VDB

Frank Vandenbrouck
(06/11/1974 - 12/10/2009)

L'enfant terrible du cyclisme belge

À 34 ans à peine, Frank Vandenbroucke est retrouvé mort le lundi 12 octobre 2009 dans une chambre d’un hôtel de Saly, au Sénégal, où l’enfant terrible du cyclisme belge et mondial passait quelques jours de vacances. La triste et incroyable nouvelle avait bouleversé, au-delà même du milieu cycliste. Elle avait, aussi, tout à la fois surpris et confirmé ce que beaucoup craignaient depuis une dizaine d’années au moins. Frank Vandenbroucke ne fut pas un homme ni un champion comme les autres.
Sa mort, prolongement d’une vie d’exception, au sens premier du terme, l'a plongé dans la légende, comme son ami Marco Pantani avant lui.

Ce décès suscita toutes les interrogations, les suspicions et les rumeurs, alimentant un peu plus encore l’image trouble et mystérieuse que véhiculait celui qui aurait dû être le successeur d’Eddy Merckx dans la longue galerie des champions belges.
VDB, c’était avant tout un talent athlétique exceptionnel, l’un des plus forts de sa génération. À l’âge où il aurait dû prendre une retraite dorée, avec un palmarès hors du commun, ponctué, qui sait, d’un ou plusieurs succès au Tour de France, Frank cherchait encore à se relancer une énième fois après avoir tellement gâché toutes ces ultimes chances qui s’étaient offertes à lui, resombrant régulièrement dans ses démons et travers au moment même où on le pensait sorti du trou où sa vie le plongeait lentement mais sûrement.
Sa mort ne laissa que des regrets, et l’idée d’un terrible gâchis. À un physique à très peu pareil, VDB a malheureusement été confronté et il a dû composer avec un mental friable et fragile.

Lors des dix dernières années de sa vie, l’enfant terrible du cyclisme belge et mondial avait plongé inexorablement dans la dépression, usant de drogue et d’alcool qui furent la cause de la plupart de ses ennuis personnels, de ses problèmes judiciaires ou conjugaux qu’il connut à répétition .

VDB était un être fragile, émouvant, qu’on ne pouvait qu’aimer et apprécier. Sa mort laissa, à nous comme à tous, un sentiment d’une infinie tristesse...

1974 > 18 avril 1999

L'enfant du paradis

Au moment de présenter son auto-biographie, parue en 2008, Frank Vandenbroucke avait déclaré: “J’aurais dû être un Dieu”.
De fait, dès avant même qu’il ne prenne une première licence de coureur aspirant à la RLVB, le Hennuyer ne tarda pas à faire l’étalage de ses incomparables qualités physiques. Ne fut-il pas, avant de monter sur un vélo en compétition, champion de Belgique d’athlétisme (cross-country) chez les pupilles? L’ironie du sort veut que sa fille aînée, Cameron, a enlevé, elle aussi, ce titre… avant de tenter une carrière… cycliste.
Pourtant, tout aurait déjà pu tourner au drame avant même de commencer. En 1978, alors qu’il n’avait pas 4 ans, Frank fut renversé par un pilote de rallye qui effectuait la reconnaissance d’une spéciale d’une épreuve future, alors que, bambin, il tournait inlassablement sur un petit vélo autour de la Place de Ploegsteert, devant le café-restaurant tenus par ses parents, Chantal Vanruymbeke et Jean-Jacques Vandenbroucke. Le petit VDB resta plus de trois mois alité et dans le plâtre, contraint à plusieurs opérations et une longue rééducation. Des années durant, son genou gauche allait lui causer des problèmes récurents.

Sportif accompli, touche à tout, VDB, qui brillait dans tous les sports auxquels il s’essaya, ne pouvait pourtant résister à l’appel du cyclisme, son sport de toujours. Il faut dire qu’il avait été bercé tout petit dans le milieu, avec, déjà, une grand-mère championne, un père, ex-coureur pro (Jean-Jacques dut arrêter sa carrière à la suite du décès de ses parents pour s’occuper de ses deux jeunes frères) et longtemps mécanicien dans diverses équipes, et son oncle, Jean-Luc, l’ancien champion des années septante et quatre-vingt, puis directeur sportif de l’équipe Lotto après sa retraite.
En 1989, VDB Jr prit donc une licence d’aspirant et enlèva son premier succès à Brakel. Deux ans plus tard, il n’avait pas encore seize ans quand il confirma tout le bien que l’on pensait de lui en triomphant dans le championnat de Belgique des débutants. Vingt-sept ans plus tôt, à Libramont, un certain Eddy Merckx avait connu le même destin et déjà l’on prédisait à VDB une carrière digne de celle du plus grand champion de tous les temps.
La saison suivante, le coureur de Ploegsteert enlèva le championnat de Belgique des juniors, sur le difficile circuit d’Halanzy. Il disputa à Athènes le Championnat du Monde sur route, se montrant le plus fort de la course, mais échoua de peu à la troisième place pour avoir tardé à réagir à une attaque précoce qui permit aux Italiens Palumbo et Santoro d’occuper les deux premières places du podium.
En 1993, VDB continua à gravir les échelons et brûler les étapes. Avec Hendrik Van Dijk, son aîné de deux ans, il domina la catégorie des espoirs où il ne restera qu’un an. Les duels des deux hommes firent le bonheur des chroniqueurs.
C’est donc à dix-neuf ans seulement que le jeune homme devint professionnel dans l’équipe Lotto dirigée par son oncle Jean-Luc, malgré les approches de plusieurs autres équipes. Ses débuts furent tonitruants avant d’être contrariés par son genou.

