Mardi 3 novembre, 16h45. La tension est à son comble au sein de l’unité de soins intensifs de l’hôpital Joseph Bracops à Anderlecht. Un patient Covid entré le 16 octobre et qui devait être extubé dans les prochaines heures est en train de faire un arrêt cardiaque. “Dis à mon mari que je ne serai pas rentrée pour 17h30”, souffle une infirmière au plus près de l’intervention. C’est alors le “sprint de toute une vie” qui s’amorce, une course contre la montre pour éviter de perdre un patient de plus et aggraver un bilan déjà lourd. En chambre, cinq soignants sont au plus près du patient pour le ramener à la vie et huit personnes de différentes fonctions sont à l’extérieur et sur les starting-blocks pour apporter seringues supplémentaires, adrénaline ou autre médicament. Tous accourent dans les couloirs pour aller chercher le matériel nécessaire et leur regard se suspend à ce qui se passe à l’intérieur, aux gestes apposés par les médecins et au tableau de vie du patient. Passé par là un peu hasard, un biotechnicien assiste à la scène et veille à rassembler tout le matériel de survie au cas où une panne survient.
A l’intérieur, le défibrillateur commence à être déployé. La pression monte au rythme où l’état du patient se dégrade, les visages se tendent et la concentration est à son paroxysme, comme si leur vie, aussi, était en jeu.
On a alors l’impression que le temps s'est arrêté, un silence de cathédrale s’est installée dans les couloirs de l’unité, les joues sont rouges et la sueur abonde au fil des allers retours incessants suite aux demandes des médecins. Les infirmières ont la tête collée à la vitre qui les sépare de la chambre et anticipent le moindre couac, “il sort le défibrillateur, amenez tout ce qu’il faut, soyez prêts”, s’écrie l’une d’elle. Après avoir désinfecté la chambre covid en question, un agent d’entretien vient prêter main forte et détale au local de matériel pour apporter davantage d’adrénaline, qui doit être effectuée en intra-musculaire, sans attendre, et ce dès l'apparition des signes précurseurs et symptômes du choc anaphylactique.
En chambre, le patient âgé de la cinquantaine et de forte corpulence n’a plus aucun rythme cardiaque, les médecins accompagnés d’un pneumologue le récupèrent alors une première fois mais il rechute dans la foulée. C’est finalement au bout de trois défibrillations que le patient est ramené à la vie, en une demie heure de temps qui a paru interminable pour tous ceux qui ont assisté à la scène. “C’est un vrai miraculé, après avoir utilisé trois fois le défibrillateur et sur une durée aussi longue, c’est très rare de pouvoir le sauver”, soupire le docteur Ali, tout juste sortie de la salle de réanimation, les yeux injectés de sang et la mine soulagée.
Si le patient a repris sa respiration, les équipes ont, elles, le souffle coupé mais ne peuvent pas relâcher leurs efforts, les paramètres vitaux du patient doivent être suivis de très près dans les minutes et les heures qui suivent.
Il faut dire que le Covid n’a pas encore livré tous ces mystères, le patient en question a d’ailleurs souffert d’une conséquence du virus qui n’était pas connue au départ. “A part les problèmes respiratoires et les inflammations des alvéoles , le coronavirus peut provoquer des embolies pulmonaires et la présence de caillots de sang dans les bronches, c’est ce qui s’est passé ici. On a alors appelé un pneumologue qui est allé pomper le liquide pour dégager les caillots, il y en avait une dizaine, ce qui est énorme et nous a obligé à aller très vite. C’est ça qui a engendré l'arrêt cardiaque car ses poumons ne recevaient plus rien”, explique-t-il.
Sans la contribution de tous les corps de métier, ce médecin en charge des soins intensifs n’aurait jamais pu sauver la vie de son patient. Car dans ces moments-là, où la vie est entre les mains d’une poignée de personnes, il n’y a plus de hiérarchie mais juste une équipe qui tire dans le même sens pour ramener une vie du bon côté, “et celui qui se croit au-dessus n’a rien compris”, assène Ali. “A chaque patient qui sort, aucun travail n’est plus important que l’autre. Sans les infirmières, je ne sais rien faire, sans les kinés qui viennent nous aider non plus, sans même les biologistes, les radiologues qui fournissent des données fondamentales ni même cette dame qui vient désinfecter la chambre. Tout cela fait partie de la chaîne, chacun fait son métier et il faut cette harmonie pour obtenir un résultat”. Et ça tombe bien, nous allons vous plonger dans ce maillage indiscernable à travers le témoignage de celles et ceux qui assurent la pérennité des soins.
2021 ©Les héros de l’ombre : plongée dans le quotidien des métiers insoupçonnés de l’hôpital en pleine crise Covid - By DH Les Sports +