Chapitre 2



Dans le sillage des mains volantes de l’hôpital: entre manque de moyens et course effrénée au matériel médical




Les équipes des services techniques ont dû remuer ciel et terre pour être protégées du virus et redoubler de créativité pour remplacer le matériel manquant. Sans pour autant mettre entre parenthèses leur mission principale.



La course frénétique aux respirateurs, la mission des biotechniciens



Contactés par les unités de soins, Aziz et son équipe volent au secours du matériel médical, encore plus précieux durant la crise.



Aziz est connu de tous les soignants sur les différents sites des hôpitaux Iris-Sud, c’est lui et son équipe volante, composée de cinq biotechniciens, qui s'occupent de la maintenance et de la réparation de tout le matériel médical. Que ce soit monitoring, respirateur, pousse-seringue, des outils vitaux pour les patients et encore plus en période de crise du Covid. Ce mardi 3 novembre, son équipe est appelée par l’unité de soins intensifs de l’hôpital Bracops où où ils doivent installer un monitoring, qui permet de surveiller les paramètres vitaux du patient, ainsi qu’un pousse-seringue et une pompe à perfusion.



“Tout se fait dans l’urgence, on reçoit une demande et on doit y répondre dans les deux jours. C’est du matériel pour des patients critiques et ça ne peut pas attendre. On a peur d’un afflux de patients donc on doit faire face, ici on fait aussi un contrôle de qualité du matériel, on vérifie son fonctionnement. Il faut aller vite et en ce-moment, nous sommes que deux pour tout gérer, j’ai un collègue malade du covid, l’autre en vacance et le dernier absent pour raisons familiales. Je devais être en congé actuellement d’ailleurs mais ça ne me dérange pas de revenir travailler, si je peux aider, je le fais”, confie Aziz Belghiti.



Et avec le Covid, la charge de travail s’est accentuée et il est arrivé que du matériel soit en pénurie, comme le fameux respirateur, celui qui prend en charge le processus respiratoire du corps lorsque la maladie a provoqué une défaillance des poumons, très précieux durant les deux vagues. “Les respirateurs sont vraiment mis sous tension avec la crise, tout le monde en demande et ça devient difficile d’en trouver, il faut vraiment qu’on ait un bon partenariat avec la société pour qu’ils acceptent de nous en prêter car on n’a pas toujours les budgets. C’est critique aussi pour les monitorings aussi, qui sont très demandés, tout comme les défibrillateurs. Avec le covid, il y a plus de stress, il faut répondre plus rapidement, le matériel doit être davantage révisé, tout doit vraiment fonctionner vite et bien”.



C’est d’ailleurs ce Bruxellois d’origine qui exerce le rôle de tampon entre le personnel médical et les firmes. Et les négociations ne sont pas toujours simples. “Il faut budgétiser tous ces achats. On ne peut pas toujours faire de miracles, c’est du matériel très coûteux, il faut la validation de la cellule achats, donc parfois, on négocie pour les avoir en location. Avant le covid, on était déjà juste. Ici, on a huit lits en soins intensifs, on prévoit donc our ces huit lits, on n’a pas de marge pour avoir du matériel supplémentaire, c’est ça le problème. A l’avenir, j’espère qu’on pourra prévoir plus de réserve, qu’il y aura plus d’anticipation car on voit que ça peut aller très vite dans le domaine de la santé”, aspire cet homme âgé de 51 ans qui entre dans sa vingt-septième année au sein des hôpitaux Iris-Sud.



Une fois l’intervention terminée, Aziz et son bras droit regagnent leur camionnette et savent qu’ils auront vingt minutes pour souffler, le temps de rejoindre le site de Molière pour une intervention sensible dans l’unité Covid. “En temps normal, on est déjà juste en personnel comme en matériel, alors imaginez maintenant, tout devient urgent, on travaille dans l’urgence, nos interventions sont chaque jour décisives et primordiales, on permet aux machines de fonctionner, on les répare ou on les installe”, confie son jeune collègue, âgé de la trentaine.



“On a inventé le mobilier Covid”





L’équipe des menuisiers ont conçu sur mesure les premières séparations en plexi pour limiter les risques de contaminations.



