensé que défendre avec deux joueurs en moins (De Bruyne et lui, positionnés très haut en perte de balle, NdlR), ce serait compliqué. Mais après cinq minutes, j'avais compris..."

Les dernières minutes de ce quart de finale virent au récital pour Thibaut Courtois. Sa parade sur une frappe enroulée de Neymar à la 94e est aussi photogénique qu'efficace. Ses arrêts précédents face à Coutinho ou Douglas Costa étaient tout autant déterminants.

Malgré la réduction du score de Renato Augusto à la 76e, ce sont bien les Belges qui disputeront la demi-finale face à la France. Sans Thomas Meunier, qui s’est sacrifié en arrêtant fautivement un raid de Neymar: "Je n’avais pas le choix, je l’ai vu partir au but. Je savais que je serais suspendu pour la demi-finale en faisant ce geste mais je n’ai pas hésité" confiera-t-il en sortant des vestiaires.

Chapitre 7 : la France fait déjouer les Diables

Possession stérile et rêves envolés

Comme celle de Casemiro au tour précédent, il faudra attendre la fin du match pour connaître l’ampleur de la suspension de Thomas Meunier. Et le verdict n’est guère plus favorable aux Diables qu’aux Auriverdes. Nacer Chadli, pourtant très bon dans les matches précédents, s’offre quelques frayeurs défensives et, surtout, n’est pas capable d’adresser le moindre bon ballon alors qu’il est le joueur qui bénéficie du plus de libertés au moment de faire la dernière passe.

Mais le Liégeois n’est pas le seul à évoluer un ton en dessous. La titularisation surprise de Moussa Dembélé s’avère être un échec. D’un point de vue tactique, il aide les Diables à poser le pied sur le ballon et permet à un Fellaini plus offensif de faire reculer Pogba et Kanté pour laisser des espaces à Eden Hazard, qui fait le couloir gauche en possession de balle afin d’aller provoquer Pavard, l’élément défensif le plus fragile des Bleus. Mais la prestation du joueur de Tottenham est entachée de nombreux déchets qui cassent trop souvent le rythme que tentent d’imprimer les Belges.

Il aura fallu attendre la demi-heure pour que Deschamps se rassure : il venait de laisser passer l’orage belge. Ses hommes peuvent alors prendre les Diables à leur propre jeu en plantant des banderilles en contre-attaque.

Dans ce match qui avait le profil parfait pour se jouer aux tirs au but, un détail viendra faire toute la différence. Une toute petite faute de concentration face à un nouveau coup de pied arrêté dont Griezmann a le secret (il a également fait des merveilles dans ce domaine contre l’Uruguay et la Croatie). Le timing du centre et des courses de ses équipiers sont si bien calibrés que le rencard entre la balle et le front d’Umtiti est confirmé. Après avoir posé de nombreux lapins aux Diables sur les premiers centres du match, la balle vient se loger au fond des filets d’un Courtois qui n’a pu que tenir la chandelle, pas vraiment aidé par le manque de réaction d’Alderweireld, Fellaini, voire Witsel dans une zone qu’ils se partageaient.

La fin du match sera un récital français au niveau de la gestion de cet avantage. Les Belges ne seront plus dangereux, à l’exception d’une tête de Fellaini et les Bleus peuvent agacer un peu plus tout le plat pays en gagnant du temps à chaque occasion qui leur est offerte de casser le rythme de cette fin de partie.

A chaud, Thibaut Courtois ne cachera pas sa frustration: "La France a pratiqué de l’anti-football. Elle a défendu à onze dans ses 40 derniers mètres. Ses joueurs sont restés dans leur camp et ont joué le contre, en exploitant la vitesse de Griezmann et Mbappé. C’est leur droit. Ils savaient qu’on avait des difficultés contre les blocs bas. Ils ont bien fait ça et sont plus forts que le Panama ou la Grèce. C’est dommage pour le football que la Belgique n’ait pas gagné."

De son côté, Eden Hazard est plus concis. Plus efficace, aussi : "Je préfère perdre avec cette Belgique que gagner avec cette France." Quant à Kylian Mbappé, il a agacé les Diables dans une fin de partie où il a abusé des ruses pour faire tourner le chronomètre: "Si je les ai offensés, je m’en excuse. Mais moi, je suis en finale" jubilait-il en sortant des vestiaires.

La guéguerre se poursuivra jusqu’à la veille de cette finale. Griezmann rappelant à Thibaut Courtois qu’il n’est pas le mieux placé, en tant que joueur de Chelsea, pour donner des leçons sur la qualité de jeu. Celui qui deviendra le meilleur gardien du tournoi quelques heures plus tard aura la classe de reformuler ses propos et de s’excuser face aux médias français après la petite finale.

Chapitre 8 : du bronze pour la génération dorée

Les Diables finissent en beauté

Cette petite finale, tout un peuple voulait l’éviter. Pourtant, il est nécessaire de soigner la gueule de bois nationale au plus vite et d’aller cueillir la meilleure performance de l’histoire du foot belge. Les 24 heures de repos en moins pour l’Angleterre et le scénario de la demi-finale plus cruel, encore, avec les three Lions qu’avec les Diables, aideront la Belgique à monter sur le podium.

Mais c’est surtout la faiblesse de cette génération anglaise, encore très tendre, qui mettra la Belgique sur la voie d’un sixième succès en sept matches. Comment ne pas souligner le fait que pour atteindre cette quatrième place, les hommes de Southgate ont simplement gagné trois matches dans le temps réglementaire, face à la Tunisie, au Panama et à la Suède ? Entre l’équipe la mieux payée de la compétition, à l’image d’un Harry Kane qui s’offre le titre de meilleur buteur grâce à trois penalties et à un but involontaire du talon, et la plus spectaculaire, il n’est pas étonnant de voir cette dernière s’offrir les honneurs de la courte cérémonie qui suivra la rencontre.

"C’était notre travail de terminer par une victoire", relativisait Vincent Kompany en quittant le stade. Thomas Meunier, qui avait souligné avant le match l’importance de ne pas rentrer au pays pour "fêter deux défaites consécutives", a vu son rêve de bronze exaucé. Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il avait pris soin d’ouvrir le score dès la quatrième minute. Un record de rapidité pour la Belgique en Coupe du Monde.

Eden Hazard, lui, s’est chargé de tuer le suspense en fin de partie, inscrivant le seizième but d’un Mondial noir-jaune-rouge historique. Un but qui attribue définitivement à la Belgique le statut de meilleure attaque du tournoi. Et qui "rembourse" des milliers de télés, aussi. "Désolé pour Krefel, mais on s’était dit avec Dries qu’il fallait en mettre deux", expliquera le capitaine belge. Pour la première fois depuis 2012 et son départ de Lille vers Chelsea, le Brainois parle ouvertement de transfert : "Il est peut-être temps pour moi de voir autre chose. Vous connaissez ma préférence", annonce-t-il dans une référence à peine dissimulée au Real Madrid. Ce feuilleton-là se terminera toutefois moins bien que l'épopée russe puisque le Brainois devra attendre 2019 pour obtenir son bon de sortie.

En attendant, la Belgique a régalé la Russie. La standing ovation réservée aux Diables par les nombreux supporters locaux qui avaient pris place dans le stade du Zénit lors de cet ultime match ne ment pas. Et que dire de l’énorme fête populaire de ce dimanche 15 juillet, dans les rues de Bruxelles ? Roberto Martinez et ses hommes sont rentrés au pays avec une médaille de consolation autour du cou, mais ils sont incontestablement les champions du monde des émotions. Après tout, le foot est aussi là pour ça.