Dès le Tour méditerranéen, en février, le Wallon s’imposa à la manière d’un futur grand en enlevant la dernière étape au sommet de Notre Dame de la Garde qui domine Marseille et le Vieux Port. Personne ne doutait alors de l’avenir doré qui l’attendait. Sa relation avec Jean-Luc fut houleuse et dès la fin de la saison, le neveu manifestait le désir de quitter l’équipe Lotto pour s’en aller chez Mapei ou Patrick Lefevere voulait l’accueillir. Sous contrat avec la formation commanditée par la Loterie nationale, VDB obtint pourtant de quitter avant terme sa première équipe sous le maillot de laquelle il disputa le début de saison. A la veille de son transfert anticipé, Frank Vandenbroucke eut la grandeur de remporter le GP de Cholet-Pays de Loire et d’offrir ainsi un cadeau d’adieu à ses désormais anciens employeurs.

Du 1er avril 1995, où il devint l’équipier de champions comme Museeuw, Olano, Rominger, Ballerini, Tafi, Peeters ou Bomans (Bugno, Bortolami, Nardello, Tonkov et Steels, entre autres, allaient suivre), à la fin 1998, le coureur connut donc ses plus belles années sous la férule de Patrick Lefevere. Trop précocement peut-être, son palmarès allait s’enrichir à un rythme régulier que seules ses blessures ralentirent.
Dès le printemps 1995, VDB ajouta encore six succès à celui conquis à Chôlet, dont le principal, Paris-Bruxelles, lui permit de triompher pour la première fois dans une classique à seulement vingt ans, en coiffant face au Stade Constant Vanden Stock, à Anderlecht, Franck Corvers, lequel était encore son équipier six mois plus tôt.

14 Septembre 1995 : Paris-Bruxelles

"J'ai eu de très grandes sensations dimanche à Fourmies, le malheur a simplement voulu que mes deux adversaires soient équipiers. Mais cela ne sera pas toujours comme cela et je ne raterai pas l'occasion, si elle se présente, de témoigner encore de ma condition sur les routes de Paris-Bruxelles" En cette saison 1995, Frank Vandenbrouck démontre déjà ses talents de prémonition : au lendemain du Grand Prix de Fourmies, le coureur de Mapei GB, qui avait terminé à 17 secondes de Maximilian Sciandri, l’un de ses compagnons d’échappée qui avait profité de son entente avec Rolf Sørensen, lui aussi membre de l’équipe MG Boys Maglificio-Technogym, celui qui était alors un grand espoir du cyclisme belge (et pas encore l'enfant terrible du cyclisme belge) savait qu’il avait des Fourmies dans les jambes pour enfin accrocher un beau succès à un palmarès naissant. Et il le démontra en remportant ce Paris-Bruxelles.


Doué et précoce

Alors que nous attendions le résultat d’une négociation interminable, en pleine nuit, entre les avocats des équipes Lotto et Mapei, durant l’hiver 95, un proche de VDB nous raconta l’anecdote suivante.

“J’avais 20 ans et j’étais amateur première catégorie, en France, à l’époque. Un jour où je m’entraînais, près de Ploegsteert, avec un pote de la même catégorie que la mienne, on a repéré un petit gars, qui ne devait pas avoir plus de 14 ans, qui s’était mis à nous suivre. On avait pourtant une bonne cadence, mais il semblait nous filer le train sans peine. Un peu vexés, mon ami et moi, on s’est mis à accélérer progressivement, mais le gosse se trouvait toujours dans notre sillage. On a forcé le rythme, encore et encore, mais le petit suivait toujours et nous narguait même en affichant un sourire. Au bout d’une heure d’un entraînement qui nous avait fait mal (à nous, semble-t-il, surtout !), on a bouclé la boucle en revenant près de Ploegsteert. Le p’tit gars nous alors dépassé et, avant de nous laisser, il s’est retourné pour nous lancer : Allez, à une prochaine fois, peut-être ! Mon nom, c’est Frank Vandenbroucke!”
Doué et précoce, Frank l’était certainement. Un peu trop doué, un peu trop précoce, disaient certains. Un peu à sa manière, il nous a aussi quittés trop tôt…


La saison suivante lui permit d’ajouter quinze victoires à son tableau de chasse et de se hisser, déjà, à la vingtième place du classement mondial. S’il gagna le Tour méditerranéen et le Tour d’Autriche, ainsi que quelques étapes au passage, VDB triompha aussi dans plusieurs semi-classiques comme le Trophée Laigueglia, le GP de Plouay, Binche-Tournai-Binche et, surtout, le Grand Prix de l’Escaut.

Ce mercredi d’avril 1996, le jeune coureur de Mapei délivra ce qui restera pour toujours comme l’un de ses plus grands exploits athlétiques. A l’attaque dans le dernier tour du circuit local, tracé autour de Schoten, dans la banlieue anversoise, Vandenbroucke résista durant un quart d’heure au retour d’un peloton lancé pourtant à sa poursuite et qui ne parvint jamais à la rendre à la raison.
“Pendant de nombreuses minutes, mon cardio-fréquencemètre a indiqué plus de 210 pulsations”, rigolait VDB après son incroyable succès en bordure de l’Escaut que tous les observateurs et acteurs présents ce jour-là ont encore en mémoire. “Je sentais le peloton revenir presque dans ma roue, j’entendais mes adversaires, je sentais quasi leur souffle, le bruit de la poursuite, des vélos, mais à chaque fois, j’accélérais et je reprenais quelques mètres d’avantage...”
La saison suivante allait être moins prolifique pour celui que la presse italienne avait surnommé le Bimbo de oro en raison de son talent précoce. VDB ne débuta qu’en avril, ratant au passage toute la campagne des classiques, en raison de ses problèmes de genou qui s’étaient à nouveau manifestés.
Cette année-là, le Wallon découvrit enfin le Tour de France où il rêvait de s’aligner depuis longtemps et pour lequel Patrick Lefevere et l’entourage de la formation Mapei auraient aimé le voir différer un peu encore ses premiers pas. Il n’avait pas encore vingt-trois ans et ses débuts faillirent être sensationnels. Dès la troisième étape en ligne, seul Erik Zabel parvint à le devancer dans un ultime rush au sommet de la côte de Plumelec où était tracée l’arrivée.

