Michael Schumacher,
l’ironie du destin

Cinq ans depuis sa chute à ski

Michael Schumacher, l'ironie du destin

Voici cinq ans, la vie du septuple champion du monde de Formule 1 basculait. Sérieusement touché au crâne lors d’une chute à ski en vacances à Méribel (Savoie) le 29 décembre 2013, l’Allemand n’est plus apparu en public depuis lors, sa famille restreignant au possible les détails quant à son état de santé.

Diverses spéculations au sujet du pilote le plus titré de F1 ont par conséquent inondé les médias, certains internautes l’annonçant même décédé. A presque 50 ans, cap qu’il passera le 3 janvier prochain, Schumi est pourtant toujours bien vivant, mais dépend de soins onéreux et d’une équipe de médecins constamment à son chevet, et ce dans le plus grand secret.

Après avoir vécu à 300 km/h pendant dix-neuf ans, sillonnant les circuits du monde entier et multipliant par ailleurs les sports à risque, c’est ironiquement un accident de ski à faible allure qui l’a mis au tapis. Sans pour autant l’envoyer six pieds sous terre car “c’est un battant et il n’abandonnera pas”, rappelait encore son épouse Corinna le mois dernier.

Depuis leur union en 1995 elle a mis ses intérêts de côté au profit de son mari, le suivant autour du monde, mais elle ne pensait pas devoir prolonger ce rôle. Aujourd'hui, la championne d’équitation épaule, soutient et assiste le Kaiser dans la bataille la plus compliquée qu’il ait eu à livrer.

Un accident banal
aux lourdes conséquences

29 décembre 2013, voilà plus d’un an que Michael Schumacher profite de sa deuxième retraite après avoir disputé son 307e et dernier Grand Prix, au Brésil fin 2012. Pour les fêtes de fin d’année, le couple passe quelques jours dans la station de Méribel en Savoie avec ses deux enfants, Gina Maria et Mick, ainsi que des amis. Grand amateur, et spécialiste, de ski, le Baron rouge réalise une sortie avec ses proches. En fin de matinée, l’Allemand skie “délibérément” en hors-piste, à une “allure tout à fait normale pour ce type de terrain” comme le révéleront les gendarmes, et heurte un rocher masqué par la neige. En retombant, sa tête percute une autre pierre située une dizaine de mètres plus loin, selon les résultats de l’enquête publiée en février 2014.

Encore conscient au moment de l’intervention des secours, le pilote allemand est rapidement placé sous sédatifs, l’incohérence de ses propos et son attitude alertant les secouristes. Le jour-même de l’accident, l’hôpital confirme ces impressions, évoquant “des lésions crâniennes diffuses et graves” en précisant que Schumacher “souffrait d'un traumatisme crânien grave avec coma à son arrivée, qui a nécessité immédiatement une intervention neurochirurgicale”. Dès cet instant, le pronostic vital du champion est engagé, tandis que proches, pilotes, fans et médias affluent à Grenoble, tout comme le Professeur Gérard Saillant, par ailleurs ami du patient depuis son intervention consécutive à un crash du pilote à Silverstone en 1999. Une deuxième opération aura en outre rapidement lieu pour ponctionner le sang et diminuer la pression intracrânienne.

Un mois après son admission, les médecins décident d’entamer une phase de réveil le 30 janvier 2014, diminuant progressivement les sédatifs administrés qui le maintenaient jusque-là dans un coma artificiel. La procédure prend plus de quatre mois avant que Sabine Kehm, la manager de Schumacher durant sa carrière et nommée ensuite porte-parole de la famille, n’annonce le 16 juin que MSC est sorti du coma, “montrant des moments de conscience et d’éveil”. Cette évolution permet son transfert du CHU de Grenoble au CHUV de Lausanne.

Il ne reste que trois mois dans cet hôpital de renommée internationale puisqu’au début de l’automne 2014, soit moins d’un an après son accident, il est de retour dans sa maison de Gland, comme le souhaitait son épouse. Une propriété de luxe que Corinna a au préalable décidé d’aménager avec du matériel médical dernier cri pour soutenir son mari dans sa lutte, dont coût estimé : une dizaine de millions d’euros. Richissime à centaines de millions par alliance, la championne équestre entreprend toutefois des ventes pour pallier le coût des soins administrés à son mari, désormais dans un état végétatif. Partent notamment pour 25 et quelque 2 millions de livres le jet privé du pilote et leur maison de vacances en Norvège.

