Pour ce nouvel épisode de notre série Histoires de Diables, nous vous proposons de partir sur les traces de Yannick Carrasco. D'Evere à Monaco, en passant par Diegem et Genk, l'Ixellois a vécu un parcours où il s'est forgé. Avec l'assurance de celui qui est sûr de son talent.

Le mercato s'est refermé. Lui n'a pas bougé. Beaucoup, pourtant, prêtaient à Yannick Carrasco l'intention de quitter l'Atlético Madrid. Mais de départ, il n'en a jamais été question. L'épisode de ce dernier marché hivernal symbolise en quelque sorte le décalage de perception qui escorte l'Ixellois.
Pour ne pas aimer s'exposer ou même s'expliquer dans les médias, Carrasco traîne une image totalement à l'opposé de sa personnalité. Tous, dans son entourage, le dépeignent comme "tranquille, drôle et souriant". Pour mieux comprendre qui il est vraiment, un voyage s'impose d'Evere, théâtre de ses premiers pas ballon au pied, à Monaco où il a explosé. Embarquement dans les vies d'avant du numéro 10 de l'Atlético.
Qui est-il vraiment ? Qui se cache derrière Yannick Carrasco ? Pour un proche du premier cercle : un préambule. "L'image de Yannick ne reflète pas qui il est réellement parce qu'il se protège beaucoup et qu'il donne l'impression d'être un peu froid, hautain, distant ou arrogant alors que c'est quelqu'un qui est très droit et très drôle. Il donne cette impression d'être solide, distant et hautain parce qu'il doit montrer sa force. Il prend énormément sur lui. Son histoire familiale y est peut-être pour quelque chose".
Cette histoire s'est écrite à Diegem autour de sa maman Carmen, d'origine andalouse dont Yannick est l'aîné. Mylan, de 14 mois son cadet, a suivi avant que le papa des deux enfants "ne disparaisse du jour au lendemain", comme nous l'a expliqué Carmen qui a ensuite refait sa vie en ayant deux autres enfants, Hugo et Celia.
"C'est un peu moi l'homme de la famille"
Cette absence de figure paternelle directe a été comblée par le grand-père de Yannick qui lui a inoculé le virus du football. Mais elle a aussi forgé la personnalité du natif d'Ixelles.
"Je n'en ai jamais souffert. Cela m'a renforcé. En fait, c'est un peu moi l'homme de la famille. Quand il y a des décisions importantes à prendre, on vient souvent m’en parler. C’est aussi mon rôle de le faire comme il n’y a pas le papa à la maison et que grâce au football, du fait d’avoir quitté tôt la maison, j’ai mûri et ils peuvent se reposer un peu sur moi quand cela ne va pas très bien à la maison", nous avait-il confié lors d'une interview à Monaco en 2015.
Depuis, Carrasco a gommé le Ferreira de son patronyme "parce que cela ne se faisait pas de mettre Ferreira, le nom de papa, alors que cela fait des années que je ne le vois plus ni lui, ni la famille de son côté". Et il s'est de facto rapproché de la branche maternelle. De sa maman, forcément, qui a joué un rôle central "car comme je n'ai pas de père et qu'une mère, elle a accepté tous les efforts que j'ai faits et m'a permis de réussir dans le foot alors que beaucoup de parents ne laissent pas forcément partir leurs enfants". Mais aussi du reste de la tribu qui vit à Grimbergen. Au point de les gâter.

Yannick Carrasco est très proche de son grand-père paternel.
"Mes grands-parents se sont sacrifiés pour leurs petits-enfants, c'est maintenant à moi de leur rendre la pareille", justifie-t-il. Et s'il revendique un côté solitaire, Carrasco n'en reste pas moins famille. Quand tout le monde est rassemblé, sa tante Julia "le trouve directement dans son élément. Il me dit souvent Tita (tatie en espagnol), quand je reviens ici, je suis Yannick, je suis ton neveu. Pas un footballeur".
"Je savais ce que je voulais faire. Même si je ne réussissais pas, je voulais mettre toutes les chances de mon côté pour ne pas avoir de regrets. Cela a marché. Je suis allé en famille d’accueil, c’était compliqué, je partais 6 jours sur 7."
