Chapitre 1



Dans les abîmes du “monde du moins 1”, plongée dans les succursales de l’hôpital




Ils l’appellent le monde du moins 1, le monde d’en bas ou encore le sous-marin. Insoupçonné et invisible lorsqu’on pousse les portes de l’hôpital, il se trouve pourtant juste sous nos pieds.



Profession, agent d’entretien, mission: éliminer toute trace de Covid



Au sous-sol de l'hôpital Etterbeek-Ixelles, le personnel du service d’entretien s’active dans les succursales. Ils débutent tous leur shift depuis ce qu’ils nomment “la ruche”, c’est ici qu’ont lieu les départs des agents d’entretien où le coup de feu des équipes composées de 60 agents est donné par Vahidé, la “brigadière nettoyage”, comprenez responsable de l’unité d'entretien, une super-charrette entre les mains et munis de la bagatelle de produits de nettoyage dans le but d’éliminer toute saleté et surtout la moindre trace de Covid-19. Car oui, ce sont ces agents qui étaient chargés de venir limiter la propagation du virus en éliminant tout stigmate sur les différents points de contact, comme les poignées de portes, meuble et autre mobilier. Une mission invisible mais capitale. Dans les étroits couloirs des sous-sols, des câbles sont suspendus au plafond et pendent au-dessus des têtes des agents d’entretien qui n’y font même plus attention.



Il est neuf heures ce lundi 2 novembre et Angélique s’apprête à démarrer son shift, “je préfère venir un bon quart d’heure avant l’arrivée de tout le monde, c’est une vraie fourmilière ici avant le coup de feu”, confie-t-elle. Pour Rachel, direction l’unité Covid ce matin où elle devra nettoyer neuf box durant sa journée de travail. Et la mission s’avère être méticuleuse. “C’est délicat, on n’a pas envie de faire une fausse manipulation, on ne touche pas aux machines, elles sont accrochées au plafond. On nettoie chaque point d’appui, nous suivons des formations pour la désinfection, on a eu une formation covid car on ne connaissait pas ce virus qui est virulent, on ne sait pas encore comment totalement le détruire eaucoup de formations sur l’habillage et le déshabillage. C’était compliqué en avril car on avait un manque de matériel flagrant”, raconte celle qui a intégré la brigade depuis le mois d’avril 2020, soit le début de la première vague causée par le Covid. Pour prendre le minimum de risques, beaucoup de formations sur l’habillage et le déshabillage ont été dispensées à l’égard du personnel.



Ainsi, dans une chambre à pression, avant de rentrer les agents se changent dans le sas. C’est ce qu’applique minutieusement Rachel, qui s’apprête à utiliser un super-robot dont la mission est d’éliminer la moindre gouttelette dans l’air, de Covid par exemple, grâce à la pulvérisation d’un produit, puis elle détermine le nombre de mètre carré à nettoyer, “qui pique fortement les yeux, il faut après ça attendre 2 heures avant de revenir dans la chambre”, précise la jeune femme âgée de 35 ans.



“On a un évier, des gants, tout ce qu'il” faut, et la porte du patient doit toujours rester fermée, il faut sortir un minimum, il faut être précautionneux, tout bien préparer à l’avance et faire un minimum de déplacement. Ici, je désinfecte la chambre, ce qui est obligatoire quand c’est une zone infectée”, ajoute-t-elle. Les points de contact sont nombreux, pour chaque personne qui entre dans le box, tous doivent être désinfectés pour qu’il n’y ait pas de risque de contamination par la suite. Tout est mis en œuvre pour se protéger mais aussi pour protéger les autres, “et ça va très vite, une infection peut se propager à vitesse grand V si tout le monde ne se désinfecte pas les mains, c’est une chaîne longue et délicate”.



Et en général, pour une unité Covid, ils doivent être deux à effectuer les différentes tâches, un travail lourd et long pour lequel chaque geste compte. Le lavage des points d’appui est encore plus sensible et essentiel durant cette crise sanitaire où rien ne pardonne. “C’est tout une technique à avoir, il ne faut pas se louper. On dépose un sachet désinfectant pour les canalisations, on le fait une fois par semaine (pour la partie évier, lavabo, douche, etc). On utilise ces petits sachets partout avec le covid. Le problème, c’est qu’on manque de personnel pour tout faire en cette période de pandémie, déjà que c’est juste en temps normal”, souffle Vahidé, qui a intégré les hôpitaux Iris-Sud il y a 25 ans et n’a jamais connu pareille situation.



