Après une crise sanitaire sans précédent, la mise en lumière des coupes budgétaires dans le secteur des soins de santé et la pénurie de personnel, que restera-t-il de l’hôpital ?
En charge du service de prévention psychosociale, Laura Jeunejean est persuadée que la crise va permettre de revoir le fonctionnement de l’hôpital.
Si sa mission principale relevait de la prévention du stress et des risques psychosociaux, le covid a fait basculer le quotidien de Laura, conseillère en prévention psychosociale, dans la gestion de crise et de l’angoisse. “Au vu de l’énorme fatigue physique et émotionnelle du personnel, on a dû réadapter nos missions”, annonce la jeune femme âgée de tout juste 32 ans. “Il y a eu beaucoup de pertes et de décès qui ont engendré de nombreux troubles et un stress très important. La fatigue était très présente avec la lourde charge de travail. On tente alors d’anticiper les formes de stress post-traumatique, elles sont souvent issues d’un stress aigu, il faut donc éviter qu’ils s'installent dans le temps. On a essayé d’apporter une réponse rapide. Si la majorité des appels provenaient des soignants, on a aussi échangé des gens de l'administration, du nettoyage, ça touchait tout le monde, il a fallu recréer de la confiance dans les équipes car elle s’était distanciée avec la crise”.
Pour ce faire, elle a mis en place avec son équipe et les psychologues des hôpitaux Iris-Sud, qui se rendaient également sur le terrain pour compléter le renfort, un numéro de crise via lequel les membres du personnel peuvent la joindre, ainsi que la création de la cellule pep’s, composée d’une dizaine de personnes afin de créer des ateliers d’écoute, d’échange et de suivi psychologique. Et parmi les effets positifs de la crise du Covid sur le monde hospitalier, Laura Jeunejean est persuadée qu’ils transformeront en profondeur son fonctionnement. “Avant la crise, disons qu’il y avait moins de ponts entre les différentes fonctions mais dans l’urgence, on se pose moins de questions, on collabore, on échange avec des gens avec qui on aurait jamais échangé auparavant. Cela fait partie de la crise, ça donne une certaine autonomie, la direction nous a permis de foncer, on a eu plus de libertés et c’est bénéfique pour chacun d’entre nous, les projets avancent plus vite, des collaborations entre service, des échanges naissent et les relations et les liens de confiance entre les métiers se renforcent.
On s’est rendu compte qu’on était plus fort ensemble”. Et si elle travaille depuis seulement deux ans dans ce secteur, les derniers mois l’ont renforcé dans l’idée de poursuivre sur cette voie, pour être au plus près de ce changement et construire le prochain chapitre. “Je suis certaine que tout ça a permis de questionner tout le monde sur le fonctionnement de l’hôpital, cela va créer beaucoup de changement en interne, notamment sur les priorités, il faudra faire le point sur ce qui est urgent ou non, si certaines tâches vont reprendre avec le Covid. La vision de l’avenir sera revue, ça dépendra aussi bien sûr des moyens alloués. On a pensé à des choses auxquelles on n’avait pas pensé avant, tout cela a permis de repenser le bien-être du personnel et tout le travail de prévention”, conclut Laura.
Un constat confirmé par Fatima, responsable des urgences sur le site Molière des hôpitaux Iris-Sud. “La collaboration s’est renforcée depuis la crise du covid, ça nous a obligé à échanger encore plus qu’avant, à dialoguer, à se serrer les coudes, je crois que ça va changer en profondeur la relation entre les différents services, en tout cas je l’espère. Tout ça est devenu naturel ici et c’est vrai que ça l’était moins avant. C’est enrichissant pour tout le monde d’ailleurs, on apprend de nos spécificités, on est tous irremplaçables. Un jour, j’ai essayé de faire le job d’un brancardier, et bien au bout d’une heure et demi, j’avais le dos en vrac, ils sont essentiels comme les agents d’entretien et comme beaucoup d’autres, ce sont des métiers dans l’ombre mais qui ne doivent pas être oubliés. Ici, je ne peux pas m’occuper de mes patients si le brancardier n’a pas fait son travail au préalable”.
Munie de sa table à massage mobile, Emmanuelle Bastien ne passe pas inaperçue lorsqu’elle déambule dans les couloirs de l’hôpital. Et pour cause, c’est très certainement une des rares personnes à venir annoncer de bonnes nouvelles au personnel et décrocher des sourires. Sa mission ? Répandre bien-être physique et mental pour les membres du personnel la par le massage via la méthode shiatsu, une technique de massage fondée sur le principe des flux d'énergie présents dans l'organisme, qui se réalise par pressions de certains points réflexes du corps.