À un âge où certains enfants sont encore collés aux basques de leurs parents, Yannick Carrasco quitte la région bruxelloise pour Genk. L'Ixellois n'a que 11 ans et fait la connaissance dans le Limbourg des Kevin, De Bruyne et Kiss. De trois ans son aîné, ce dernier n'a rien oublié de ces années.
"J'étais un peu le grand frère. J'ai pris Yannick directement sous mon aile mais il n'avait pas besoin de cela car il était déjà assez mature pour son âge. Je l'ai aidé mais il savait déjà bien parler néerlandais. Je l'aidais en dehors du foot. Sur le terrain, avec son caractère, il s'est vite intégré dans son équipe, il a marqué ses buts pour progresser tout doucement."
"J'avais envie d'un nouveau challenge"
Le tout dans une génération moins estimée que les 91 de KDB ou les 94 de Limbombe, Croux et Praet. Dans ce millésime 93, Carrasco détonne par ses prises de risques, son sens du dribble et de l'élimination. Un art du contre-pied qu'il va pousser à l'extrême dans le plus grand secret.
Repéré par Stéphane Pauwels à l'occasion d'un match des U16 contre le Luxembourg à Virton, Carrasco va sur ses 16 ans sans que le Racing ne lui ait proposé de contrat. Ce qui ne sera pas le cas des dirigeants Monégasques sous le charme après un test effectué en ayant séché un examen de mathématiques.
Quand la nouvelle de son exode arrive jusqu'aux oreilles de Franky Vercauteren, il est déjà trop tard.
"Je venais de commander mes frites et je vois un numéro inconnu qui m'appelle. Là, je dis allô, un peu comme si je répondais à un pote. 'Ah, oui, bonjour, je suis Franky Vercauteren, j'ai appris que tu allais quitter Genk, je voulais savoir si c'était toujours ton intention'. Je lui ai dit que j'avais pris ma décision, que je partais à Monaco", a expliqué récemment Carrasco dans So Foot.
"Très bien, je comprends, bonne chance à toi. Deux minutes après, il me rappelle pour demander si c'est sportivement ou financièrement que je pars et me fait comprendre qu'ils peuvent faire un effort sur le salaire. Mais ce n'était pas cela le problème, j'avais envie d'un nouveau challenge."
Eté 2010. Yannick Carrasco s'apprête à fêter ses 17 ans quand il débarque à Monaco. Du Limbourg à la Principauté, le dépaysement est total. Radical. Brutal même.
"Mais quand tu veux avoir quelque chose, il faut tout faire pour. À Monaco, j’étais juste seul pour dormir, je n’avais pas à me faire à manger, j’allais à la cafétéria midi et soir. Même s’il y a eu quelques petits coups de moins bien, j’étais très bien entouré par les animateurs", avoue celui qui confronté à certaines difficultés gagne "en maturité".
"Franchement, cela n’a pas été simple. Les gens sont différents ici. La première année, j’ai eu du mal. Mais ensuite, mes amis sont venus souvent, ma famille aussi pour ne pas que je reste seul, pour que je remonte la pente. La première année, franchement, c’était dur, les gens étaient un peu jaloux parce que j’avais signé un contrat pro. Mais la deuxième année, une fois qu’ils me connaissaient mieux, cela s’est mis en place et j’ai pris confiance."
Pourtant, un an après son arrivée, Monaco tombe en D2. "Et là, je me suis dit ah! Merde. Mais les Russes sont arrivés". En décembre 2011 précisément. "Cela m'a rendu le sourire". Et lui qui s'entraîne avec le groupe pro est à deux doigts d'enfin y jouer.
"J'avais pris la décision de le faire jouer car il était fort. Il fallait le lancer. C’était une évidence. Mais juste avant, il s’est blessé aux fessiers. Et il était deux mois à l’arrêt. C’était compliqué ensuite”, nous a confié Marco Simone.
Un autre Italien se chargera de lancer l'Ixellois en août 2012 : Claudio Ranieri. Sans le regretter vu le baptême de Carrasco dans la chaleur d'un été qu'il égaye.
Premier match de Ligue 2 et premier but.