“Au niveau du matériel, on n'avait jamais connu ça"



Dans l’optique de choisir ses équipes pour se rendre en première ligne face au virus, la tâche est devenue, au fil des jours qui passent et du bilan toujours plus mortifère des décès Covid, de plus en plus ardue pour Vahidé, la responsable du service nettoyage.



“Certains paniquent à l’idée d’y aller, on a essayé de mettre les personnes plus fortes, sachant qu’il faut tout bouger pour aller dans tous les coins, l’attention doit être de tous les instants. On a notre côté humain qu’on ne contrôle pas quand on voit les patients malades ou ceux qui décèdent, on ne peut pas toujours faire abstraction. Cela arrive, certains sont très réceptifs à la douleur des autres, on en parle ensemble. On fait le vide mais il y a des moments où c’est trop lourd pour une seule personne”. Et il faut dire que la crise a mis sous pression le quotidien de ces travailleurs qui se chargeaient de la réception de tout le matériel de protection, que ce soit les masques, les essuis mains et le gel de désinfection. C’est d’ailleurs surtout lors de la première vague que les complications sont survenues. “Vous pouvez arriver demain et le gel désinfectant disparaît de notre chariot, c’est à se demander si on devient fou ! C’était encore plus le cas lors de la première vague, on perdait du matériel tous les jours, et quand les palettes de matériel arrivent, on se dépêche pour ne pas les laisser sans surveillance”, retrace Angélique, encore ébahie par ces propres propos.



Et si, au départ, les agents travaillaient avec un masque pendant trois jours, ils ont le privilège d’en avoir deux par jour aujourd’hui, soit au mois de novembre au cœur d’une seconde vague ravageuse. La charge de travail accrue, la pénurie de personnel et de matériel ont donc poussé les équipes à se réinventer, à faire preuve de créativité, parfois par faute de moyen.



“Quand vous avez vos agents qui arrivent sans masque, vous avez l’impression de vider la boîte quand on en retire un, on voyait des boîtes de gants, du gel qui disparaissaient dans les couloirs quand nos agents travaillent, des gens ne profitaient pour en voler quand notre personnel avait le dos tourné, c’était une denrée rare. Tout ça crée un stress, on les fait galoper partout, puis il y a aussi le stress de l’attraper. On vit au jour le jour la situation, on ne sait jamais ce qui va nous arriver. Au niveau matériel, on n’avait jamais connu ça. Quand on avait des absents, on nous envoyait des étudiants, des personnes extérieures et on a eu un staff de nouveaux agents également”, détaille Vahidé.



“Si on est trop sensible, on ne tient pas le coup ici”



Durant son shift, Angélique ne s’arrête pas au nettoyage et à la désinfection des points de contact de la chambre du patient. Même si elle ne porte pas la même blouse que les soignants, une relation s’installe naturellement entre elle et le patient.



“On est là pour nettoyer, oui, pour faire que l’hôpital soit propre mais notre coeur est là. Quand on voit un patient en soins intensifs, on voit la souffrance dans le visage, le cœur a quand même un pincement, c’est un milieu à part le secteur hospitalier. Les voir partir nous écorche, on ne s’y habitue jamais vraiment, même un, vous l’avez là pour le restant. Au-delà du ménage, on crée un lien, on parle avec eux, on prend des minutes en plus quand on sent qu’on fait du bien à la personne. Et un autre jour, vous ne la voyez pas bien, il n’y a pas moyen de s’endurcir avec ça, la douleur est là et on fait avec, même si on ne les connaît pas. J’aime ce que je fais, on discute avec les patients, on sent qu’ils sont contents de nous voir, surtout en ce moment où les visites sont limitées. On a un rôle invisible mais bien utile auprès d’eux”, expose-t-elle.



D’ailleurs, avec le covid, les échanges avec les patients se sont renforcés, et quelque part elles ont surpassé leur fonction. “Quand on nous demande un service ou autre, on le fait avec plaisir. Par exemple, on peut nous demander à boire, on enlève les gants et on le fait, c'est naturel, on ne se limite pas au nettoyage, et ce avant le Covid. J’ai même retrouvé un patient dehors dans une rue adjacente, il prenait l’air mais il était sans surveillance. Je l’ai alors ramené à l’hôpital. On retrouve même parfois un patient dans nos couloirs au sous-sol, on prévient aussi les infirmières si on remarque quelque chose d'anormal au niveau du patient, c’est spontané. C’est ce qui fait qu’on exerce ce métier, chaque jour apporte son lot de désolation ou de, on voit des patients partir en oncologie, après des mois, il faut l’encaisser, on a aussi créé une relation avec eux”, rapporte Vahidé.