Les meubles, les plexi glass pour se protéger du covid, certaines portes, une grande partie du mobilier est réalisée sur mesure par les menuisiers des quatre sites des hôpitaux Iris-Sud. Et les demandes ont été particulièrement abondantes pendant la crise sanitaire. “On a posé beaucoup de plexis sur les quatres sites pendant le covid, ce sont des séparation entre le personnel ou avec les patients, c’est un cloisonnage qui tient seul, on a aussi fait beaucoup de desks accueil, les consultations et parfois les chambres Covid, on a quelque part inventé le mobilier covid, les premières séparations pour laisser un distance suffisante entre les gens. En deux jours, on prenait les mesures et on installait la pièce, et on allait également dans les salles d’op’ faire des réparations en direct”, présente l’un des deux hommes à tout faire, Sébastien Vanluyck. Ils sont deux pour gérer, les dépannages, les projets mobiliers et toutes les livraisons, “le placement, c’est rien mais il faut les créer sur mesure pour chaque service, c’est de l’artisanat”, ajoute son compère, Dirk Dupan. A l’arrière de l’hôpital Bracops, ils disposent de leur propre atelier, c’est là où sont conçues les pièces uniques. “On va vraiment sur tous les sites, comme en cuisine où on bosse sur les plans de travail, on mène des projets partout. Pourtant, au début, il fallait mendier pour avoir un masque alors que les infirmières étaient déguisées en cosmonautes quand on se rendait dans les chambres Covid. Maintenant, on a des masques, mais comme pour les techniques, on n’a l’impression de passer au second plan dans cette crise alors qu’on se retrouve aussi en première ligne. Mais notre mission reste la même: on veut que chaque corps de métier ait son confort, ses meubles selon ses spécificités”, résume Sébastien.



“C’était comme devoir déminer une bombe”





Rencontre avec l’homme à tout faire de l’hôpital Etterbeek-Ixelles.



On le surnomme l’homme à tout faire de l’hôpital, le magicien d’HIS. Véritable marathon-man des couloirs, Mouss abat quelques quinzaines de kilomètres par jour pour venir réparer évier, toilettes, portes et permettre ainsi aux services de repartir à la normale. “Cet hôpital, je le connais par coeur, jusqu’au moindre recoin. Quand il y a un problème de plomberie, d’électricité, une porte qui coince, un robinet défectueux ou une chasse qui ne coule, c’est pour nous. Et dans les chambres, on doit souvent envoyer quelqu’un au plus vite selon le souci, c’est ça le service technique. A la fin de la journée, c’est sûr que mon podomètre explose", raconte celui qui gère une équipe de six personnes pour gérer tout l’hôpital, dont deux à la plomberie, deux à l’électricité générale et les restants s’occupent des plafonds et des portes. Le service peut compter sur un groupe de secours, qui permet en cas de coupure d’électricité, si la tension est coupée, de prendre le relais pour alimenter l’hôpital. Et si un fusible est coupé, le groupe alimente tout ce qui est crucial, comme dans chaque chambre où il y a des prises de secours ainsi que dans les salles d’opération où des batteries peuvent aussi prendre le relai. Quand une grosse coupure survient, c’est l’alerte générale pour les équipes de Mouss, “il faut alors passer partout et tout vérifier même si on a beaucoup de disjoncteurs protégés, il faut aller très vite sinon les conséquences peuvent être dramatiques”. Si ce genre de pannes ne surviennent que deux ou trois fois par an, elles restent la principale source d'inquiétude du service technique. “Avec ce groupe qui fabrique l’électricité, on a trois chaudières, et pendant qu’elles chauffent, elles produisent de l'électricité.



Le problème, c’est que ces machines tombent souvent en panne et même si on a de la réserve d’eau chaude, on a souvent cette alarme qui retentit pour avertir et c’est un peu la catastrophe. En ce moment, ça sonne deux à trois fois par semaine et là aussi il faut aller vite pour tout relancer. Quand les machines tombent en panne, c’est plus complexe à gérer, on a des hommes en moins, la moitié est tombée malade du covid en même temps, il a donc fallu gérer le même travail avec deux fois moins de personnes", souffle Moustafa Finsi. Ce mercredi 4 novembre, c’est une toilette qu’il faut venir déboucher. Et vite, car elle se trouve dans l’unité covid et menace le bon fonctionnement de tout le service. A peine après avoir raccroché, le chef de secteur de l’hôpital d’Ixelles brûle le pavé pour rejoindre la zone.



