Les petites histoires du "deadline day"

La dernière journée du mercato, une journée où chaque minute compte

Les périodes de transfert font désormais partie intégrante du monde du football. Tous les six mois, en été et en hiver, de nombreux joueurs changent de clubs. Si le mercato d'été dure plus de deux mois et celui d'hiver un mois entier, nombreuses sont les transactions qui se concrétisent lors de l'ultime journée de la période des transferts. Les "deadline days" sont ainsi devenus deux moments incontournables de l'année pour tous les fans de football.

A la veille de ce 31 janvier, nous vous proposons de revivre les fins de mercato les plus inoubliables des dernières années, du côté d'Anderlecht, Charleroi, du Standard ou même des Diables rouges.

Les Mauves viennent de battre Benfica en barrages de la Ligue des Champions, avec à la baguette, un Aruna Dindane bouillant. (BELGA)

Les Mauves viennent de battre Benfica en barrages de la Ligue des Champions, avec à la baguette, un Aruna Dindane bouillant. (BELGA)

Aruna Dindane face au Cercle Bruges, en 2005.

Aruna Dindane face au Cercle Bruges, en 2005.

Aruna Dindane face au Cercle Bruges, en 2005.

Août 2004 : la Belgique s'apprête à perdre le meilleur joueur de son championnat

Aruna Dindane, Soulier d’Or de 2003 et Joueur Pro de 2004, est en route pour la Premier League. Du moins, c’est ce qu’il pense.

Pour tout comprendre, faisons un bond d’un an en arrière. Serge Trimpont, son agent, est contacté par des agents qui sont envoyés par Sir Alex Ferguson, l’entraîneur emblématique de Manchester United. Aruna a fait forte impression sur Ferguson et n’a plus qu’un an de contrat. Ferguson était le spécialiste des opportunités. Il voulait acheter Aruna pour des cacahuètes. "Vu ma bonne relation avec Anderlecht, j’ai informé Michel Verschueren de l’intérêt de Manchester", dit Trimpont. "Sa réaction : ‘Il ne peut pas partir ! Je vais en parler à Roger Vanden Stock. On va améliorer et prolonger son contrat'. J’ai expliqué à Aruna qu’il était encore un peu jeune et que ce serait mieux de rester encore un an. Le stylo en main pour signer son contrat, Aruna lève la tête et demande : ‘Président, j’ai encore une question. Si un grand club se manifeste, vous me laissez partir ?’ La réponse de Vanden Stock : ‘Tu as ma parole.’"

Dans la saison 2003-2004, Aruna casse à nouveau la baraque. Trimpont : "Au début du mercato d’été, je reçois une première offre de West Bromwich. Le président vient en jet privé à Bruxelles. Les négociations ont lieu au Sheraton avec Roger, Philippe Collin et Herman Van Holsbeeck, qui a succédé à Michel Verschueren. Collin dit : ‘On n’est pas d’accord de laisser partir Aruna.’ Je l’interromps et lui dis qu’on a un accord verbal de Roger. Quand je dis cela à Aruna, il commence à s’énerver."

Le 24 août, une semaine avant la fin du mercato, Anderlecht joue son match de l’année contre Benfica dans le dernier tour qualificatif pour la Ligue des Champions Le match aller s’était soldé par un 1-0 pour les Portugais. À la veille du match retour, un certain Frank Arnesen se déplace à Bruxelles. Arnesen était directeur technique de Tottenham. "Il m’a dit que Tottenham ferait une offre après le match", dit Trimpont. "J’ai motivé Aruna à tout donner, et il a explosé à lui seul Benfica : 3-0 dont deux buts d’Aruna. Quand j’ai dit à Herman que Tottenham allait acheter Aruna, il en a parlé à Roger, qui a refusé. Le joueur était furieux. Il a dit : ‘Je ne joue plus pour Anderlecht.’ Il a vidé son casier, a boycotté le match contre Gand et est parti en Côte d’Ivoire en équipe nationale."

Accompagné par Trimpont, Van Holsbeeck et Collin partent à Abidjan pour convaincre Aruna de changer d’avis. Finalement, il revient, mais il n’a jamais pardonné la direction, et on n’a plus revu le grand Aruna, qui partira à Lens la saison d’après.