Comme les autres membres du personnel, le covid a amené du stress en plus et entre les deux premières vagues, les agents n’ont pas vraiment eu le temps de se remettre. “C’est beaucoup plus lourd aujourd’hui, il faut prévoir du personnel en plus, plus de matériel. Il se peut qu’on ait 10 personnes à la place des 25 agents en arrivant le matin, c’est pas évident mais on tient bon, on anticipe et on s’organise. On était désespéré en mars et quand les stocks se sont remplis, on dosait au compte-goutte pour que tout le monde en ait alors aujourd’hui, on prie pour ne pas voir se succéder d’autres vagues”, appelle-t-elle.



Un constat que rejoint Angélique, qui travaillait dans le nettoyage avant de débarquer à HIS mais dans le secteur privé. “On fonce encore mais on est plus impacté, on voit les gens dans leur lit, on commence à fatiguer. Ici, il faut tout reprendre mais il y a une forme d’usure. La première vague c’était l’inconnu, même si on faisait hyper attention, mais ici, je sens les agents plus sensibles psychologiquement, on n’a pas pris le temps de réfléchir, c’est maintenant qu’on se rend compte davantage de la situation. J’ai les larmes aux yeux qui montent le soir, c’est difficile de tout garder, surtout qu’on est désormais dans l’inconnu. Avec ce changement perpétuel des mesures du gouvernement, on aimerait leur dire de venir ici. Quand il fallait travailler avec un masque pour trois jours, on se demande comment la gestion s’est passée en haut”.



Frappée par le covid comme de nombreuses autres unités, la crise laissera des traces indélébiles dans la vie de ces personnes. C’est le cas de Vahidé qui a perdu un membre de sa famille, des suites du virus. “Je n’ai quasi pas coupé depuis le mois de mars, mon voyage d’été a été annulé et j’ai perdu quelqu’un de cher. Quand c’est un patient qu’on ne connaît pas, ça nous fait mal alors quand c’est un proche, c’est très dur, ça nous fait voir ce virus de merde différement et en pleine face, c’est très prenant, il faut être fort mentalement. Si on est trop sensible, on ne tient pas le coup ici”, conclut-elle, juste avant de lancer le coup de feu pour l'équipe du soir.



Des cuisines à l’assiette du patient, on joue avec les textures

Pour re-stimuler l’appétit des patients Covid, cuisiniers, diététiciens et nutritionnistes jouent un rôle précieux.



À l’hôpital Etterbeek-Ixelles, tous les plats sont préparés en cuisine, et c’est une vraie fierté issue d’un travail de longue haleine mené par la patronne des lieux, Marie-Joëlle Vasseur, qui a intégré les hôpitaux Iris-Sud il y a 23 ans. “Chez moi, vous ne trouverez pas de surimi ou de poissons artificiels”, lance cette femme au caractère bien trempée. Et il en fallait pour révolutionner la façon de cuisiner à l’hôpital. “Quand je suis arrivée ici, c’était le Moyen- Âge, il n’y avait pas d’ordinateur, pas de fax. Il a fallu tout construire et on peut dire qu’on s’est fait notre réputation. À l’époque, mon but était de sortir les cuisines de l’ombre. Et quelque temps après, on nous demandait avec quel traiteur on travaillait lors de drink ou réception à l’hôpital et je répondais qu’il n’y en avait pas, que tout venait de nos cuisines, ils n’en revenaient pas”.



Tout en maniant la qualité et la sécurité alimentaire au plus haut niveau d’exigence, les agents doivent nourrir du petit-déjeuner au dîner tout un hôpital et bien sûr, sans eux, personne ne mange ! Ils assurent différentes grandes fonctions : l’approvisionnement, la production, la préparation et la livraison. Et une fois la marchandise réceptionnée, il faut la déconditionner et la compartimenter dans les multiples chambres froides qui longent le sous-sol. “On travaille avec des cycles de menu qui correspondent aux différentes de saison, sachant que les régimes représentent 45 % du total. On a donc beaucoup travaillé ces dernières années pour informatiser tout notre système afin que chaque patient qui entre ait une fiche numérique reprenant les différents besoins, allergies, besoins nutritifs. Cela permet aux diététiciennes de faire une anamnèse pour calculer les besoins exacts de la personne pour ensuite déterminer les menus, c’est un gain de temps énorme pour nous et offre la possibilité aux diététiciennes de pouvoir aller au pied du lit du malade et adapter la fiche de goût”, indique celle qui tenait dans le passé un restaurant en France.



