LA RENAISSANCE

16 novembre 2005, à Lokeren. Thomas Vermaelen, Nicolas Lombaerts et leurs potes tiennent leur qualif' pour l'Euro espoir 2006 face à l'Ukraine. Du moins le pensent-ils. En moins d'une demi-heure, ils se prennent trois buts et perdent tout, jusqu'à leurs dernières illusions. Comme leurs grands frères, les Diablotins ne parviennent pas à accrocher leur billet pour une compétition internationale. Comme eux, ils semblent frappés du sceau de la lose, celui qui ne lâche plus les A, entre défaites honteuses et nuls pathétiques.

Pourtant, cette funeste soirée dans le froid de Daknam préface l'un des plus beaux chapitres du football belge. « C'est vraiment le point de départ, un état d'esprit s'est créé », se souvient Jean-François de Sart, qui a dû composer avec une bande de gamins rongés de chagrin et de frustration.« Cela a créé un sentiment de confiance, car on s'est rendu compte qu'on avait les qualités pour jouer au haut niveau. Il y avait aussi un sentiment de révolte, car on s'est dit qu'on avait raté quelque chose de formidable, qu'on ne voulait plus louper. On est allé chercher de l'énergie dans cette élimination injuste pour se requalifier directement. On y est parvenu et le train était lancé ».




De Sart, moissonneur-vainqueur


Dès l'année suivante, les Diablotins se mettent en effet à enchaîner les matches sans défaite, portés par le douloureux souvenir du barrage contre l'Ukraine. Cette fois, l'Euro 2007 ne leur échappe pas. Mieux, ils mettent à mal la session d'examens des étudiants de tout le pays, trop heureux de voir Dembélé, Vertonghen, Mirallas et les autres monter en puissance. Qu'importe, en effet ! La communion renaît entre le public et son équipe. Cinq ans après le but annulé de Wilmots, l'orgueil belge se prend un sérieux coup de boost, à peine entamé par des éliminatoires pour l'Euro 2008 déjà bien mal embarqués chez les grands. Si le rêve prend fin en demi-finale face à la Serbie, cette accession au dernier carré permet aux Diablotins de de Sart de se qualifier pour les Jeux Olympiques de Pékin. Pour la première fois en plus de trente ans, une équipe belge ira aux JO !

Là encore, les jeunots noir-jaune-rouge font rêver leurs supporters, jusqu'à entrevoir une médaille de bronze. Las, ils échouent à la quatrième place, mais le résultat est là: cette équipe a redoré le blason belge. La bande à Jef de Sart explose les codes en vigueur en jouant un foot qui correspond parfaitement aux critères « sablonnesques ». Les équipes nationales espoirs, tels sont les indicateurs qui permettent de prouver à Michel Sablon qu'il était dans le bon malgré les revers. « C'était difficile, au début on a pris des claques, les critiques étaient très fortes, surtout sur moi parce que j'assistais aux réunions du comité exécutif et on me disait "qu'est-ce que tu fais là, on perd des matches…" J'ai demandé de la patience », se remémore ce dernier. Une vertu qui paye...


"L'école des jeunes doit avoir une vision et au bout de dix ans, tu verras que l'équipe première joue comme les jeunes"


« de Sart est aussi une personne très importante à cette période », explique quant à lui Bob Browaeys.  « Parce que lui, il a aussi joué en 4-3-3, et quand tu vois ce qu'il a fait en 2008, c'était presque avec l'équipe A actuelle, mais aussi avec un football qui était celui qu'on joue actuellement ». Des vingt-deux « chinois » présents aux JO, on retrouve huit joueurs dans le noyau de Marc Wilmots. Un ratio plus que satisfaisant qui ne doit rien au hasard. « Si on regarde la tactique de l'équipe A, ce 4-3-3 avec construction, créativité, infiltration et pressing, c'est exactement ce qu'on a développé depuis dix ans. C'est un peu le même modèle que Barcelone, où ce ne sont pas les entraîneurs de jeunes qui adaptent leur système de jeu en fonction de l'entraîneur de l'équipe A, c'est l'école des jeunes qui doit avoir une vision et au bout de dix ans, tu verras que l'équipe première joue comme les jeunes. Cette évolution-là, on a aussi pu la constater chez nous ». « Là, on se dit "ça marche" », ajoute Sablon. « Il y avait un deuxième constat important. Avant, quand j'entrainais en jeunes, il y avait trois, quatre joueurs de niveau européen. Après ces années de formation, les entraineurs de jeunes ont constaté qu'on avait beaucoup plus de jeunes talents dans chaque catégorie d'âge. Après quatre, cinq ans, on avait douze, treize joueurs valables pour jouer au niveau européen, et ça c'était la meilleure preuve qu'on était sur la bonne voie ».



« Une génération perdue »


Si les joueurs coachés par de Sart font flamber les foyers, en amont, le travail se poursuit. Outre les U21 et les Olympiens, une nouvelle génération pointe le bout de son nez à l'Euro 2007 des moins de 17 ans. Les ados atteignent les demi-finales où ils ne s'inclinent que contre l'Espagne de David De Gea et d'un Bojan Krkic alors en pleine hype blaugrana. Quelques mois plus tard, ils se qualifient pour la Coupe du Monde des U17,« une compétition très importante pour le développement », selon Browaeys, alors entraîneur de l'équipe. Ses porte-drapeaux ? Deux gars pas trop mauvais. Eden Hazard et Christian Benteke qu'on les appelle...




Et le renouveau s'opère petit à petit chez les A. Au fur et à mesure que des Carl Hoefkens, Gill Swerts et autres Bart Goor tirent leur révérence, les Hazard and co débarquent avec un bagage technique pratiquement inédit dans l'histoire de notre football. « Ce qui a aidé l'équipe A, c'est que la génération précédente était une génération perdue », constate froidement Browaeys. « Ça veut dire qu'un Kompany, même un Hazard ont déjà pu jouer en A dès l'âge de dix-huit, dix-neuf ans. On a eu une période de transition avec Leekens, où tu voyais qu'il y avait une progression, mais tu perdais encore des matches ». Si Long Couteau peut se targuer d'avoir ramené un véritable esprit de groupe, il quitte le navire diabolique pour le Club de Bruges sans avoir réussi à qualifier le pays pour une compétition internationale.  « L'Euro 2012, on était tout près. Le groupe était encore trop jeune, mais les nouveaux Diables avaient déjà joué énormément de matches internationaux avec l'équipe A, à cause du fait qu'il n'y avait pas de bons joueurs. On a profité de cette situation ».

Le sacrifice ne se révélera pas inutile. Un an plus tard, les Diables accrochent leur billet pour le Brésil en costauds, à l'image de cet inoubliable doublé inscrit par Romelu Lukaku à Zagreb. Deux coups de banderilles libérateurs, qui mettent fin à douze années... infernales. « Ce qui se passe maintenant, c'est qu'on a un groupe de joueurs talentueux qui ont émergé dans la même période », déclare Sablon. « On peut parler de coïncidence, mais le deuxième élément c'est qu'il y en a beaucoup plus qui suivent encore. Des jeunes qui s'avèrent être formés suffisamment pour jouer en Premier League par exemple. Il y en a beaucoup, et il y en a encore ! » Près de dix ans après l'Ukraine, la déception de quart de finale perdu face à l'Argentine pourrait-elle servir de tremplin vers de nouveaux exploits ?