31 janvier 2018 : Le deuxième retour de Carcela, un scénario hollywoodien

Les fins de mercato agitées, le Standard connaît. Durant l’été 2016, Farès Bahlouli (Monaco) et Orlando Sa (Maccabi Tel Aviv) avaient rejoint les Rouches sur le gong, le 31 août, alors qu’Ishak Belfoldil et William Soares s’étaient engagés librement avec le club liégeois le lendemain. Mais le deadline day le plus marquant des dernières saisons reste le (deuxième) retour de Mehdi Carcela en bord de Meuse, le 31 janvier 2018. L’officialisation de l’arrivée de l’international marocain s’était faite à…. minuit et trois minutes, le 1er février.

Si ce deal est resté dans les esprits, c’est parce qu’il se déroulait un soir de match (de Coupe) entre le Standard et le Club Bruges, remporté par les Rouches sur le score de 4-1, avec un triplé d’un Renaud Emond en pleine résurrection. Un match que les dirigeants rouches (Bruno Venanzi et Olivier Renard en premier), les supporters... et les journalistes ont passé sur leur téléphone portable.

Mais le côté mémorable de cette arrivée réside aussi et surtout dans le fait qu’il a donné lieu à de multiples rebondissements, dans un scénario presque digne d’Hollywood. Les négociations entre la direction liégeoise et Mehdi Carcela (en prêt à l’Olympiakos) avaient en effet débuté tôt dans le mois de décembre, mais les prétentions salariales de l’international marocain semblaient trop élevées que pour aboutir à une issue positive.

Lorsqu’il a été invité à donner le coup d’envoi de la rencontre entre le Standard et Saint-Trond, le 23 janvier, le joueur, acclamé par le public, ne pouvait cacher son plaisir d’être de retour à la maison. C’est sans doute cet amour du maillot qui a finalement permis aux deux parties de trouver un accord financier lors du dernier jour du mercato, alors qu’il était encore question d’une arrivée de Lior Refaelov (FC Bruges) en bord de Meuse le 30 janvier.

Le lendemain, les choses se sont accélérées en journée mais il restait à convaincre Grenade, le club propriétaire de Carcela d’accepter la proposition de prêt avec option. Une proposition qui a mis du temps à convaincre le club espagnol puisqu’au moment du coup de sifflet final de Standard-FC Bruges, la piste semblait en passe de s’éteindre, malgré la présence de l’international marocain à Sclessin. Le feu vert a finalement été donné par Grenade quelques minutes avant minuit et le transfert a pu être officialisé, pour le plus grand bonheur de Carcela et du Standard, qui a terminé la saison en remportant la Coupe de Belgique sous Ricardo Sa Pinto.

C'est sous la neige que Mehdi Carcela a été présenté, alors qu'il arrivait de Grèce.

C'est sous la neige que Mehdi Carcela a été présenté, alors qu'il arrivait de Grèce.

Le 6 février, Carcela est officiellement présenté à la presse belge.

Le 6 février, Carcela est officiellement présenté à la presse belge.

C'est lors d'un "deadline day" que David Henen a signé à Charleroi.

C'est lors d'un "deadline day" que David Henen a signé à Charleroi.

Massimo Bruno est revenu en Belgique en grande partie grâce à l'intervention de Mogi Bayat dans son dossier, à quelques heures de la fin du mercato d'été 2018.

Massimo Bruno est revenu en Belgique en grande partie grâce à l'intervention de Mogi Bayat dans son dossier, à quelques heures de la fin du mercato d'été 2018.

31 août 2018 : Quatre arrivées et deux départs, un vendredi pas comme les autres à Charleroi

Après trois années à suivre le Sporting Charleroi, on s’y était habitué: les fins de mercato sont souvent très calmes du côté du Mambourg. Il est même déjà arrivé aux Zèbres de disputer un match amical le 31 août, sous le soleil, comme ce fut le cas en 2016, à Mons (0-5). Avant même le début de cette rencontre, ce jour-là, tout le monde le savait : le mercato zébré était terminé. Le must pour un journaliste suiveur de club, qui, en sachant que la période des transferts (souvent intense) est derrière lui, peut (un peu) se relâcher.