“Nous demandons que la vie privée de la famille de Michael continue d’être respectée, et de limiter les spéculations concernant son état de santé”, rappelait Sabine Kehm en marge de ce transfert sur les bords du lac Léman. Des rumeurs pourtant, il y en aura, beaucoup. Entre sa prétendue aptitude à remarcher en décembre 2015 et l’achat d’une propriété à Majorque cet été, en passant par le coût des soins médicaux (comprenant les docteurs, les infirmiers, le traitement et le matériel), le clan Schumacher fait régulièrement face à énormément de désinformation, montant de rares fois au créneau pour dégonfler les rumeurs touchant directement à la condition de l’ancien champion.

“S’il vous plaît, aidez-nous dans notre combat, Michael et moi. Je vous en supplie, quittez l’hôpital et laissez-nous en paix.” Ces mots sont ceux de Corinna. Ce qui était apparu comme un appel à l’aide quelques jours après l’accident de Schumi est ensuite devenu un credo pour ses proches, qui se murent dans le silence depuis le retour en Suisse du pilote. Pour se faire une, vague, idée de son état de santé, il convient de s’en tenir aux déclarations de quelques proches, choisis à la carte par la famille, autorisés à côtoyer sporadiquement Schumacher.

Parmi eux, Jean Todt, l’ancien mentor du pilote chez Ferrari et actuel président de la FIA, avait affirmé avoir “regardé le dernier Grand Prix du Brésil” en compagnie de son ami. Toujours sous le feu des projecteurs pendant près de vingt ans, Schumi vit donc aujourd’hui reclus, bénéficiant du soutien indéfectible de ses proches alors que ses sponsors, glanés au fil d’une carrière faste, ont peu à peu rompu leurs contrats. Ne subsiste que la Deutsche Vermögensberatung. La société de conseil a toutefois décidé de tourner ses prestations vers le rejeton Mick, sur lequel de nombreux fans projettent leur affection pour Michael.

Michael Schumacher, l'ironie du destin

Cinq ans depuis son accident à ski


Du talent et des controverses : retour sur une carrière record






Une ascension fulgurante

Né dans un milieu ouvrier le 3 janvier 1969, rien ne prédestine Michael Schumacher à une carrière dans le sport automobile. Très vite pourtant, il prend goût à tout ce qui possède quatre roues et un volant et surtout à ce qui va vite. Pour le combler, son père Rolf ajoute un moteur de mobylette sur un kart à pédales que le jeune garçon emboutira dans un lampadaire. Il lime ensuite le bitume de la piste de Kerpen, non loin du domicile familial. De petits sponsors locaux financent les premiers tours de roues de Michael qui passera son enfance sur le circuit avec son frère cadet Ralf. Dès sa licence de karting en poche à 14 ans, la trajectoire se veut linéaire.

En karting, il empoche directement quatre titres de champion d’Allemagne, les deux premiers en junior, et un titre européen avant de filer en monoplace en 1988. Menant plusieurs programmes parallèles, il remporte notamment la Formule König, avec neuf victoires en dix courses, convaincant du même coup Willi Weber, qui le managera durant toute sa carrière, de l’engager dans sa structure en Formule 3. Il remporte le championnat d’Allemagne de la catégorie en 1990, année durant laquelle il s’impose aussi au célèbre Grand Prix de Macao. A la lutte avec Mika Häkkinen, il l'emporte après un accrochage controversé avec le Finlandais, ce dernier abandonnant et laissant filer l’Allemand vers la victoire. La réputation est établie, l’entrée dans la cour des grands peut se faire.

Alors qu’il court pour Mercedes en championnat du monde des voitures de sport, sa carrière va connaître un tournant décisif avec l’incarcération de Bertrand Gachot à Londres. Le jeune pilote de 22 ans est appelé par Jordan pour prendre la place du Belgo-Français au Grand Prix de Belgique 1991. “C’est une possibilité de voir quel est son potentiel pour le futur”, appuie à l’époque Eddie Jordan, patron de l'écurie éponyme. Il ne faudra pas longtemps avant que le remplaçant ne démontre pourquoi il a été sélectionné. Septième à l'issue des qualifications, devant son équipier Andrea de Cesaris, le débutant impressionne mais doit abandonner dès le premier tour en raison d’un problème d’embrayage. Qu’importe, sa prestation lui assure un baquet jusqu’en fin de saison sous les couleurs de Benetton. Dès sa deuxième course, il empoche les deux points de la cinquième place et prend des unités à chaque course qu’il termine.

