Youri Tielemans

Est-il le nouveau Kevin De Bruyne ?

Youri Tielemans a pris une autre dimension en équipe nationale depuis sa Coupe du Monde aboutie. De plus en plus, il s’affirme comme le futur, mais aussi l’actuel numéro huit des Diables rouges. Problème, son poste de prédilection est également taillé pour un autre joyau belge : Kevin De Bruyne.

Les deux médians, qui évoluent tous deux en Premier League, possèdent certains atouts identiques : une technique soyeuse, une grosse frappe de balle, une lecture du jeu bien au-dessus de la moyenne et une véritable science de la passe. Ils sont, l’un comme l’autre, devenus indispensables dans leur club respectif, ainsi qu’en équipe nationale.

Malgré des similitudes dans le jeu, les deux pépites ne sont pas indissociables non plus. Lorsqu’ils sont alignés ensemble, KDB, par son profil complet, joue un cran plus haut, ce qui lui permet de se montrer plus décisif, car plus proche de la zone de vérité. Tielemans récupère donc une place plus bas dans l’entrejeu afin de contrôler le tempo.

Ce changement de position nous amène à une question importante au niveau de l’évolution du joueur de Leicester : serait-il le nouveau De Bruyne ? Retour sur leur carrière respective, qui commence par une éclosion rapide au plus haut niveau de notre bonne vieille Jupiler Pro League... 

Deux perles rares

Youri Tielemans démarre pied au plancher sa carrière au RSC Anderlecht. Le 28 juillet 2013, exactement. Lors de ce match d’ouverture face à Lokeren, Sacha Klejstan se blesse après vingt-quatre minutes. John van den Brom regarde vers son banc et deux solutions se dégagent : Leander Dendoncker ou Youri Tielemans. Deux purs produits bruxellois, inconnus du public jusque-là.

Le Néerlandais choisit la deuxième option et lance un adolescent de seize ans au visage poupon dans le grand bain. Malgré son jeune âge et son air juvénile, l’Anderlechtois impressionne les observateurs dès ses premières touches de balle. Par sa vista, son aisance et surtout sa maturité, Tielemans se balade comme s’il était dans le onze depuis toujours.

Placé devant la défense, c’est lui qui donne déjà les phases arrêtées et dicte le jeu de son équipe. Il délivrera d’ailleurs un pré-assist magnifique après un beau crochet pour Matias Suárez face aux Lokerenois. À seulement seize balais, un phénomène est né. "Nous n’avons pas vu un gamin aussi talentueux depuis Kompany", s’exclame-t-on le lendemain dans les journaux.

"Ce qui le rend si fort, c’est également sa mentalité. Malgré son talent brut, c’est un gros bosseur"
Jean Kindermans, big boss de la formation d'Anderlecht

À Neerpede, Jean Kindermans, le patron de la formation mauve, ne se dit absolument pas étonné par l’évolution du médian. Il expliquait dans notre journal à l’époque : "Je m’attendais à le voir… plus tôt en équipe première. Éduqué depuis tout petit chez nous, il a évidemment acquis la technique qu’on aime tant dans la maison mauve. Et j’inclus la technique de frappe que Youri maîtrise parfaitement, comme on a pu s’en rendre compte sur les phases arrêtées. Ce qui le rend si fort, c’est également sa mentalité. Malgré son talent brut, c’est un gros bosseur. Il était toujours assidu aux entraînements, avec la volonté de progresser. Quand un talent exceptionnel aime autant travailler, on peut parler de perle rare."

Au bout de trois saisons abouties, dont la dernière qui se termine en apothéose avec le titre de champion, le Sportingboy, qui s’était affilié chez les U5, file à Monaco pour vingt-cinq millions d’euros. Un beau transfert se disait-on à l’époque... 

KDB est aussi un exemple de précocité. À dix-huit ans il entre pour la première fois sur le terrain de Division 1 lors d’une défaite du KRC Genk face à Charleroi le 5 mai 2009 (3-0). Auteur de deux apparitions cette saison-là, son club le prépare doucement pour l’année suivante.

S’il ne prend pas encore son envol attendu, il participe tout de même à plus de quarante matchs avec les Limbourgeois. Il laisse entrevoir un gros potentiel et un talent certain, mais ses statistiques ne sont pas flamboyantes, avec trois buts et seulement quatre passes décisives.