Mais en 2018, ce fut tout l’inverse du scénario habituel. À cause d’un événement : le départ inattendu de Kaveh Rezaei au Club Bruges fin août. Alors que les Brugeois venaient de vendre Diaby au Sporting Portugal, ils ont fait une offre supérieure à cinq millions pour Rezaei. Une offre que les Zèbres ne pouvaient pas refuser, contraints de laisser partir son meilleur attaquant. Cinq millions, cela représentait, à l’époque, le transfert sortant le plus cher de l’histoire du club carolo.

Dans la foulée, les Zèbres s’activent et Victor Osimhen rejoint le Mambourg. Mais la fragilité physique présumée du Nigérian (qui deviendra le joueur que l’on sait) et la défaite 0-2 face à Courtrai, synonyme de quatrième défaite lors des cinq premiers matches de la saison pour les hommes de Felice Mazzù, font gronder le Mambourg. Et réagir Mehdi Bayat. Pour la première fois, l’administrateur-délégué du Sporting va se montrer dépensier. Et vivre un 31 août qu’il n’est pas prêt d’oublier, officialisant les arrivées de David Henen (libre), Gabriele Angela (prêté par Udinese) et Adama Niane (Troyes) ainsi que les départs d’Amara Baby (à l’Antwerp) et Mamadou Fall (en prêt à Eupen). Un sacré bouleversement dans l’effectif qui n’est toutefois pas le plus gros coup, ce jour-là.

Alors que son arrivée se murmure depuis quelques heures, il nous revient que Massimo Bruno, alors joueur de Leipzig, ne viendra pas à Charleroi, le club zébré ne parvenant pas à trouver un accord avec Leipzig. Mais c’était sans compter sur l’intervention d’un homme: Mogi Bayat. L’agent de Bruno et frère de Mehdi, qui veut vraiment relancer sa carrière en Belgique, parvient à mettre les deux clubs d’accord sur un transfert d’un montant de 800.000 euros, soit le plus gros de l’histoire du Sporting carolo. Sur le coup de 18h15 et alors que peu d’indices laissent penser à une issue favorable, le compte Twitter de Leipzig annonce la nouvelle: Massimo Bruno est transféré à Charleroi pour trois ans. Un scénario encore inimaginable quelques heures auparavant et qui ne cadrait pas du tout avec la politique de Charleroi ces dernières années. D’où le caractère exceptionnel de ce vendredi pas comme les autres.

2 septembre 2013, Martinez déjà maître du temps des Diables

Le mercato estival précédent la Coupe du Monde 2014 a vu les destins de Marouane Fellaini et Romelu Lukaku basculer au finish. Avec dans le rôle principal un certain Roberto Martinez…

Lundi 2 septembre 2013. Bruxelles. Les Diables débutent un rassemblement déterminant. Quatre jours plus tard, ils ressortiront vainqueur du déluge de Glasgow, revenant au pays avec en poche une option pour leur voyage au Brésil. Deux sagas servent de toile de fond à la préparation de ce match éliminatoire à la Coupe du Monde. La première concerne Vincent Kompany, déjà absent sur blessure. La seconde renvoie à l’incertitude qui plane sur l’avenir de plusieurs joueurs.

Toby Alderweireld a rejoint le groupe libéré d’un poids depuis sa signature à l’Atletico Madrid.

Marouane Fellaini s’impatiente quand Romelu Lukaku commence, lui, à se poser des questions. Aussi différents soient-ils dans leur genèse, ces deux transferts présentent un casting commun. Avec dans le rôle de l’acteur principal qui tire les ficelles un certain Roberto Martinez.

Se replonger dans cet été 2013 permet de revisionner les épisodes du feuilleton de la saga estival Fellaini qui débute dès la fin du printemps, le 9 mai précisément, quand David Moyes est intronisé successeur d’Alex Ferguson à Manchester United. Très vite, l’Écossais manifeste le désir d’emmener avec lui son protégé qui vient de boucler une saison à 14 buts. Sauf que Roberto Martinez, tout juste arrivé chez les Toffees, n’entend pas voir le Diable s’en aller. Le 9 juin, le Catalan se montre très clair : "Il n’y a pas de quoi discuter, son départ n’est pas à l’ordre du jour." Le joueur, lui, ne s’inquiète pas. Pas encore du moins. La clause libératoire dans son contrat de 27,5 millions d’euros court encore jusqu’au 31 juillet. Mais ManU ne la lève pas. Et Fellaini reprend la saison avec Everton. Le 20 août, la situation s’enlise. Fait très rare, Everton dégaine un communiqué pour évoquer les offres "dérisoires et insultantes" de Manchester United qui a proposé respectivement 14 et 18,75 millions pour Leighton Baines et Fellaini.