L’Allemand venait de priver le jeune Wallon d’un succès qui fera toujours défaut à son palmarès puisque, deux semaines plus tard, en Suisse cette fois, c’est le Français Christophe Mengin qui barra la route de la victoire à VDB, à Fribourg, au terme d’un sprint d’un groupe d’échappés d’une douzaine d’hommes. Personne n’imaginait alors que Frank Vandenbroucke, qui se classa finalement cinquantième aux Champs Elysées, n’allait plus disputer qu’une seule fois le Tour de France (abandon en 2000 durant la 8e étape).
Après ce Tour, même la fin de la saison n’allait pas permettre au coureur de la Mapei, contraint à de nombreux abandons lors des dernières épreuves de l’année, de prendre sa revanche. VDB passa cependant un bon hiver et, au contraire de la précédente, il entama sur les chapeaux de roues la saison 1998, sa dernière sous le maillot de la Mapei, mais pas sous la houlette de Patrick Lefevere qu’il retrouverait, tout comme Johan Museeuw ou Wilfried Peeters, plus tard chez Domo-Farm Frites puis Quick Step-Davitamon.
Deuxième à Kuurne-Bruxelles-Kuurne, Frank Vandenbroucke remporta en boulet de canon le prologue de Paris-Nice, sur la très chique avenue Foch, à Neuilly, aux portes de Paris. Malgré les nombreuses attaques de ses adversaires, notamment le redoutable tandem de la ONCE, constitué de Laurent Jalabert et Alex Zuelle, le Wallon allait conserver durant huit jours le maillot blanc de leader qu’il se permit même de consolider lors de l’étape de Saint-Etienne.

Ce jour-là, sous la neige, VDB écrasa ses adversaires sur les pentes glissantes du col de la République.
“J’ai monté les derniers kilomètres sur le grand plateau”, s’extasiait-il peu après son arrivée, tandis que ses concurrents en finissaient un par un, frigorifiés par des conditions dantesques. “Jamais encore, je n’avais éprouvé pareille sensation, vraiment, je ne sentais pas les pédales.”

S’il rata ensuite Milan-Sanremo (136e) puis abandonna le Tour des Flandres, Vandenbroucke allait réussir la suite de sa première véritable campagne des classiques printanières.
D’abord en remportant face au Danois Lars Michaelsen Gand-Wevelgem, grâce à l’aide active de son ami de toujours et équipier Nico Mattan dans un final à trois plein de suspense.
Ensuite en terminant deuxième la Flèche wallonne au sommet du Mur de Huy où VDB était venu mourir sur les talons de Bo Hamburger pour avoir trop tergiversé à s’extraire du groupe des favoris dont il était ce jour-là le plus costaud, une fois encore.
Enfin, en se classant 6e de Liège-Bastogne-Liège où il avait buté sur un super-Bartoli, auteur du doublé à Ans. Le Wallon échoua encore quatre mois plus tard à l’arrivée du championnat de Zurich, sur la piste du vélodrome d’Oerlikon, face à ce même Michele Bartoli qui le devança de justesse, au terme d’un sprint ultra-serré pour trois ou quatre centimètres à peine.
Ce n’était toutefois que partie remise puisque, douze mois plus tard, passé sous le maillot de Cofidis, Frank Vandenbroucke remportait en surclassement la Doyenne et prenait sa revanche sur l’Italien. Son spectaculaire duel avec Bartoli, qu’il surclassa, sur les pentes de la côte de la Redoute restera à jamais un des grands moments de sa carrière, tout comme son démarrage dans la côte de Saint-Nicolas où, comme il l’avait annoncé dès l’avant-veille de la classique ardennaise, VDB avait irrésistiblement lâché au plus fort de la pente tous ses adversaires, Boogerd le dernier.
Frank avait donc quitté Patrick Lefevere et la Mapei après quatre saisons. Sous son nouveau maillot de la Cofidis, où il avait obtenu le statut tant espéré de leader unique, VDB frappa très fort, dès l’entame de la campagne. Après avoir gagné le Grand Prix d’Ouverture-La Marseillaise, il récidiva au Het Volk, où, sous la pluie, il se joua de son ancien partenaire Wilfried Peeters.

Le ton était donné, même si à Paris-Nice, le coureur de Plogesteert se fit piéger par les Rabobank et Michael Boogerd.
Un mois plus tard, après avoir manqué de peu le succès dans le Tour des Flandres où Van Petegem l’avait devancé dans un sprint royal à trois, avec Museeuw, puis s’être illustré dans Paris-Roubaix (6e), il triomphait donc dans Liège-Bastogne-Liège. On le pensait parti pour les plus hauts sommets, Frank Vandenbroucke était en fait au faîte de sa carrière, laquelle allait le mener ensuite d’échecs en déboires, en même temps que sa vie basculait.