Plats frais, équilibrés et adaptés aux besoins nutritifs de chaque patient via des produits frais et bio pour certains, rien n’est laissé au hasard. Au niveau des fruits et des légumes, le service travaille un fournisseur en Flandre, à Wetteren, une société familiale avec qui l’équipe travaille depuis des années. Après avoir étudié à l’école hôtelière, Marie-Joëlle a voulu conserver certains grands principes. “Nous travaillons à flux tendu pour l’hôpital D’Ixelles et de Molière, que nous fournissons trois par semaine, on a juste quelques conserves de secours mais ici, on encore des gens qui cuisinent, on compte seulement une réserve sèche”, tient à préciser celle que tout le monde surnomme Marie-Jo, qui se targue de ne jamais avoir vendu l’âme de ses cuisines à Sodexho. “Parfois, il y a des cuisines de collectivités qui prennent des raccourcis, cuisinent tout à la vapeur et basta. Ici, on va aussi fermenter, ajouter du beurre, quand c’est possible et utile, des herbes, des épices, on a encore une manière traditionnelle de travailler”.



Juste derrière elle, les cuisiniers du jour préparent une blanquette de veau à la sauteuse et non au four, “on va le cuisiner de manière classique pour avoir du goût et du qualitatif”, explique Alain, cuisinier et chef de production qui travaille dans les cuisines de l’hôpital depuis 35 ans. Dans ces cuisines, on utilise très peu de machines et presque tout se fait à la main, réception, stockage, désensachage, ce sont des gestes très répétitifs, fatiguant et avec des mesures d'hygiène parfois drastiques. Tous ces agents travaillent en tenue, comme dans les services de soins, avec un masque et une coiffe. Si le service a pu compter sur l’extrême générosité du monde extérieur, que ce soit des chocolats ou des petits plats, les équipes en ont d’ailleurs tellement reçu que des denrées alimentaires ont été redistribuées à des sans-abri.



“Cela a été très dur pendant le premier confinement, on ne savait pas où on allait. Je me levais et je me demandais si mes équipes seraient là, beaucoup de collègues ont été atteints dans d’autres services, j’en perdais deux, voire trois par jour, il a fallu booster les gens”.



Des solutions artisanales pour redonner l’appétit aux patients

Re-stimuler le goût des patients Covid fut un véritable défi pour l’équipe de diététiciens.



La perte de goût et la perte de l’odorat sont des symptômes fréquents du coronavirus. Énormément de malades s’en plaignent. Et si pour certains, c’est passager, pour d’autres, le temps de récupération peut être beaucoup plus lent. Elle peut durer jusqu’à deux ans.



“Ils avaient des problèmes d’absence de goût, et ce virus fait perdre du poids en peu de temps, il a donc fallu développer tout un tas de recettes enrichi et boostées en goût afin de les pousser à s’alimenter et inciter à reprendre l’appétit, ça a été un travail très important ces derniers mois”, indique Marie-Joëlle Vasseur. Il est donc important d’effectuer des exercices pour mieux récupérer l’odorat et le goût.



Et c’est Amandine, un des diététiciennes d’HIS, qui s’attèle à préparer des pains au lait mixés enrichit avec de la crème, un plat issu d’une recette maison. “Cela prend du temps, c’est vraiment préparé à la main mais on veut continuer de le faire. On fait aussi des préparations à base de chocolat, de vanille ou de fraise. Le but, c’est que cette préparation puisse passer sans morceaux dans l’œsophage des patients sans qu’ils s’étouffent, avec une valeur calorique et énergétique sur lesquelles on joue. Le retour des patients est très bon et ça commence à faire le tour dans d’autres hôpitaux, on a mis ça au point il y a quelques années, tous les patients dans le besoin peuvent en recevoir”, détaille Amandine, une pipette en main pour distiller une dose de thon mixé.