À l’époque, le gamin est courtisé par Anderlecht, mais le club rechigne à payer... les 3,5 millions d’euros réclamés par Genk ! Son départ sera finalement retardé. Après une saison 2010/2011 synonyme d’explosion pour le jeune Gantois, Genk finit champion de Belgique. KDB est époustouflant de maturité et délivre dix-sept caviars dont sept en dix matchs de Playoffs 1.

Si De Bruyne est toujours autant dragué, mais par l’étranger cette fois, il reste finalement à nouveau dans le Limbourg pour disputer la Ligue des Champions. Cette sage décision porte ses fruits. En janvier 2012, Chelsea annonce son transfert pour huit millions d’euros. Le joueur est encore prêté six mois en Belgique avant de découvrir la Premier League. 

Des débuts contrastés

Les deux milieux de terrain des Diables cultivent plusieurs points communs dans leur parcours : très vite annoncés comme des stars, rapidement achetés à l’étranger et... les premières désillusions vite arrivées ! Sur le Rocher, personne ne retrouve le Youri Tielemans qui avait tant émerveillé la Belgique. Le joueur ne semble pas convenir à Leonardo Jardim, qui lui préfère son compatriote João Moutinho.

Lors d’un rassemblement des Diables en août 2017, Youri avoue ses difficultés. "Il n’y a qu’une seule position où je peux jouer dans cette tactique et je dois encore apprendre à bien assimiler ce système. C’est aussi positif de ne jouer qu’avec deux médians, car c’est le cas aussi chez les Diables, même si le dispositif tactique global est différent. J’espère d’ailleurs avoir du temps de jeu lors des deux matches de l’équipe nationale. Ça me fera du bien avant de retourner à Monaco."

"Je sais que je peux gagner ma place. C’est juste une question de temps"
Youri Tielemans, alors à Monaco

Il ne se montre pas résigné pour autant et croit fermement en ses chances. "Je sais que je peux gagner ma place. C’est juste une question de temps. Quand je recevrai une chance de commencer, ce sera à moi d’être à la hauteur pour rester dans le onze."

Sa chance, elle ne viendra jamais vraiment. Ou il ne l’a jamais réellement saisie. La relation entre le milieu et l’entraîneur portugais est chaotique selon certains, glaciale pour d’autres. Le joueur n’hésite pas à le comparer avec le très froid René Weiler.

Monaco vit ensuite une saison cauchemardesque, avec en point d’orgue le retour de Jardim au profit d’un Thierry Henry qui l’avait remplacé quelques mois plus tôt. Lors du dernier jour du mercato de janvier, l’ex-prodige file à l’anglaise du côté de Leicester, en prêt. Un choix salvateur pour celui qui, enfin, va pouvoir démontrer à tous ses détracteurs qu’il ne s’agissait pas d’un feu de paille !  

KDB a également vécu une expérience contrastée pour sa première à l’étranger. En 2012, Chelsea possède un plan ficelé pour les jeunes pousses que le club recrute. L’objectif est de les prêter pour ensuite réaliser une plus-value financière ou sportive, en les intégrant à l’équipe première.

Directement prêté en Bundesliga, au Werder Brême, il explose littéralement dans un championnat qui colle à ses qualités footballistiques. Avec dix buts et autant d’assists, il revient à Chelsea gonflé à bloc. Lors de la saison 2013/2014, c’est pourtant la douche froide pour le rouquin ! Il ne participe qu’à trois matchs de Premier League pendant la première partie de saison. Pire, sa relation avec José Mourinho est... distante.

"Il m’a dit que ce n’était pas dans son tempérament de se battre pour une place dans le onze de base"
José Mourinho, à propos de Kevin De Bruyne

L’entraîneur portugais lui reproche son manque d’investissement et ses desiderata : "Je voulais le garder, mais il m’a dit que ce n’était pas dans son tempérament de se battre pour une place dans le onze de base. Il avait besoin d’évoluer dans une équipe où il était assuré de jouer chaque rencontre et au sein de laquelle il devait se sentir important. Il ne voulait pas jouer dans un club où il devait se demander chaque semaine s’il allait jouer ou pas. Il a besoin de cette confiance et de cette sécurité."