L’état-major mancunien abandonne finalement l’idée d’un package et formule une deuxième offre le 28 août à hauteur de 27,5 millions. Soit le montant de la clause libératoire. Mais Bill Kenwright, déjà réputé pour être particulièrement dur en négociations, en fait une affaire de principes. Fellaini, lui, fait le boulot, marque un but décisif face à Stevenage. Sans se douter qu’il s’agit du dernier pour Everton.

Lorsqu’il rallie Neerpede ce week-end là, une impasse se dessine. Mais en ce lundi 2 septembre, les choses finissent par bouger. Marc Wilmots autorise son joueur à retourner en Angleterre. Terré chez lui, Fellaini voit les heures défiler fébrilement. Quand survint la délivrance tard dans la soirée : le milieu voit son passage officialisé chez les Red Devils à 23h58. Le temps de passer quelques coups de fil dont l’un à son sélectionneur, qu’il faut satisfaire aux examens médicaux qui vont durer une bonne partie de la nuit. À 4 heures du matin, Fellaini retourne chez lui, le temps d’une douche, pour attraper le vol vers Bruxelles de 6 heures. Et effectuer son retour à l’hôtel des Diables à 10h. Exténué mais souriant, "je suis dans le plus grand club du monde maintenant", lâche-t-il loin de se douter qu’au même endroit, un autre transfert s’était bouclé à la surprise générale : celui de Romelu Lukaku.

L’attaquant avait rallié la Belgique en droite ligne de Prague. Après une nuit compliquée passée à ressasser ce tir au but raté en finale de la Supercoupe d’Europe contre le Bayern Munich. Un échec qui tombe mal au moment où Chelsea qui compte déjà dans ses rangs Fernando Torres et Demba Ba vient de finaliser l’arrivée de Samuel Eto’o, l’un des chouchous de José Mourinho. Les mots de Didier Drogba sur les réseaux sociaux, "seuls ceux qui ne frappent pas de penaltys n’en ratent jamais et tu as été assez fort pour le faire. Tu es Chelsea, tu es un Blue" résonnent d’une sonorité particulière. Et tout se joue l’espace d’une soirée. Celle du 2 septembre.

West Bromwich manifeste son intérêt pour un joueur qui a flambé chez les Baggies. Malaga aussi. Mais Chelsea privilégie la Premier League pour le développement de son attaquant. Everton saute sur l’occasion. Et Roberto Martinez appelle longuement le Diable pour lui présenter son projet. Un coup de fil de José Mourinho scelle la décision de Lukaku : "Ensemble, on s’est dit qu’un prêt était la meilleure solution", expliquera celui qui est à l’époque à la lutte avec Christian Benteke pour une place de titulaire en équipe nationale et qui doit aussi composer avec l’émergence de Pelé Mboyo ou Jelle Vossen. Ce qui six ans et demi après apparaît difficile à croire…

Dans sa chambre d’hôtel, Lukaku s’interroge. Il n’est pas seul. Kevin Mirallas, qui partage le même agent que lui, effectue un travail de pressing payant. "Je l’ai séquestré", nous avouera plus tard le Liégeois. Et son prêt est finalement officialisé au finish. Pour le plus grand bonheur d’un certain Roberto Martinez…

Marouane Fellaini avec David Moyes, le jour de l'officialisation de son passage à ManU.

Marouane Fellaini avec David Moyes, le jour de l'officialisation de son passage à ManU.

Romelu Lukaku a franchi un cap à Everton, sous Martinez. Et s'il avait pris la meilleure décision de sa vie, ce 2 septembre 2013 ?

Romelu Lukaku a franchi un cap à Everton, sous Martinez. Et s'il avait pris la meilleure décision de sa vie, ce 2 septembre 2013 ?