Des recettes salées sont en train d’être préparées, à base de fromage de chèvre, de pâté, ce qui permet d’élargir l’alimentation au lieu d’avoir seulement de simples crèmes, pouvant apporter beaucoup plus en termes de calories qu’un yaourt par exemple. Un travail minutieux qui demande parfois des heures de préparation. “Mais les résultats sont là, les patients sont ravis et reçoivent plus de calories en même temps. De plus les goûts sont là et sans aucun additif, on peut avoir l’impression de manger une Bolognaise ou une carbonara. La conséquence directe, c’est que l’appétit du patient est stimulé, et on ne le dit pas assez mais alimenter c’est soigner, on part de ce principe ici. Compte tenu de moyens, on aimerait bien en faire plus mais on tente d’apporter le plus de nutriments essentiels possible à notre alimentation que de devoir compléter avec des médicaments ou des compléments alimentaires”, conclut Marie-Jo.



Le combat contre la dénutrition

Les diététiciens réalisent aussi un suivi alimentaire pour chaque patient.



Arnaud Tiberghien, diététicien et nutritionniste de l’hôpital, fait le lien entre les cuisines et les patients. Et ce mercredi matin, il se rend au chevet d’une patiente atteinte d’un cancer ORL, nourrie exclusivement par sonde gastrique. Sa mission ? Réaliser un suivi quotidien de l’alimentation proposée, en vérifiant comment la personne ingère les plats tout en menant une surveillance accrue de l’état nutritionnel.



“Ici, la problématique c’est que la patiente est inquiète par rapport à un examen pour lequel elle doit être à jeun. Elle avait peur de ne pas pouvoir l’être vu qu’elle est nourrie par sonde mais je lui ai expliqué que ce n’était pas un souci car elle ne serait pas alimentée de 20h à 07h. Ensuite, ils introduisent une solution glucosée pour voir où en est le cancer. Mon rôle est alors d’aller voir les médecins et les infirmiers pour voir ce qu’il en est par rapport aux examens. De plus, la patiente se plaint de lourdeur à l’estomac, et même si elle reçoit 125 ml par heure, ce qui n’est pas beaucoup a priori (c’est l’équivalent d’un demi-verre), on doit trouver une solution. Soit adapter le débit, soit réfléchir à un médicament pour accélérer sa motilité intestinale afin d’éviter les nausées tout en augmentant la vitesse de transit digestif”, décrit Arnaud.



Et avec le Covid, les malades sont considérés comme des patients à risques élevés. Aujourd’hui plus qu’hier, le combat contre la dénutrition est engagé. “L’intérêt d’un dépistage précoce est encore plus grand, on interroge le patient sur sa perte de poids, d’appétit, une biologie est demandée aux médecins, on exerce un suivi précieux des ingestions des patients”, expose le jeune Bruxellois. Ainsi, les équipes de diététiciens mettent en place un protocole nutritionnel dès l’admission du patient comprenant des desserts enrichis faits maison et l’instauration de collations l’après-midi, “on insère aussi des boissons acidulées et on propose des solutions pour augmenter le goût, comme via le sel et le poivre, sauf s’il y a des contre-indications médicales”, conclut-il.



“On sait quand on commence mais jamais quand on termine”

Plongée dans l'économat, là où la très sensible gestion des stocks du matériel de protection a lieu.



C’est ici, entre les murs de l'économat que sont gérés minutieusement tous les stocks du matériel non stérilisé. Blouse protectrice pour le personnel, masque, gants, “on prépare le matériel pour tous les services. On s’occupe de commander les stocks et on facture”, indique le responsable magasinier des lieux. Ici, 1000 produits différents sont stockés sur des palettes, prêts à partir. Souvent dans l’urgence.



Mais la place commence à faire défaut et la crise du covid a aggravé la situation, ce qui demande à Aldo et ses équipes composées de huit personnes de faire preuve d’une certaine créativité au quotidien. “Mais on ne peut pas repousser les murs à l’infini”, glisse un employé, coincé entre deux palettes qui garnissent les couloirs de cet immense hangar à quelques encablures de l’hôpital Bracops.



“On sait ce qu’on a aujourd’hui mais pas demain. Mais on arrive toujours à tout avoir, si on rencontre des difficultés, on change de fournisseur, on se doit de trouver des solutions. On est le magasin central des HIS, on doit avoir de tout. Pendant la crise, les firmes avaient encore plus de retard que d’habitude, on devait alors trouver d’autres solutions, par des intermédiaires ou des concurrents”, détaille le patron des lieux.



Les blouses et les masques de protection ont été les plus demandés pendant le covid. “La règle c’est que dès qu’on arrive à la moitié du stock, on recommande, comme ça on s’en sort, on le prend comme une mission pour laquelle on est investi. On est dans l’urgence de la préparation mais aussi pour trouver les produits, on envoyait tout au service achat, ça passe vite les journées ici, croyez-moi, on commence à 7h et on sait pas quand ça se termine, c’est comme ça depuis le 1er avril. Sans nous, ça ne tourne pas, les gens n’ont rien!”, somme Aldo Sortino.