1992 est synonyme de premier succès pour ce jeune loup aux dents longues. A Spa dans des conditions climatiques changeantes, il délivre une leçon, notamment stratégique, en terminant plus d’une demi-minute devant le futur champion du monde Nigel Mansell.

Pour sa première saison complète en F1, il termine troisième du championnat et confirme en 1993 avec une autre victoire au Portugal et une quatrième place finale. Puis vient l’année 1994, celle d'un accident qui le bouleverse. A Imola, il est aux premières loges quand la Williams d'Ayrton Senna s'encastre dans le mur à Tamburello. Des années après, il fondra en larmes en égalant le nombre de poles du Brésilien disparu.

1994 est aussi la saison de la consécration. Non sans une polémique, il devance sur le fil Damon Hill au terme d'un championnat que l’Allemand et l’Anglais ont dominé de la tête et des épaules (14 victoires sur 16 à eux deux). A Adélaïde, Schumacher arrive avec un point d’avance sur son rival. Ne se lâchant pas d’une semelle, les deux hommes s'accrochent dans une manœuvre plus que discutable du futur champion. Parti à la faute, Schumacher se rabat sur la Williams de Hill qui tente de le doubler au virage suivant. Si l’Allemand termine sa course dans le mur, son geste brise la suspension de l’Anglais qui ne peut rejoindre l’arrivée, sacrant Schumacher.

Il rempile la saison suivante, face au même rival mais dans une lutte bien moins serrée, avant de s’engager avec la Scuderia Ferrari pour un pari audacieux.

Le dresseur du cheval cabré

Quand le double champion du monde en titre débarque à Maranello, la Rossa n’a plus remporté le moindre titre depuis son succès au championnat des constructeurs en 1983. Sous l’égide de Jean Todt, ancien directeur d’équipe à succès avec Peugeot en rallye, la prestigieuse écurie italienne va mettre du temps à retrouver ses lettres de noblesse. Toutefois, tel l'amateur de rodéo qu'il deviendra, Michael Schumacher parviendra à dresser le cheval cabré et son pari se révélera payant au bout de sa cinquième saison en rouge.

Le succès aurait cependant pu arriver plus tôt pour le duo Schumacher-Ferrari. En 1997, une nouvelle manœuvre antisportive, face à Jacques Villeneuve cette fois, le prive du titre car son geste se retourne contre lui. Surpris par un dépassement du Canadien dans la dernière course à Jerez, il plonge sur la Williams dont il heurte le ponton. Le choc envoie la Ferrari se planter dans le bac à graviers tandis que la monoplace, intacte, de Villeneuve poursuit sa route et file vers le titre. Schumacher sera disqualifié du classement du championnat du monde.

En 1999 ensuite, une fracture à la jambe droite le prive de six courses dans sa lutte pour la couronne avec Mika Häkkinen, qui avait déjà devancé Schumacher l’année précédente. Au premier tour du Grand Prix de Grande-Bretagne, un problème de freins au bout de Hangar Straight à 305 km/h le propulse frontalement dans le mur de pneus. Certes ralentie par les graviers, la Ferrari heurte les protections à très vive allure. "On n'oublie jamais un tel accident", confiera-t-il dix ans plus tard à la ZDF. "J'ai senti mon cœur ralentir, puis s'arrêter complètement et me suis dit : 'Voilà ce que l'on ressent lorsqu'on s'en va définitivement'."

Définitive, son absence ne l'est pas. Il revient pour les deux dernières courses de la saison, signant deux deuxièmes places pour rappeler à tous ses détracteurs qu’il faut toujours compter avec lui. En 2000, il inverse la tendance face à son rival Häkkinen en coiffant sa première couronne en rouge, et ce n’est pas un dépassement de légende du Finlandais à Spa qui l’en privera. Schumacher devient du même coup le premier pilote Ferrari à ceindre les lauriers depuis Jody Scheckter en 1979.

