“Je rêve clairement de faire partie de l’équipe belge pour l’Euro 2016.” Ces propos recueillis par la Dernière Heure il y dix mois auraient pu être attribués à un Radja Nainggolan revanchard de son absence au Brésil et encore écarté d’un XI diabolique par Marc Wilmots lors du match nul contre le pays de Galles. Non, ces déclarations sont sorties de la voix fluette d’un petit bonhomme d’1m72, rempli d’ambitions.
A neuf mois du début du championnat d’Europe, la présence de Charly Musonda Junior parmi les vingt-trois heureux élus semble improbable, voire impossible. Ce lundi 31 août, au centre technique national de Tubize, il était bien entouré d’autres Diables, Dennis Praet, Leander Dendoncker, Jordan Lukaku, Youri Tielemans ou encore Zakaria Bakkali. Mais ceux-ci étaient priés de réviser leurs gammes au sein du noyau espoir désormais “drivé” par l'un des plus grands numéros dix de l'histoire du foot belge, Enzo Scifo.
Un groupe d’enfants ayant déjà joué dans la cour des grands. Car outre les garçons précités, d’autres comme Obbi Oularé (transféré depuis à Watford), Davy Roef, Thomas Foket, Benito Raman ou Julien De Sart se sont déjà frottés au monde des adultes avec des titres à la clé ou du temps de jeu en Coupe d’Europe. A côté de cela, Charly Jr et sa Youth League remportée cette saison avec la très prometteuse génération de Chelsea ne pèse pas bien lourd au niveau de l’expérience...
Le 15 octobre prochain, Junior soufflera dix-neuf bougies. Alors que certains autres joueurs se sont déjà manifestés aux yeux du grand public, celui qui est annoncé depuis plusieurs années comme peut-être le plus beau joyau de la couronne belge reste confiné dans un relatif anonymat. Alors faut-il déjà penser à intégrer Charly Junior dans la catégorie des éternels espoirs ou faut-il se montrer plus patient avec celui qui a choisi une autre voie comparée à d’autres de ses compatriotes ?
Les Adnan Januzaj, Jason Denayer, Derdryck Boyata, Marnick Vermijl, Richie De Laet, Mathias Bossaerts partis dès l'adolescence au sein de prestigieux clubs anglais peuvent témoigner de la difficulté d’y faire son trou. Les attentes en terme de résultats sont tellement importantes qu’on ne peut se montrer patient avec un jeune, aussi doué soit-il. "A Chelsea, le dernier joueur à avoir percé depuis les équipes jeunes jusque l'équipe première, c'est John Terry. C'était en 2002", rappelle Adam Shergold, journaliste au Daily Mail et observateur avisé des jeunes pousses de Chelsea. "Depuis lors, personne n'y est parvenu... Il y avait un joueur, Josh McEachran (NdlR: médian anglais de vingt-deux ans). Rafael Benitez l'a fait jouer quelques matches. Mais depuis qu'il a perdu sa place dans l'équipe A, il erre de prêts en prêts. Cette saison, Chelsea loue vingt-six joueurs à travers l'Europe. Cela fait autant de joueurs qui veulent frapper à la porte et se faire une place chez les A", poursuit-il.
Les Januzaj ou Denayer n’ont pas non plus (encore) percé dans leur club
Ruben Loftus-Cheek, l’a d’ailleurs appris à ses dépens, en se faisant remonter les bretelles par José Mourinho après un match amical en juin dernier. "Il doit apprendre qu'à dix-neuf ans, vous devez courir trois fois plus que les autres, vous devez jouer jusqu'à votre limite et ne pas faire la superstar avec le ballon, parce qu'on est pas en U18", avait asséné le Special One au jeune espoir britannique.