18 avril 1999

Frank Vandenbroucke gagne son paradis

Le 18 avril 1999, le Ploegsteertois survolait la Doyenne, et remportait la plus belle de ses victoires, sur les routes de Liège-Bastogne-Liège. Un succès avec panache: Vdb attaqua exactement à l’endroit où il l’avait promis... la veille. Et Boogerd, le seul qui parvint à suivre son train d’enfer, dut le laisser filer, dans la mythique côte de Saint-Nicolas.
La veille, lors de la reconnaissance du samedi, le Hennuyer était redescendu à hauteur de Francis Van Londersele, qui suivait ses coureurs dans la voiture Cofidis, et il lui avait lancé : "Regarde, c'est là que je vais attaquer dimanche, et nulle par ailleurs !" Alors, quand Vdb déposa le lendemain Boogerd, le dernier de ses rivaux, à l'endroit précis de sa confidence de la veille, le directeur sportif adjoint de l'équipe française, qui regardait la course à la télé dans un camping-car non loin de la ligne d'arrivée, doit se pincer pour y croire. "Un coureur qui annonce de cette façon la couleur franchement, c'est la seule fois de ma carrière que je l'ai entendu." D'autant que ses adversaires étaient prévenus : en conférence de presse, toujours la veille, à la question d'un journaliste qui lui demandait si c'était vrai qu'il avait reconnu trois fois le parcours et qu'il pensait attaquer dans la côte de Saint-Nicolas, Frank avait sourit. "Que voulez-vous que je réponde à cette question, à part que c'était vrai..." se souvint le Hennuyer, de retour sur la côte de son exploit, à l'invitation de L'Équipe en 2009, pour l'anniversaire des 10 ans de son succès sur La Doyenne.
"J'étais à 100 % de ma condition, et j'avais le top du matériel", confia Vandenbroucke, qui avait notamment investi lui-même, notamment dans une roue-libre en titane, du matériel non-fourni par les partenaires de Cofidis, afin que son vélo soit le plus léger possible. "Je voulais ce LBL. Je voulais un victoire magistrale", confia encore Vdb. "Je savais que j'étais le plus fort physiquement, je l'avais prouvé sur les courses qui avaient précédé Liège. Notamment au Tour des Flandres : j'avais terminé 2e (NdlR : derrière Peter Van Petegem) en tombant deux fois, mais j'étais le plus costaud (NdlR : il avait gagné le Circuit Het Volk, et terminé 7e de Paris-Roubaix). Et puis, c'était la guerre avec les Mapei, que j'avais quitté pour Cofidis. Notamment avec Michele Bartoli : dès que je bougeais une oreille, il roulait sur moi. C'était normal. Et cette année-là, l'Italien avait souvent été plus fort que moi. Mais pas à Liège. Il avait attaqué le premier, dans la Redoute, mais je suis revenu sur lui. Dans ma tête, je savais que je devais attendre Saint-Nicolas pour faire la différence. Il y a eu ce mano a mano, avant que Michele plie. Psychologiquement, j'ai gagné mon duel avec lui à ce moment-là. Mais je me suis alors retrouvé seul devant, trop tôt. Comme je voulais que tout se passe comme je l'avais décidé, j'ai attendu le groupe des favoris dans lequel se trouvait mon équipier Farazijn à qui j'ai demandé de rouler jusqu'au pied de Saint-Nicolas. C'est là que Bogeerd a attaqué, à 6 km de l'arrivée. J'ai l'ai laissé prendre 10 à 15m, exprès, et je suis revenu seul pour l'attaquer là où je l'avais dit, à 5,3km de l'arrivée. Rien ne pouvait plus m'arrêter..."
Simple, non ? Tellement évident en tout cas pour Frank, qui atteignait son paradis, les bras levés vers le ciel, au sommet de la côte d'Ans. Sans savoir que l'enfer l'attendait, et qu'il allait en prendre pour dix ans…
Cette saison-là, Vdb joua encore les "monsieur-soleil" en annonçant ses succès : deux fois sur la Vuelta, en septembre, avec deux victoires d'étape à la clé ; et lors des Championnats du monde à Vérone. Mais en Italie, il chuta en début de course, et se cassa le poignet : il termina néanmoins 7e , au courage, malgré une double fracture des scaphoïdes (petits os de la main) !

"Depuis, je ne me suis plus jamais fait de promesse. Ni à moi, ni à personne. Jamais !" lança le Hennuyer en 2009, en pensant en avoir fini avec l’enfer qui attendait le neveu de Jean-Luc Vandenbroucke dans la décennie qui suivit son sacre liégeois.

Top 10 LBL 1999

  • 1. Frank Vandenbroucke (BEL) Cofidis 6h25'36"
  • 2. Michael Boogerd (P-B) Rabobank à 30"
  • 3. Maarten Den Bakker (P-B) Rabobank 41"
  • 4. Michele Bartoli (ITA) Mapei - Quick Step 44"
  • 5. Paolo Bettini (ITA) Mapei - Quick Step 54"
  • 6. Niki Aebersold (SUI) Rabobank 55"
  • 7. Markus Zberg (SUI) Rabobank mt
  • 8. Oscar Camenzind (SUI) Lampre - Daikin 56"
  • 9. Udo Bölts (All) Deutsche Telekom mt
  • 10. Laurent Roux (FRA) Casino mt