“Avec le Covid, tout est devenu plus contraignant, c’était la panique générale, on ne savait pas comment réagir face à ça, on ne savait pas comment travailler, on revenait en sueur des soins intensifs, c’était comme devoir déminer une bombe. J’allais moi-même et je dépannais tout ce qui se passait dans les chambres Covid”. Avec la crise sanitaire, le travail s’est donc transformé en stress quotidien, d’autant plus que ses hommes devaient souvent réparer des zones relatives à des points de contact, où le virus est susceptible de se trouver. Et en plus de jouer les pompiers de service, celui qui a intégré ce service en 2008 a dû voler au secours de ses hommes. Pour leur santé psychologique mais aussi pour la survie de son service et indirectement de celui de tout l’hôpital.

“Ici, j’ai eu trois personnes qui ont pété les plombs, s'ils sont tombés en dépression. J’ai tout fait pour qu’ils voient une psy à l’hosto, j’ai pris soin d’eux comme si c’était mes gosses. Il y a eu beaucoup de colère dans nos rangs mais on a essayé de la garder en nous, nombreux sont ceux qui sont sur le point de lâcher et démissionner. Je le crie haut et fort, on a été abandonné par l’état. Les autorités ont donné des procédures pour les infirmiers, les médecins, les agents d’entretien mais pas les techniques. Entre avril et août, on s'est battu ! J’ai dû contacter moi-même l'hygiéniste et avec elle on a mis au point toute une procédure pour établir comment entrer dans les services covid, comment se protéger. On s’est battu pour être protégé, au départ, j’avais un masque pour chaque homme pour trois jours, c’était impossible de le gérer comme ça”, fustige ce beglo-marocain.

Lors de la première vague, Mouss se retrouvait à travailler avec seulement deux collègues, ce qui revenait à besogner chaque jour comme un dimanche, avec une charge de travail accrue. Mais sans procédure ni matériel de protection, les techniques avaient finalement l’impression de ne pas exister. “Notre grande patronne nous a toujours soutenu mais le problème, c’est plus haut. Il y a des process pour les soignants et d’autres fonctions mais pas pour nous. Quand j’ai contracté le covid, j’ai dû prendre sur mes congés, on m’a dit qu’il fallait l’inscrire comme maladie professionnelle mais pour les techniques, ce n’était pas reconnu comme tel, à ce stade en tout cas, nous ne sommes pas rangés au même niveau que les autres”.

Pourtant, le rôle de ces virtuoses en milieu hospitalier est extrêmement précieux. Une colonne de toilettes bouchée, une unité sans électricité et c’est tout un service qui disparaît et des patients qu’il faut reloger. Une fois réclamé, ces hommes à tout faire répondent présent et qu’importe la maladie en question où la contagiosité du patient en chambre. “Peu importe en fait, un de nos gars viendra mettre le nez et ses mains dessus. On est en contact avec tout le monde, du cuisinier au médecin en passant par les agents d’entretien, on peut tous les aider. Ici, on sert la vie, quand on arrive à l’USI où l’air ne passe plus, c’est notre responsabilité de régler le problème et si la personne décède, c’est notre faute.

On touche à tout et on se sent utile, je ne me vois pas ailleurs qu’ici”, indique celui qui dirige le service depuis sept années. Et alors que la seconde vague commence tout juste à redescendre, Moustafa espère que la considération à l’égard de sa profession changera à l’avenir. “Encore maintenant, on ne voit rien au niveau des maladies professionnelles concernant notre partie, les autorités ont reconnu les nettoyeurs, les infirmiers et beaucoup d’autres mais pas nous. Pourtant, nous sommes aussi utiles qu’eux. Honnêtement, si j’appuie sur un bouton, il n’y a plus rien, que ce soit les pannes du matériel de soin, l’électricité ou le chauffage, tout ne tourne pas grâce à nous mais si on n’est plus là ou que l’on ne peut plus exercer notre métier comme il faut, c’est tout l’hôpital qui battra de l’aile”.

2021 ©Les héros de l’ombre : plongée dans le quotidien des métiers insoupçonnés de l’hôpital en pleine crise Covid - By DH Les Sports +