Gauvain Dos Santos
Photos : Mathieux Golinvaux et Ennio Cameriere
Faire en sorte que le monde administratif comprenne les réalités du monde agricole est un premier pas vers “la simplification administrative”, affirme François Desquesnes, chef de groupe Les Engagés au parlement wallon.
France, Allemagne, Belgique… la colère agricole est partout. “C’est une lame de fond qui existe depuis des années. Les agriculteurs des différents pays sont tous soumis aux mêmes difficultés, à savoir une charge administrative de plus en plus complexe et des revenus qui fondent comme neige au soleil. Dans le secteur de l’élevage, les travailleurs sont dans une espèce de désespérance. Ils aiment leur métier, mais ils ont le sentiment qu’il n’y a plus de sortie”, observe François Desquesnes, chef de groupe au parlement wallon.
Dans son parti, Les Engagés, on affirme être à l’écoute du monde paysan depuis des années. Le mouvement centriste est en effet solidement ancré dans les campagnes et il compte plusieurs bourgmestres dans les zones agricoles. Leur programme électoral de 700 pages inclut d’ailleurs tout un volet de solutions pour venir en aide aux producteurs belges. Ils réclament entre autres d’imposer un prix juste, de s’attaquer à la dérégulation du marché ou encore d’offrir une aide à l’installation des jeunes agriculteurs.
Les Engagés veulent aussi écrémer la pile de responsabilités administratives qui échoient sur la tête des fermiers et de producteurs chaque année. “Ce sont des centaines d’heures de travail administratif par an. Ce sont 2 000 pages de règlements européens et wallons qui bougent tout le temps”, déplore François Desquesnes qui prend pour exemple un arrêté du gouvernement wallon daté de mars 2023 qui devait entrer en vigueur le 1er janvier. “Les choses étaient tellement mal préparées que le gouvernement wallon a dû rétropédaler. Aujourd’hui, quand on est agriculteur, il faut deviner qu’elle va être la nouvelle règle qui va s’appliquer et laquelle va être retirée.”
Certains agriculteurs touchent des aides et des subventions de l’Union européenne dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC). En cas de non-respect des règles, ces paiements peuvent être suspendus partiellement ou totalement.
”Cette rigidité pose problème”, poursuit l’élu Engagés. “On impose aux agriculteurs de faire certaines choses en fonction de dates, comme l’obligation de détruire certaines cultures pour que le sol ne soit pas nu. Or, cette année, l’hiver est arrivé tardivement. Les agriculteurs ont dû se rendre avec des gros tracteurs dans les champs pour effectuer ces tâches fixées à des dates bien précises, mais ces champs étaient devenus impraticables. On demande que la législation prenne en compte l’évolution du climat et la réalité du terrain.”
Et pour que les règlements soient plus souples, rien de mieux qu’une expérience de terrain, estiment les humanistes. Qui proposent dès lors que les fonctionnaires effectuent des stages dans les quelque 13 000 fermes que connaît la Wallonie. “Aujourd’hui, l’administration et les fonctionnaires sont quelquefois déconnectés de la réalité. Certains connaissent le monde agricole, mais d’autres débarquent parfois sans connaître grand-chose. Ils imaginent des mesures qui, sur le papier, sont très bonnes pour la biodiversité, mais dans la concrétisation deviennent cauchemardesque.”
Pour “sortir de l’ornière” et lutter contre la “déconnexion des agents qui croient bien faire”, Les Engagés proposent un stage ou une formation qui se mettrait en place dès l’entrée dans le secteur. Les fonctionnaires pourraient ainsi découvrir le métier d’agriculteur, se rendre compte “des contraintes vécues de l’autre côté”, percevoir “les réalités vivantes” et les “conditions de maladies”. Une sorte de “vis ma vie d’agriculteur” qui pousserait les fonctionnaires à réfléchir à simplifier la charge administrative qui pèse sur les épaules des agriculteurs.
Mathieu Golinvaux
Les agriculteurs wallons ont passé la nuit sur la portion du ring ouest entre Ittre et Hal. L’autoroute complètement fermée, ils veulent rester là tant que leur situation n’évoluera pas.
Alors que sur toutes les routes secondaires autour de Bruxelles, c’est la pagaille et que les kilomètres de bouchons se comptent sans doute en dizaines de kilomètres, au milieu du ring ouest de Bruxelles, entre Ittre et Hal, les mines ne sont encore pas bien réveillées. “La nuit s’est bien passée, mais qu’est-ce qu’il a fait froid, nous glisse un des jeunes agriculteurs présents. Vous voulez un café ?”
Si le ring est toujours bien fermé à la circulation, le nombre de tracteurs a, lui, diminué par rapport à la veille. “Une partie de nos collègues a dû rentrer pour faire l’ouvrage, précise Luc Hayois, cultivateur à Brugelette. Même si c’est important de manifester, la vie continue sur nos exploitations. Mais on souhaite vraiment être écouté. On va donc se relayer pour pouvoir continuer le blocage le plus longtemps possible.”
Car s’il était question de lever les barrages du côté de Daussoulx, sur l’autoroute A7/E19, les agriculteurs semblent déterminés à rester encore un moment. “Même jusqu’à jeudi s’il le faut, prévient Luc Hayois. La visite de Willy Borsus hier soir à Namur n’est pas suffisante du tout. On veut que l’Europe prenne ses responsabilités. On veut que ce soit les mêmes règles pour tout le monde et pour les produits qu’on importe chez nous. Il n’est pas normal qu’on nous impose certaines normes et qu’on importe des produits qui ne respectent pas ces normes. On a également beaucoup trop de paperasse sur nos exploitations. Ils doivent prendre leurs responsabilités.”
La nuit a été longue pour Luc Hayois et les agriculteurs en colère. Ils ont forcément eu le temps de discuter de leurs situations personnelles. “Le moral est forcément en berne, termine le cultivateur de Brugelette. Ça fait des années qu’on exprime notre ras-le-bol, mais il n’y a rien qui change. Cette fois-ci, on ne veut plus se laisser faire. On voit que ça bouge dans d’autres pays donc on continuera tant qu’on n’a pas gain de cause.”