18 avril 1999 > 2010

La descente en enfer

1999 est l’année de la totale consécration pour Vdb. Malheureusement aussi celle de la déchéance.
Celle où il commence par gagner le Circuit Het Volk, termine ensuite deuxième du Tour des Flandres (qu’il aurait pu gagner sans une chute malencontreuse), septième de Paris-Roubaix avant de remporter, le 18 avril, son plus grand succès à Liège-Bastogne-Liège. La façon, il vous l’explique par ailleurs, est conquérante : superbe mano a mano, d’abord, avec Michele Bartoli dans la Redoute puis ce fameux démarrage annoncé dans la côte de Saint-Nicolas et la victoire finale en haut de la côte d’Ans.
Le reste sera malheureusement plus sombre. Frank ne le sait pas encore, mais cette date du 18 avril marque aussi le début d’un long calvaire. Cela commence par son arrestation très théâtrale, dans le cadre d’une affaire de dopage suite à ses liens avec le fameux Dr Mabuse, une affaire pour laquelle il sera ensuite – mais bien plus tard – entièrement acquitté par la Justice française. Entre-temps, le mal avait été fait, il avait été suspendu par son équipe Cofidis, le moral était déjà durement touché. Pourtant, il revient en force en fin de saison et gagne 2 étapes de la Vuelta. Plus tard, au Mondial de Vérone (qu’il termine 7e), on lui décèle (après une chute idiote provoquée, en début de course, par un drapeau,) une double fracture des scaphoïdes (petits os de la main). Le grand favori de l’épreuve est donc battu, sur blessure, par un petit jeune au nom qu’on ne connaît pas bien encore : un certain Oscar Freire...

Heureux en amour, malheureux en course

2000 commence mal pour Frank Vandenbroucke, qui rate le départ de Paris-Nice, officiellement, à cause d’une chute chez lui, dans l’escalier... Il terminera deuxième du championnat de Belgique de Rochefort après avoir chassé longtemps derrière le vainqueur, Axel Merckx. Vdb abandonne ensuite dans la première étape de montagne du Tour de France, après une nuit en boîte agitée, et en bonne compagnie, selon certains officiels d’ASO. De son côté, il invoque une pseudo-déchirure au niveau du genou pour justifier son abandon. Néanmoins, cette année-là, une heureuse nouvelle vient quand même éclairer son horizon : il se marie avec Sarah, le 22 octobre entouré de ses proches et de ses supporters.

En 2001, on s’attend à un nouveau départ pour le champion ploegsteertois, qui signe un contrat d’un an chez Lampre. Le début de la saison est malgré tout difficile à cause notamment de différentes maladies… Frank n’avance pas; nous étions dans son sillage lors d’une reprise de compétition totalement inadaptée au Tour du Pays Basque, il abandonnera sans gloire, incapable de suivre le rythme du peloton. L’année se passe et Vdb se tracasse...
En 2002, le neveu de Jean-Luc Vandenbroucke reçoit une nouvelle chance de Patrick Lefevere pour se remettre sur la voie de ses succès passés. Il signe un contrat avec Domo-Farm Frites. Frank est en forme dès le début de la saison. Mais le coup de massue tombe très vite, avant même l’ouverture de saison en Belgique. Le bien connu dans le milieu cycliste Dr Sainz est arrêté lors d’un contrôle routier et s’ensuit une perquisition chez Vdb, une nouvelle affaire commence.
Vandenbroucke est licencié par son employeur. Les échantillons de sang et d’urine qui ont été analysés apparaissent toutefois négatifs ! Pourtant, Vdb est frappé d’une suspension internationale de six donnera raison et il sera finalement et uniquement suspendu en Flandres. Histoire belge par excellence ! Domo-Farm Frites reprend Frank à son service après quelques mois très durs à vivre pour le coureur. Vdb a bien laissé voir qu’il n’a pas perdu grand-chose de ses qualités de coureur, mais tout est à nouveau remis en question à la suite d’une chute regrettable à Paris-Tours.
On arrive en 2003, Patrick Lefevere conserve sa confiance en Vdb et le prend avec lui dans sa nouvelle équipe Quick Step-Davitamon. C’était le temps où les deux grands patrons, Coucke et Lefevere, s’entendaient bien (cela changera vite!). Frank aligne, au printemps, des résultats prometteurs: 4e au Volk, 9e à À travers les Flandres, 11e à Liège-Bastogne-Liège, mais surtout une superbe 2e place au Tour des Flandres, où il est le seul à pouvoir suivre le futur vainqueur, Peter Van Petegem. Patrick Lefevere lui en voudra pourtant d’avoir trop collaboré avec Van Pet alors qu’il n’avait aucune chance
au sprint. Vdb remporte le critérium de Courtrai en août. Entre-temps, Lefevere commence à fortement critiquer son manque d’entrain et d’efforts à l’entraînement; il émet l’idée de lui adjoindre une personne chargée de surveiller ses entraînements. Vdb ne supporte pas d’être ainsi chaperonné et décide alors de rompre avec l’équipe. Aposteriori, c’est là une très mauvaise décision.
2004. Vandenbroucke a retrouvé un nouvel employeur, et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit de Giancarlo Ferreti, le patron de la Fassa Bortolo, un vieux de la vieille à qui, normalement, on ne la fait pas ! Le début de saison est encourageant pour Vdb : deux 7es places au final du Tour du Qatar et de Paris-Nice, 8e de la Semaine Catalane, 7e à la Flèche Wallonne et 16e à Liège-Bastogne-Liège. Après, les choses se gâtent à nouveau et Vdb ne peut prendre le départ du Giro à cause, dit-il, d’une fièvre et d’une bronchite.
Le 24 juillet 2004, coups de feu dans la nuit, la police est en intervention chez Frank, qui aurait vu des agresseurs dans sa
propriété. Certains parlent d’une dispute conjugale, d’autres, même, d’une tentative de suicide. Sarah retourne chez ses parents en Italie avec sa fille. Selon le Parquet, aucun crime n’a été commis...
Vandenbroucke entre en conflit ouvert avec Giancarlo Ferretti après sa décision de ne pas participer au Tour du Portugal; il invoque une tendinite au genou droit, mais Ferretti ne le croit pas. À partir de ce moment, Vandenbroucke ne sera plus aligné en course.
“Il peut faire les kermesses,” dit Ferreti… “et se chercher une nouvelle équipe.”
Vdb remporte Zwevegem le 13 septembre, c’est son dernier jour sous les couleurs bleu et blanc de Fassa Bortolo.
Mr Bookmaker et Hilaire Van der Schuren offrent une nouvelle chance à Frank de se remettre en selle sans aucune pression.
En décembre, le tribunal pénal condamne Vdb à 200 heures de travaux d’intérêt généraldansle cadredel’affairede2002. Le coureur ira en appel de cette décision.
L’année 2005 est marquée d’emblée par de gros problèmes conjugaux entre Frank et Sarah, on parle même de divorce et toute l’attention du coureur (?) est dévolue à sauver son couple. En manque d’entraînement, il est instamment prié de rejoindre son équipe, Mr Bookmaker, en stage à Calpe. Mais Vdb se dit à nouveau blessé, souffrant d’un problème au tendon d’Achille, il parle aussi d’une intoxication alimentaire...
En avril, l’équipe le somme de reprendre la compétition dans les quatre semaines. À la surprise générale, Frank s’aligne finalement au Henninger-Turm. Toutefois, au Tour de Picardie, la guigne refait surface : Vdb se fait renverser par la voiture de son directeur sportif. Résultat : 4 nouvelles semaines d’arrêt.
Le 23 juin, la Cour d’appel de Gand condamne Frank Vandenbroucke à 250.000€.. une amende énorme alors que Frank n’a plus beaucoup d’argent. Consolation pour lui, Sarah revient et le soutient, comme la plupart de ses fidèles supporters d’ailleurs.
Vdb se pourvoit en cassation. Le couple se reforme et le coureur réalise une honnête fin de saison au vu des circonstances : une médaille de bronze au championnat belge de contre-la-montre et une nouvelle victoire à Zwevegem qui devient sa kermesse fétiche.
En 2006, Vandenbroucke, qui s’est installé à Casina San Giuseppe, un petit village près de Milan (pour ne pas être trop loin de son épouse et de sa fille), resigne chez Mr Bookmaker devenu entre-temps Unibet.com. Il se montre à son avantage en ce début de saison, décroche presque une victoire à la Ruta del Sol, repris seulement à 300mde la ligne après une longue échappée. Lemême jour, la cour de cassation annule le verdict de la cour d’appel de Gand. Vdb signe une encourageante 9e place dans le contre-la-montre des 3 Jours de la Panne. C’est plutôt bien car Frank Vandenbroucke avait déjà déclaré forfait (pour cause de maladie) aux courses d’ouverture de la saison belge. Il abandonnera néanmoins au Tour des Flandres, victime de la salmonelle, selon les résultats de différentes analyses qu’il a fait pratiquer. Vdb ne reprendra qu’à Ruddervoorde, après 2 mois d’absence, et dans une condition plus qu’approximative. Frank supporte mal une pression qui se révèle trop forte à assumer... Le 25 juin, Vandenbroucke est hospitalisé pour cause de stress. Unibet et Vdb décident alors de se séparer de commun accord.

