Olivier, Marie-Astrid et Benoît sont médecins. Simon et Eric sont infirmiers. Paul-Henri est militaire. Marie et Cindy sont infirmières au bloc opératoire.
Le 22 mars, ils étaient à Zaventem, à Maelbeek, à l'Hôpital Militaire ou au CHU Saint-Pierre. Ils étaient en première ligne pour soigner les victimes des attentats de Bruxelles.
Leurs histoires sont toutes différentes, mais elles ont un point commun. Une phrase les lie, répétée en choeur: "Nous ne sommes pas des héros, nous avons seulement fait notre boulot." Avec détermination et sang froid, malgré des émotions fortes qu'ils ont, par la force des choses, dû intérioriser.
Voici le récit d'une journée qu'ils n'oublieront jamais:
Une patrouille matinale de routine, comme tant d'autres.
Le premier sergent Paul-Henri fait sa ronde dans l'aéroport de Zaventem accompagné d'un collègue. La raison de leur présence? Aider la police pour renforcer la sécurité des lieux. Sur le coup de 7h58, les deux militaires entendent une première déflagration.
"On a cru qu'une grue était tombée dans un chantier voisin", raconte Paul-Henri. "Puis la deuxième bombe a explosé au-dessus de notre tête. Là, on a compris. Ce qu'on espérait ne jamais vivre, ça venait d'arriver."
Sans savoir si les terroristes sont encore présents, ils se précipitent, arme à la main, vers le hall des départs. Arrivés en haut de l'escalator, ils peinent à croire à ce qu'ils voient. Ils seront les premiers à porter secours aux victimes.
Le plan catastrophe Zaventem, une première depuis 42 ans
Olivier est médecin anesthétiste à l'Hôpital Militaire Reine Astrid à Neder-over-Hembeek. Il se souvient presque de chaque moment, de chaque émotion éprouvée ce jour-là.
- "J'avais repris le téléphone de garde vers 7h30. J'ai reçu un coup de fil disant qu'il y avait eu des attentats à Bruxelles et qu'un grand nombre de victimes se dirigeait vers nous. Ca a vite été le branle-bas de combat."
- "J'ai senti la pression car il y avait beaucoup de choses à organiser. On savait que ça serait difficile. Finalement, on a réussi à gérer, tâche après tâche..."
La première mission, capitale, est de préparer le tri des patients. En cas de catastrophe à Zaventem, il est prévu d'envoyer les victimes à l'Hôpital Militaire. Depuis l'ouverture de l'établissement, en 1974, ce plan n'a jamais été exécuté, si ce n'est sous la forme d'exercices. Il prévoit que le vaste hall du rez-de-chaussée soit utilisé comme salle de tri. En une demi-heure, l'espace vide et spartiate se mue en gigantesque PMA (poste médical avancé), pourvu de 45 lits. Ils sont tous munis d'arrivées d'oxygène et de matériel d'aspiration, grâce à des tuyaux sortis du plafond.
Les première victimes arrivent, via des ambulances ou des hélicoptères militaires. Elles sont triées en trois catégories. Les T1, dans un état critique. Les T2, dans un état grave mais dont le pronostic vital n'est pas directement engagé. Et les T3, les blessés moins graves.
L'hôpital est une véritable fourmilière. "C'est mon milieu de travail de tous les jours mais l'environnement avait déjà changé", raconte Simon, infirmier aux soins intensifs, rappelé en cours de matinée. "Le chemin habituel pour aller au vestiaire était barricadé. J'ai dû montrer ma carte d'identité militaire."
"On a un petit temps de sidération durant lequel on est moins efficace", explique Simon "On se sent aussi un peu plus irascible parce qu'on sait que pour les patients, le temps est compté. Ensuite, avec l'aide des collègues, la routine reprend le dessus. Les patients ont perdu beaucoup de notions: de temps, d'eux-mêmes. Ils ne savent ni où ils sont, ni ce qu'il font là. On leur répète qu'ils sont en sécurité à l'Hôpital Militaire. La plupart sont arrivés triés mais avec peu d'analgésie. Un des premiers gestes à poser est de les soulager. Psychologiquement mais aussi physiquement."
Les patients les plus critiques sont envoyés au centre des grands brûlés, au cinquième étage.
"Je mentirais si je disais qu'on ne ressent rien à ce moment-là", confie Olivier, chargé de préparer le sas des admissions où seront pris en charge les T1. "Mais on n'a pas le choix. On est sous le coup de l'adrénaline. Tout ce qui compte, c'est de faire tourner la boutique pour donner le plus de chances possibles aux patients."
Malgré les nombreuses lésions internes, les chirurgiens sont parvenus à sauver cette patiente.
"Je suis content d'avoir pu aider une jeune fille très mal en point. Même si c'était stressant au départ. Ca l'est toujours face à quelqu'un de si jeune qui ne va pas bien du tout... Elle a perdu ses deux jambes en-dessous du genou mais elle a survécu. C'est ce qui compte."
Le personnel de l'HM soigne, informe, rassure les patients. Il est forcé de prendre sur lui, vu le caractère exceptionnellement pénible de la situation. Certains patients ont perdu des proches, sans même encore le savoir.
La vingtaine de blessés graves admis le 22 mars à l'Hôpital Militaire ont finalement survécu. De quoi réconforter un peu les médecins et infirmiers, qui rentrent petit à petit chez eux, certains après 36 heures de garde. Arrivés à la maison, ils ont tous le même réflexe: appeler leurs proches. Afin de les rassurer.
Une rame de métro vient d'exploser à Maelbeek.