“On commence à sortir les pharmaciens de la cave”

En l’espace de quelques années, le travail des pharmaciens hospitaliers a radicalement changé.



Dans les sous-sols, de l’hôpital, les pharmaciens valident les traitements médicamenteux des patients. Antibiotiques, perfusion, comprimés, la pharmacie hospitalière d’HIS gère l’envoi et le suivi de près de 1000 médicaments différents. Ici, tout fonctionne selon le principe du double check, une assistante prélève les médicaments et une deuxième vérifie le tout pour que la bon traitement arrive au bon patient, “Le circuit du médicament débute ici et avant ça, il y a un nombre d’étapes incalculables qui répondent à la règle des 3B: le bon médicament au bon moment et pour le bon patient”, nous confie un des pharmaciens de l’unité. Les spécialistes détiennent un formulaire thérapeutique qui liste tous les médicaments, les perfusions, les comprimés ainsi que les traitements spécifiques. Et tout est informatisé et suivi de près pour qu’aucune erreur ne survienne dans la chaîne, “en milieu hospitalier, il y a énormément d’ampoules et la grande spécificité, c’est l’intra veineux”.



“Nous sommes un élément important, et pas que des délivreurs de pilule, on assiste à un développement de la pharmacie clinique, on commence à sortir les pharmaciens de la cave. Comme ici, on doit se battre et apporter notre parole dans les unités, sur l’usage des médicaments, on propose la bonne posologie, qu’ils soient utilisés dans de bonnes conditions, il y a tout l’aspect scientifique derrière, ce n’est pas juste que du stock. On est un maillage important de la chaîne mais on n’est rarement mis en valeur. Sur la fresque à Ixelles, on ne voit aucun pharmacien. C’est frustrant mais je pense qu’on est également coupable de ne pas s’exprimer plus, on a pourtant la possibilité de le faire mais on ne le fait pas car on considère qu’on a fait le travail et que ça suffit. Aujourd’hui, on a envie de montrer, d’exprimer ce travail”, légitime le responsable des lieux.



D’ailleurs, le rôle des pharmaciens de l’hôpital a été encore plus précieux durant le Covid, notamment avec la pénurie d’un médicament, le Curare, un bloquant neuromusculaire qui permet d’empêcher les patients de bouger afin de les calmer, une substance très demandée pour les patients Covid sous respirateur. “S’il y a une rupture de stock, il faut trouver une alternative et la placer dans toutes les armoires de l’hôpital, comme avec le Curare, c’est un travail monstre. C’est une des tâches quotidiennes mais qui prend de plus en plus de place. Il y a 500 ruptures de stock de médicament en Belgique à ce stade, notre boulot a donc changé en quelques années, on devient des gérants de ces de rupture de stock”, indique-t-il.



Pour cette substance, un standard issu des produits vétérinaires a été trouvé, sans pour autant que la qualité ne diminue. Et lors de la seconde vague, les pharmaciens se sont retrouvés particulièrement sous pression et ont dû être créatifs pour trouver des alternatives.



“C’est à flux tendu à cause de l’origine de certaines substances animales provenant de Chine, et notamment de la crise des porcs. Ainsi, dans un an, on sait que ce sera difficile parce qu'il y a des pénuries là-bas. Après quoi les firmes augmentent les prix, ce qui n’est pas très chouette pour nous. Il suffit d’une contamination pour que tout s’écroule et l’hôpital n’est pas capable de tout supporter. De plus, chaque année, il y a des économies dans notre domaine. Un simple exemple, celui du remboursement d’un médicament qui est fixé à un prix. L’INAMI décide qu’il sera remboursé à 80% et chaque année, cela diminue, des économies sont faites tous les ans sur ce remboursement. Et il faut savoir que le fonctionnement du financement des médicaments hospitaliers se fait par forfait, donc chaque patient qui entre touche un forfait, une somme qui diminue annuellement. Entre 2006 et aujourd’hui, on a perdu plus de la moitié de ce forfait. Ainsi, pour des traitements similaires, cela devient difficile à supporter pour certains et ça joue beaucoup dans notre financement”.

2021 ©Les héros de l’ombre : plongée dans le quotidien des métiers insoupçonnés de l’hôpital en pleine crise Covid - By DH Les Sports +