Et Frank Vdb devint Francesco Del Ponte

Le 24 août, un journaliste de la Gazetta dello Sport retrouve Vdb, alias Francesco Del Ponte, sur une course juniors en Italie, qu’il court sous une fausse licence... avec la photo de Tom Boonen, une bêtise qui va pourtant toucher au coeur Palmiro Masciarelli, patron de l’équipe Acqua&Sapone, avec laquelle Frank signe un contrat jusque fin 2007. Vdb fait sa rentrée le 16 septembre au GP Città di Misano - Adriatico, il termine honnête 19e à 15 secondes du vainqueur. Il est content de se sentir à nouveau coureur et semble conscient que cette chance est probablement la dernière.
L’année 2007 ne débute pas sous les meilleurs auspices pour Vdb, qui doit non seulement se faire opérer de son genou récalcitrant mais aussi répondre à une nouvelle affaire devant la Justice de Dinant. Vandenbroucke, qui habite chez son patron en Italie, sera opéré avec succès en février mais devra bien entendu laisser tomber les classiques printanières. L’histoire se répète.
En mars, la cour d’appel de Bruxelles acquitte le coureur “de possession de produits dopants”, mais le parquet va en appel.

Tentative de suicide

Vdb fait sa rentrée au Tour des Abruzzes, fin avril mais son genou le tracasse toujours. Il abandonne au Tour des Asturies,
malade, et son équipene l’aligne pas au Giro. À partir de là, tout s’enchaîne à nouveau car des problèmes de couple surviennent : Sarah veut divorcer. Vdb, seul à Milan, plongé dans le désespoir et dans les problèmes dont il n’arrive pas à se dépêtrer, tente de commettre l’irréparable. Le 6 juin, il s’est en effet tailladé les veines. C’est à l’un des fils Masciarrelli qu’il devra la vie : il l’a découvert dans une mare de sang et a prévenu les secours.
Juste à temps ! Hospitalisé dans un état grave, il sortira pourtant assez vite des soins intensifs. La famille Masciarelliprend immédiatement soin de lui. C’est Palmiro, le patron, qui ramènera personnellement Vandebroucke en Belgique, où il sera accueilli à bras ouverts par ses parents, ses amis et aussi ses supporters.
Toutefois, Frank ne va pas bien, il accepte difficilement l’idée du divorce que lui impose sa femme, il est anxieux, dépressif, se dispute avec ses parents qui sont, en quelque sorte, contraints de le faire interner dans un institut psychiatrique.
Sur décision d’un juge, après une se-maine, Vandenbroucke reprendra le cours de sa vie en main. Il trouve refuge en France, chez son ami Bernard Sainz, avec qui il arrive à nouerunvrai dialogue. Peu à peu, il refait surface.
Et Vdb se remet en selle, courtunelongue série de critériums d’après Tour, il se montre, il en veut et sera même récompensé d’un Prix de combativité. Mais le plus impressionnant, le plus touchant, est sans doute l’accueil que lui réservent lessupporters sur chaque course où il se présente, une véritable ferveur populaire, qui met aussi du baume au coeur à cet homme blessé qu’il est toujours.
À Paris-Bruxelles, enfin une course digne de ce nom, Vdb épate son monde. “Aujourd’hui, je suis fier de moi”, dira-t-il ensuite, quand, à 5 kilomètres de l’arrivée, il s’est mis en tête et a étiré le peloton comme dans ses plus belles années.
En 2008, sans faire de véritables étincelles, Vandenbroucke continuera à se refaire une santé au sein de l’équipe Jartazi.