Une équipe du SMUR - service mobile d'urgence et de réanimation - du CHU Saint-Pierre est en route. Le Docteur Marie-Astrid de Villenfagne est à bord.
L'équipe arrive en-dessous du pont de Maelbeek vers 9h20. Se pose alors une question capitale: où installer le PMA?
"En plein milieu de Bruxelles, il faut pouvoir trouver un local assez grand. Nous repérons un bar irlandais qui semble parfait vu de l'extérieur. Mais à l'intérieur, il y a des chicanes et des escaliers: impossible d'y transporter des patients couchés... Nous nous tournons alors vers les bâtiments de la Commission européenne, dans les bureaux du service de sécurité. Nous poussons les ordinateurs et les tables pour faire de la place. On perd la notion du temps et on essaie d'être le plus efficace possible."
Le PMA installé, les pompiers commencent à y emmener les victimes. L'équipe médicale est en nombre limité: il y a un médecin, un infirmier et deux ambulanciers. Par miracle, un deuxième infirmier de Saint-Pierre, en civil, arrive en renfort après avoir reconnu l'ambulance.
Un autre poste médical avancé est installé dans le lobby de l'hôtel Thon, rue la Loi, en haut de la station de métro. Mais dans un premier temps, il n'y a pas de communication entre les deux postes médicaux. Les blessés légers sont évacués en haut, rue de la Loi, ou s'y rendent d'eux-mêmes. Les victimes inconscientes sont déplacées vers le PMA du bas, plus facile d'accès pour les pompiers.
Le Dr de Villenfagne et son équipe doivent y gérer une dizaine de patients critiques en même temps.
"On ne réfléchit pas. On a tous ces blessés devant nous et il faut qu'on aille au plus urgent: arrêter les hémorragies, leur permettre de respirer,... De toute manière, on n'a que nos mains et on n'était pas nombreux. Dans ce contexte d'urgence, si un patient parle, c'est qu'il va bien. On se concentre sur les cas les plus graves. Il y a tellement de choses à faire... Pendant les quatres heures que durent le travail,on n'a pas le temps de ressentir la moindre émotion."
Une fois les derniers patients transférés vers les hôpitaux, l'équipe du SMUR retourne à Saint-Pierre. C'est le moment de réaliser ce qui vient d'arriver. "C'est là qu'on arrête d'être des robots. Je me suis un peu écroulée..."
"On savait qu'on allait recevoir de nombreuses victimes de Maelbeek. Mais on ne savait pas combien."
Eric Schweitzer est infirmier au CHU Saint-Pierre. Il doit dispatcher le personnel des urgences. 17 équipes de trois personnes sont prêtes à prendre en charge les 17 patients les plus atteints.
"Sur le moment même, on a toujours la crainte d'être débordé", relate Eric. "Puis les victimes sont arrivées, avec de lourdes pathologies. Je n'en a jamais vues autant en même temps. Heureusement, nous étions nombreux et nous avons eu le temps de traiter correctement tous les patients. On a reçu tout le bloc de victimes en une heure, une heure et demi. J'ai eu l'impression que ça n'avait duré qu'une minute."
Il n'y aura pas d'autre attentat. Pendant que les patients sont pris en charge aux soins intensifs ou dans les blocs opératoires, les urgences de Saint-Pierre retrouvent un calme assez déconcertant.
"L'image qui me reste, c'est le très long débriefing de 14h", explique Eric Schweitzer. "On s'est retrouvé à 60 ou 70 dans une salle. Les visages étaients marqués. On avait donné tout ce qu'on pouvait. La pression retombée, on a fait le bilan. C'était une superbe collaboration. Tout le monde a été très pro. Les médecins, les infirmiers, les techniciens de surface, les cuisiniers... J'étais assez impressionné de la manière dont ça a roulé ici. Je m'attendais à plus de cacophonie. En fait, c'était une machine bien huilée."
"On a éprouvé un sentiment très fort de fraternité", observe le Dr Claessens. "On a oublié toutes les discordes pour travailler ensemble. Mais on ressent aussi d'autres choses. Comme de l'épuisement et une profonde tristesse. On a vu des gens dans des états... Ils étaient encore vivants, mais déchiquetés. On pense à ce que doit éprouver la famille. On y réfléchit et on se dit: et si c'était mon gosse? Et si c'était ma mère, mon père? Ces moments-là sont très forts. Trop forts. On ne peut pas les ramener à la maison. On ne veut pas en parler à sa femme ou à ses amis."
Pour aider le personnel à surmonter ces épreuves, l'hôpital met en place, dès le jour même, des moments de diffusing. En petits groupes, les intervenants racontent, avec leurs mots à eux, comment ils ont vécu les choses.
Le Dr Claessens est lui-même passé par là en 2014, après l'attentat du musée juif qui avait fait quatre victimes. "J'ai souffert d'un syndrôme post-traumatique. Je l'ai soigné avec trois jours d'hypnose. Mais on ne peut jamais prévoir comment on réagira à la prochaine catastrophe... Des gens sont capables de gérer cela sans problème et d'autres dérapent tout à fait."
Ce jour-là, Benoît a tenu bon. Comme tous ses collègues. "A Saint-Pierre comme dans tous les hôpitaux, tous les moyens ont été mis en oeuvre pour sauver des gens. C'est une capacité humaine étonnante et extraordinaire. Plutôt que de mauvaises images, voilà ce que je garderai comme souvenir du 22 mars."
Nous tenons à remercier tous les témoins cités dans ce récit, ainsi que toutes les personnes qui ont aidé à soigner les victimes des attentats de Bruxelles.