Et ici, des cuisines aux infirmiers, tout le monde passe entre les mains Emmanuelle Bastian, ergothérapeute et praticienne en massage bien-être à l’hôpital Etterbeek-Ixelles. Ce jeudi matin, direction les soins intensifs de l’unité Covid où Didier sera le premier “patient-soignant” à se faire masser. C’est dans la dernière chambre laissée vide par le Covid qu’il s’installe. Installé sur le ventre au son d’une musique relaxante, l’idée est aussi de pouvoir déconnecter sans se déplacer dans un lieu neutre.
Et si le massage axé sur le dos, les épaules et la nuque dure entre 15 et 20 minutes, les bénéfices se font vite ressentir. Un moment en suspens où le corps et l’esprit ne font qu’un et peuvent enfin être apaisés, une parenthèse précieuse dans ce combat quotidien mené contre le virus. “Pour notre travail, c’est bénéfique pour nous mais surtout pour le soignant”, souffle Didier, après être passé entre les mains de sa soignante du jour. “On se sent mieux, soulagé et donc on est plus à même de délivrer un soin de qualité, le corporel est hyper important. Je fais du taichi donc je suis très ouvert à tout ça, on doit aller encore plus loin je pense. Les besoins sont grands dans le milieu hospitalier, le corps est plus important que l’esprit, il faut permettre aux soignants de diminuer leur stress”.
Né depuis un an, le projet “serenity” n’en est qu’à son premier balbutiement. Ce sont d’ailleurs trois praticiennes en massage shiatsu qui déambulent entre tous les services de l’hôpital. “J’ai repris la coordination du projet qui est né il y a plus d’un an. On fait le lien entre pratique du shiatsu et membres du personnel. On parle du personnel de soin, mais aussi des cuisines, du personnel d'entretien”, explique celle qui en est, avec d’autres, à l’origine du projet.
“Ils ont souvent beaucoup de choses à porter, ça donne une image des tensions accumulées, on voit directement où on peut agir. Je pense que toutes les couches de la société en ont besoin, ce stress a un impact sur les troubles musculaires, diminuer le stress aura donc un impact sur le physique et inversement, on en peut pas prendre soin des autres si on n’est pas bien dans son corps et dans son mental, il le faudrait pour tous les soignants”.
Et de conclure: “On s’occupe aussi des patients en tant qu’ergothérapeute mais c'est dissocié, c’est deux casquettes différentes. Pendant le covid, on a eu une phase d’arrêt, on a tout stoppé pendant trois mois mais on a repris début juillet, on repris en respectant bien toutes les mesures d'hygiène, c’était une bulle d’air pour personnel, ils en ont fortement besoin, on le sent encore plus. On manque d'espace pour soi au travail et chez soi. C’est une période compliquée, c’est vrai qu’on tenait à poursuivre avec toutes les mesures nécessaires”, raconte celle qui a eu une attirance pour l’hôpital toute depuis petite, comme une vocation, avec cette volonté prégnante de prendre soin des autres, “ici, je me sens enfin à ma place”.
Dans cet ouragan funèbre, la crise a aussi apporté quelques éclaircis. “La collaboration s’est renforcée depuis la crise du covid, ça nous a obligés à échanger encore plus qu’avant, à dialoguer, à se serrer les coudes, je crois que ça va changer en profondeur la relation entre les différents services”, glisse Fatima, responsable des urgences sur le site Molière des hôpitaux Iris-Sud.
“Tout ça est devenu naturel ici et c’est vrai que ça l’était moins avant. C’est enrichissant pour tout le monde d’ailleurs, on apprend de nos spécificités, on est tous irremplaçables. Un jour, j’ai essayé de faire le job d’un brancardier, et bien au bout d’une heure et demie, j’avais le dos en vrac, c’était impossible ! Ils sont essentiels comme les agents d’entretien et comme beaucoup d’autres, ce sont des métiers dans l’ombre mais qui ne doivent pas être oubliés. Ici, je ne peux pas m’occuper de mes patients si le brancardier n’a pas fait son travail au préalable ou si l’agent d’entretien n’a pas désinfecté la chambre Covid”.
2021 ©Les héros de l’ombre : plongée dans le quotidien des métiers insoupçonnés de l’hôpital en pleine crise Covid - By DH Les Sports +