Une victoire, 10 ans plus tard

L’année suivante, il est repris par son pote Nico Mattan, devenu directeur sportif chez Cinelli. On croit à nouveau que les choses vont se gâter en raison de problèmes de licence, mais, après quelques tâtonnements, la formation voit bien le jour. Et le 4 avril 2009, Frank Vandenbroucke gagne enfin une course digne de ce nom, en se montrant le plus rapide de la 2e étape des Boucles de l’Artois. L’enfant prodige est de retour; à l’issue de ce contre-la-montre de 15 km, il enfilera même le maillot de leader. Qu’il reperdra ensuite mais cela n’est qu’anecdote.

Vandenbroucke peut à nouveau voir l’avenir avec sérénité. Mais il ne supporte pas l’idée de ne pas pouvoir participer au Championnat de Belgique du contre-la-montre avec les pros, ce que sa formation lui avait pourtant promis en début de saison. Il refuse de s’aligner chez les sans contrat, catégorie dans laquelle il a glané cinq succès en 2009, et rompt avec Cinelli, évoluant dans les kermesses en individuel et cherchant une équipe pour 2010, avant de trouver la mort lors d’une nuit d’octobre, au Sénégal…

“J’aurais dû
être un dieu !”

On a raison de dire que Frank Vandenbroucke ne laissait jamais indifférent. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste. Nous l'avons aimé parce qu’il avait une classe inouïe sur le vélo, qu’il y avait surtout en lui un étrange mélange de force et de faiblesse. Un mélange qui l'a conduit à son destin tragique. Et qui aurait pu arriver plus tôt encore. Par deux fois, Frank est passé près, très près de ce que, dans son livre, il appelle la délivrance. Il n’était pas alors dans son état normal.
Ce livre, sorti en 2008, était-ce une thérapie ? “Non, je voulais dire la vérité sur ce que j’ai vécu, sur tous les aspects de ma vie, bon et mauvais. Ils sont symboliques de ma vie. J’ai cru tant de fois en être sorti. J’ai donc arrêté de le penser et de le crier sur tous les toits. J’ai encore envie de tirer quelque chose de mon physique et de ma vie.”

"Ce jour-là, j’allais mourir”

Frank Vandenbroucke a mis deux ans à écrire son livre dont voici quelques extraits les plus marquants pour comprendre les épisodes de sa vie. Un récit sans tabou...

