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Mercredi

Jolan D'Hoogheh

Photos : Ennio Cameriere



"Le ras-le-bol est total" : de Hal à Bruxelles, on a suivi les agriculteurs jusqu’au coeur du quartier européen



Ce mercredi 31 janvier, les agriculteurs ont pris la route de partout en Wallonie pour rejoindre Bruxelles… et le quartier européen.







La nuit a été longue pour les agriculteurs. Partout en Belgique, ils se sont donné rendez-vous. Lieu d’arrivée Bruxelles, et le quartier européen pour manifester leurs revendications auprès des décideurs de l’Union. Point de départ pour nous, Hal, en plein centre du Ring, où ils sont installés depuis dimanche soir et se relaient pour maintenir le blocage.

Il est 21 h 30 à notre venue. Installés sur le Ring, ils sont plusieurs dizaines d’agriculteurs à être présents. Entre les tracteurs et rares voitures, la vie s’est organisée depuis quelques jours. Une gigantesque tente, des feux de bois, un frit-kot, l’installation laisse penser à un bivouac en plein désert… de macadam ici. Le départ est annoncé d’ici moins d’une heure, le temps de se ravitailler avec une barquette de frites et une bière à la volée. C’est l’occasion de sympathiser avec nos hôtes pour la balade qui suivra : François et Nicolas. “Je n’ai jamais vu une si grande manifestation, je disais ça à mon père de 73 ans” commence François ; “il y aura des Français et des Allemands, j’ai entendu qu‘il y en a un qui a fait 800 km pour venir”, rajoute Nicolas.



“Le ras-le-bol est total”

Et pour ce qui est des revendications, chacun y va de son vécu et de son expérience mais une chose ressort chez tous : “le ras-le-bol est total”. Pour Nicolas et François, les contrôles permanents sont le gros du problème : “si je dois épandre mon lisier, je dois le faire avant le 15 janvier, si la météo ne le permet pas le 15 ou après, je ne peux pas le faire le 13. J’ai des vaches laitières. Si je n’ai pas 50 % dehors quand le contrôleur passe, j’ai une amende. Et il est passé en journée durant la canicule. J’ai contesté et lui ai dit de repasser à 4h du matin. Il l’a fait et j’avais plus de 50 % de vaches dehors. C’est tout le temps comme ça. Quand les vaches sortent, je dois noter l’heure et même chose quand elles rentrent”, explique Nicolas. “Mon père passe la moitié du temps sur son bureau”, poursuit François et même chose pour Nicolas.

L’ambiance est bonne au “camp” de fortune des agriculteurs. Même si la situation témoigne d’un état de colère du secteur, c’est aussi le moment de se revoir et de partager les nouvelles : “J’en profite pour annoncer que je vais être papa”, lâche Quentin avant que cette courte joie ne laisse place au sérieux de la situation… Il faut se mettre en route.

Comme Nicolas, fermier depuis trois générations, François aussi descend d’une famille d’agriculteurs. Et parler de famille n’est pas peu dire car ils sont “beaux cousins”, raconte François. Vient rapidement la question des enfants. “J’ai deux garçons, de 10 et 8 ans.” Les voir suivre dans cette voie ? “Je ne veux pas les forcer. Pour l’instant, ça n’a pas l’air de les intéresser mais si un jour ils le souhaitent alors pourquoi pas, tant qu’ils ont la passion. Par contre avec toute cette histoire, le petit il a écrit sur un panneau ‘No farmers, no food’et il allait se balader avec dans la cour de récré”, s’amuse-t-il.





Le cortège arrive finalement à l’entrée d’Uccle. Fini les terrains boueux ou les longues routes goudronnées du Ring, et bonjour les chaussées entrecoupées de feux, passages pour piétons, pistes cyclables et lignes de tram. Les imposants véhicules passant au travers de tout cela devant les regards à la fois étonnés et émerveillés des Bruxellois. Si voir un tracteur traverser la moitié de la capitale est déjà un fait rare, en voir des dizaines en file indienne en est d’autant plus exceptionnel pour de nombreux curieux. Sur le chemin, pour arriver jusqu’au square de Meeûs, les riverains s’arrêtent, s’installent à leur balcon. Certains filment avec leurs smartphones, d’autres applaudissent et saluent et d’autant plus fort à chaque hurlement de klaxon.

Toujours en chemin, le cortège s’arrête à la Porte de Hal. Tout le monde en profite pour se dégourdir les jambes et reprendre une cigarette. Nous laissons un peu François de côté pour se balader un peu. Il n’aura pas le temps au répit car nos confrères français du Quotidien prendront justement le temps de l’interviewer : “comme j’ai eu une exploitation en France, j’ai une plaque française pour mon tracteur, ils ont sauté sur l’occasion”, confie-t-il par après.

Pendant ce temps, la conversation se lance avec Jérôme dont l’épandeuse à lisier précède François dans le cortège : “On m’a demandé si elle était remplie. J’ai dit que j’en avais encore un peu en réserve. Mais je ne sais pas encore ce que je vais en faire… on verra demain”, dit-il presque hilare.

Au square De Meeûs, l’ambiance est bonne enfant. Les agriculteurs discutent avec la police et les passants mais cela n’empêche pas un moment d’excitation. Un combi s’est retrouvé secoué avant que les forces de police ne viennent ramener un peu d’ordre. Là où elles n’y arriveront pas, c’est de faire taire les nombreux klaxonnements qui se répètent les uns ou autres dans un méli-mélo cacophonique.



Place du Luxembourg, immense parking pour tracteurs

Plus bas, la Place du Luxembourg se transforme en un immense parking pour tracteurs et autres véhicules agricoles. On y installe des ballots, même dans les abris bus, les pneus et palettes sont déchargés des remorques tandis que les feux s’illuminent et embrasent le parterre de la place. Derrière l’ancienne gare, juste avant d’arriver devant le parlement, les barrières sont placées et les policiers, en nombre, empêchent toute entrée.

Peu avant minuit, les klaxons cessent lentement de résonner sur le square De Meeûs. Les esprits se calment, on reprend à manger… à boire aussi. Réchauffer par les foyers de pneus brûlés, ou déranger par leur odeur, on commence tout doucement à se dire d’en rester-là… pour l’instant. Demain sera une longue journée et elle débutera tôt, avant le lever du jour.

2024 - Dossier Agriculteurs