Très vite pris sous son aile par Nabil Dirar, Carrasco en impose. Et s'impose. Loin du soleil, de la mer et du casino. “Beaucoup de joueurs n’ont pas réussi à Monaco à cause de la belle vie. Il y a beaucoup de vices. Si tu ne sais pas pourquoi tu es là, tu risques de te perdre rapidement. Le monde est beau, les sorties nombreuses tout comme les filles. Mais je sais ce que je veux, je suis là pour jouer au football."
Même au milieu des stars. Le mercato estival 2013 marque le début des très grandes manœuvres. En plein festival Espoirs de Toulon, Carrasco suit avec délectation ce recrutement fastidieux.
Quand L'Equipe s'amuse à dresser le onze de base des Monégasques où il côtoie sur le papier Radamel Falcao, James Rodriguez ou Joao Moutinho, lui débarque avec l'article sous le bras dans le lobby de l'hôtel, fièrement. Parce qu'il est arrogant ? Non, simplement animé d'une incroyable confiance en lui.
"Les stars sont vues comme des stars parce que ce sont des joueurs qui sont plus vieux, qui ont déjà prouvé des choses dans leur carrière. J’espère que dans quelques années, je pourrai être là, comme eux, en tant que star. Mais eux aussi ont été jeunes comme moi. Le terme star, c’est en prouvant qu’on l’acquiert. Pourquoi eux ont réussi dans le football ? En prouvant. Ils ne sont pas nés star. Moi aussi, je veux prouver et devenir un joueur comme eux.” Ce qu'il va s’évertuer à faire.
10 janvier 2014. En entrant à 17 minutes de la fin sur le terrain de Montpellier, Yannick Carrasco n'a absolument pas conscience qu'il met les pieds dans un long tunnel. Jusqu'en mai 2014, lui le titulaire doit se contenter de 5 minutes contre le PSG et des coupes. Décision présidentielle pour des raisons contractuelles.
À l'époque, Carrasco n'a plus que 18 mois de contrat. Et Monaco entend le prolonger au plus vite. Alors qu'il travaille depuis de longs mois avec Christophe Henrotay, l'attaquant décide de collaborer avec Didier Frenay. Ce qui va compliquer sa situation. Jusqu'à cette impasse. “La manière dont sont menées les négociations avec des arguments du genre
si tu ne signes pas, tu ne joues pas et les garanties sportives que nous avons ne sont pas suffisantes”, justifie à l'époque Frenay. Avec le recul, Carrasco nous l'avouera "Mentalement, c’est dur de se retrouver en tribune."
"À refaire, je referais pareil"
Surtout que cette mise à l'écart l'a empêché à l'époque de pleinement jouer sa carte dans la course pour une place dans les 23 au Brésil dont il était proche. Très proche.
“J’avais bien débuté ma saison, le coach me suivait. Après, il y a eu des problèmes dans le club. Si j’avais continué sur cette lancée-là, quand je jouais et que James Rodriguez était sur le banc, je pense qu’il y aurait eu beaucoup de chance que je sois pris ou sur la liste d’attente.”
Sans pour autant nourrir une quelconque forme de regrets : "non, je ne regrette rien du tout. À refaire, je referais pareil. Je n’ai pas de regrets", nous clame-t-il au printemps 2015. "Je suis encore jeune. Je préfère être bien comme je le suis depuis que j’ai signé. Imaginez que je n’ai pas fait une bonne deuxième partie de saison, je n’aurais quand même pas été au Mondial. Je ne regrette rien du tout. Moi, ce qui m’a un peu mis la rage, c’est qu’on m’a fait me sentir comme un jeune du centre de formation, pas un joueur important pour l’équipe. Il y a des joueurs qui sont venus pour des montants exceptionnels et moi, on me voyait comme un joueur du centre de formation. C’est cela qui m’a énervé. Pour finir, tout s’est arrangé et je leur prouve qu’ils n’ont pas eu tort, qu’ils ont eu raison de me faire confiance même après sept mois. On ne m’a pas considéré à ma juste valeur.”
Ce qui ne fut pas le cas au moment de sa prolongation scellée avec Henrotay. En privé, Carrasco avouera s'être trompé au sujet de son choix de cesser sa collaboration avec l'agent. Qui, à l'été 2015, parviendra à le placer à l'Atlético Madrid. Contre 20 millions d'euros pour un joueur dont la clause libératoire est désormais de 100 millions...