Si la rédaction de ce livre a pris près de deux ans, c’est parce que Frank tenait à ce qu’il soit bon. “Contrairement à nombre de biographies que j’ai lues jusqu’ici, je ne voulais pas que celle-
ci soit un ramassis de banalités”
, disait-il.
En voici quelques extraits.
“Fin 98, j’avais quitté l’équipe Mapei pour le groupe Cofidis. J’entrais ainsi dans une équipe à la mentalité différente […] Après notre séance quotidienne d’entraînement, au stage de Calpe, on se réunissait dans une chambre de l’hôtel pour faire quelque chose qui était somme toute assez habituel chez Cofidis : boire des bières, écouter de la musique et faire d’autres choses encore. J’en étais, Philippe Gaumont aussi, entre autres équipiers. Je vis Gaumont mettre une pilule en bouche et lui demandai ce qu’il faisait. Stilnoct, dit-il simplement. Tiens, prends-en une ! Je ne voyais pas vraiment l’utilité de prendre un somnifère à notre petite fête. Non, merci, lui répondis-je. Tout à l’heure peutêtre, lorsque j’irai au lit. Il se mit à rire. Innocent, on ne prend pas ces pilules pour dormir mais pour halluciner. Il but encore une gorgée. Allez, prends en deux, avec un peu d’alcool, et, dans le quart d’heure, tu partiras pour un trip. Ce n’est pas dangereux. Tu dois essayer, mon vieux ! J’ai hésité. Vas-y, jette-toi à l’eau ! C’est là, à cette seconde précise que tout a commencé, que j’ai plongé. Très vite, cette pratique est devenue une routine, une petite escapade dans un monde sans contrainte pratique, sans journaliste, sans supporter, sans désordre.”
“Mabuse était le surnom du Dr Sainz. Gaumont devenait lyrique quand il parlait de lui. C’était un mage, un docteur miracle, un demi-dieu. Et moi, j’étais un dieu à part entière, la rencontre était inéluctable. […] Lors de notre première entrevue, il m’a posé toutes sortes de question. Dors-tu avec une jambe audessus ou en dessous des draps ? Tu préfères les draps froids, chauds ou tièdes ? Dors-tu sur le dos ou sur le ventre ? Te ronges-tu les ongles ? L’interrogatoire durait ainsi des heures. Regardes-tu parfois le soleil ? […] Le Dr Sainz devint rapidement partie intégrante de ma vie. […] Jusqu’au jour où la police vint me chercher pour m’interroger à son sujet. Chaque
appel téléphonique que nous nous étions passé, chaque apparition, en public ou non, en sa compagnie, tout était là, consigné, devant moi, sur la table. Il s’ensuivit un vrai tumulte et je fus suspendu deux mois par Cofidis. Au lieu de m’entraîner – deux mois, ce n’est pas grand-chose au fond – je me suis enfoncé, toujours plus. […] Je me retirais dans ma chambre pour m’injecter des amphétamines, je tombais dans un gouffre, je le savais, et je ne pouvais rien y faire. Je m’éloignais de ma famille, de mon enfant. À ma liste de Stilnoct et d’amphétamines, j’avais ajouté le Valium. […] Parfois, je restais cinq jours sans dormir une seconde. J’entendais des gens dans les buissons. Ils venaient m’arrêter. Shit, ma dope ! Je courais à la salle de bains pour jeter mon stock d’amphétamines dans le W.C. et les seringues dans la poubelle.”
“Avec Sarah
(NdlR : elle était hôtesse Saeco au Tour d’Espagne 99), ce fut le coup de foudre. […] Je lui ai dit : Demain je gagne pour toi et tu me donnes un baiser. (NdlR : et c’est ce qu’il fit… quelques jours plus tard, il gagna à nouveau en échange d’une nuit d’amour). Le but de ce livre n’est pas d’expliquer ce qui se passa cette nuit-là mais depuis, je peux dire que la légende selon laquelle il faut s’abstenir de sexe avant une course est sans fondement. Le jour suivant, en effet, parti sans le moindre mètre d’échauffement, je fis deuxième du contre-la-montre (de 45 km avec une belle bosse au milieu), derrière Ullrich mais devant Zülle.”
“La famille Vandenbroucke était soudée, du moins c’est ce que les gens croyaient. La proximité de mon père aux courses
(NdlR : il était mécano) m’était familière. Il en avait toujours été ainsi. Mon oncle, par contre, n’avait pas manqué de me prévenir du danger représenté par les requins tournant dans le monde du vélo. Jusqu’à ce que je me rende compte qu’il était le plus grand requin de tous.”
“D’août 2004 à août 2005
(NdlR : Sarah et lui étaient séparés), 12 mois qui m’en parurent 100, je fus en dépression comme jamais auparavant. Je décidai d’en finir. […] Ce jour-là, j’allais mourir. […] Je suis au bout du rouleau, avais-je dit à mon manager, Paul de Geyter. […] Si tu veux, tu peux rester. Paul était surpris et fâché. Je lui ai dit : Bon, on va encore boire une bonne bouteille de vin. Et je suis allé chercher la bouteille la plus chère de ma cave, un Magnum de Château Petrus 1961. Qu’est-ce que ça pouvait bien faire ! J’ai versé le vin et j’ai porté un toast à ma vie. J’avais demandé conseil à un médecin. Avec de l’insuline, ça devait le faire. J’ai écrit une lettre d’adieu : Je sais que c’est lâche. Il n’est pas nécessaire de faire pratiquer une autopsie. Je
me suis injecté 10cc d’Atractapid. S’il vous plaît, ne les laissez pas m’ouvrir en deux. J’étais seul. J’ai mis mon maillot de champion du monde, je me suis fait la piqûre et suis allé m’étendre sur mon lit, en attendant la mort. J’étais si heureux. Plus de soucis, enfin… Enfin délivré. C’est ma mère qui me trouva plus tard, ce jour-là.”


> Frank Vandenbroucke, Ik ben God niet,
Editions Borgerhoff & Lamberigts

Sa fiche

  • Date de naissance: 6 novembre 1974
  • Lieu de naissance: Mouscron (Belgique)
  • Nationalité: belge
  • Taille: 1,79 m
  • Poids: 64 kg
  • Professionnel: à partir de 1995
  • Équipes: Lotto (1994 et début 1995), Mapei (1995 à 1998), Cofidis (1999 et 2000), Lampre (2001), Domo (2002), Quick Step (2003), MrBookmaker (2004 et 2005), Unibet (début 2006), Acqua e Sapone
    (fin 2006 et début 2007), Mitsubishi (début 2008), Cinelli (2009)
    Victoires: 54

Son palmarès

  • 1991: Championnat de Belgique débutants.
  • 1992: Champion de Belgique juniors.
  • 1993: Champion de Belgique sur la piste, Américaine, amateurs.
  • 1994: étape du Tour Méditérannéen, Bellegem.
  • 1995: Paris-Bruxelles, GP de Cholet, étape du Tour du Luxembourg, Oostakker, Wielsbeke, Zomergem, La Louvière.
  • 1996: étape et classement final Tour Méditérannéen, quatre étapes et classement final tour d’Autriche, Trofeo Laigueglia, GP Plouay, GP de l’Escaut, trois étapes TRW, Wingene.
  • 1997: étapes et classement final Tour du Luxembourg, Ronde van Keulen, Trofeo Matteotti, trois étapes du Tour d’Autriche, Aalst.
  • 1998: Gent-Wevelgem, deux étapes et classement final de Paris-Nice, deux étapes et classement final TRW, étape et classement
    final Tour de Galice, Prueba Villafranca de Ordizia, Amiens.
  • 1999: Liège-Bastogne- Liège, Omloop Het Volk, GP La Marseillaise, étape Ruta Del Sol, étape Paris-Nice, étape Trois Jours De La
    Panne, deux étapes et classement par points du Tour d’Espagne.
  • 2000: contre-la-montre par équipes Etoile de Bessèges.
  • 2004: Zwevegem.
  • 2005: Zwevegem.
  • 2009: contre-la-montre des Boucles de l’Artois, critérium derrière derny de Waregem, Le Bizet, critérium derrière derny de
    Bornem, Olen, meeting piste de Elewijt, Belcanto Classic

FIN