En janvier de la même saison, il est vendu pour vingt-deux millions d’euros à Wolfsburg. En Bundesliga, Kevin redevient De Bruyne et réalise des performances exceptionnelles. En 2015, il est transféré à Manchester City pour septante-cinq millions d’euros. La suite, on la connaît: KDB s’affirme sous Guardiola dans un poste de relayeur comme l’un des meilleurs milieux de Premier League. Si ce n’est au monde. 

Différents mais complémentaires

La grande différence entre les deux réside surtout dans leur polyvalence. Le Gantois a déjà été balancé à cinq positions dans sa carrière. Que ce soit sur le côté gauche à Genk, à droite en Bundesliga et aux trois places du milieu à Manchester City ou en équipe nationale.

Tielemans s’est presque toujours cantonné à l’axe du jeu, là où il peut avoir le plus d’impact sur ce dernier. Au niveau des chiffres aussi, les deux joueurs sont bien différents. Si aujourd’hui KDB possède un rendement d’extraterrestre, Tielemans est moins productif statistiquement parlant. Cette saison, De Bruyne culmine à dix passes décisives dont sept lorsqu’il joue à une position de relayeur et il distribue 3,6 passes clés par match. Des stats monstrueuses, surtout lorsque l’on ajoute ses trois buts.

Tielemans est un peu plus discret avec trois offrandes pour ses partenaires et 1,7 key pass en moyenne par rencontre. Moins décisif et moins "tueur", Tielemans n’en demeure pas moins important, que ce soit avec l’équipe nationale ou Leicester. Il a d’ailleurs participé à neuf matchs sur dix lors de la campagne de qualification pour l’Euro avec une moyenne de septante-quatre minutes de temps de jeu. 

Un autre élément qu’il faut prendre en compte est que les deux joueurs sont à des moments très différents de leur carrière. L'Anderlechtois a vingt-deux ans, tandis que KDB en a six de plus. Le premier s’affirme, tandis que le second n’a déjà plus rien à prouver au plus haut niveau. Ils ne sont donc pas au même stade en 2019. À vingt-deux ans, KDB partait en prêt au Werder et signait une magnifique année... sur le côté droit.

À cette position, il pouvait avaler les kilomètres et avait plus d’occasions de se montrer décisif. C’est à vingt-quatre ans que le petit rouquin s'est réellement mis à casser la baraque en Bundesliga sous la vareuse de Wolfsburg. Cette année-là, il marque dix buts et envoie... vingt-et-un caviars pour ses partenaires. Peut-on attendre une telle progression de la part de l'ex-Anderlechtois, à qui Roberto Martinez aime confier des responsabilités similaires à celles qu'il donne à De Bruyne lorsqu'il l'aligne en numéro 8 ?

Peut-on vraiment comparer KDB et YT ? 

Chez les Diables rouges, les deux joueurs ont été utilisés six fois ensemble pour quatre titularisations lors de la défunte campagne de qualification pour l’Euro. Certes, la faible opposition tronque les chiffres, mais ils sont éloquents. Quand elle a aligné les deux hommes, la Belgique a enchaîné un dix-huit sur dix-huit pour vingt-quatre roses plantées et deux encaissées. Pour notre expert Alex Teklak, il faut relativiser ces chiffres. "Martinez ne les a utilisés ensemble que face à des équipes d’un calibre bien inférieur", explique-t-il. "Difficile de se faire une idée contre le Kazakhstan, Chypre ou même l’Écosse..."

Pour lui, les comparer est compliqué. "Ce ne serait pas leur rendre service, car KDB est très singulier dans son jeu. Selon moi, ils évoluent dans des registres et des formations bien différentes. City joue toujours vers l’avant avec un contrôle total, tandis que Leicester est une équipe de rupture. De ce fait, ils n’occupent pas vraiment la même position sur le terrain. La différence la plus marquante pour moi, c’est que De Bruyne, au-delà d’être un organisateur hors pair, est beaucoup plus un joueur de la dernière passe. C’est l’homme à tout (bien) faire à City. Tielemans est un box-to-box pur et dur. On l’insère plus facilement dans une seule case. Il est moins polyvalent. De Bruyne peut évoluer partout sur la largeur du terrain et ce avec une certaine aisance. C’est la différence notoire entre les deux."