Louis van Gaal ne s’est pas montré plus tendre avec Adnan Januzaj, alors que celui-ci avait pourtant marqué le but de la victoire de ManU contre Aston Villa au milieu du mois d’août. "Une caractéristique des jeunes joueurs est de ne pas être régulier. Januzaj doit montrer qu'il peut l'être. Peut-être le fera-t-il cette saison, c'est possible. Mais dans un club comme Manchester United, jamais vous n'êtes assuré de votre place dans le XI de base", avait commenté Le Pelican en conférence de presse alors que le joueur se trouvait à ses côtés. Preuve qu’on n’épargne rien à ces gamins dans des clubs de ce calibre. Depuis, Adnan a été prêté à Dortmund, alors qu’un autre Diable, Denayer, a été loué à Galatasaray. Cela montre bien que la situation vécue actuellement par Musonda Junior n’a rien d’anormale.
Aurait-il finalement dû se montrer plus patient et suivre l’exemple de Youri Tielemans, d’un an son cadet mais qui est resté au Parc Astrid et a déjà été appelé au sein du groupe diabolique ? "Je ne peux pas me prononcer et juger la manière dont Chelsea s'occupe de Mus’. Ce que je constate, c'est que les joueurs de mon groupe qui évoluent en équipe première en Belgique et partent à l'étranger plus tard ont plus rapidement du temps de jeu en équipe nationale", explique Jean-François Rémy. "S'il était resté à Anderlecht, il exploserait plus vite, comme on le voit actuellement avec Tielemans. Il ne faut pas s'attendre à ce qu'il le fasse aussi rapidement à Chelsea. Parce que là, c'est le top", abonde dans le même sens Ludo Kums, coach du petit Musonda à partir des U13 anderlechtois. "Finalement, même Eden Hazard n'a pas joué directement à Chelsea puisqu'il était à Lille dans un environnement plus adapté pour lancer un jeune", rappelle encore Rémy.
Prêts avortés
Cet été, le cadet de la famille Musonda espérait intégrer le groupe pro des Blues lors de la tournée américaine. Mais José Mourinho en a décidé autrement. Alors, celui qui a rejoint la fameuse écurie Gestifute de l’agent le plus influent du monde, Jorge Mendes (le même agent que le Mou’ et Marc Wilmots…) pensait pouvoir être prêté dans un autre club afin de s’aguerrir et de suivre les exemples de ses coéquipiers Solanke, Baker et Brown, loués à Vitesse Arnhem, le club satellite de Chelsea.
Son nom a d’abord circulé dans les travées du Parc Astrid, où une vague clause de prêt lors de son départ à Londres avait été évoquée. Mais le nom de l’ancien petit diamant de Neerpede semble manifestement hérisser le poil de certains dirigeants de la maison mauve, encore amers de son départ.
Autre point de chute possible, la Ligue 1. Marseille, alors entrainé par Marcelo Bielsa, qui semblait apprécier notre compatriote, aurait pu être une possibilité sans que le deal n'aboutisse. Finalement, peut-être est-ce une bonne chose, étant donné le départ précipité d’El Loco. Après l'OM, l’AS Monaco a également été cité. Tous les éléments semblaient réunis pour que Charly fasse ses tours de passe-passe sur la pelouse du stade Louis II: un club à la recherche de jeunes joueurs extrêmement prometteurs, où Jorge Mendes a ses entrées, la présence d’un Leonardo Jardim dont les compétences auraient pu l’aider à bien progresser et enfin le prêt d’un autre talent des Blues, Mario Pasalic, qui confirme les bonnes relations entre les deux clubs.
Mais, c’est bien au sein des U21 londoniens que Junior a repris le collier au début du mois d’août contre Liverpool. Trois matches avec un but et un assist à la clé dans un rôle quelque peu différent de celui qu’il occupait la saison dernière. Un choix de l’entraineur Adi Viveash qui explique devoir trouver de nouvelles idées tous les jours pour continuer à faire progresser sa pépite. “On ne peut pas lui apprendre plus avec le ballon, mais bien sur la tactique et la prise de conscience du jeu. C'est pour ça qu'on veut le faire jouer dans une position de milieu central, car il aura plus de décisions à prendre pendant un match. Ca va lui amener un challenge, plus que s'il jouait en dix ou sur l'aile, car il est déjà un joueur spécial pour ce niveau", explique l’homme en charge des espoirs blues.
Une nouvelle position en guise de défi ?