Suivront quatre autres titres avec la Ferrari pour le désormais dénommé Kaiser ou Baron rouge au cours d’un règne sans partage, qui le voit signer 46 % des poles, remporter 57 % des courses et monter sur 79 % des podiums. L’ascension de Fernando Alonso avec Renault, qui aura le don de mettre fin à cette domination germano-italienne, poussera Schumi à la retraite.

La passion plus forte que la retraite

Il ne faudra pas longtemps avant que la feu sacré ne le rattrape. Quand Felipe Massa se blesse gravement en Hongrie en 2009, le nom de l’Allemand est sur toutes les lèvres pour remplacer le Brésilien. Il doit finalement renoncer, la mort dans l’âme, en raison de douleurs à la nuque consécutives à une chute en moto. Ce n’est pourtant que partie remise.

Son entraînement express pour remplacer le vice-champion 2008 et des roulages au volant d’une GP2 et de la Ferrari F2007 ont ravivé la flamme. Fin 2009, l’annonce tombe. Le septuple champion du monde va boucler la boucle avec Mercedes. La marque de ses débuts réalise un énorme coup commercial pour son retour en tant qu’équipe à part entière. “Je suis super enthousiaste à l'idée de revenir dans un cockpit de F1", explique-t-il à l’époque. "Ces trois années d'absence m'ont redonné toute l'énergie nécessaire. Je me sens prêt à reprendre les choses sérieuses.”

Le mariage avec les Flèches d’Argent ne s’avère en fin de compte que purement passionnel. En trois saisons, l’Allemand ne signe qu'une pole, à Monaco en 2012 mais une pénalité le rétrograde sur la grille, et ne remonte qu’une fois sur le podium, à Valence en 2012 derrière ses successeurs chez Ferrari Kimi Räikkönen et le vainqueur Fernando Alonso.

Multipliant davantage les erreurs et les approximations que les coups d’éclat, Schumacher se montre plus humain et plus modeste, moins arrogant aussi. Il tire définitivement sa révérence fin 2012 pour laisser place à Lewis Hamilton, le premier pilote à se rapprocher, et battre, les nombreux records de Schumi.

Au Hall of Fame, non sans polémiques

Michael Schumacher, ce sont des statistiques affolantes, que beaucoup pensaient inatteignables jusqu’à l'avènement du binôme Hamilton-Mercedes.

A commencer par ses sept titres de champion du monde, mais aussi ses 91 victoires, 77 meilleurs tours en course, 22 hat tricks (combiner pole position, victoire et meilleur tour en course le même week-end), 155 podiums, les tours en tête, les séries de victoires consécutives ou de podiums d'affilée. Michael Schumacher, ce sont plus de records que les doigts des deux mains.

S’il a forgé sa légende par son talent inné, son pilotage, l’art de se retrouver au bon endroit au bon moment et sa science de la course, jouant parfois avec le règlement comme lorsqu’il remporte le Grand Prix de Grande-Bretagne 1998 en purgeant une pénalité dans l'allée des stands, beaucoup retiennent aussi les nombreuses polémiques qui ont émaillé sa carrière.

Outre les coups de roues volontaires envers ses rivaux pour le titre, Schumacher pouvait aussi se montrer roublard. A Monaco en 2006, il signe la pole position provisoire et feint une erreur à la Rascasse, où il arrête sa Ferrari pour empêcher son rival Fernando Alonso de le battre. Il sera déclassé de la séance qualificative.

Hargneux sur la piste, l’Allemand pouvait également l’être en dehors de la voiture, comme lors de son altercation avec David Coulthard à Spa en 1998.

Il se retrouve aussi au centre d’une controverse relative aux consignes de son équipe en Autriche en 2002, qui le favorisent au détriment de son coéquipier Rubens Barrichello, qu’il tassera en outre assez rudement contre le mur en Hongrie en 2010 lors de sa deuxième carrière.

Malgré toutes ces polémiques, le monde de la Formule 1, et au-delà, s’est mobilisé pour le champion allemand dès l’annonce de son accident à Méribel. Des allusions au pilote le plus titré sont encore légion dans les paddocks. “Il est toujours le plus grand de tous les temps”, rappelait il y a peu Lewis Hamilton.