"Martinez veut trouver une solution de rechange à Witsel au cas où il serait indisponible, mais Tielemans n’a pas encore la ruse d’Axel"
Alex Teklak, à propos de Youri Tielemans

S’ils sont différents, Alex Teklak reconnaît bien évidemment les énormes qualités de l’ex-Anderlechtois : "Ce qu’il a développé très jeune à Anderlecht est exceptionnel. On a tendance à oublier qu’il est encore extrêmement jeune. De plus, il a une conduite de balle parfaite, avec des changements de rythme, ce qui lui permet d’évoluer plus haut sur le pré. Aujourd’hui, il est capable de percer des lignes avec sa passe mais aussi par sa qualité technique. Sans parler de son énorme frappe hors des seize mètres."

Le joueur a également développé une force mentale incroyable. "Ce qu’il faut souligner, c’est sa capacité de sacrifice pour l’équipe", poursuit notre consultant. "Sous Weiler, il était dans une situation où il devait avant tout beaucoup travailler. C’est aussi devenu un joueur très intéressant dans la récupération du ballon, avec une saine agressivité, car c’est un joueur qui prend très peu de cartons. En d’autres mots, il est devenu très complet..."

Leurs différences les rendent-ils incompatibles dans le jeu ? Selon notre expert, Martinez a clairement un plan derrière la tête : "Ce à quoi tend l’entraîneur espagnol, c’est de les faire cohabiter ensemble. À terme, c’est l’objectif. Je pense aussi que Martinez veut trouver une solution de rechange à Witsel au cas où il serait indisponible. Cependant, je crois que Tielemans est encore un jeune joueur et qu’il n’a pas la ruse d’Axel. Il doit aussi travailler son timing dans le domaine aérien, car c’est une qualité primordiale dans un milieu à deux."

Notre consultant émet d'autres réserves sur ce rôle de doublure de Witsel: "Je ne suis pas sûr que Tielemans, avec ses vingt-deux printemps, puisse se discipliner et rester toute une rencontre devant la défense. L’autre problème, c’est qu’en numéro 6, on se prive de certaines des qualités de box-to-box de Youri. Ça serait le brider en milieu défensif pur. Par contre, dans certains matchs, face à des blocs bas, il pourrait y avoir une compatibilité évidente entre De Bruyne et Tielemans."

"Associer De Bruyne et Tielemans n’est pas impossible, mais dans les grands matchs, cela me semble compliqué..."
Alex Teklak

Alex Teklak a du mal à envisager Witsel, Tielemans et De Bruyne ensemble si tout le monde est présent. Du moins pas tout de suite. "Pour moi, cela signifie un changement de système que je n’imagine pas maintenant, car il a fait ses preuves. Passer d’un 3-4-1-2 à un 4-3-3 n’a aucun sens aujourd’hui. L’autre solution serait de mettre De Bruyne plus haut, à droite. Cela impliquerait de se priver de Dries Mertens. Je ne suis pas un partisan, car j’estime que l’équipe a trop besoin du Napolitain qui peut apporter de la profondeur dans le jeu et combiner dans les petits espaces. En revanche, ce qui pourrait faire mal aux adversaires, ce sont leurs capacités à se projeter avec de longues diagonales. Ce genre de passes, que les deux médians maîtrisent parfaitement, déstabilisent le bloc adverse. C’est un gros atout lorsque l’équipe est sous pression."

Pour Alex Teklak, Youri Tielemans représente l’avenir de la sélection. Cependant, il estime que leur jeu est encore trop différent pour vraiment les comparer. Il offre une autre palette et davantage d’options pour le sélectionneur fédéral. L’extrême abondance de talent(s) dans laquelle baigne notre équipe nationale nous empêche de pouvoir tous les aligner. "Choisir, c’est renoncer. Selon moi, Youri Tielemans n’est pas le nouveau De Bruyne. Attention, ce n’est pas négatif ou péjoratif. Ils ont juste un jeu et un registre différents. Tielemans va, à n’en pas douter, beaucoup apporter chez les Diables, car il est encore très jeune. Les associer n’est pas impossible mais dans les grands matchs cela me semble compliqué..."

Fondamentalement, ne pas être le nouveau KDB ne demeure pas un problème en soi pour Youri Tielemans. À l'inverse, c'est peut-être justement ce qui pourrait constituer une force. Son profil différent représente l'avenir radieux des Diables rouges. Il n'est donc pas qu'un simple copié-collé de l'un des meilleurs milieux du monde, il apporte sa propre pierre à l'édifice. Nul doute que les Diables rouges auront bien besoin des deux joueurs pour soulever la coupe d'Europe à Wembley le 12 juillet prochain.