Jean-François Rémy, l’adjoint d’Enzo Scifo chez les Diablotins, pense que ce changement de poste peut aussi lui être bénéfique s’il reste chez les U21. "Plus bas dans le jeu, il serait sans doute dans une position moins confortable. Il ne rechigne pas à défendre, mais ce n’est pas sa qualité première. Il devrait se poser d'autres questions, gérer d'autres situations, analyser le jeu autrement, observer différemment, peut-être aider à faire remonter l'équipe. Ce n'est en tout cas pas mauvais pour son apprentissage", explique-t-il.
Mais finalement quelle est sa meilleure place ? "En équipe nationale, c'est un joueur créatif. Il peut jouer en dix, même s'il est aussi performant en onze. S'il doit déborder sur sa ligne, ce ne sera pas spécialement son truc. Il préfère jouer entre les lignes comme tous ces meneurs de jeu décalés. Un peu comme Eden Hazard, par exemple. J'ai entendu qu'il a même joué comme faux attaquant, donc il a un large registre. Il doit en tout cas avoir le plus d'influence possible. Il doit souvent toucher le ballon", continue le T2 des Diablotins.
Une saison de plus dans l'antichambre de Chelsea, le temps commencerait-il tout doucement à presser pour Charly Junior ? Est-il en train d’en perdre en n’ayant pu être prêté ? "C'est un garçon intelligent. Il n'y a pas encore le feu au lac. Il peut être prêté dans six mois ou un an, ce n'est pas urgent. L'urgence, c'est lui qui va la déterminer et il assez intelligent que pour savoir quand ce sera le cas", poursuit Rémy qui ne s'inquiète pas encore pour le milieu créatif.
Rien ne dit finalement qu’une location pourrait lui permettre de se faire une place au soleil à Stamford Bridge et d’évoluer aux côtés de son pote et compatriote Eden Hazard. "Il pourrait être prêté une saison en Europe dans un club qui a un partenariat avec Chelsea. Revenir. Peut-être impressionner Mourinho, puis être prêté à nouveau. Et cela peut durer quatre ou cinq ans. Et avant même de s'en apercevoir, il aura vingt-deux, vingt-trois ans et une bonne partie de sa carrière sera derrière lui", pense Adam Shergold. "Le souci, c’est que Chelsea a trop d’argent. Soudainement, Charly va réaliser que Chelsea va acheter des joueurs et le rétrograder en cinquième ou sixième position dans la hiérarchie et qu'il n’y jouera jamais. Il n'a que dix-huit ans, mais ça pourrait arriver…", enchaîne le journaliste du Daily Mail.
Un destin à la Thorgan plutôt qu’à la Eden Hazard ?
Mais s'il ne perce pas à Londres, Mus’ pourrait cependant rebondir dans un autre club. Et pas forcément d’un calibre inférieur à celui du champion d’Angleterre en titre. "Pourquoi pas un destin à la Thorgan Hazard (NdlR: vendu définitivement au Borussia Mönchengladbach qui dispute la Ligue des Champions cette saison). Je pense que c'est ce qu'il lui faut. Il faut que les gens se rendent compte que c'est un super talent. Mais pour ça il doit jouer", estime l’actuel T3 d’Anderlecht Mo Ouahbi.
"Je le vois plus en Espagne. Il adore Barcelone. Il en a le profil. Il est unique, je n'avais jamais vu un joueur pareil à cette position", pense Bob Browaeys. "On saura dans les prochaines années si partir si jeune à Chelsea était le bon choix. Mais le voir dans un club du top absolu, c'est possible, sans aucun doute", affirme Yannick Ferrera, corroboré dans ses propos par Ludo Kums, désormais en charge du scouting pour Anderlecht : "Il réussira tôt ou tard. Et si ce n'est pas à Chelsea, ce sera certainement dans un autre grand club." "Si un gars comme ça ne réussit pas dans le foot, alors je ne comprends plus rien à ce sport !", conclut Mo Ouahbbi, son premier coach chez les Mauves. Mais dans un monde où l’on achète un Anthony Martial pour quatre-vingt millions d’euros peut-on vraiment tout comprendre ?